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La diversité des remèdes à l’imprévision

Dans le document Essai sur les clauses contractuelles (Page 139-148)

Section I : Les clauses de prévention des risques

A) La diversité des remèdes à l’imprévision

136. Le droit positif français est traditionnellement hostile à la révision du contrat pour

imprécision qu’il considère contraire aux principes de l’autonomie de la volonté et de la force obligatoire des contrats. Il ne semble pas pour autant définitivement figé sur ce point. La mise en œuvre de la théorie de l’imprévision ressurgit régulièrement et nombre d’ouvrages traduisent ainsi l’évolution constante des raisonnements consacrés à ce sujet351. Cet élan,

impulsé par la doctrine, s’est jusqu’ici heurté à la résistance plus que centenaire de la Cour de

351 J. Auverny-Bennetot, La théorie de l’imprévision : droit privé, droit administratif, droit ouvrier, Thèse Paris,

Sirey 1938 ; D. Ledouble, L’entreprise et le contrat, Thèse Rennes, Litec 1980 spéc. n°258 ; Ph. Stoffel-Munck,

Regards sur la théorie de l’imprévision, PUAM 1994 ; H. Lécuyer, Le contrat acte de prévision, in Mélanges Fr.

Terré, Dalloz-PUF-Juris-classeur 1999 p.643 et s. ; L. Aynes, L’imprévision en droit privé, RJC 2005, n°5 p.397 et s. ; R. Al Achkar, Clause de hardship et clause d’amiable composition, Thèse Paris II, 2010 ; L. Thibierge, Le

contrat face à l’imprévu, Thèse Paris I, Economica 2011 ; Cass com. 29 juin 2010 n°09-67369, LPA 24

décembre 2010, n°256 p.7 note A-S. Choné ; JCP E 16 décembre 2010, n°50 note S. Le Gac-Pech ; B. Lyonnet, Le devoir de loyauté dans l’exécution du contrat, Gaz. Pal. 3 décembre 2000, n°338 p.15 ; S. Doireau, La théorie de l’imprévision peut être…mais certainement pas pour ce qui a été prévu, RLDC mai 2004, n°5 p.11 ; X. Lagarde, Brèves réflexions sur l’attractivité économique du droit français des contrats, D. 3 novembre 2005, n°38 p.2745 ; A-C. Aune, Le fait du prince en droit privé, RLDC mars 2008, n°47 p.71 ; Th. Genicon, Théorie de l’imprévision… ou de l’imprévoyance, D. 28 octobre 2010, n°37 p.2485 ; B. Deffains et S. Ferey, Pour une théorie économique de l’imprévision en droit des contrats, RTD civ. octobre 2010, n°4 p.719.

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cassation (1). Dès lors, l’insuccès d’une telle théorie devrait conduire les praticiens à repenser des stipulations contractuelles de remplacement (2).

1) Prolégomènes de l’imprévision

137. Une consécration antérieure. La Cour de cassation n’a pas toujours fait prévaloir le

principe de la force obligatoire des contrats. La théorie de l’imprévision était en effet largement acceptée depuis le bas Moyen Âge jusqu’au XVIIème siècle. Saint-Thomas considérait qu’il n’y avait pas infidélité à la parole donnée à ne pas respecter un accord passé dans des circonstances différentes. La thèse défendue était alors celle de la clause rebus sic

stantibus selon laquelle les parties subordonnent, de manière tacite, l’exécution du contrat au

maintien des circonstances existantes au jour de sa formation.

Puisant ses origines dans la philosophie stoïcienne, théorisée par le droit canonique avant d’être diffusée chez les glossateurs médiévaux, la condition selon laquelle les contractants ne s’engageraient que pour autant que les choses demeurent en l’état n’a pas connu un véritable succès, et son rayonnement s’est amoindri au fil des années.

138. Abandon de l’imprévision. Au XVIIe siècle, Grotius fut l’un des premiers à dénoncer

cette théorie comme contraire à la stabilité contractuelle. Le déclin de l’imprévision était alors amorcé. C’est notamment pourquoi au début du XIXème siècle, les rédacteurs du Code civil ignorèrent la question. Ce refus, général et absolu, fut clairement réaffirmé par la Cour de cassation dans le célèbre arrêt dit du canal de Craponne352 de 1876. L’argument

principalement invoqué par les commentateurs consistait à dire que la révision pourrait être la source d’un déséquilibre économique que le juge ne serait pas à même d’apprécier, ainsi qu’un moyen pour les contractants de mauvaise foi d’échapper à leurs obligations contractuelles.

Le législateur est intervenu pour admettre l’application de cette théorie à certaines hypothèses. Il s’agissait soit de lois temporaires, comme à la suite de la première et de la deuxième guerre mondiale, soit de lois permanentes comme il en existe en matière de

352 Cass. civ. 6 mars 1876, D. 1876 I p.193 note A. Giboulot : la Cour avait alors établi avec fermeté que « dans

aucun cas, il appartient aux tribunaux, quelque équitable que puisse leur paraître leur décision, de prendre en considération le temps comme circonstance pour modifier les conventions des parties et substituer des clauses nouvelles à celles qui ont été librement acceptées par les contractants ».

123 lésion353, de rente viagère354 ou encore de loyers des baux d’habitation355 ou à usage commercial356. La révision est aussi légalement prévue en matière de pensions alimentaires, de libéralités357, de rentes viagères, où il est possible de contourner judiciairement les problèmes liés au changement de circonstances.

139. Les auteurs favorables à l’imprévision. La controverse fut toutefois relancée au

XXème siècle par un courant d’auteurs réceptifs à l’admission de cette théorie. Les partisans de l’application de la révision judiciaire pour imprévision avançaient comme argument phare qu’il était impossible de séparer le contexte économique et l’exécution du contrat. En l’absence de texte du Code civil pouvant servir de base à cette théorie, ils ont alors tenté de s’appuyer sur des principes généraux du droit et plusieurs fondements ont été avancés pour justifier de son intérêt. L’insertion implicite d’une clause rebus sic stantibus358 dans tout

contrat à exécution successive, la sauvegarde de la justice contractuelle359, l’abus de droit360,

l’enrichissement sans cause361 ou la force majeure362 ont été retenus par certains auteurs pour

justifier l’application de cette théorie.

A notre sens, l’obligation d’exécuter les conventions de bonne foi, visée à l’article 1134 alinéa 3 du Code civil, constituerait sans nul doute un fondement approprié à reconnaître l’imprévision en droit positif, notamment au regard des décisions précédemment étudiées.

353 A titre d’exemple, l’article L.131-5 du Code de la propriété intellectuelle permet à l’auteur d’une œuvre de

l’esprit ayant cédé ses droits d’exploitation de provoquer la révision du contrat s’il subit un préjudice de plus de 7/12e due à une lésion ou une prévision insuffisante. Article 37 de la loi du 11 mars 1957. De même l’article

833-1 du Code civil prévoit la possibilité de réévaluer la soulte due à un copartageant lorsque « par suite de circonstances économiques la valeur des biens mis dans son lot a augmenté ou diminué d’un quart depuis le partage ».

354 Lois du 25 mars et 2 août 1949, souvent modifiées, relatives à la révision des rentes viagères à la suite de la

dépréciation monétaire défavorable au crédirentier.

355 Loi n°89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n°86-

1290 du 23 décembre 1986.

356 L’article 26 du décret du 30 septembre 1953 qui organise la révision des loyers des locaux à usage

commercial. V° également pour les baux ruraux Art. 812 du C. rural ; en matière droit des assurances Art. L.113- 4 et L.113-7 C. ass. ; ainsi que les nombreuses dispositions spéciales permettant de lutter contre certaines formes de déséquilibre excessif entre les contrats Art. L.132-1 C. consom. Art. 1244-1 C. civ.

357 Art. 900-2 et s. du C. civ. (L. n° 84-562du 4 juillet 1984) mettant en place une révision des charges et

conditions rattachées à certaines libéralités.

358 CA Rouen 1844 DP 1845.2.4 ; CA Bordeaux 18 mai 1952, DP 1853.2.105 ; H. Roland et Boyer, Adages du droit français, 1992 3ème éd. n° 372-1.

359 La lésion est ici inapplicable puisqu’elle nécessite que le déséquilibre des prestations se manifeste dès la

conclusion du contrat et non lors de son exécution.

360 Cass. Req. 3 août 1915 no00-02378, DP 1917 I 79 ; S. 1920 I 300.

361 Cependant ce fondement s’avère être de nul effet puisque l’enrichissement est sanctionné par la répétition et

non par révision du contrat.

362 Dès lors, il ne suffit pas que l’imprévision rende l’exécution du contrat difficile et onéreuse, il est nécessaire

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Selon le doyen Carbonnier, « les affaires pourraient au contraire bien gagner en sécurité si

les parties étaient certaines de pouvoir obtenir une révision équitable du contrat, en cas de bouleversements totalement imprévus363». Accordant une faveur certaine à ce fondement, M.

Ph. le Tourneau considère pour sa part que « la vraie fidélité est inventive ». Il précise entre autre « que refuser l’imprévision consiste à privilégier la sécurité statique, donc trompeuse,

par rapport à la sécurité dynamique, seule à même de protéger le contrat et de permettre la survie de ces caractères d’utilité et de justice364».

Plus récemment, MM. Ph. Stoffel-Munck, Ch. Jamin et J. Ghestin se fondent sur la notion de solidarité contractuelle, contenant une nécessité de bonne foi et d’équité, et prônent le pouvoir donné au juge de remédier à un déséquilibre contractuel causé par un évènement imprévisible. Dans cette perspective, l’élément d’objectivité réside dans l’équilibre contractuel365 devant être maintenu tout au long de la relation contractuelle.

140. Position jurisprudentielle. Pour promouvoir le rôle de l’autorité judiciaire en matière

d’imprévision, ces auteurs se fondent principalement sur des décisions jurisprudentielles366

venant atténuer la portée de l’interdiction d’appliquer la théorie aux contrats de droit privé.

363 J. Carbonnier, Droit civil, les obligations, 1995, tome 4, 19ème éd.

364 Ph. le Tourneau, Droit de la responsabilité et des contrats, Dalloz action de 2006/2007 n° 3703. 365 L. Fin-Langer, L’équilibre contractuel, op. cit.

366 CA de Paris 28 décembre 1976, JCP G 1978, II, 18810 note J. Robert : La Cour d’appel avait ici

maladroitement tenté d’imposer une révision judiciaire. Le contrat de fourniture avait été bouleversé par le quintuplement des prix du pétrole. Malgré l’existence d’une clause de sauvegarde, les juges imposèrent une nouvelle négociation se réservant en cas d’échec, soit de mettre fin aux contrats si la formule imposée devait en altérer l’économie, soit et surtout d’imposer cette solution d’office dans le cas contraire. Cette initiative ne semblait pas ici inévitable d’autant plus qu’elle dénaturait la clause de sauvegarde. Cette dernière prévoyant seulement, en cas de hausse ou de baisse subites des prix, un rapprochement des parties et en cas d’échec des négociations, une faculté de résiliation. Cass. soc. 25 février 1992 n°89-41634, RTD civ. 1992 p.760 obs. J. Mestre ; D. 1993, jurisp. p.390 note M. Defossez ; V° également Cass. soc. 23 septembre 1992 n°89-45656, JCP

E 1993, II, 430 note J.-J. Serret ; Cass. soc. 6 avril 1994 n°91-42639, Gaz. Pal. 1995, I, p.218 note J. Berenguer,

Inspirée de théories solidaristes, cette décision, initiatrice d’une nouvelle jurisprudence met à la charge de la partie qui est en position de force une obligation de négociation en cas de changement de circonstances. Elle consacre ici l’obligation pour l’employeur d’assurer l’adaptation du salarié à l’évolution de son emploi et ce, en se fondant expressément sur l’exigence de bonne foi de l’article 1134 alinéa 3 du Code civil.

Cass. com. 3 novembre 1992 n°90-18547, RTD civ. 1993, n°7 p.124 J. Mestre ; JCP G 1993, II, 22164 note G-J. Virassamy, Contrats-conc. consom. 1993 comm. 4. Il s’agissait en l’espèce d’un contrat de distribution contenant une clause d’approvisionnement exclusif. Suite à des circonstances nouvelles liées directement à la libération des prix en matière de carburant, le distributeur s’était vu durement confronté à la concurrence. La Cour de Cassation avait alors considéré que l’exigence de bonne foi contraignait le fournisseur à négocier un accord de coopération commerciale avec le distributeur afin qu’il puisse aligner ses prix sur ceux des concurrents.

Cass. civ. 1ère 16 mars 2004 n°01-15804, Bull. civ. 2004, I, n°86 ; RTD civ. avril 2004, n°2 p.290 obs. J. Mestre

et B. Fages ; RLDC juin 2004, n°6 p.5 note D. Houtcieff ; D. 24 juin 2004, n°25 p.1754 note D. Mazeaud ; LPA 28 juin 2004 note C. Gavoty et O. Edwards ; RDC juillet 2004, n°3 p.642 note D. Mazeaud ; D. 9 septembre 2004, n°31 p.2239 note J. Ghestin ; JCP G 2004 I, 747 note O. Renard-Payen. Malgré la position de certains

125 Vues comme de véritables failles à la position actuelle, ils les ont alors utilisées afin de démontrer les bienfaits et la cohérence de cette théorie, pour ainsi faire éclater la vision purement économiste de la Cour. La jurisprudence maintient cependant sa position et continue d’affirmer que le principe de la force obligatoire367 ne doit pas fléchir devant l’équité. L’intangibilité du contrat doit être préservée quelles que soient les circonstances. Il s’agit ainsi d’une vision subjective, individualiste, plus économique, mais moins humaine du contrat. Pourtant, loin de constituer une antilogie, la révision pour imprévision et la force obligatoire du contrat peuvent être conciliées pour assurer la pérennité du lien contractuel. Sans pour autant la considérer comme une clause rebus sic standibus, la révision peut alors constituer un instrument au service du maintien de la force obligatoire du contrat368. En effet,

les prévisions des parties peuvent être affectées par des circonstances extérieures entre la formation et l’exécution du contrat, mais prôner l’intangibilité du contrat au nom de la force obligatoire qui anime toute convention revient alors à porter atteinte à la volonté des contractants dans son principe et son contenu. C’est encore respecter la force obligatoire du contrat que d’essayer de respecter le but recherché par les parties369.

Or, face à la persistance du refus de la Cour de cassation et dans l’attente d’une évolution future, il est envisageable d’introduire en droit privé des contrats, des clauses permettant aux parties d’aménager elles-mêmes la mise en œuvre et les effets de l’imprévision. Il pourrait notamment s’agir d’un mécanisme général, capable de ne pas contredire toute tentative d’élaboration d’une prochaine harmonisation entre les droits370.

auteurs dont D. Mazeaud, D. 2004 p.1754 pour qui cet arrêt consacre l’obligation de négociation en cas de changement de circonstances d’une manière générale. La Cour de cassation a très vite mis fin à cette extrapolation affirmant que la décision n’avait pas la portée qu’on lui accordait. En effet, aucune consécration implicite de la théorie de l’imprévision n’était recherchée par la Cour. Le déséquilibre de la convention étant ici structurel et non conjoncturel. Non seulement la révision restait conventionnelle et non judiciaire, mais le changement de circonstances résultait d’un évènement imputable à l’un des contractants et non fortuit.

367 J. Carbonnier, Droit civil, t.4, Les obligations, PUF 2000, 22ème éd. §148 p.286.

368 M. Mekki, Hardship et révision des contrats 1. Quelle méthode au service d’une harmonisation entre les

droits, JCP G 6 décembre 2010, n°49 doctr. 1219 et Hardship et révision des contrats 2. L’harmonisation souhaitable des conditions de la révision pour imprévision, JCP G 13 décembre 2010, n°50 doctr. 1257.

369 Contrairement à cette position défendue par M. M. Mekki, d’autres auteurs ont tenté de valider l’imprévision

sur d’autres fondements : Ch. Besson, La force obligatoire du contrat et les changements de circonstances, Thèse Lausanne 1955 p.61 ; P. Voirin, De l’imprévision dans les rapports de droit privé, Thèse Nancy 1922 spéc. p.103 dans laquelle l’auteur associe l’imprévision à la loi. Quand bien même elle ne la prévoit pas.

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2) Les clauses de révision contractuelle

141. Remèdes à l’imprévision. Selon la vision traditionnelle du droit civil, le contrat est

l’œuvre de la volonté des parties et les rares interventions du juge dans la sphère volontariste sont strictement limitées et encadrées par la loi ou la jurisprudence. La révision judiciaire est donc de façon générale refusée par le droit positif. Seule la possibilité de réaliser une révision conventionnelle reste admise sur le fondement de l’article 1134 du Code civil. Les clauses dites cette fois « de révision contractuelle » peuvent être insérées afin de prévenir les conséquences d’un changement de circonstances extérieures entraînant un déséquilibre économique préjudiciable à l’un des contractants. Cependant, elles visent à assurer la survie du contrat, sans rechercher strictement la performance ou la compétitivité. Elles agissent en vue de rééquilibrer les obligations de chacun, et ainsi permettre l’exécution du contrat jusqu’à son terme.

Une des premières tentatives de la jurisprudence d’imposer l’intervention judiciaire dans le contrat, par l’insertion d’une stipulation particulière, le fut par la clause d’indexation371.

142. La clause d’indexation. Selon la loi du 9 juillet 1970 modifiant l’article 79 de

l’ordonnance du 30 décembre 1958, une clause d’indexation rendue illicite par les dispositions de la présente loi est remplacée de plein droit, et à défaut d’accord des parties sur une autre indexation licite, par une clause portant indexation sur la variation de l’indice national du coût de la construction publiée par l’INSEE. Mais, le juge n’a pas le pouvoir d’opérer lui-même à une substitution d’indice en dehors de cette hypothèse. Il ne saurait en effet se substituer aux parties pour remplacer une clause d’indexation déclarée nulle par la loi par une clause nouvelle se référant à un indice différent372. La disparition d’un indice de référence choisi par les parties constitue également un obstacle absolu à l’exécution du contrat. C’est notamment dans ce sens que s’est prononcée la chambre commerciale dans un arrêt en date du 16 novembre 2004373. Plusieurs contrats de change à terme374 sur la base du

371 RTD civ. 1988 n°5 p.738 obs. J. Mestre.

372 Cass. civ. 3ème 14 octobre 1975 n°74-12880, Bull. civ. 1975, III, n° 290 p.221.

373 Cass. com. 16 novembre 2004 n°02-15202, JCP E 6 octobre 2005, n°40, note J. Stoufflet et S. Durox ; RTD civ. janvier 2006, n°1 p.117 obs. J. Mestre et B. Fages.

374 A noter que les parties adoptèrent ici la convention cadre élaborée et publiée par l’association française des

banques en 1994 et que ni cette convention cadre, ni son additif technique relatif aux opérations sur taux et devises, ne prévoient de solutions alternatives à la disparition de la source d’un cours.

127 cours RUR/USS avaient été conclus, mais face à la crise monétaire russe le taux de change rouble / US dollar avait disparu. La Cour d’appel avait, sous couvert d’interprétation, cru bon de modifier le dispositif contractuel pour l’adapter aux conditions résultant de la disparition du mode de cotation initial. Or, le contrat étant clair, la Cour d’appel n’a pu s’octroyer le pouvoir de substituer un autre cours, alors même qu’elle le considérait comme objectivement pertinent. Dans cette hypothèse, le juge ne peut que constater la caducité du contrat. La Cour de cassation applique invariablement cette solution en cas de disparition d’un indice lorsque la volonté des parties exclut la substitution d’un nouvel indice375.

La seule possibilité de révision judiciaire permet aux tribunaux de remplacer un indice illicite par un nouvel indice en justifiant qu’il existe par voie d’interprétation des stipulations en ce sens dans le contrat. Encore doivent-elles être clairement et précisément exprimées.

143. Champ d’action. Par l’insertion d’une clause d’indexation, les parties souhaitent donc

se couvrir contre les risques imprévisibles et extérieurs susceptibles d’altérer les conditions d’exécution de leur relation contractuelle. Sans être favorable à l’une ou à l’autre des parties, les clauses d’indexation, tout comme les clauses d’échelle mobile, tendent à faire varier le montant d’une obligation de somme d’argent en fonction d’un élément objectif de référence appelé indice376. Le montant du prix suit l’évolution à la hausse ou à la baisse. Le

caractère permanent et automatique de la révision conventionnelle permise par ces clauses restreint alors nécessairement leur champ d’application. L’élément, objet de la révision, se résume à la variation de l’indice décidé par les contractants dès la formation du contrat. Les autres modalités d’exécution des diverses obligations ne peuvent donc faire l’objet d’une renégociation profonde par les parties.

144. La renégociation du contrat. Seules les clauses de sauvegarde, encore appelées de

« Hardship » ou de « renégociation », permettent aux parties de demander « un

réaménagement du contrat qui les lie, si un changement intervenu dans les données initiales

375 Cass. civ. 3ème 14 octobre 1975 n°74-12880, Bull. civ. 1975, III, n°290, JCP G 1975, IV, n° 281.

376 B. Boccara, Définir l’indexation : JCP G 1985, I, 3187 ; mais le choix de la référence n’est pas libre, du

moins lorsqu’il s’agit de contrats internes, par opposition aux contrats internationaux. De plus l’indexation n’est licite que si l’indice choisi est en relation directe avec l’objet de la relation ou avec l’activité de l’une des parties. Cette exigence légale est appréciée par les juges du fond qui sont en charge de ce contrôle. V° notamment Cass. com. 4 mars 1964, JCP G 1964, II, 13 713 note P. Esmein.

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au regard desquelles elles s’étaient engagées, vient à modifier l’équilibre de ce contrat au point de faire subir à l’une d’elles une rigueur injuste377 ».

La survenance d’un évènement imprévisible et extérieur aux parties ne suffit pas à provoquer la renégociation. Il doit impliquer un effet perturbateur sur l’exécution du contrat. La constatation de l’évènement générateur de la renégociation constitue dès lors la principale difficulté. Il est conseillé aux contractants d’étayer la rédaction de la clause par une liste non exhaustive d’évènements constitutifs de hardship. De même, il est préférable de fixer avec précision un seuil378 de renégociation, comme le législateur l’a imposé en matière de clauses

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