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II - CADRE ÉPISTÉMIQUE

7. LE COURS D’ACTION ET LE COURS D’EXPÉRIENCE DES VISITEURS

7.2. Cours d’action et cours d’expérience

l’acteur interagit seulement avec ce qui, dans cet environne-ment, l’intéresse ou plutôt […] est source de perturbation pour son organisation interne à cet instant. Pour le dire autrement, cet acteur interagit à chaque instant avec un environnement si-gnifiant à l’émergence duquel il a lui-même contribué, à partir de sa constitution physiologique, de sa personnalité, de sa compétence, de son histoire et de ses propres interactions avec cet environnement à l’instant précédent. (Theureau, 2006, p. 39)

Theureau nomme l’anthropologie cognitive située « une nouvelle discipline en voie de constitution qui étudie les domaines cognitifs et consensuels des acteurs en situation naturelle » où l’analyse scientifique de l’activité située « devrait consister en une description symbolique acceptable du domaine cognitif d’un acteur ou, dans le cas d’une travail collectif, du domaine consensuel et de l’articulation des domaines cognitifs de plusieurs acteurs. » (Theureau, 1992, p. 40-41).

7.2. Cours d’action et cours d’expérience

Dans le cadre de l’énaction, l’activité ne peut pas être dissociée du contexte, elle ne peut pas se réduire à une description, aussi précise soit-elle, des comportements « objectifs » d’un acteur décrits par un observateur extérieur puisque justement nous y incluons les dimensions émotionnelles, mémorielles, perceptives, etc. qui ne peuvent être décrites par le chercheur, y compris lorsque celui-ci est un observateur-participant. Theureau postule que les questions essentielles qui concernent l’analyse de l’activité en situation peuvent être éclairées à l’aide d’un objet théorique qu’il nomme « cours d’action » (Theureau, 1992, p. 51). Dès le départ, le point important contenu dans cet objet théorique, c’est que le « comportement d’un opérateur comme suite temporelle de gestes, regards, etc. » implique une description de la part du chercheur qui doit être significative pour l’opérateur même si cette description significative « peut ne pas avoir été complètement explicitée par l’opérateur lui-même. » (Theureau, 1992, p. 34). Cet objet théorique a évolué et s’est enrichi pour être défini de la façon suivante :

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L’objet théorique que nous avons baptisé cours d’action est alors l’activité d’un acteur dans un état déterminé, engagé acti-vement dans un environnement physique et social déterminé et appartenant à une culture déterminée, qui est significative pour l’acteur, ou encore montrable, racontable et commentable par lui à tout instant de son déroulement à un observateur-interlocuteur moyennant des conditions favorables. (Theureau, 2006, p. 46)

Theureau prend soin de préciser que par « montrable, racontable et commentable à chaque instant » il entend ce qui est exprimable par la langue mais aussi par le corps. L’articulation précise entre l’autopoièse et le cours d’action est la suivante : lorsqu’un acteur participe d’un domaine consensuel, d’un domaine social, il enrichit son domaine linguistique qui lui-même enrichit son domaine cognitif et ses possibilités d’interaction avec un environnement et d’autres acteurs, ce qui en retour le constitue en tant qu’acteur avec un discours privé sur son environnement et les autres acteurs. Theureau reformule le cours d’action dans l’hypothèse de l’autopoièse comme « le domaine cogni-tif potentiellement consensuel d’un acteur, c'est-à-dire ce qui dans le domaine cognicogni-tif d’un acteur est racontable et commentable, ou encore peut faire l’objet d’un discours de la part de l’acteur, peut participer à un domaine consensuel » (Theureau, 1992, p. 53).

Il est important de noter que Theureau réduit l’ensemble du domaine cognitif d’un acteur en situation au domaine cognitif de l’acteur « potentiellement consensuel » en faisant le pari que parmi l’ensemble de tout ce qui peut constituer le domaine cognitif d’un acteur en situation, le domaine cognitif potentiellement consensuel d’un acteur « constitue un niveau d’organisation du domaine cognitif relativement autonome par rapport aux autres niveaux, et, du point de vue épistémologique, peut donner lieu à des observations, descriptions et explications suffisamment valides, intéressantes et utiles. » (Theureau, 1992, p. 53-54). Ce niveau d’activité « montrable, racontable, et commen-table » autorise « une description symbolique accepcommen-table » au sens de Varela (1989) de la dynamique du couplage structurel d’un acteur avec son environnement, environne-ment auquel peuvent participer d’autres acteurs (Theureau, 1992/2004).

Remarquons que le cours d’action qui appréhende l’acteur comme « engagé acti-vement dans un environnement physique » peut s’adresser à un visiteur d’un centre de culture scientifique. En revanche l’activité engagée dans un musée est plus délicate et les recherches ont souvent mentionné comme nous l’avons vu plus haut, l’expérience des visiteurs plutôt que leur activité qui peut être extrêmement ténue. Mais en fait, dès sa formulation initiale (Theureau, 1992), l’objet théorique « cours d’action » contenait

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déjà de façon implicite l’objet théorique « cours d’expérience » que Theureau définit comme suit :

Le cours d’expérience, c’est la construction du sens pour l’acteur de son activité au fur et à mesure de celle-ci, ou encore l’histoire de la conscience préréflexive de l’acteur, ou encore l’histoire de ce « montrable, racontable et commentable » qui accompagne son activité à chaque instant. (Theureau, 2006, p. 48)

La description du cours d’action est une « synthèse hétérogène » tandis que la description du cours d’expérience par l’acteur est homogène. On trouve aussi le cours d’action comme le niveau local, le lieu de la compréhension de l’activité située et le cours d’expérience comme un niveau global qui inscrit cette compréhension dans une histoire (Astier, Gal-Petitfaux, Leblanc, et al. 2003). Mais au cours du développement de ces objets théoriques, le cours d’expérience comme compréhension du vécu a acquis un principe de primat, Theureau parle de « principe de primat de la description du cours d’expérience sur celle des autres objets théoriques » (Theureau, 2006, p. 52). L’activité significative d’un acteur en situation donnant lieu à expérience (cours d’action) ne se superpose pas rigoureusement avec la construction de sens pour l’acteur à partir de l’activité significative (cours d’expérience) bien que les deux cours, les deux objets s’articulent, se recoupent et se nourrissent l’un l’autre et au final peuvent être décrits par le chercheur de la même façon (Theureau, 2006, p. 50 et p. 295). Par exemple : quand dans un Musée zoologique, une visiteure redoutant de se trouver nez à nez avec des insectes demande à son amie de partir en éclaireur, il s’agit d’une activité significative pour elle qui participe d’une expérience, mais le sens de ce cours d’action, de cette activité significative, c’est d’éviter une confrontation avec les insectes. Cours d’action et cours d’expérience sont intimement mêlés et décrivent le même espace phénoménolo-gique de l’expérience d’un acteur qui fait sens pour lui en insistant soit sur la construction de l’expérience (qui fait sens), soit sur la construction (de l’expérience) qui fait sens.

Ainsi, nous retenons pour notre étude, l’objet « cours d’expérience », sachant que cet objet recoupe le cours d’action mis en œuvre dans le champ des sciences de l’éducation et de la formation des enseignants à travers d’autres recherches dont Leblanc, Saury, Sève, et al. (2001) ; Durand, Ria, & Flavier (2002) ; Sève, Saury, Theureau, & Durand (2002) ; Ria & Chaliès (2003) ; Ria, Sève, Saury, et al. (2003) ; Ria, Sève, Durand, & Bertone (2004) ; Leblanc, Ria, & Veyrunes (2007) ; Leblanc & Roublot (2007) ; Leblanc, Ria, Dieumegard, et al. (2008) ; Sève, Saury, Ria, & Durand (2003).