• Aucun résultat trouvé

DEUXIÈME PARTIE : LES MEMBRES DE LA SOCIÉTÉ ET LEUR DEVENIR

Dans le document Florent Palluault (Page 81-86)

Dans notre description du fonctionnement général de la Société anatomique nous avons souligné le fossé entre les exigences du règlement et la pratique effective. Entre 1826 et 1873, la Société continua à travailler et à être animée de manière satisfaisante mais le Comité d’administration ferma souvent les yeux sur les enfreintes au règlement. Il y prit même parfois part, pour le bien de la Société elle-même, afin de ne pas poser trop d’obstacles à la participation des membres et ne pas dissuader de potentiels candidats.

Une société savante ne fonctionne guère que par et pour ses adhérents. Contrairement à une institution quelconque, elle ne peut puiser son énergie ailleurs que dans ses membres. Souvent la plupart des sociétaires se contentent de profiter de leur appartenance à la société, sans aller au-delà de ce qu’exige leur simple statut de membre. Seule une poignée d’adhérents fait réellement vivre la société et cherche à la faire progresser en se consacrant pleinement à ses travaux et son administration. Cependant, l’adhésion à une société savante n’est pas un fait anodin, même pour celui qui s’investit peu dans ses travaux. C’est une démarche volontaire qui suppose un certain degré de motivation et d’intérêt. Il est souvent impossible de reconstituer les motifs personnels qui poussent une personne plutôt qu’une autre de même âge, profession, milieu social et culturel, à adhérer à une société savante. Tout au plus peut-on se borner à étudier la composition de cette société et à essayer d’en déduire des types d’adhérents.

Selon Jean-Pierre CHALINE un homme « aisé, instruit, d’âge mûr » paraît être « tout en supportant de sensibles variantes, le portrait type de l’érudit membre de sociétés savantes ».172 Cette définition ne semble évidemment pas convenir pour la Société anatomique. Constituée essentiellement d’étudiants en médecine et de médecins, la Société anatomique offre une image bien singulière des membres de sociétés savantes. Notre étude ne peut prétendre éclairer la composition d’une quelconque société savante du XIXe siècle. Elle ne peut non plus prétendre s’approcher de la composition d’une autre société médicale parisienne du XIXe siècle. Nous avons simplement tenté de comprendre ici qui étaient les membres de la Société anatomique et quel rôle cette dernière pouvait jouer dans leur parcours professionnel et social.

É

TUDE DES MEMBRES DE LA PREMIÈRE

S

OCIÉTÉ ANATOMIQUE Le cadre d’études : l’École pratique de Dissection

La Société anatomique avait été créée au sein de l’Ecole pratique de Dissection de médecine. Les élèves de cette école étaient membres de droit mais ils n’étaient considérés comme tels qu’après en avoir fait la demande. Les autres élèves de l’école de Santé pouvaient aussi demander à faire partie de la Société anatomique, mais ils devaient être présentés par un élève de l’Ecole pratique et avoir fait part de quelques observations à la Société. Leur admission était ensuite délibérée au scrutin secret.173 La Société anatomique était donc un peu la société des élèves de l’École pratique et il nous faut maintenant étudier plus précisément le fonctionnement de cette école.

L’École pratique était constituée de trois classes successives (3e, 2e et 1e), comportant chacune 40 élèves maximum. Pour y être admis, il fallait avoir suivi les cours de l’École de Santé pendant au moins un an et subir un concours. L’enseignement mis en place à partir de 1797 était beaucoup plus complet que celui de l’Ancien Régime. Comme à l’École de Santé, il était divisé entre semestre d’hiver et semestre d’été. En hiver, les élèves étudiaient l’anatomie et la médecine opératoire, s’exerçaient aux opérations de chirurgie et aux dissections. L’été était réservé à la chimie et la pharmacie, aux recherches de physiologie, aux expériences de physique médicale, aux application de bandages, aux appareils chirurgicaux, aux répétitions d’ostéologie et au manuel des accouchements. Les élèves de l’École pratique suivaient aussi les leçons cliniques avec assiduité et étaient notamment employés aux rédactions des observations. L’appartenance à l’École pratique donnait accès à l’Hospice de Perfectionnement installé au sein de l’École, où les cas rares et spécialement intéressants étaient traités.

Conformément à sa vocation, l’École pratique offrait des facilités pour les dissections. Elle ne disposait, il est vrai, que de six pavillons sur les douze qui avaient été initialement prévus. Pour combler le manque de locaux, le réfectoire des Cordeliers avait temporairement été attribué à ces

172

CHALINE, op. cit., p. 237. 173

exercices. Les travaux pratiques d’anatomie et les dissections de l’École de Santé étaient placés sous la direction du Chef des travaux anatomiques. Nommé à vie et logé sur place, il était aussi responsable de l’activité de l’École pratique. Son jeune âge—DUMERIL, DUPUYTREN et BECLARD furent respectivement nommés à 25, 22 et 27 ans—faisait de lui un lien idéal entre les professeurs et les étudiants. Sous sa surveillance, des prosecteurs et aides d’anatomie, choisis parmi les étudiants les plus avancés dans leur cursus, étaient chargés de diriger les travaux des élèves. Ce système permettait « un enseignement mutuel non conformiste et très stimulant pour les uns et les autres ».174

L’École pratique, après avoir sélectionné les meilleurs élèves de l’École de Santé, favorisait un climat d’émulation par un système de prix. Deux prix étaient distribués aux élèves de 2e et 3e classe, et quatre à ceux de la 1e. Ces prix étaient remis solennellement par le doyen ou une personnalité extérieure à l’École de Santé dans la séance de rentrée du mois de novembre.

Malgré les avantages qu’elle offrait, l’Ecole pratique connut des difficultés à recruter ses élèves. Certaines années, le cadre des 40 élèves par promotion ne fut même pas rempli. L’École souffrait de plusieurs handicaps. D’une part, le chef des travaux anatomiques, prisonnier de ses multiples fonctions (service dans un hôpital, enseignement à l’Ecole, direction des dissections, pratique à la ville), était souvent absent et les prosecteurs et aides d’anatomie ne disposaient que d’un traitement insuffisant qui les obligeait à abandonner leurs fonctions pour des cours payants. D’autre part, l’enseignement de l’École était fortement concurrencé par les cours d’anatomie, de physiologie et les démonstrations de dissections donnés dans les amphithéâtres particuliers. Les professeurs particuliers pouvaient consacrer plus de temps à chaque élève. En outre ils savaient mettre le prix pour trouver des sujets de dissection alors que l’École pratique souffrait de la pénurie de cadavres. Enfin, ils dispensaient parfois des cours de spécialités que l’École se refusait à enseigner.

A partir de 1813, les autorités, reconnaissant la qualité de l’enseignement dispensé par les professeurs particuliers, décidèrent de le rattacher à l’enseignement officiel. L’École de Santé devait mettre des locaux à la disposition des professeurs particuliers au sein de l’École pratique. Ces nouveautés et spécialités que la Faculté rejetait entrèrent ainsi à l’École pratique, qui devint un centre de travaux et de recherches très poussées dans tous les domaines : chimie, anatomie pathologique, maladies professionnelles, expérimentation, etc. L’enseignement de la dissection se trouva ainsi « relégué au second plan, au profit d’activités scientifiques qui pla[çai]ent l’École au centre du monde médical parisien ».175

Madame IMBAULT-HUART juge sévèrement les résultats de l’enseignement pratique par rapport aux espérances des fondateurs. Selon elle, l’Ecole pratique jouissait davantage d’une réputation en raison de la qualité de ses élèves, que par les uniques vertus de l’enseignement qu’elle dispensait. « Lieu de rencontre, d’ouverture, de renouvellement des idées et de sélection du monde médical », l’École pratique permettait « de se faire connaître des professeurs et d’être reconnus par eux ». Consciente des limites de l’apport de l’Ecole pratique, et touchée peut-être par le sentiment d’une urgence des travaux de recherche, l’École de Santé encourageait tout ce qui, comme la Société anatomique, pouvait contribuer à l’enseignement des étudiants.

Étude de la composition de la première Société anatomique

Il est difficile d’étudier de manière vraiment satisfaisante les membres de la première Société anatomique de Paris. Seule une partie de ces membres a été identifiée et il est impossible de réaliser des statistiques valides. On ne peut donc que donner des indices sur la composition de la Société à cette époque.

Le principal élément marquant est le caractère élitiste de la Société anatomique. Ses membres appartenaient à l’élite de l’École de Santé de par leur appartenance à l’École pratique au sein de laquelle la Société opérait son recrutement. Si l’on considère que l’Ecole pratique comprenait 120 élèves, il faut croire que presque tous ces élèves appartenaient à la Société anatomique, puisque POUMET indique qu’elle comprenait 108 adhérents en novembre 1804. Les membres de la Société anatomique appartenaient souvent aussi à l’élite des élèves des hôpitaux. On ne connaît pas la proportion exacte de membres déjà en fonction dans les hôpitaux lors de leur entrée à la Société

174

IMBAULT-HUART, L’École pratique de Dissection., op. cit. 175

anatomique. Nous avons malheureusement uniquement retrouvé, dans les procès-verbaux du Conseil Général des Hôpitaux, la liste des externes nommés en floréal an XII (mai 1804).176 Presque tous les élèves concernés nous sont cependant connus pour être des membres de la Société anatomique. Le concours de l’externat étant plus ouvert que celui de l’École pratique, il est plus que probable que presque tous les membres de la Société anatomique étaient ou avaient été externes des hôpitaux de Paris.

On sait d’autre part qu’une dizaine d’adhérents étaient déjà internes des hôpitaux lors de leur entrée à la Société. Sur les 107 membres de la première Société anatomique que nous avons identifiés, 42 étaient internes des hôpitaux ou le sont devenus par la suite. Parmi les 61 internes nommés entre 1802 et 1806, 37 au moins étaient membres de la Société anatomique, et onze parmi les quinze nommés en 1805. Une large proportion de membres de la Société anatomique a donc accédé aux postes des hôpitaux réservés aux meilleurs étudiants. Mais ces chiffres ne reflètent même pas la réalité des fonctions hospitalières : avant la création formelle de l’internat et de l’externat en médecine et en chirurgie, des élèves étaient déjà payés pour seconder les médecins et chirurgiens au sein de l’hôpital. Parvenus au terme de leurs études en 1803, ils ne devinrent pas nécessairement internes des hôpitaux sous le nouveau régime. Il est donc possible que la Société anatomique comptait plus d’internes que ce que nous avons relevé.

Il est plus difficile de suivre le caractère élitiste des membres de la Société anatomique dans leur carrière après leur éloignement de la Faculté. La plupart des élèves de l’École pratique n’étaient pas originaires de Paris et repartirent exercer en province. Un certain nombre resta exercer à Paris, attiré par les fonctions hospitalières et la clientèle de prestige. Parmi les 28 sociétaires installés à Paris, huit médecins et sept chirurgiens exercèrent des fonctions dans les hôpitaux, et huit devinrent ultérieurement professeurs à la Faculté de Médecine. L’accès aux places de médecins ou chirurgiens des hôpitaux était souvent lié aux postes obtenus pendant ou juste après la fin des études : sept membres de la Société obtinrent les fonctions convoitées d’aides d’anatomie et de prosecteur de la Faculté, selon le relevé établi par Auguste CORLIEU.177 En province, certains anciens sociétaires pouvaient aussi obtenir des fonctions dans les hôpitaux et les écoles secondaires, comme Achille FLAUBERT à Rouen, Antoine BOUCHET à Lyon ou Edmé LE SAUVAGE à Caen. Cependant on ne peut être certain d’avoir retrouvé tous ces professeurs et praticiens hospitaliers.

La situation particulière de l’époque a sans doute empêché un certain nombre de ces médecins d’accéder à des postes dans les hôpitaux de Paris, ou même de s’installer en tant que praticiens dans la capitale. Certains membres furent appelés à servir dans les armées napoléoniennes comme chirurgiens militaires et durent interrompre leurs études. A leur retour en 1814, il leur fallut passer leur thèse et tenter de retrouver la voie normale menant aux postes des hôpitaux et de la Faculté. Certains, comme Laurent Théodore BIETT, parvinrent à ce but. D’autres, comme Louis René VILLERME, échouèrent.178

Un autre indice de la qualité des membres de la Société anatomique est fourni par leur appartenance à l’Académie de Médecine. Sur les 107 sociétaires qui nous sont connus, 37 sont devenus membres de l’Académie. Cette forte proportion (34,5 %) s’explique par le recrutement particulier de l’Académie de Médecine à sa création en 1820. L’Académie était composée de plusieurs catégories de membres de droit et associés : honoraires, titulaires, associés libres, associés ordinaires et associés étrangers, soit un nombre total de 285 membres. Enfin, elle comprenait des adjoints résidants et des correspondants français et étrangers. L’Académie était ainsi composée d’un très grand nombre de médecins. Elle avait en particulier accepté en son sein de nombreux jeunes médecins avec le statut d’adjoints résidants, dont de nombreux anciens membres de la Société anatomique. Le 18 octobre 1829, une ordonnance royale simplifia les diverses catégories de la compagnie savante et réduisit le nombre de membres à un total de 170. Cette réduction fut obtenue en ne procédant qu’à une élection pour trois extinctions. Par l’ordonnance royale du 20 janvier 1835, certains adjoints résidants furent cependant nommés membres sans succéder à des académiciens décédés.

176

Archives de l’Assistance publique des Hôpitaux de Paris. Procès-verbaux des séances du Conseil général des Hôpitaux. 177

Auguste CORLIEU, Centenaire de la Faculté de Médecine de Paris. Paris : Imprimerie nationale, 1894. 178

Le caractère étudiant de la première Société anatomique

Dès le départ, la Société se trouva formée par des éléments dynamiques et avides de connaissance. Le membre le plus âgé était sans doute le président nouvellement élu, Guillaume DUPUYTREN, qui n’avait que 26 ans. Cet aspect juvénile ne se modifia pas pendant le court laps de temps que dura la première Société anatomique. Il fut l’un des atouts mais sans doute aussi l’un des handicaps de cette Société.

Les créateurs de la Société anatomique n’avaient à l’esprit que l’organisation de réunions qui leur permettraient de confronter leurs idées en matière d’anatomie et de physiologie, et de participer aux recherches nouvelles dans ces domaines. L’unique but de la Société était l’enseignement mutuel de ses membres, qui étaient tous des étudiants en médecine ou des élèves des hôpitaux. Tout comme la Société d’Instruction médicale, la Société anatomique refusait de se présenter comme une société savante. LAENNEC, dans son discours pour la rentrée de la Société en novembre 1808 rappelait la modestie de ses ambitions et de ses exigences :

La Société anatomique n’est point une société savante; un objet pour lui être présenté n’a point besoin d’être nouveau, il suffit que la communication en puisse être utile à quelques uns de ses membres; ainsi chaque sociétaire peut être sûr d’être accueilli favorablement en lui présentant quelques unes des préparations anatomiques qui exigent le plus de temps, de soin ou d’habileté dans l’art de la dissection en en faisant lui-même la démonstration.179

La Société anatomique n’était donc pas destinée, à l’origine, à accueillir les travaux de médecins déjà entrés dans la profession. Elle ne se posait pas en concurrente de la Société de l’École de Médecine, ou plus tard de l’Académie de Médecine. Malgré la qualité de ses premières observations, elle ne cherchait pas à attirer les médecins déjà reconnus pour leurs travaux de recherche. Dès 1804, pourtant, elle devint plus qu’un rassemblement d’étudiants, tout simplement parce que certains de ses membres cessèrent d’être étudiants. En prévision de leur départ prochain de l’École pratique, les sociétaires les plus assidus réfléchirent à un moyen de faire survivre la Société. Certains désiraient continuer à assister aux séances après avoir passé leur thèse, afin de bénéficier des travaux de la Société. Ce fut l’origine de la catégorie des membres résidants, transformés en « titulaires » en 1826 :

Il étoit facile de prévoir qu’une Société de cette nature ne pourroit exister longtemps entre les mêmes membres; il étoit plus que probable qu’un grand nombre de sociétaires arrivés au terme des études préparatoires à l’exercice de la médecine seroient forcés de quitter Paris, et que parmi ceux-mêmes qui se fixeroient dans la capitale, plusieurs se trouveraient dans des circonstances qui ne leur permettraient pas longtemps d’attacher le même intérêt aux séances de la Société. Les fondateurs de la Société ne voulurent pas qu’une institution qui leur avoit été utile et agréable fut perdue pour ceux qui devaient les suivre dans la même carrière (…). Par de nouvelles décisions, il fut statué que ceux des anciens membres de la Société que leur attrait particulier pour les Sciences anatomiques ou la direction qu’ils auroient données à leurs études pourroient porter à désirer de faire constamment partie de la Société porteroient le nom de membres résidans. C’est à eux qu’a été confiée la garde des règlemens.180

La Société anatomique commença donc à comporter un faible pourcentage de médecins engagés dans la vie professionnelle. Cependant, les membres qui avaient déjà passé leur thèse étaient encore parfois en fonctions dans les hôpitaux, et n’avaient donc pas encore tout à fait quitté le cursus de leurs études et les étudiants restaient la principale source de recrutement de nouveaux membres. Quelques membres résidants auraient peut-être pu former un noyau suffisant pour transformer la Société anatomique en une société médicale destinée à des praticiens, voie qu’avait déjà empruntée la Société médicale d’Émulation. Mais la Société anatomique n’eut pas le temps, dans sa courte existence, de s’engager plus loin dans cette direction.

179

Bibliothèque Inter-Universitaire de Médecine, Manuscrits Laennec, Ms 2186 (II), f. 3-4. 180

É

TUDE DES MEMBRES DE LA NOUVELLE

S

OCIÉTÉ ANATOMIQUE

Afin de mieux comprendre qui sont les adhérents de la Société anatomique, il est intéressant d’étudier à quoi ressemblait leur vie d’étudiants et quelle place la Société anatomique prenait dans les quelques années qu’ils passaient au sein de la Faculté de Médecine, et dans leur vie professionnelle.

Les étudiants de Paris au XIXe siècle ne constituaient pas seulement un groupe social uni par une commune appartenance à une école ou une faculté. Ils composaient tout un monde, avec ses règles, ses coutumes et son empreinte géographique dans la capitale.181 Notre étude s’intéresse plus particulièrement aux étudiants en médecine et il nous a semblé utile de retracer ici leurs parcours, depuis le début de leurs études jusqu’à l’apogée de leurs carrières.

Le monde des étudiants parisiens au XIXe siècle

Dans le document Florent Palluault (Page 81-86)