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Approbation de la Société des Nations

La « Déclaration de Genève » (1924)

2.  La charte des enfants du monde

2.2.  Approbation de la Société des Nations

Pour faire suite à la conclusion d’un accord autour du placement de l’Association internationale de protection de l’enfance sous l’autorité de la SDN160, le New York Times annonce le 15 mars 1924 que « désormais les enfants du monde seront sous la protection de la Société des Nations »161. Marshall (1999) montre que la reprise des activités de l’Association n’est pas immédiate. L’auteure décrit les difficiles tractations entre le Secrétariat de la SDN, ses Sections sociale et d’hygiène et les personnes chargées du transfert des activités de l’AIPE qui ne sera effective que six mois plus tard. Comme le souligne Droux (à paraître-a), la décision annonce

158 AEG FUIPE, M1.2, Tri/71.1, Historique de l’UISE…

159 AEG FUIPE, M1.2, Tri/71.1, Historique de l’UISE…

160 ASDN, 28e Session du Conseil de la SDN, Annexe 623, Work of the IAPCW, Report by M. Quinones de Leon and resolution adopted by the Council on March 14th, 1924.

161 ASDN, Registery files 1919-27 R 680, Lettre de Gordon L. Berry European representative Nearest Geneva au Major T.F Johnson de la SDN, datée du 2 avril 1924. Notre traduction de : « Henceforth the children of the world will be under the protection of the League of Nations ».

néanmoins un changement radical dans l’organisation de la protection de l’enfance sur un plan international. Il s’agit d’un moment particulièrement propice pour l’UISE qui souhaite se profiler avec son programme universel sur la question. Le Comité exécutif de l’Union est en train d’explorer les moyens permettant d’améliorer encore la diffusion de la Déclaration. Émerge alors l’idée de reproduire la demande réalisée auprès de l’Église un an auparavant, mais cette fois-ci auprès de la Société des Nations. L’affirmation publique de la bienveillance de cette dernière à l’égard de la Déclaration serait une action de promotion sans précédent pour le texte, tout comme pour l’Union dans le cadre de la renégociation du champ de la protection de l’enfance162. Cela permettrait également de faire connaître la Déclaration auprès de toutes les délégations nationales représentées à l’Assemblée.

La décision de soumettre la Déclaration de Genève à l’approbation de la Ve Assemblée de la SDN, le 26 septembre 1924, ne semble pas avoir été mûrement réfléchie. Les archives demeurent curieusement silencieuses à ce propos.

L’hypothèse avancée ici est donc fondée sur le fait qu’il n’existe qu’un nombre très limité de références au projet dans les sources consultées, considérant l’importance de l’engagement pris par la SDN. Du côté de l’UISE, les préoccupations portent principalement sur les potentialités de reformuler sa mission. Le Comité exécutif envisage de revoir celle-ci autour de deux axes d’action : l’un consacré au secours des enfants et l’autre à la protection de l’enfance. Cela lui permettrait « d’agrandir [son] assiette »163. L’UISE est également occupée à la préparation de son congrès international d’été à Vienne, lequel est amplement consacré à la Déclaration de Genève. L’Union lance de nombreux appels pour que les États réalisent des rapports nationaux sur l’application des droits de l’enfant. De même, elle incite chaque section nationale à se doter de sa propre Charte nationale à faire valider auprès de l’UISE. Aucune mention du projet d’adhésion de la SDN à la Déclaration de Genève n’est faite avant le mois de septembre, ni dans des mémorandums, ni dans des procès-verbaux de séance, ni même dans la correspondance consultée. La SDN est, quant à elle, accaparée par ses négociations avec l’AIPE (Marshall, 1999).

Ceci explique sans doute pourquoi il n’existe pas de mention de la Déclaration de Genève avant la fin de l’été. Dans le mémorandum préparé par le secrétaire général pour la Ve Assemblée et daté du 22 août 1924, seul le rattachement de l’AIPE est considéré164.

La première référence faite au projet se trouve dans une lettre privée qu’aurait adressée le comte Albert Apponyi (1846-1933)165 à Mac Kenzie – peut-être dans le cadre de l’organisation du Ve Congrès des Œuvres de l’enfance, organisé par l’Union

162 AEG AUIPE, AP 92.1.3, Tri/65-3, PV 95e séance du Comité exécutif de l’Union, mercredi 23 avril 1924, L’UISE et la protection de l’enfance.

163 AEG AUIPE, AP 92.1.3, Tri/65-3, PV 95e séance…

164 ASDN, LoN Registery files 1919-27 R 680, Documents produits pour et pendant la Ve commission.

165 Ancien ministre de l’Éducation, le comte Apponyi est chef de la délégation hongroise à la SDN.

à Vienne et à Budapest en octobre 1924 et à laquelle Apponyi participe. Lors de la séance du 16 septembre 1924 du Comité exécutif de l’Union, il est annoncé, sous le point « Déclaration de Genève et la S.D.N. » qu’Apponyi aurait suggéré

« de faire approuver les principes de la Déclaration de Genève par la S.D.N. en séance plénière ». Des détails sont ensuite fournis sur le fait que « chaque délégué de la Ve Assemblée de la SDN a reçu de l’Union un exemplaire de la Déclaration de Genève traduite en 37 langues et demandant le témoignage de leur adhésion »166.

Il est difficile de dire si la suggestion d’Apponyi portait sur l’idée de présenter la Déclaration à l’Assemblée ou plus pragmatiquement sur la manière de procéder, à savoir, de le faire en séance plénière. Les propos tenus par Julie-Ève Vajkai, correspondante du SCF à Budapest, lors du Conseil général de l’UISE en février 1924, soulevaient déjà la problématique de la mise en discussion de la Déclaration par les gouvernements.

« Il est possible que si la Déclaration de Genève était acceptée, elle se heurterait également à de longues discussions. Nous ne voulons pas que la question des enfants soit englobée dans ces discussions qui risquent de s’étendre trop longuement […]. »167

Il n’était alors pas question de l’acceptation de la Déclaration par la SDN, mais des éventuelles actions à mener par les comités nationaux auprès de leurs gouvernements. La discussion avait été close par l’intervention d’un membre du Comité, qui avait affirmé : « J’ai la conviction qu’en général les gouvernements ratifient plus facilement une convention qui leur est imposée, qu’on leur rappelle, qu’ils ne prennent une mesure spéciale »168. Peut-être est-ce à ce moment-là déjà que certains membres de l’UISE se sont intéressés à la façon la plus efficace d’imposer l’ensemble des principes aux gouvernements, soit par la communauté internationale. Selon cette logique, la suggestion de Apponyi, fin connaisseur du monde de la diplomatie et de la SDN, porterait davantage sur la manière de procéder que sur le fond. Le fait que Marshall (1999) décèle des tractations discrètes de membres du SCF, proches de la délégation britannique à la SDN, pour diffuser la Déclaration, pourrait confirmer cette lecture. De plus, les biographes de Jebb font systématiquement référence à une recommandation faite dans ce sens par le Premier ministre britannique, Ramsay MacDonald, ami proche du mari de Dorothy Buxton (Mulley, 2009 ; voir aussi Cabanes, 2014) et de Lord Weardale, président du SFC169. Le Conseil du SFC se serait donc réapproprié le document et aurait saisi l’opportunité de le faire mieux connaître.

166 AEG FUIPE, AP 92.1.3, Tri/65-3, PV 127e séance du Comité exécutif de l’Union, mardi 16 septembre 1924, Déclaration de Genève et la SDN.

167 AEG FUIPE, AP 92.2.2., Tri/65-3, PV du Ve Conseil général, jeudi et vendredi 28-29 février 1924.

168 AEG FUIPE, AP 92.2.2., Tri/65-3, PV du Ve Conseil général…

169 AEG FUIPE, M1.1, Tri/71.1, UISE, XXVe anniversaire 6 janvier 1920-6 janvier 1945.

Quels que soient le ou les inspirateurs de la démarche, celle-ci s’ancre dans l’esprit de la Déclaration qui se veut transnationale. La stratégie mise au point par le Comité exécutif de l’Union, le 16 septembre, est un bon exemple. D’une part, la Déclaration a été distribuée en 37 langues aux délégués, marquant son caractère transnational : le contenu est compréhensible par toutes les nations. D’autre part, lorsque Clouzot suggère qu’Apponyi lui-même lise la Déclaration en séance plénière, Werner le contre en affirmant qu’un représentant de l’Amérique latine serait plus à propos.

Aucun argumentaire n’est retraduit dans le procès-verbal de la séance, mais le fait que Suzanne Ferrière, membre de l’UISE et du CICR, soit à ce même moment en mission là-bas, pourrait avoir influencé ce choix. Marshall (1999) relève, quant à elle, les nombreux projets développés dans la région à cette période.

En  1924, les pays d’Amérique latine représentent un tiers de l’Assemblée générale de la SDN. Un autre tiers est constitué des pays d’Europe occidentale et des pays du Commonwealth et le tiers restant des pays d’Europe de l’Est (région dans laquelle l’UISE est particulièrement présente), de l’URSS, du Moyen-Orient, d’Asie et d’Afrique170. Il s’agit d’une décision hautement stratégique de s’assurer que les délégations latines soient sensibilisées à la cause par le biais d’une proposition émanant de l’un des leurs. D’autant plus que ces pays œuvrent également à la préparation du Congrès panaméricain de l’enfance qui doit se réunir à Santiago du Chili en octobre de la même année171. Clouzot se rallie à cette idée. Cela permet de souligner une fois encore la dimension transnationale du texte et du projet :

« au service de l’Humanité ! » pour faire écho à la citation placée en exergue de ce chapitre. Clouzot est délégué par le Comité exécutif pour rendre visite à une personne qui pourrait faire le relais avec une délégation sud-américaine, armé des « coupures de presse qui démontrent combien l’union est populaire »172.

La Ve Assemblée de la SDN s’ouvre le lundi 1er septembre 1924 et les délégués travaillent en commissions. Au programme de la Ve Commission, consacrée aux questions humanitaires et générales, figure la reprise des activités de l’AIPE par la SDN. De Brouckère, le délégué belge, y soumet la résolution qui doit finalement entériner ce long processus. À bout touchant, il fait face à une nouvelle opposition de la délégation britannique qui veut réduire l’activité de l’œuvre173. Un accord est trouvé in extremis et il est soumis à la Commission lors de la dernière séance de la semaine, le vendredi à 15 heures 30. Juste avant la levée de la séance, M.  Valdés-Mendeville, délégué du Chili, déclare qu’il a un projet de résolution à soumettre.

Il indique que celle-ci pourrait être ajoutée à celles de M. De Brouckère, auxquelles

170 Chiffres calculés sur la base de la figure 2.1 Members of the League of Nations de Mac Kenzie (2010).

171 ASDN, PV de la Ve Commission Questions humanitaires et générales, 12e séance (vendredi 18 [sic, selon toute vraisemblance le 19] septembre 1924, à 15 h 30).

172 AEG FUIPE, AP 92.1.3, Tri/65-3, PV 127e séance du Comité exécutif de l’Union, mardi 16 septembre 1924, Déclaration de Genève et la S.D.N.

173 ASDN, PV de la Ve Commission Questions humanitaires et générales, 9e séance (jeudi 18 septembre 1924, à 10 h 30).

il se rallie complètement. Le président de séance, le Danois Zahle, propose d’entrée l’ajournement du débat sur la question, la séance devant prendre fin. Il invite toutefois Valdés-Mendeville à brièvement présenter son projet.

Le délégué chilien indique que son projet « ne constitue qu’une approbation d’ensemble et une invitation aux États de s’inspirer des principes qui régissent la protection de l’enfance »174. Il précise que la SDN « n’est jamais restée étrangère à cette question » en faisant référence explicitement à la résolution de décembre 1920, évoquée plus haut. Valdés-Mendeville ajoute que la Ve Commission est sur le point de se prononcer sur la question de la protection de l’enfance et qu’il se permet de lui soumettre une résolution selon laquelle :

« L’Assemblée générale approuve la Déclaration des Droits de l’Enfant, dite Déclaration de Genève, et invite les États membres de la Société à souscrire à cette déclaration et à s’inspirer de ses principes dans l’œuvre de la protection de l’enfance. »175

L’approbation de cette résolution par l’Assemblée serait aussi, selon Valdés-Mendeville, « un encouragement précieux » pour le Congrès panaméricain de l’enfance qui aura lieu dans son pays. La proposition chilienne est appuyée par MM. Sarraut (France), Palacios (Espagne), Seferiades (Grèce), Lukacs (Hongrie), Pironti (Italie) et Fernandez y Medina (Uruguay). De Brouckère l’appuie et en profite pour préciser une clause financière en référence au budget de l’AIPE176. Mélangeant habilement les deux objets, il ajoute que, « pour éviter des contestations », le premier paragraphe de la résolution concernant la Déclaration devrait être reformulé de manière à lui donner un aspect moins contraignant. Les États seraient invités à souscrire aux principes de la Déclaration et non pas à la Déclaration en tant que telle, qu’ils se contenteraient d’approuver. Le projet de résolution, qui concerne à la fois et sans véritable distinction l’AIPE et la Déclaration de Genève, est mis aux voix et adopté à l’unanimité177.

Ainsi s’achève la première étape de l’institutionnalisation de la Déclaration de Genève à la SDN : un consensus trouvé en moins d’une séance un vendredi en fin de journée. Les porteurs du projet ont su maîtriser la stratégie empruntée depuis le début par l’UISE. Le caractère minimal du document le fait paraître peu menaçant.

En l’ajoutant à la dernière minute à la lourde et contraignante démarche liée à la reprise des activités de l’AIPE, la tactique révèle son efficacité. Les documents produits pour et pendant la Ve Commission traduisent le statut secondaire de la Déclaration, car l’objet principal de la séance concerne l’acceptation du budget

174 ASDN, PV de la Ve Commission Questions humanitaires et générales, 12e séance (vendredi 18 [sic, selon toute vraisemblance le 19] septembre 1924, à 15 h 30).

175 ASDN, PV de la Ve Commission…

176 ASDN, PV de la Ve Commission…

177 ASDN, PV de la Ve Commission…

de l’AIPE. Il n’est presque jamais fait mention de la Déclaration dans les comptes rendus et lorsque c’est le cas, les confusions entre l’AIPE et l’UISE sont très fréquentes dans les documents manuscrits, corrigés au fur et à mesure178. Ce caractère secondaire est encore plus marqué dans le cadre du déroulement de la Ve Assemblée.

Le Belge De  Brouckère est rapporteur pour la Ve  Commission. C’est donc lui qui présente l’objet des résolutions, en mettant l’accent sur le point central, le rattachement de l’AIPE. L’introduction qu’il fait est claire : « La question qui vous est soumise concerne une Association internationale »179. À nouveau, aucune mention n’est faite de la Déclaration, qui sera pourtant soumise à l’Assemblée en même temps que l’objet. Madame Allan (Australie) tente encore de rassurer les délégués en soulignant que « l’Assemblée, dans le cas présent, n’est pas conviée à engager directement la SDN dans une œuvre charitable ou humanitaire »180. Le caractère non contraignant de la démarche est donc encore souligné. Allan poursuit son propos en relevant toujours le caractère transnational de l’enfance.

« Les enfants d’aujourd’hui sont les citoyens, les hommes politiques, les hommes d’État de l’avenir. Tout ce que nous pouvons faire pour fortifier la constitution, pour clarifier l’intelligence et rendre plus résistante la fibre morale des enfants d’aujourd’hui contribuera à assurer la paix du monde quand ces enfants seront parvenus à la maturité. […]. »181

L’argument fait à nouveau mouche, ouvrant la voie à l’allocution finale. Le président de la Ve  Assemblée, le Suisse et ami de l’UISE, Motta, est invité à commenter et à lire les résolutions. Il conclut son intervention en ces termes :

« Je tiens à souligner ce fait que la deuxième résolution contient la Déclaration de Genève, qui constitue, en quelque sorte, comme la charte de l’enfance. Par le fait que l’Assemblée approuve cette déclaration, elle deviendra en quelque sorte la charte de la Société des Nations en ce qui concerne l’enfance. C’est un fait considérable que j’avais le devoir de souligner d’une manière explicite. Il n’y a pas d’opposition ? »182

Sa dernière question, formulée à la négative, ne semble pas soulever d’opposition dans l’Assemblée composée de plusieurs membres du Comité d’honneur de l’UISE et/ou du SCF, parmi lesquels Gustave Ador, le comte Apponyi, Lord Parmoor et Charles Buxton. Le vendredi 26 septembre 1924, peu avant 18 heures183 est donc

178 ASDN, LoN Registery files 1919-27 R 680, Documents produits pour et pendant la Ve commission.

179 ASDN, Ve Assemblée, 21e séance plénière (vendredi 26 septembre 1924, à 15 h 30).

180 ASDN, Ve Assemblée, 21e séance plénière…

181 ASDN, Ve Assemblée, 21e séance plénière…

182 ASDN, Ve Assemblée, 21e séance plénière…

183 ASDN, Ve Assemblée, 21e séance plénière…

adoptée à l’unanimité184 une résolution invitant les 55 États membres185 à souscrire et à s’inspirer des principes de la Déclaration de Genève (cf. Annexe 1).

Déclaration de Genève

Par la présente Déclaration des droits de l’enfant, dite déclaration de Genève, les hommes et les femmes de toutes les nations reconnaissent que l’humanité doit donner à l’enfant ce qu’elle a de meilleur, affirmant leurs devoirs, en dehors de toute considération de race,

de nationalité, de croyance.

1. L’Enfant doit être mis en mesure de se développer d’une façon normale, matériellement et spirituellement.

2.  L’Enfant qui a faim doit être nourri ; l’enfant malade doit être soigné ; l’enfant arriéré doit être  encouragé ; l’enfant dévoyé doit être ramené ; l’enfant orphelin et l’abandonné doivent être  recueillis et secourus.

3. L’Enfant doit être le premier à recevoir des secours en cas de détresse.

4.  L’Enfant  doit  être  mis  en  mesure  de  gagner  sa  vie  et  doit  être  protégé  contre  toute  exploitation.

5. L’Enfant doit être élevé dans le sentiment que ses meilleures qualités devront être mises au service de ses frères.

Figure 3 : Texte de la Déclaration de Genève tel qu’annexé à la résolution sur la protection de l’enfance, adoptée le 26 septembre 1924 par la Ve Assemblée générale de la Société des Nations (cf. Annexe 1).

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