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La détermination d’une fonction commune

Dans le document Essai sur les clauses contractuelles (Page 73-78)

Section II : Les clauses d’aménagement contractuel

A) La détermination d’une fonction commune

57. Allègement des obligations. Les clauses allégeant les obligations186 ont pour effet de

restreindre l’objet d’une ou de plusieurs obligations. Elles consistent en la restriction de son étendue ou la modification de ses modalités d’exécution dont elle assouplit l’intensité.

L’allègement conventionnel créé par ces clauses peut se manifester par l’évaluation approximative de la quantité187, de la qualité de la chose livrée ou de la prestation à effectuer,

186 Cette appellation de « clause allégeant les obligations » doit sa paternité au doyen Rodière, Traité de droit des transports, Traité général de droit maritime, Les contrats de transports de marchandises Dalloz 1968.

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ou encore par l’allongement du délai188 d’exécution ou de paiement en faveur d’un contractant. Ainsi l’objet de la prestation doit être déterminé au jour de la formation du contrat, ou du moins déterminable au jour de son exécution. L’exemple le plus révélateur peut être pris dans le contrat de bail. Le bailleur et le preneur peuvent prévoir que la chose louée sera délivrée en l’état, et non en bon état de réparation de toute espèce, comme le prévoit l’article 1720 du Code civil. De même, lors d’une vente, un immeuble peut être désigné dans l'acte sans indication de contenance, seulement par son nom et sa situation. L'immeuble est alors vendu « en bloc » pour un prix déterminé. La vente ne peut donc être résolue, ni sujet à augmentation ou à diminution du prix en raison de la contenance puisque les parties ne semblent pas s’en être préoccupées. L’aménagement de la prestation est donc possible chaque fois que les parties n’en ont pas fait un élément déterminant de leur consentement.

58. Renforcement des obligations. Les clauses renforçant les obligations d’un

contractant sont généralement la conséquence directe de l’insertion d’une clause limitative d’obligation dans le contrat. L’allègement des obligations de l’un est corroboré par le renforcement des obligations de l’autre. Ce renversement de la charge des obligations peut s’opérer à des degrés différents. En effet, l’obligation peut être transférée seulement pour partie ou plus radicalement dans son intégralité. L’un des contractants se dispense alors de l’exécution de l’une ou plusieurs de ses obligations en transférant la charge de celles-ci à son cocontractant. La clause exclusive d'obligations a alors pour effet d'aggraver les obligations des autres contractants. On parle alors de clauses de transfert d'obligations.

Cette faculté de renforcer les obligations de l’un des contractants est fréquemment dictée par la volonté des parties, en présence d’un contrat d’entreprise, de prêt, de vente, de distribution ou de franchise. Ce sont généralement les frais occasionnés pour l’exécution de ces opérations qui font l’objet de ce transfert d’obligations. Plus classiquement, il s'agit encore de la clause transférant l'obligation d'entretien sur le locataire en matière de bail. En effet, la Cour de cassation reconnaît la possibilité aux parties d'insérer dans un contrat de bail une clause dispensant le bailleur des obligations qui lui incombent en vertu de l'article 1719 du Code

187 Les expressions utilisées en matière de vente font référence à “10% en moins ou en plus” ou « sera livré

environ telle quantité » ; En matière de vente d’immeubles, « l’acquéreur s’engage à prendre l’immeuble dans son état actuel sans pouvoir prétendre ni à une diminution de prix de quelque cause que ce soit, notamment pour erreur dans la désignation ou la contenance indiquée, toute différence de mesure en plus ou en moins, excédât- elle un vingtième, devant faire le profit ou la perte de l’acquéreur ». Clause dite de non-garantie de contenance.

188 Dans les contrats de vente, des clauses peuvent laisser indéterminé le délai de livraison : « livraison au temps

57 civil189. Ainsi, par dérogation aux règles habituellement applicables, le bailleur peut préciser

qu’il n’assume aucune obligation d’entretien des lieux loués pendant toute la durée de la jouissance du preneur. Les usages peuvent également dicter un tel transfert. Les contrats de transport maritime valident ces renversements de la charge de l’obligation notamment pour la prise en charge des frais de stockage, d’emballage, de débarquement ...

Lorsque le contenu de la clause transférant une obligation à la charge de l’autre partie ne précise rien quant à la responsabilité découlant de ce changement de débiteur, la clause se contente toujours de produire ses effets sur la seule obligation en cause. Ici encore, c’est bien de l’aménagement, même négatif pour le contractant concerné, dont il s’agit. Aucune répercussion sur la responsabilité encourue ne doit intervenir sauf si elle est clairement stipulée par les parties. Certes, le transfert de l’obligation entraîne un transfert sous-jacent de la responsabilité mais rien n’interdit aux parties de dissocier les notions d’obligation et de responsabilité, ou du moins de limiter les effets de cette dernière.

59. La quantité. La détermination quantitative de la chose peut, dans de nombreuses

hypothèses, poser problème. Le législateur permet alors par le biais de l’article 1129 du Code civil certains aménagements et précise que « la quotité de la chose peut être incertaine

pourvu qu’elle fusse déterminée ». Il n’est donc pas exigé que la quantité soit déterminée si

elle est déterminable. Les contractants n’hésitent pas à utiliser cette souplesse législative et à aménager leurs obligations relatives à la qualité et à la quantité de la chose ou de la prestation. Sur ce point, de nombreuses clauses incluses dans les ventes commerciales précisent que le vendeur est tenu de livrer « environ telle quantité190 », ou « 10 % en plus ou en moins ».

Stipulées en faveur du vendeur ou de l’acheteur selon l’hypothèse, ces clauses ont pour effet de lui permettre d'imposer à l'acheteur une augmentation ou une diminution de la marchandise, ou encore de permettre à ce dernier d’adapter ses appels de commandes à son activité réelle. Les juges du fond portent donc une certaine attention à ce type de clause et exigent que des motifs sérieux, caractérisés par la bonne foi, soient invoqués par l’acheteur ou le vendeur. Ce dernier ne peut détourner la fonction assignée à la clause dans l'intention notamment de livrer systématiquement une quantité supérieure pour profiter d'une hausse des cours et imposer ainsi à son acheteur un marché plus onéreux.

189 Cass. civ. 1ère 8 mars 1966, Bull. civ. I n°170.

190 Le jeu de l' « environ » n'a pas de règle absolue et varie suivant les usages du commerce concerné, selon les

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60. Les délais. Les clauses d’aménagement des obligations visent également l’ajustement

des délais d’exécution du contrat et de paiement du prix.

L’article 1601-1 du Code civil précise que « la vente d'immeubles à construire est celle par

laquelle le vendeur s'oblige à édifier un immeuble dans un délai déterminé par le contrat ».

Cette définition fait du délai de livraison un élément constitutif du contrat de vente d'immeubles à construire. Si l'acquéreur souhaite toujours connaître la date de prise de possession des lieux, dans ce type de contrat le vendeur a aussi tout intérêt à respecter le délai contractuellement prévu. En effet, les dispositions légales en la matière interdisent aux vendeurs de recevoir sous quelque forme que ce soit des paiements ou des dépôts d'argent avant des échéances précises. Néanmoins, rien n'empêche ici les parties d'aménager contractuellement l’une des obligations essentielles, à savoir le respect du délai d’exécution du contrat, à condition toutefois que le délai reste déterminé. Le vendeur d'immeubles se donne généralement un délai de marge de trois mois. Cette pratique est notamment reprise par les notaires qui mentionnent dans leurs actes la référence d'un trimestre et non d'un jour précis. Ainsi dans le contrat de vente : l'article 1610 du Code civil précise que la délivrance doit se faire « au temps convenu par les parties ». A défaut, l'exécution du contrat expose le vendeur défaillant à des sanctions.

Une parade à ces sanctions consiste à insérer des clauses191 laissant indéterminés les délais de

livraison. Il appartient alors aux tribunaux d'apprécier si le délai supplémentaire invoqué est normal en tenant compte des circonstances. Lorsque le délai de livraison n'a pas été fixé, les juges du fond déterminent un délai raisonnable établi par rapport aux circonstances de l'espèce, à la nature de la marchandise, aux usages du commerce, ou aux circonstances économiques. L'idée de bonne foi contractuelle est alors au cœur de ces solutions.

Si le juge ne peut s’immiscer dans la détermination du prix192. La liberté laissée aux parties pour fixer les délais ou modalités de paiement peut être révisée par le juge. Les parties

191 Ainsi l’article 1615 du Code civil peut au regard de son caractère supplétif faire l’objet d’aménagement par

les parties. Ces dernières peuvent prévoir dans le contrat que la vente ne s’étendra pas aux accessoires. De même le vendeur peut être déchargé des frais de la délivrance ou de l’aménagement des délais dans lesquels la chose doit être livrée.

Inversement, l’obligation de l’acheteur de prendre livraison de la chose peut être aménagée. Si dans les ventes commerciales l’acheteur doit, en principe, supporter les frais d’enlèvement de la marchandise, comprenant les emballages dont il devient propriétaires, les frais d’emballage peuvent être mis à la charge du vendeur. Une clause peut aussi conférer à ce dernier un délai raisonnable pour retirer la chose.

192 Peut être ici rappelée la problématique posée par les contrats-cadres en matière de détermination du prix. Une

jurisprudence de 1970 rappelait que le prix des ventes futures devait être déterminé ou déterminable en se fondant sur l'article 1129. Mais dès 1995, l'assemblée plénière opéra un revirement radical de jurisprudence en considérant que dans les contrats-cadres, le prix des ventes à venir n'avait pas à être déterminé ou déterminable à

59 peuvent ainsi prévoir que le paiement sera échelonné sur une période plus ou moins longue ou fixé à une date ultérieure.

61. Diversité des clauses de renforcement. Une autre forme de clause renforçant les

obligations d’un contractant, non par réciprocité des clauses limitatives ou exclusives d’obligation, mais de manière directe entre les parties, peut être prévue. Ces clauses qualifiées de « clause d’objectif », « clause de rendement » ou « clause de résultat » se rencontrent principalement dans les contrats193 contenant un lien de subordination ou de dépendance entre les parties. Le droit du travail offre les meilleures illustrations de ces clauses. Elles permettent d’imposer « un résultat quantifié à atteindre et périodiquement révisé194». Elles ont une « vertu incitative à la recherche de la performance », tout en permettant une « meilleure

évaluation de la prestation fournie195 ». En effet, par ces clauses, le débiteur ne peut se

contenter d’exécuter purement et simplement son obligation mais se doit de satisfaire au niveau d’exigence fixé par son contrat. Les objectifs peuvent être soit imposés par l’employeur en vertu de l’exercice de son pouvoir de direction et d’organisation196, soit

négociés avec le ou les salariés et être ainsi contractualisés197. Quel que soit le mode de

fixation choisi, ces clauses ont toujours vocation à produire les mêmes effets198.

l'origine. De plus, elle en profita pour préciser que l'article 1129 du Code civil n'était pas applicable à la détermination du prix. A.P. 1er décembre 1995 n°91-15999, n°93-13688, n°91-19653, n°91-15578, Dr. & Pat.

janvier 1996, n°34 p.48 obs. A. Couret ; D. Aff. avril 1996, n°1 p.3 obs. A. Laude.

193 Art. L.132-1 du C. consom. ; P. Waquet, Les objectifs, Dr. soc. février 2001, n°2 p.120 ; V. Renaux-

Personnic, De la contractualisation à la décontractualisation possible des objectifs, RJS février 2001, n°2 p.99 ; M. Mekki, Le nouvel essor du concept de clause contractuelle (1ère partie), RDC octobre 2006, n°4 p.1051. 194 F. Gaudu et R. Vatinet, Les contrats du travail, LGDJ 2001, 1 éd. n°321.

195 P.-H. Antonmattéi, Les clauses du contrat de travail, ed. Liaisons, coll. Droit vivant, 2005 p.32.

196 C’est à l’employeur, en vertu du lien de subordination juridique inhérent au contrat de travail, qu’il appartient

de décider des produits ou activités à réaliser, les modes de production et des normes qualitatives ou quantitatives de production.

197 Dans cette seconde hypothèse, les parties sont amenées à négocier ensemble les objectifs fixés sur la base

d’une période convenue. Mais au terme de cette période de référence, l’employeur sera dans l’obligation, pour se conformer au contrat de travail, de fixer, en accord avec le salarié, de nouveaux objectifs. Le vide juridique ainsi créé ne pourra qu’engendrer une situation conflictuelle défavorable aux deux parties.

198 Elles ont pendant longtemps constitué une véritable obligation de résultat, donnant lieu au licenciement du

salarié en cas de non-réalisation de ses objectifs. Mais au regard des nombreux abus constatés, notamment par la surévaluation des objectifs à atteindre, les juges ont décidé d’encadrer ces clauses devenues de véritables armes de licenciement. Ainsi, depuis une décision de la Cass. soc. du 30 mars 1999 n°97-41028, Option Finance 3 janvier 2005, n°815 p.37 note L. Ribadeau et J. Lemeur, la Cour de cassation impose aux juges du fond de vérifier si les objectifs fixés – mesure de l’insuffisance de résultats – étaient « raisonnables et compatibles avec le marché » ; CA Paris 15 juin 2005, RLD conc. janvier 2006, n°6 « Les objectifs doivent être fixés de manière objective en fonction des performances commerciales concrètes réalisées par la marque considérée sur le territoire national ainsi qu’au regard des spécialités locales du marché sur le territoire même de la concession ». Cass. soc. 14 novembre 2000 n°98-42371, Dr. & Pat mars 2001, n°91 p.118 note P-H. Antonmattei. Que la fixation résulte du contrat ou d’une décision unilatérale de l’employeur, l’appréciation judiciaire est la même. Le

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62. Influence des clauses d’aménagement. Cet encadrement jurisprudentiel confirme ici

encore la séparation existant entre les clauses d’aménagement des obligations et celles relatives à la responsabilité. En effet, la non-réalisation des objectifs n’entraîne pas systématiquement la mise en cause de la responsabilité du salarié. Les conditions posées par les juges démontrent ici que les effets des clauses renforçant les obligations ne sont pas d’anticiper les éventuelles sanctions mais seulement de préciser les modalités d’exécution des obligations visées. Ce sont davantage les causes de la non-exécution des clauses, et notamment l’insuffisance professionnelle ou la faute du salarié qui constituent le facteur déclencheur de la sanction.

Dès lors, que les clauses d'aménagement des obligations ont pour objet la qualité, la quantité de la chose ou les délais d'exécution ou de paiement, la fonction exercée par ces clauses tend dans chacun de ces cas à produire les mêmes effets. Les clauses d’aménagement de l'obligation ne visent en aucun cas à limiter ou étendre la responsabilité d'un contractant. Elles se suffisent à elles-mêmes et ne s'appuient nullement sur la prévision d'une quelconque responsabilité future. Elles ont pour seul effet de retarder, et même d'éviter du fait de cet allégement, la survenance de toute inexécution et par là même, la mise en œuvre des sanctions.

Dotées d’une fonction commune et d’effets distincts de toute recherche de responsabilité les clauses d’aménagement du rapport obligationnel répondent ainsi à certaines règles propres à identifier leur influence.

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