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Délimitation et structure de la recherche

Avant de conclure ces lignes introductives, il apparaît essentiel de préciser ce que notre travail ne vise pas à clarifier comment son périmètre et ses limites ont été construits. Trois dimensions ne sont intentionnellement pas directement traitées : a)  nous ne proposons pas une analyse des discours institutionnalisés ; b)  nous n’adoptons pas une démarche qui s’apparenterait à une histoire de l’enfant et c) les sources consultées sont essentiellement occidentales. De manière générale, ces choix sont réalisés pour des raisons de méthode (cf. point précédent), de cohérence et d’écologie globale de la recherche voire du texte, de l’avancée des travaux sur certaines questions et peut-être aussi de préférences personnelles.

La réflexion développée dans le cadre de notre travail prend pour prémisse la reconnaissance de la valeur intrinsèque d’un discours institutionnalisé. Une déclaration de principes ou de droits est avant tout un acte symbolique. Même lorsqu’une convention est adoptée, créant ainsi des obligations pour l’État signataire et offrant une meilleure garantie de son application sur un plan juridique, le caractère emblématique de la ratification est une réalité dans certains cas, car l’engagement

n’est pas toujours tenu. Il n’en demeure pas moins que cet acte symbolique est significatif d’une intention. Il s’agit d’une action de communication dont les tenants et aboutissants sont variés, mais dont la valeur réelle est à prendre en considération.

Endosser la responsabilité d’application de principes n’est pas le seul acte symbolique qui ponctue l’histoire d’un traité. La décision de rédiger un tel document, les acteurs impliqués dans la rédaction, le choix du titre, des sujets abordés ou non et l’ordre dans lequel ils apparaissent, la manière de proclamer son adoption, la publicité qui lui est donnée, etc., sont autant d’éléments à haute portée symbolique et générateurs de sens.

Nous reconnaissons qu’un discours institutionnalisé éclaire à la fois l’accord auquel sont parvenues les différentes parties au même titre que les positionnements, évolutions, tensions et contradictions qui auront habité son processus de rédaction.

Le discours matérialisé devient ainsi une trace, sociohistoriquement et culturellement située, dont les trajectoires multiples sont mises en perspective et en relation pour reconstituer le champ événementiel, constitutif de la dynamique de notre objet d’étude. Dans la mesure où la focale est maintenue sur les processus de genèse et les trajectoires d’élaboration des traités relatifs aux droits de l’enfant, une analyse purement textuelle/discursive interne des textes, au sens strict du terme6, n’est pas une fin en soi. Une perspective intertextuelle est toutefois mobilisée au sens où Barthes a défini l’intertextualité, soit un phénomène discursif dans lequel « tout texte est un intertexte ; d’autres textes sont présents en lui, à des niveaux variables, sous des formes plus ou moins reconnaissables : les textes de la culture antérieure et ceux de la culture environnante ; tout texte est un tissu nouveau de citations révolues » (1997, p. 816-817). Holzscheiter (2010) a développé un cadre théorique pour réaliser son analyse de tous les textes de droit international abordant la question des enfants. Sans nous emparer de ces outils spécifiques, nous admettons que chaque nouveau traité contient en son sein des éléments du précédent ainsi que les prémisses du suivant.

Cela permet de faire émerger les éléments constitutifs des droits de l’enfant qui traversent les discours institutionnalisés, les degrés de variation sur leur acceptation ou acceptabilité, les thématiques naissantes et celles qui tombent dans l’oubli.

Nous avons précisé que notre travail mobilise les champs de l’histoire de l’enfance et des droits de l’enfant. Une tension épistémologique, inhérente à la mobilisation de ces deux champs pluridisciplinaires, doit être soulignée de façon à clarifier les choix qui sont réalisés. La recherche en droits de l’enfant – tout comme celle des childhood studies – se donne pour objectif de privilégier, aussi fréquemment que possible, la perspective des enfants, y compris dans le domaine de la recherche (Dunn, 2015 ; James et James, 2008 ; Lundy et McEvoy, 2012 ; Powell et Smith, 2009 ; Reynaert, Desmet, Lembrechts et Vandenhole, 2015). Plusieurs manuels sont parus sur les

6 Pour une définition de l’analyse des discours, voir Darbellay (2005). Pour un travail mobilisant l’analyse des discours pour étudier les questions relatives au droit international spécifique aux enfants au cœur des relations internationales, voir la recherche de Holzscheiter (2010).

façons les plus à propos d’impliquer les enfants dans les processus de recherche, afin de ne pas évincer méthodologiquement cette perspective (voir Alderson, 2001 ; Christensen et James, 2000, 2008). Cette approche contribue à produire un corpus de données inédites sur l’enfance et sur l’enfant (Sherington, 2010). Dans le champ de l’histoire de l’enfance, une réflexion similaire est menée. Les chercheurs admettent qu’il subsiste une différence de taille entre le fait d’établir l’histoire de l’enfance basée sur des sources produites par des adultes – qui permet de comprendre comment l’enfance a ou non évolué et avec quelles implications – et tenter d’écrire une histoire de l’enfant, ce qui implique d’accéder à des sources produites par des enfants (voir Cunningham, 2005 ; Hendrick, 1997-a, 2008 ; Stearns, 2011). Ces dernières étant relativement rares, les obstacles méthodologiques demeurent importants.

Heywood (2010) nuance toutefois l’opposition binaire entre enfance et enfant, rappelant que les deux concepts sont intimement liés.

« Le “nouveau paradigme” prévalant dans les études en sociologie de l’enfance des années 1990 […] impliquait bien plus qu’un appel à envisager l’enfance comme une construction sociale. Il insistait sur le fait que les enfants soient considérés comme ayant un rôle actif dans le déroulement de leur propre vie et la vie de ceux qui les entourent. »7 (p. 359)

Notre étude favorise cette optique, à savoir le fait de concevoir les enfants comme des acteurs sociaux dont l’influence sur leurs vies, leur statut, leur rôle, etc., et sur celles des personnes autour d’eux est à considérer pour l’étude de leur condition. D’autant plus que, comme le souligne Pupavac (2001, p. 99), « le régime contemporain des droits de l’enfant n’a pas été construit par les enfants »8 (voir aussi Ennew, 2000). Ce sont principalement des adultes, plus ou moins organisés, qui formalisent et standardisent leurs ambitions éducatives. Dès lors, l’accès aux sources directement produites par des enfants ou des jeunes n’est possible qu’au travers de productions destinées à et archivées par des adultes. Cette forme hybride d’accès aux traces laissées par les enfants se veut d’une part une invitation à la réflexion autour de l’influence qu’ont pu avoir les jeunes dans les processus étudiés et d’autre part un appel à intensifier nos efforts dans la production de connaissances au sujet de l’histoire de l’enfant. Elle reste toutefois par essence une contribution à l’histoire de l’enfance et des droits de l’enfant.

Le dernier aspect à clarifier en introduction concerne l’origine occidentale de la majorité des sources étudiées. Comme mentionné plus haut, notre recherche adopte une perspective transnationale. Elle se distingue des études visant à mettre en évidence

7 Notre traduction de « The “new paradigm” in childhood studies of the 1990s […] involved far more than a call to see childhood as a social construction. A key point was the insistence that children be seen as active in determining their own lives and the lives of those around them. »

8 Notre traduction de « the contemporary children’s rights regime was not one that was brought about by children ».

le rôle particulier d’une nation, d’une région, d’une organisation ou d’un acteur dans le processus de genèse des traités relatifs aux droits de l’enfant. Les lieux de production de ceux-ci, ainsi que les réseaux qui ont porté les projets sont déterminants pour sélectionner les fonds archivistiques à dépouiller. Il est clair que l’histoire des droits de l’enfant n’est pas uniquement occidentale. La revue de littérature qui constitue la première partie de notre ouvrage souligne les points de convergence et de divergence dans les réflexions et pratiques autour de l’enfance selon les différentes cultures et périodes. Une démarche comparative n’est cependant pas privilégiée, ces développements se fondent sur des travaux menés en World History.

L’une des critiques fréquemment énoncée à l’encontre des traités relatifs aux droits de l’enfant concerne leur caractère ethnocentrique (Boyden, 1997 ; Ennew, 2000 ; Pupavac, 2001 ; Twum-Danso, 2008). Il s’agit d’un argument qui n’est pas éprouvé dans le cadre de notre travail, bien que les sources étudiées tendent à le confirmer de par leur origine, tout en essayant de le masquer, au nom d’une universalité. La focale est ici placée sur la démarche de construction d’une norme universelle et les logiques d’inclusion et d’exclusion qui la sous-tendent. Au-delà de l’identification de stratégies d’import-export, nous nous intéressons plus particulièrement au produit qui est coconstruit au niveau international. L’absence de représentation dans les négociations de certaines régions du monde ou cultures a été identifiée par plusieurs auteurs (voir notamment Veerman, 1992 ; LeBlanc, 1995). Il nous faut dès lors capturer quelles ont été les stratégies mises en place pour permettre l’acceptation de ces normes par les absents et les éventuelles intégrations de leurs préoccupations.

La longue durée privilégiée pour notre étude exclut la possibilité de visiter l’ensemble des archives disponibles. L’exhaustivité n’est toutefois pas visée. Des sources secondaires, élaborées à partir d’archives qui n’ont pas été dépouillées par nos soins, viennent compléter certains angles qui pourraient sans cela rester aveugles.

Par conséquent, il apparaît opportun de voir la sélection opérée comme susceptible de produire une vérité, tout en admettant, comme l’écrit Veyne (1971, p. 26), que

« l’histoire est connaissance mutilée ».

« La connaissance historique est taillée sur le patron de documents mutilés ; nous ne souffrons pas spontanément de cette mutilation et nous devons faire un effort pour la voir, précisément parce que nous mesurons ce que doit être l’histoire sur le patron des documents. […] L’histoire ne comporte pas de seuil de connaissance ni de minimum d’intelligibilité et rien de ce qui a été, du moment que cela a été, n’est irrecevable pour elle. » (Veyne, 1971, p. 26-27)

Dans son ouvrage De la connaissance historique, Marrou  (1954) reprend la phrase de son homologue britannique Galbraith pour clarifier la question : « History, I suppose is the past – so far as we know it » (« l’histoire c’est le passé, dans la mesure où nous pouvons le connaître ») (p. 51). Nous amorçons notre recherche dans cette optique. Elle est composée de trois parties.

La première se présente sous la forme d’une revue de littérature. Elle propose une Historicisation du processus de genèse des droits de l’enfant. Les développements du droit des enfants et de leurs différents statuts sociaux sont étudiés et contextualisés dans le premier chapitre Les droits de l’enfant dans l’histoire. Différentes périodes et régions sont étudiées. L’accent est principalement placé sur l’Occident, en raison de la littérature disponible. Le deuxième chapitre de cette partie, Vers une enfance transnationale, montre comment les échanges internationaux autour de l’enfance – modèles éducatifs, connaissances, projets – peuvent être lus comme les premières formes que prennent les droits de l’enfant. Le contexte particulier induit par la Première Guerre mondiale est décrit de manière à souligner la façon dont il participe à la configuration de l’enfance transnationale.

La deuxième partie se centre sur l’étude empirique de la Genèse et circulation des traités transnationaux relatifs aux droits de l’enfant. Elle comprend trois chapitres qui présentent les traités constitutifs du corpus de base : « Déclaration de Genève » (1924), Déclaration des Nations Unies relative aux droits de l’enfant (1959), Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant (1989). Les stratégies mises en œuvre pour permettre leur rédaction, leur adoption et leur diffusion sont étudiées pour chaque traité. Les configurations particulières qui rendent possibles les initiatives individuelles et institutionnelles font également l’objet d’une attention particulière. Les aspects de continuité et de discontinuité entre les différents contextes de genèse et de diffusion des traités sont encore mis en évidence. Nous mettons par là en avant certaines évolutions que connaît le concept « droits de l’enfant » sur et au travers de la scène internationale.

La dernière partie, Au miroir de la norme, l’universel ? propose une analyse synthétique de l’histoire des traités relatifs aux droits de l’enfant. Dans un premier temps, nous établissons un outil à portée heuristique qui permet de théoriser les Évolutions et transformations de la norme relative aux droits de l’enfant, en fonction du contexte. Sur cette base et en mobilisant les données empiriques récoltées dans notre recherche, le dernier chapitre, Universalité des droits de l’enfant et questions éducatives, dessine les liens qu’entretient la norme liée aux droits de l’enfant et les questions éducatives. Nous nous interrogeons ainsi sur les différentes constructions du triptyque « États – Parents – Enfants » dans le droit international spécifique aux droits de l’enfant, de même que le paradoxe induit par l’éducation d’un sujet de droits.

Historicisation du processus de genèse

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