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Déclaration des Nations Unies relative aux droits de l’enfant (1959)

2.  Un don universel : des droits pour l’enfant

2.1.  La bonne thématique au bon moment

En 1950, la Commission des questions sociales réunie pour sa 6e session adopte le projet de Charte de l’enfance des Nations Unies à l’unanimité : treize voix en faveur, aucune voix contre et trois abstentions348. Elle se prononce aussi en faveur du titre

« Déclaration des droits de l’enfant », qui fait selon elle écho à la Déclaration des droits de l’homme. La Commission transmet le projet au Conseil économique et social en suggérant que celui-ci le soumette à la Commission des droits de l’homme (CDH)349. Le 13 juin 1950, l’ECOSOC, après avoir souligné la relation étroite qui existe entre le projet de Déclaration des droits de l’enfant et la Déclaration universelle des droits de l’homme, prie la CDH de lui communiquer « ses observations au sujet du principe et du contenu » du projet de Déclaration, en vertu de la résolution 309 C (XI)350. Ce dernier est ainsi placé à l’agenda de la CDH pour sa 7e session. Il n’est toutefois pas traité avant la 13e session en 1957, soit six ans plus tard351.

Un ensemble de facteurs permet d’expliquer ce qui a parfois été décrit comme un manque d’empressement face à un traité considéré comme consensuel352. La CDH déclare que l’étude du projet de Déclaration des droits de l’enfant est systématiquement reportée en raison d’un ordre du jour trop chargé353. Marshall (1998) et Veerman (1992) affirment tous deux qu’il s’agit plutôt de priorités placées ailleurs.

La CDH est engagée dans le grand chantier de la rédaction des pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme. Ceux-ci doivent donner une valeur contraignante à la DUDH, qui n’a, comme son nom l’indique, qu’une valeur déclarative. Les tensions

348 OHCHR, 2007, Part I, p. 5, E/CN.5/221, Family, youth and child welfare, Draft preamble and principles of the declaration of the rights of the child (para. 59).

349 AUNOG UNY, 1959, Human Rights (Chapter 8), Declaration of the Rights of the Child.

350 Archives de l’Assemblée générale des Nations Unies (AUNOG GA), A/4185, 17 août 1959, Projet de Déclaration des droits de l’enfant, Note du secrétaire général.

351 AUNOG UNY, 1959, Human Rights (Chapter 8), Declaration of the Rights of the Child.

352 AUNESCO, 342.7-053 A 102, Declaration of the Rights of the Child, Aleksander à Terenzio, 8 juillet 1959 rapport n° 6.

353 AEG FUIPE, M.4.1, Tri/71.1, Commission des droits de l’homme, 12e session, Rapport sur la douzième session (5-29 mars 1956), paragraphes 98-100.

liées à la guerre froide plongent le processus dans une succession de crises. La plus marquante est celle qui aboutit à la décision de réaliser non pas un, mais deux pactes, afin de trouver une issue constructive aux désaccords fondamentaux entre l’Est et l’Ouest, lesquels paralysent les négociations internationales (voir Holzscheiter, 2010 ; Milza, 1996).

Bien que l’objet « Projet de Déclaration des droits de l’enfant » apparaisse régulièrement sur les agendas provisoires ou effectifs de la CDH, nous rejoignons les conclusions de Marshall (1998) et de Veerman (1992) : le caractère secondaire de la question ne fait aucun doute. Une résolution adoptée en 1955 place très clairement la priorité sur les pactes.

« Conformément à la Charte, l’action des Nations Unies liée aux droits de l’homme devrait être orientée vers un prompt achèvement des travaux de rédaction des pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme, qui est la principale tâche de l’Organisation dans ce domaine. »354

Il reste que des dimensions structurelles entrent sans doute aussi en ligne de compte. Durant les premières années, le Secrétariat des Nations Unies rencontre régulièrement des difficultés autour d’aspects aussi pragmatiques que trouver des dates pour permettre aux différentes commissions de tenir séance. Beaucoup de membres de la CDH siègent également à l’Assemblée générale et souhaitent que les sessions se tiennent sur le même site et de manière successive. Le manque de personnel au Secrétariat rend parfois problématique la préparation des rapports dont ont besoin les représentants355. Finalement, il convient de relever que l’UIPE, et plus spécifiquement son secrétaire général, ne joue plus le rôle de moteur dans la conduite du projet. En accord avec les nouveaux statuts de l’UIPE, ses activités sont concentrées autour de la promotion de la nouvelle version de la Déclaration de Genève, devenue effective en 1950 et largement diffusée dans les années qui suivent356. Les échanges épistolaires entre Thélin et le Bureau des affaires sociales illustrent bien l’orientation prise par de l’UIPE357. Ceci est d’autant plus important pour l’Union que d’autres ONGI, à l’instar du jeune Bureau international catholique de l’enfance (BICE), se positionnent aussi

354 AE UNESCO 46-50, Commission on human rights, Review of program and establishment of priorities, Texts of resolutions adopted by the Commission on Human Rights on 18 and 20 April 1955. Des échanges de courriers en témoignent aussi. (AUNESCO, 342.7-053 A 102, Declaration of the Rights of the Child, Letter from Terenzio to Okkenhaug, 20 October 1949). Traduit de l’anglais : « in accordance with the Charter, United Nations action relating to human rights should be directed towards the earliest possible completion of work on the draft Covenants on Human Rights, which is the main task of the United Nations in this field ».

355 AUNOG S, S-0916-0008-0011-Social Questions-Division of Social Activities-Temporary Social Commission-Social Commission-2nd Session August-September.

356 AUNHRC, SOA 317/1/01 (3) G, Comments from organizations, Letter from Thélin to the HRC Secretary, 13 March 1953 ; AEG FUIPE, AP 92.2.15, Tri/65-3, 11e session du Comité exécutif 3 mars 1951, Diffusion du texte révisé de la Déclaration de Genève ; AEG FUIPE, M1.2, Tri/71.1, Historique de l’UISE, mémorandum, publications de l’UISE de 1929-1939, Grandes dates de l’Union.

357 AUNOG S, 18795-NGO-IUCW (part C-1949-1956), Correspondance entre G. Thélin et J. Henderson.

sur la question358, notamment à l’occasion du Conseil de Bonn (1956) sur la stratégie des ONGI face aux OIG359.

Le délégué de l’URSS à la CDH relance le projet, en 1956, en proposant d’inscrire la question de la Déclaration des droits de l’enfant à l’ordre du jour de la prochaine session. Il est appuyé par d’autres membres qui affirment qu’il s’agit d’une question

« d’une très grande importance »360. Sur l’agenda de la 13e session de la CDH, la Déclaration des droits de l’enfant figure en point 6. L’intérêt des ONGI concernées par la problématique est apparent : pas moins de 24  d’entre elles envoient des représentants à la session en question361. Pourtant, la correspondance échangée entre John P. Humphrey (1905-1995), directeur de la Division des droits de l’homme, et les représentants nationaux auprès des Nations Unies, montre que la thématique centrale de la rencontre est le rapport de la Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités362. La célébration du dixième anniversaire de la DUDH figure encore parmi les préoccupations des responsables des travaux de la CDH363.

Les délégations nationales s’emparent de la Déclaration des droits de l’enfant de manière peu préparée, et tout en étant impliquées dans d’autres dossiers complexes et controversés. Elles reprennent une à une les questions qui avaient été réglées par d’autres, dans un autre contexte sociopolitique, avant 1950. Les doutes étouffés par la Commission des questions sociales sur le fait de proclamer des attentes minimales ou des standards qui peuvent être réalisés progressivement et les implications en matière de mise en œuvre sont ravivés364. Les délégations hésitent à maintenir en place un ancien modèle, issu de la SDN. Pourquoi opter pour un instrument non contraignant proclamant les droits de minorités, alors que les droits de l’enfant pourraient être intégrés à l’important dispositif organisant les traités de droits humains ?365 D’autres différends, tel le sujet des droits des enfants illégitimes, viennent polluer les débats.

358 AUNHRC, Human Rights Series 1948 to 1957, SO 214 (19), Draft international covenants on human rights and measures of implementation, Observations of NGOs received by the Secretary-General in pursuance of resolution 501 B (XVI) of the Economic and Social Council, Reference to documents published by the UN.

359 AEG FUIPE, M1.2, Tri/71.1, Historique de l’UISE, mémorandum, publications de l’UISE de 1929-1939, Grandes dates de l’Union.

360 AEG FUIPE, M.4.1, Tri/71.1, Commission des droits de l’homme, 12e session, Rapport sur la douzième session (5-29 mars 1956), paragraphes 98-100.

361 AEG FUIPE, M.4.1, Tri/71.1, Commission des droits de l’homme, 13e session, Comptes rendus analytiques des 505-508e séances, Palais des Nations, Genève, 8 et 9 avril 1957.

362 En 1946, le Canadien Humphrey est nommé premier directeur de la Division des droits de l’homme au Secrétariat des Nations Unies. Durant son mandat, qui dure vingt ans, il participe aux travaux de rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Cette fonction lui vaut le Prix des droits de l’homme des Nations Unies.

363 AUNHRC, Human Rights Series 1946-1957, SO 212/2, 13e Commission des droits de l’homme, Genève, 1-26 avril 1957, Ordre du jour provisoire du 14 janvier 1957.

364 AEG FUIPE, M.4.1, Tri/71.1, Commission des droits de l’homme, 13e session, Comptes rendus analytiques des 505-508e séances, Palais des Nations, Genève, 8 et 9 avril 1957, 505e séance.

365 AEG FUIPE, M.4.1, Tri/71.1, Commission des droits de l’homme…

Les désaccords sont partiellement aplanis par la compréhension utilitaire de l’exercice que proposent certains délégués : ce qui compte finalement ce sont les évolutions positives qu’un tel instrument peut engendrer.

Force est de constater – comme le fait Humphrey lorsqu’il transmet le compte rendu de la session à la directrice du Bureau des affaires sociales – « que les membres de la Commission n’étaient pas vraiment prêts à discuter du projet cette année ou à prendre une décision sur la question »366. Selon ses propres termes, la Commission ne se sent pas en mesure « de prendre en considération tous les aspects du projet ». Elle décide par conséquent de procéder à une nouvelle consultation des États membres, réponse370. La plupart d’entre eux s’alignent sur les prises de position de la Fédération internationale de femmes juristes ou de l’UIPE, lesquelles ont eu l’avantage de voir leurs commentaires transmis dans le cadre de la procédure de consultation371.

Après l’issue surprenante de la première lecture de la Déclaration par la CDH et son ouverture affichée aux interventions externes, les ONGI démarrent un intense travail de lobbying. Elles ont à nouveau espoir de pouvoir influencer le processus. Deux résolutions pour qu’elles puissent participer à la rédaction du projet de Déclaration sont déposées en janvier et juillet 1958372. La conclusion à laquelle parvient le Comité exécutif de l’UIPE, en témoigne :

366 AUNOG S, S-0445-0076 Draft Declaration on the Rights of the Child (1957), Letter from J. P. Humphrey to J. Henderson, 12 April 1957. Notre traduction de : « After you have read the record, you will probably agree that the members of the Commission were not really prepared to discuss the draft this year or to take any decision on the matter ».

367 AUNOG UNY, 1957, ECOSOC, Draft Declaration on the Rights of the Child ; OHCHR, 2007, Part I, p. 7, E/CN.4/789, Report of the Commission on Human Rights, para. 105.

368 AUNOG-S, S-0445-0077, Draft Declaration on the Rights of the Child (1958-1967), Interoffice Memorandum, From J.P. Humphrey, Director Division of Human Rights to H. Trevelyan, under-secretary in charge of Special Political Affairs, Subject : re : Item on agenda of Human Rights Commission relating to the Draft Declaration of the Rights of the Child, 21 April 1958.

369 AUNOG UNY, 1959, Human Rights (Chapter 8), Declaration of the Rights of the Child ; AEG FUIPE, M.4.3, Tri/71.1, Commission des droits de l’homme, 15e session, Observations des gouvernements.

370 Australie, Cambodge, Ceylan, Danemark, République dominicaine, Grèce, Hongrie, Israël, Jordanie, Laos, Luxembourg, Népal, Nouvelle-Zélande, Norvège, Pakistan, Philippines, Pologne, Portugal, Soudan, Royaume-Uni, États-Unis (E/CN.4/780), Finlande, France, Japon, URSS et Yougoslavie (E/CN.4/780/

Add.1), Inde, Hollande et Turquie (E/CN.4/780/Add.2) ; AEG FUIPE, M.4.3, Tri/71.1, Commission des droits de l’homme, 15e session, Observations des gouvernements.

371 AEG FUIPE, M.4.3, Tri/71.1, Commission des droits de l’homme, 15e session, Observations des

« Il n’y a pratiquement aucune chance que la Commission des droits de l’homme lors de sa prochaine session ou les Nations Unies elles-mêmes reviennent sur leur décision de proclamer leur propre Déclaration des droits de l’enfant au lieu d’approuver celle de l’UIPE. Mais l’UIPE peut encore chercher à exercer une influence sur sa rédaction et, en fait, plusieurs autres ONG attendent d’elle des directives à cet égard. Nous savons que quelques gouvernements ont déjà consulté nos organisations membres dans leurs pays respectifs au sujet de la réponse officielle qu’ils devraient donner. D’autres organisations nationales pourraient éventuellement aussi intervenir auprès de leur gouvernement si elles y étaient invitées par l’Union afin de proposer des amendements désirables et de s’opposer à d’autres qui ne seraient pas souhaitables. »373

Plusieurs manœuvres sont encore menées par le Secrétariat de l’UIPE, soutenu par les ONGI membres du Comité de l’ECOSOC374. De multiples courriers sont envoyés au Secrétariat des Nations Unies, à la CDH et aux organisations nationales375. Le mot d’ordre de l’UIPE est limpide : simplifier le texte de manière à le « limiter à des principes essentiels et généraux, afin qu’il puisse être facilement compris et reste valable dans tous les pays dans un monde en mutation »376. Plusieurs réponses positives, de la part du Secrétariat et de certaines délégations, sont données en retour et les ONGI perçoivent qu’elles gagnent du terrain. Lorsqu’en juillet 1959, la Commission de la condition de la femme demande de pouvoir commenter le projet de Déclaration, plusieurs délégations soumettent conjointement un projet de résolution visant à reporter la prise de position de la CDH. Ceux-ci affirment qu’une « majorité d’États membres n’ont pas encore soumis leurs commentaires », et souhaitent leur laisser le temps nécessaire pour le faire377.

La démarche est cette fois contrée par l’intervention énergique de Sir Samuel Hoare, délégué britannique. Appuyé par les États-Unis et la Nouvelle-Zélande, il parvient à rallier l’ensemble des délégations à l’idée d’un envoi du projet de Déclaration à l’Assemblée générale378. À ce stade du projet, la position de la délégation britannique est surprenante. Elle, qui avait plutôt eu tendance à freiner l’avancement des travaux,

373 AEG FUIPE, M.4.2, Tri/71.1, 27e session du Comité exécutif de l’UIPE, Commission du programme, 10 et 11 juillet 1958.

374 AEG FUIPE, M.4.4, Tri/71.1, Council Committee on NGO summary record of the 178th meeting, 3 July 1959.

375 AEG FUIPE, M.4.2, Tri/71.1, 26e session du Comité exécutif, Genève, 23-27 septembre 1957 ; AEG FUIPE, M.4.2, Tri/71.1, Correspondance de l’UIPE avec ses organisations membres, Lettre de l’UIPE à B.

Gildemeister, Union Internacional de Proteccion a la Infancia, Lima, 2 septembre 1958.

376 AEG FUIPE, M.4.4, Tri/71.1, Council Committee on NGO summary record of the 178th meeting, 3 July 1959.

377 AUNOG GA, Genève, E/AC.7/L.32A, 6 July 1959, Report of the Commission on Human Rights, Draft Declaration of the Rights of the Child.

378 AEG FUIPE, M.4.4, Tri/71.1, Confidential letter to Miss Moser from F. Miller, 2 September 1959 ; AUNESCO, 342.7-053 A 102, Declaration of the Rights of the Child, Rapport n° 6 de Aleksander à Terenzio (directeur général par interim Unesco), 8 juillet 1959.

tient soudain à voir cette Déclaration adoptée. Madsen (2005) montre qu’en 1959, la Grande-Bretagne vient d’échapper à une condamnation de la Cour européenne des droits de l’homme suite à des violations des droits de l’homme à Chypre. Le gouvernement britannique semble prendre conscience que la ratification de traités relatifs à ces questions n’est pas si dangereuse pour la souveraineté nationale, du moment qu’une marge de manœuvre pour des stratégies diplomatiques est présente. Il est probable qu’Hoare ait perçu la réouverture du dossier comme un risque de réduire celle-ci. Le plus raisonnable étant donc d’adopter le document peu menaçant en l’état.

Frieda Miller, représentante de l’UIPE aux NU, interprète, quant à elle, ce soudain empressement comme une tentative de rectifier le regard négatif (en anglais rather dim) porté sur l’ONU et sa CDH. La Commission n’a pas adopté de traité depuis un certain temps et pourrait finalement réaliser quelque chose (« come up with an accomplishment »)379. Durant la même séance, la Convention sur la discrimination dans le domaine de l’emploi et de la profession par l’OIT est adoptée, ce qui amène un collaborateur de l’Unesco à relever le soutien particulier apporté à ces projets380. M. Lin, secrétaire de la CDH, pense qu’un intérêt « substantiel » pour la Déclaration des droits de l’enfant a été développé par plusieurs délégués381. Cet enthousiasme pourrait cependant mener à une surenchère d’adjonctions. C’est donc avec soulagement que l’UIPE et les promoteurs d’un texte présentant des standards minimaux en matière de protection de l’enfance voient la Déclaration prendre la route de l’Assemblée générale.

L’ECOSOC  –  en vertu de la résolution 728  C (XXVIII) adoptée le 30 juillet 1959 – transmet à l’Assemblée générale le projet de la Déclaration des droits de l’enfant, afin qu’elle l’examine à sa 14e session382. Son traitement est fait de manière quelque peu ambiguë. Un examen minutieux et approfondi du projet est réalisé, faisant émerger des positions diamétralement opposées parmi les délégations.

Pourtant et de façon paradoxale, le réel souhait de l’adopter mène les États à s’accorder, sans pour autant toujours trouver un juste milieu à leurs différends.

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