• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE II. SYMBOLES DES MONDES ANDINS, DIVERSITÉ DANS LES ANDES

4. Monde mythique andin aymara

4.1. Construction isotopique dans des poèmes aymaras (recueil « Poésie Aymara »)

De ce fait, l’écriture par les symboles se fait nécessaire : « Nous avons besoin de symboles (qui réunissent le dispersé), de mythes dont la continuité traverse l’histoire et « fasse présent », visible, ce qui semble désormais disparaître aux plus lointains horizons, imperceptible. »608 Les mythes aymaras sont appelés par les poètes ; ils traversent les textes par des paroles symboliques, unissant les significations, construisant une unité soutenant le poème et lui conférant de la cohérence.

4.1. Construction isotopique dans des poèmes aymaras (recueil « Poésie Aymara »)

603

PEREZ GOLLAN José Antonio, Iconografía religiosa andina en el noroeste argentino.

http://www.ifeanet.org/publicaciones/boletines/15(3-4)/61.pdf

604

Anthropological history of Andean polities, dir. MURRA John V., WACHTEL Nathan, REVEL Jacques, Paris : Maison des Sciences de l’Homme and Cambridge University Press 1986, 383 p., p. IX.

605

ALBO Xavier et LAYME Félix, Literatura aymara : antología, vol. 1, La Paz : CIPCA, 1992, 235 p., p. 20.

606

OSSOLA Carlo, L’avenir e nos origines. Le Copiste et le Prophète, Grenoble : Éditions Jérôme Million, 2004, 397 p., p. 207.

607

Ibid., p. 214.

608

167

Ce qui est strictement aymara au sein de la poésie écrite par les poètes de cette aire culturelle et linguistique n’est visible que si les isotopies signifient un état poétique individuel assujetti par les structures de l’imaginaire mythique. La poésie de l’aire culturelle aymara évoque certainement des sujets universels. Pourtant, nous observons que la vie andine est toujours marquée par les réalités environnantes touchant aux forces divines.

En tant que formes répétitives, les lexèmes qui concernent le monde aquatique et celui des hauteurs indiquent la valeur de ces éléments dans la culture aymara. TexStat nous montre les résultats suivants : des termes comme « lagos » sont répétés sept fois, « ríos » six fois et « arroyo » et « mer » ne sont présents qu’une fois ; puis les lexèmes concernant les systèmes de navigation indiquent que des termes comme « balsero » sont répétés huit fois, « balsita » trois fois, « barca » (barque) et « orilla » deux fois ; le lexème « agua » n’est utilisé que deux fois. Dans un registre différent de l’eau qui coule à petites gouttes, les termes « llanto » et « llorar » sont répétés huit fois.

Pour ce qui est des références aux hauteurs, nous trouvons les termes « Illampu » répétés cinq fois, ainsi que « Mica » trois fois. Ce sont des termes qui désignent des montagnes. Les lexèmes « montagne enneigée » ou « nevados » apparaissent quatre fois ; les lexèmes « montagne » et « picacho » (pic) n’apparaissent qu’une seule fois. Le mot « cerros » (hauteurs) apparaît trois fois. Le lexème « Cuesta » (côte) compte uniquement deux répétitions dans tout l’ensemble des poèmes du corpus.

À l’instar d’autres poèmes aymara, le poème enregistré par Ignacio Apaza A., Chijlapata, reprend la figure de Thunupa. Son nom a été souvent associé à Viracocha, divinité incaïque. Il est fréquemment rappelé à travers des formes différentes d’énonciation dans d’autres poèmes, mais nous observerons un premier exemple dans le texte « Mika Tayka », « Madre Mica »609:

Mika Taykat saraqanita

Kawiktullparu kimsa paqallis trinaski Awil mallkullas kumpañt’ki

Jiwasax kumpañt’arakiñani Rawilay rusasa. (pã kuti) Ayra la la la la la lay. Mika Taykan marapansa

Thuqht’asiskañäni phaqall taypillaru Surtir ichhax kumpañt’istu

Qhiphar k’inchhuniru Wiñay timputaki. (pä kuti)

Mère Mica

Descendus des hauteurs de Mère Mica Trois phaqalli chantent devant le Conseil, Même les anciens se sont joints à eux : Nous les accompagnerons aussi. Oh, les œillets et les roses. (bis)

609

Al bajar de Madre Mica / Tres paqalli trinan a su cabildo, / Incluso la autoridad anciana les acompaña. / Nosotros le acompañaremos también. / Oh, clavel y rosas. (bis) // Ayra la la la la la lay // En el año de Madre Mica / Bailaremos en medio del phaqallu. / Ahora nos acompaña la suerte. / Después, le tocará al que tenga k’inchhu / Para tiempo infinito. (bis).

168 Ayra la la la la la lay.

L’année de Mère Mica

Nous danserons parmi les phaqallu. En ce moment, la chance est avec nous,

Plus tard ce sera le tour de celui qui aura le ’inchhu Pour un temps infini. (bis)

Selon les auteurs et éditeurs de l’ouvrage de référence, Layme et Albό, Madre

Mica rappellerait le nom du mont mythique Thunupa. Les différentes versions du mythe

retrouvées indiquent que des sources d’eau sont nées du lait de Thunupa, la mère qui a perdu son enfant. D’autres versions racontent que son passage à travers les terres de la Bolivie et du Chili serait à l’origine des sources : le lac Poopό et la rivière Desaguadero ; on raconte aussi que c’est par le passage de Thunupa à travers le lac Titicaca (en tant que personnage masculin présent dans la tradition mythique actuelle), que naît un fleuve lorsqu'il est libéré par un jeune homme :

« […] ils jettent à l'eau une cape en guise de barque, et tous deux naviguent sur le lac jusqu'à l'île Titicaca; l'embarcation s'engage ensuite dans le détroit de Tiquina, passe par Chacamarca et devant Tiahuanaco où intervient un châtiment qui répète ceux de Quinamares et de Pucara: les Indiens qui dansaient et s'enivraient sont à nouveau transformés en pierre. »610

La version annotée par Ramos Gavilan, insinue le fait que l'existence du fleuve Desaguadero est due au passage de la barque du Thunupa martyr, disparaissant quand les eaux sont entrées dans les entrailles de la terre.

« Esa pequeña balsa vino al lugar angosto [Tiquina] y de pronto dice que el lago se abrió, y como un río dice que fue hacia el pueblo de Machaqa, muy lejos dice que fue. Esa balsa dice que fue a parar muy lejos. Y se formó un gran lago: ahora se llama lago Poopó. Y ese gran río, se llama El Surco del Agua [desaguadero]. »611

Nathan Wachtel ajoute que le terme est aussi employé aujourd'hui pour nommer un volcan, peut-être en réponse de son identité en tant que maître du feu, de la foudre pouvant être confondue avec le dieu Illapa612. Aussi, il participe à la conception duelle des choses, étant l'opposé négatif de Viracocha en le montrant comme un « rebelle et maudit »613.

Lorsque nous reprenons le poème, nous remarquons la présence du terme « Paqalli ». D’après les directeurs de l’édition, Paqalli est le nom d’un oiseau non identifié. Pourtant, la recherche de Max Antonio Arnsdorff Hidalgo indique que le terme

Paqalli correspond au nom rituel d’alpaga, le camélidé domestiqué des Andins. Or, le

poème ajoute une caractéristique contextuelle qui fait penser à un type d’oiseau « gazouillant » ou « chantant devant le conseil ». Dans les rites qui permettent d’assurer

610

WACHTEL Nathan, « Les transformations de Tunupa, Restructurations religieuses dans les Andes méridionales (XVIe

-XVIIe siècles) », dans : Mélanges de l'École française de Rome, Italie et Méditerranée, 1989, vol. 101, nº 2, p. 839-873, p. 854.

611

« Ce petit bateau est arrivé au niveau de l’endroit étroit [Tiquina] et puis on dit que soudain le lac s’est ouvert et qu’il est allé au village de Machaqa comme une rivière, loin, très loin. Et un grand lac s’est formé. Il s’appelle maintenant lac Poopό. Et cette grande rivière s’appelle le « sillon de l’eau » [Desaguadero]. », (traduction personnelle), ALBO Xavier et LAYME Félix, Literatura aymara : antología, op.cit., p. 49.

612

WACTHEL Nathan, « Les transformations de Tunupa. Restructurations religieuses dans les Andes méridionales (XVIe

-XVIIe siècles) », op.cit., p. 853- 854.

613

169

l’activité productive de l’altiplano, nous connaissons ceux qui légitiment et revitalisent les rapports entre les Mallkus et la communauté. Dans le déroulement de ces rites, les animaux sacrés ont une place privilégiée, car ils servent des médiateurs ; l’oiseau

chullumpe accomplit cette mission :

« En ambos casos la interpretación de canciones rituales dedicadas, ya sea al felino o al pájaro chullumpe proporcionan un canal de comunicación fecundo, a través del cual surgen contenidos relevantes para la comprensión del significado y simbolismo del rito. »614

Le vers où l’on désigne l’oiseau Paqalli pourrait donc être associé à l’oiseau « chullumpe »615 qui vit dans des lagunes. Il est mentionné dans un contexte de mouvement descendant, du haut de la montagne Thunupa vers le bas de la montagne. Le poème pourrait ainsi solliciter l’image où les oiseaux accomplissent un rôle rituel en demandant la protection du bétail. Nous pouvons soit le mettre en rapport à une association à un autre animal de grande importance rituelle : le lama ; soit considérer les informations ethnologiques qui montrent l’importance des oiseaux dans les rituels actuels comme nous venons de le souligner. Il est possible de mettre en relief le sens rituel autour de la vie paysanne en tenant compte de l’image du lama, qui par ailleurs participe à la multiplication de son bétail :

« Se cree que es el ánima o alma de la llama y que, como tal, "vive" en la llama. Varios testimonios orales relatan que en tiempos remotos -asociados aparentemente a los períodos de caza-recolección y del origen de la domesticación- salía el hombre a cazar llamas para domesticarlas. Las laceaba llevándolas luego a su vivienda. Allí las amarraba a un poste para comenzar luego su domesticación. Pero, al día siguiente, encontraba en la punta del lazo solamente un pájaro chullumpe. Se creía que la llama tenía el poder de transformarse en pájaro chullumpe; y éste en llama. »616

Cette transformation lui aurait permis d’échapper à l’assujettissement. D’après le même auteur, la ressemblance anatomique entre les deux animaux (couleurs, pâtes longues) aurait facilité l’association.

614

« Dans les deux cas, l’interprétation des chants rituels consacrés que ce soit au félin ou à l’oiseau chullumpe apporte un canal de communication fertile à travers lequel des contenus relevants surgissent pour la compréhension du sens et du symbolisme du rite. », (traduction personnelle), GREBE María Ester, « El culto a los animales sagrados emblemáticos en la cultura aymara de Chile », Revista Chilena de Antropología nº 8, Facultad de Ciencias Sociales, Universidad de Chile, 1989 – 1990, p. 35-51.

file:///C:/Users/caro/Downloads/17599-51886-1-PB%20(1).pdf , consulté le 27 mai 2015, p. 43

615

Une étude sur la faune et les oiseaux recensés par les scientifiques dans la zone aymara présente le Chullumpe comme le nom désignant l’espèce podiceps occipitalis ou macá plateado (Grèbe aux belles joues) : « chullumpe : Nombre recopilado para la raza de altura en Lagunillas del Farallón (Jujuy) por Marcela Lossada y Diego Olivera (com. pers., 2006). Es muy probable que deriva del nombre aymará anterior. ». Habitant dans des environnements aquatiques, il peut s’adapter à des sources d’eau au niveau de la mer comme celle des hauteurs. Leurs caractéristiques phénotypiques le distinguent facilement des autres oiseaux par la couleur blanche de leurs cous, les plumes latérales grises et ses yeux rouges.

616

On croit que c’est l’esprit ou l’âme du lama et qu’en tant que tel, il vit dans le lama. Plusieurs témoignages oraux relatent que dans des temps très lointains - associés probablement aux périodes de chasse-recollection et l’origine de la domestication – l’homme sortait pour chasser des lamas et les domestiquer. Il les attachait et les emmenait ensuite chez lui. Là-bas, il les attachait à un poteau pour commencer son dressage. Mais le lendemain, il ne trouvait qu’un oiseau chullumpe au bout de la corde. On croyait que les lamas avaient le pouvoir de se transformer en oiseau, et ce dernier en lama. GREBE María Ester, « El culto a los animales sagrados emblemáticos en la cultura aymara de Chile », op.cit., p. 45.

170

4.2. Le domaine des eaux stagnantes, des eaux profondes et immobiles, l’aire