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CHAPITRE II. SYMBOLES DES MONDES ANDINS, DIVERSITÉ DANS LES ANDES

3. L’aire culturelle Camëntšá

3.1. Construction isotopique dans « Danzantes del viento, Bínӱbe oboyejuayëng », d’Hugo Jamioy

Le résultat des statistiques à partir du recueil « Danzantes del Viento » met en évidence un faible nombre de lexèmes dont l’acception est proche de la figure aquatique. En effet, lorsque nous observons la position contextuelle des éléments comme « agua », « laguna », « sed », nous sommes dans une construction renvoyant aux espaces à caractère mythique. Cela, nous le verrons dans le point suivant. Nous pourrions signaler tout d’abord, par rapport à la totalité des lexèmes du recueil et non de chaque unité poétique de façon distincte, les statistiques suivantes : le terme « agua » apparaît quatre fois, « laguna » trois, le terme « sed » (soif) est répété trois fois, « lágrimas » (larmes) deux fois et le verbe qui exprime « llorar » trois fois; des verbes qui sont inhérents à l’acception « eau » sont « inundar » avec quatre répétitions, « bañar » est répété sous différentes conjugaisons trois fois, « beber » deux fois et « Fuentes » une fois.

comme une figure puissante et menaçante. Sa fille, la lune est plus accessible aux humains et en réalité, elle devient la femme du premier mineur, l’un des frères primordiaux. », (traduction personnelle), Ibid., p. 109.

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« […] ceux qui parlent la langue de la rivière, le tinigua, le kamsá et le kofán, ceux qui connaissent le secret de la liane andaki, qui ouvre les yeux pour regarder la nuit et qui découvre et libère ceux qui sont cachés sous les pierres. », (traduction personnelle), OSPINA, La Serpiente sin ojos, op.cit., p. 180.

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Du côté de la notion de « montagne », il y a itération du lexème « abismo » avec deux répétitions, « montagne » trois, « loma »570 et « monte » une seule.

Ce que nous pouvons déduire de ces statistiques n’est pas l’importance du nombre de lexèmes liés aux sèmes inhérents et afférents à l’eau ; il est plus signifiant de reconnaître que la présence de ceux-ci sont indissociables des concepts camëntšá, pour ce qui est de l’écriture d’Hugo Jamijoy Juajibioy. La culture de son peuple trouve un reflet dans ses mots.

Bëjay est le titre de l’une des parties du recueil. Pourquoi avoir appelé ainsi cette

série de poèmes qui, en aucun cas, ne font référence aux éléments aquatiques ? Cela exige un œil attentif. Les poèmes qui composent cette partie évoquent le problème de l’identité dans différents domaines comme la connaissance, la langue, le passé, les aïeux et les voix des sages, l’identité perdue ou la recherche de soi. L’eau serait-elle dans ce domaine l’essence du voyage, celle qui conduit, par son courant, vers la recherche de soi et l’identification de sa propre identité ?

Voilà des idées qui sont loin de se soumettre à la subjectivité, qui ne sont pas ad

hominem, mais qui se projettent dans une conscience collective. Certes, son écriture

explore aussi la réalité de l’homme qui se trouve dans deux mondes :

« […] reconoce su pasado en la claridad de los pasos de sus abuelos, también precisa la dispersión en la «otra historia», la del squená (no camëntsá), la de «ese otro» que inevitablemente cambia su rol en esta poesía, y pasa de ser la orilla imperturbable a ser el lector extranjero. »571

Nous essayons ici de retrouver ce qu’il y a de propre à la catégorie du savoir

camëntšá par rapport au symbole aquatique.

Carolina Ortiz Fernandez disait dans son travail d’analyse que :

« En el mundo simbólico recreado como parte de la no frontera se pronuncian los lenguajes humanos y no humanos. Los segundos están constituidos por los astros, los animales, las plantas, los ríos, las lagunas, el viento, el agua y todo lo existente, con una vitalidad desbordante como la de los humanos en un presente que desconcierta por la voracidad de las relaciones de fuerza que destruye la existencia. »572

La poésie d’Hugo Jamioy Juagibioy est une poésie de l’espace. Elle opère le lien entre deux conceptions : celle du territoire appartenant à quelqu’un et celle des sources

570

Colline.

571

« […] il reconnaît son passé dans la clarté des pas de ses aïeux, il détermine aussi la dispersion dans « l’autre histoire », celle du « squená » (non comentsa), celle de cet autre qui, inévitablement, change son rôle dans cette poésie, et d’être le rivage imperturbable au lecteur étranger. », (traduction personnelle), SANCHEZ MARTINEZ Juan Guillermo, préface de Binybe oboyejuayëng - Danzantes del viento, (Biblioteca básica de los pueblos indígenas de Colombia; Tomo 6), Bogotá : Ministerio de Cultura, 2010, 184 p., p. 19.

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« Dans le monde symbolique, recréé comme partie de la non-frontière, se prononcent les langages humains et non humains. Ces derniers sont constitués d’astres, d’animaux, de plantes, de rivières, de lagunes, de vent, d’eau et de tout ce qui existe, avec une vitalité débordante comme celle des hommes, dans un présent qui déconcerte par la voracité des rapports de force qui détruit l’existence. », (traduction personnelle), ORTIZ FERNANDEZ Carolina, La poética de Hugo Jamioy Juagibioy en danzantes del viento/ binybe oboyejuayëng, poesía indígena contemporánea, informe de investigación, Universidad Andina Simόn Bolívar sede Ecuador, http://repositorio.uasb.edu.ec/bitstream/10644/4072/1/PI-2013-12-Ortiz-La%20po%C3%A9tica.pdf , p. 38.

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comme espace vital, car il s’agit de lieux habités. En effet, il suffit de lire les mots d’introduction, écrits par Jamioy pour son recueil de poèmes :

« […] nuestros mayores –según la tradición oral– siempre manifiestan que somos originarios del lugar donde actualmente nos encontramos asentados; en nuestra lengua decimos, refiriéndonos al territorio que habitamos, Bëngbe Uáman Tabanóc («Sagrado lugar de origen») […] »573

La terre est ce premier espace de vie :

En la tierra

No es que esté obligando a mi hijo a trabajos forzados en la tierra; solamente le estoy enseñando a consentir a su madre desde pequeño.574

Le poète révèle ici la solennité de la terre, ce qui ne nous paraît pas étrange car nombreuses sont les études qui montrent à quel point la terre dans son sens maternel et fertile délimite les dépendances des indigènes andins à la nature environnante. Le lieu représente d’avantage des significations. Elle n’est pas que la terre cultivable, elle est la donneuse de vie.

No todos los lugares Solo quiero decirte hijo de mi vida

que no todos los lugares son tuyos,

pero cada uno de ellos guarda algo para ti.575

Les sources d’eau sont le rappel de ce qui les lie à la terre et donc à la vie. Elles sont aussi un lieu d’affluence : « Los lugares de encuentro son aguas que hoy bañan nuestros sentimientos »576.

3.2. Le domaine des eaux stagnantes, des eaux profondes et immobiles

La poésie d’Hugo Jamioy Juagibioy explore le monde aquatique de façon réservée. Or, le recueil Bínÿbe oboyejuayëng - Danzantes del viento comprend un chapitre appelé « Bëjay - Eau », et il est donc, comme on l’a vu, question de création

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« Nos aïeux – d’après la tradition orale- ont toujours manifesté que nous sommes originaires du lieu où nous sommes actuellement installés ; dans notre langue et en parlant du territoire où nous habitons, nous disons « Bëngbe Uáman Tabanóc » », (lieu sacré d’origine, (traduction personnelle), JAMIOY JUAGIBIOY Hugo, Binybe oboyejuayëng- Danzantes del viento, (Biblioteca básica de los pueblos indígenas de Colombia; Tomo 6), Bogotá : Ministerio de Cultura, 2010, 184 p., p. 23.

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« Dans la terre/ ce n’est pas que j’oblige mon fils à des travaux forcés sur la terre ; je ne fais que lui apprendre à choyer sa mère depuis petit. », (traduction personnelle), Ibid., p. 37.

575

« Je veux seulement te dire, mon cher fils, que les lieux ne sont pas tous à toi, or chacun d’entre eux garde quelque chose pour toi. », (traduction personnelle), Ibid., p. 39.

576

« Les lieux de rencontre sont des eaux qui, aujourd’hui, baignent nos sentiments. », (traduction personnelle), Ibid., p. 43.

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dont les termes aquatiques sont absents. En revanche, les mots du recueil répondent à la logique de la mouvance de l’eau.

La médicine traditionnelle permet de voir la valeur de l’eau, le poème « Vístete con tu lengua en atteste » :

En cada fiesta del viajiy* los taitas van llegando, vienen susurrando su canto. Vístete con tu lengua. Pueda que a su paso no te reconozcan…

Nous pouvons parler de la cérémonie du “cierre múltiple” qui a lieu une fois par an dans un lac ou un marais sacrés. La présence de médecins est indispensable pour le bon déroulement du rituel afin de soigner les maladies et de bien gérer les imprévus. Les sources d’eau sont des espaces rituels, ils doivent être respectés voire répondre à des règles rituelles particulières.

Les sources aquatiques sont des espaces vitaux. Dans le poème « Así será », le poète Jamioy Juagibioy construit le sens autour des eaux sacrées :

Los lugares de encuentro son aguas que hoy

bañan nuestros sentimientos; mañana tus hijos

y los míos

en la laguna sagrada nadarán juntos.

Les marais sont avant tout des lieux de rencontre. C’est dans le contact avec l’autre que la communauté crée l’unité, mais aussi que l’identité se définit. Cela démontre encore une fois que les lacs et les marais continuent d’être des éléments unificateurs du peuple. Ils assurent la perpétuité des traditions : ainsi « demain tes enfants et les miens nageront ensemble ».

3.3. Le domaine des eaux animées, mobiles et ondoyantes

Peu de répétitions, concernant les eaux mobiles et animées, sont visibles dans les poèmes du domaine camëntšá. Dans « Danzantes del viento » il y a l’image de l’eau qui tombe des cieux et qui baigne les fleurs et les plumes des oiseaux, dans un mouvement ondulant, représentant ainsi le mouvement énergique qui stimule la vie, tel un danseur dans le vent: « […] el danzante del viento abre sus manos / y sobre sus brazos se posa el colibrí / dejándose llevar por el vaivén. / Más tarde, los cántaros del cielo / riegan el cuerpo del betiye / mojan el plumaje del mensajero / calman la sed del viento / y juntos hacen danza y canción. »577

La pluie est existence ; après le néant « nada », elle est signe d’existence, de création et elle rappelle un état originel :

Lluvia de vida

Vertical forma de la presencia nada, era el estado natural. Un día hiciste que lloviera.

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158 Durante el día y la noche

he de mojar el caminar de la luna, refrescar la luz del amanecer y el sol de mediodía. Si soy, soy lluvia. Que mi escampar tarde muchos días, muchos años;

que sea lejano el camino que me lleva de vuelta a mi estado natural.