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II - CADRE ÉPISTÉMIQUE

7. LE COURS D’ACTION ET LE COURS D’EXPÉRIENCE DES VISITEURS

7.4. Cadre sémiologique

Le postulat de Theureau est que le niveau d’activité qui est significatif du point de vue de l’acteur est montrable et racontable et que ce niveau d’activité peut donner lieu à des observations valides et utiles. Le concept de « niveau significatif de l’activité » per-met de per-mettre à profit ce que Varela appelle une description symbolique acceptable. Nous avons vu qu’une description symbolique est une description particulière faite par le chercheur et condensée sous forme de symbole à travers lequel notre description semble établir une relation arbitraire entre signifiant et signifié. Ce symbole condense l’abréviation d’une chaîne nomique, c'est-à-dire l’abréviation d’une relation qui s’apparente à une loi ou qui s’énonce sous forme de loi, lorsqu’une régularité est réali-sée à l’intérieur d’une clôture opérationnelle. Le critère de détermination interne stipule que pour être acceptable, la description symbolique décrite par un observateur doit avoir lieu à l’intérieur de la clôture opérationnelle du système qui spécifie un domaine phénoménal, ici le domaine cognitif du visiteur ou l’ensemble de ses descriptions. Par exemple, la mémoire, les représentations ou l’information peuvent être considérés comme des explications symboliques en ce sens que nous ne pouvons pas prouver l’existence de la mémoire ou des représentations bien que tout se passe au sein de nos descriptions comme si la mémoire ou les représentations existaient vraiment en tant qu’entité physique de stockage ou d’image. Par ailleurs, les symboles provenant de la forme discrétisée des explications symboliques acceptables et retenus à travers l’ontogenèse des humains, à travers l’histoire de leur développement, peuvent être éga-lement « composables à la façon d’un langage » (Varela, 1989, p. 185). La composition des symboles est une condition secondaire qui traduit leur viabilité à travers l’évolution humaine, en présentant une capacité potentielle à autoriser de nouvelles combinaisons et donc de nouveaux sens.

S’appuyant sur les travaux de Varela, Theureau propose d’aborder « l’analyse scientifique du travail » et plus largement les pratiques humaines associées à des

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cations individuelles et collectives comme « description symbolique acceptable du do-maine cognitif d’un acteur ou, dans le cas d’un travail collectif, du dodo-maine consensuel et de l’articulation des domaines cognitifs de plusieurs acteurs. » (Theureau, 1992, p. 41). Theureau développe également un cadre d’analyse de l’activité à partir de la sémio-tique de Peirce pour qui le signe est une triade Représentamen – Objet – Interprétant. L’analyse de l’activité s’inscrit dans la trace de l’activité et le rôle du chercheur est d’identifier les composantes et de renseigner les composantes du signe hexadique. Cette identification permet ensuite de reconstituer la dynamique et les enchaînements de séquences significatives de l’activité de l’acteur.

Pour Peirce, l’expérience humaine peut être comprise à partir de trois catégories fondamentales. Ces trois catégories – priméité, secondéité, tiercéité – proposent trois catégories de l’expérience qui se recouvrent et se distinguent sans s’exclure. La priméité est la catégorie du sentiment et de la qualité qui repose sur des potentialités « de purs peut-être non nécessairement réalisés » (Peirce, 1978, p. 83). Pour Pierce « La Priméité est le mode d’être de ce qui est tel qu’il est, positivement et sans référence à quoi que ce soit d’autre » (Peirce, 1978) c'est-à-dire indépendamment de toute relation, comme une pure abstraction, comme de l’ordre de la potentialité, du possible. Peirce précise aussi que la couleur n’est pas « inhérente » à un sujet ou un objet. Un monde de qualités des phénomènes « telles que rouge, amer, pénible, dur, navrant, noble ; et il y en a, sans doute, de nombreuses variétés qui nous sont complètement inconnues. » (Peirce, 1978, p. 80). Pour Ria, « la priméité (potentiel) est la catégorie d’expérience d’un acteur tel qu’il est positivement sans référence à quoi que ce soit d’autre. » (Ria, 2006, p. 29). Tous les dispositifs interactifs, les œuvres et les expôts ne peuvent faire sens que lorsqu’ils sont actualisés dans une relation avec le visiteur. La priméité n’est pas une qualité en soi, indépendamment de toute relation. Il s’agit plutôt d’une qualité potentielle dépendante de la perception humaine mais qui n’est pas mobilisée. La teinte bleue du tableau doit être considérée comme la pure possibilité d’être bleu avant toute relation et perception mais pas indépendamment de la perception humaine. Le morse et l’éléphant de mer du Musée zoologique peuvent être décrits par des observateurs de façon infinie : taille, poids, couleur, marques sur sa peau, couleur des marques sur la peau, taille de sa tête, rapport de la taille de la tête et de leur corps, yeux, dents, défenses, etc. mais l’infinité des distinctions qu’un observateur pourrait égrener ne sont que des distinctions et des qualités potentielles pour un visiteur qui actualisera certaines distinctions parmi l’ensemble des possibles en fonction de la relation qu’il établira avec le morse et l’éléphant de mer. Empiriquement, l’ensemble des possibles décrit par l’observateur

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n’offre qu’une perspective étroite comparée à l’ensemble des possibles décrits par un ensemble de visiteurs.

L’actualisation d’une partie des qualités et distinctions possibles en distinctions perçues est traduite par la secondéité. La secondéité est la catégorie des relations, de l’existence et du fait. « La Secondéité est le mode d’être de ce qui est tel qu’il est par rapport à un second, mais sans considération d’un troisième quel qu’il soit. » (Peirce, 1978). La relation constitue le fait, l’expôt, l’œuvre ou le dispositif relativement et spécifi-quement à l’acteur qui établit une relation. Pour Ria, « La secondité (actuel) est la catégorie d’expérience d’un acteur lors de la concrétisation d’un fait. Elle traduit pour lui-même l’expérience d’une interaction particulière avec son monde. » (Ria, 2006, p. 29). Ainsi le morse potentiel du Musée zoologique est pourvu de deux grandes excrois-sances blanches et parallèles qui sortent de sa bouche tandis que l’éléphant de mer n’en a pas : « [l’éléphant de mer] il est rigolo parce qu’on dirait un énorme morse sans dents… donc c’est quand même assez rigolo » [Axel Musée zoologique SH1].

La tiercéité est la catégorie de catégorie de la généralité et de la loi, des signes généraux, des conventions et de la règle donc qui engage des prédictions. « La Tiercéité est le mode d’être de ce qui est tel qu’il est, en mettant en relation réciproque un second et un troisième. » (Peirce, 1978). Pour Ria, « La tiercéité (virtuel) est la catégorie d’expérience d’un acteur donnant lieu à l’élaboration de raisonnements, à la généralisa-tion. » Il s’agit d’une médiation mettant en relation deux termes ; la tiercéité actualise la priméité de la couleur à travers la secondéité, à travers la relation. Concernant les deux animaux vus précédemment, l’expérience donne lieu à élaboration de règles, à générali-sation. Non seulement l’éléphant de mer est différent du morse en ce sens qu’il lui ressemble mais il lui manque deux longues dents, mais de plus grâce à cette différence nous pouvons identifier, distinguer le morse de l’éléphant de mer : « L’éléphant de mer, s’il avait des dents…. il ferait pareil qu’un morse mais ce serait dur à découvrir. » [Axel au Musée zoologique]. Autrement dit, Axel érige en généralité le fait que l’éléphant de mer n’a pas de dents, cela n’est pas contextuel à cet animal, il en conçoit une généralité qui permet de le distinguer du morse. Cependant la tiercéité peut aussi se comprendre comme une règle, une loi ou un accord temporairement stabilisé. « Les normes, du point de vue de cette phénoménologie, ne sont pas immuables et autonomes : elles peuvent évoluer car elles sont des états temporaires liés à des communautés anthropologiques locales observées à un moment de leur histoire. » (Babou, 2010). L’expôt est présent ici, perçu et apprécié et vécu comme une œuvre par une communauté aussi longtemps que les règles qui le font émerger comme œuvre sont partagées par cette communauté. Bien que ne se situant pas dans le courant du cours d’action, Le Marec utilise également la

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sémiotique de Peirce pour élaborer une théorie des composites et décrire des situations de travail où « les individus mobilisent à la fois des objets matériels et des représenta-tions (priméité), réalisent des acreprésenta-tions (secondité) et mettent en œuvre des systèmes de normes ou de règles opératoires (tiercéité) » (Le Marec, 2002, p. 187).