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II - CADRE ÉPISTÉMIQUE

7. LE COURS D’ACTION ET LE COURS D’EXPÉRIENCE DES VISITEURS

7.1. Vers l’anthropologie cognitive située

7. LE COURS D’ACTION ET LE COURS D’EXPÉRIENCE DES VISITEURS

7.1. Vers l’anthropologie cognitive située

Au début des années 80, Theureau et Pinsky s’intéressent à l’amélioration des conditions de travail et conduisent des recherches sur l’ingénierie des situations de tra-vail en prenant en compte l’espace, les dispositifs techniques, les procédures, l’organisation et la formation de façon à pouvoir appréhender l’activité humaine à travers un grand nombre de dimensions. Pour Theureau (1979), les premières recherches por-tent sur l’activité du personnel soignant en essayant de dégager les facteurs de charge de travail. En 1986 Pinsky rencontre Winograd qui propose d’aborder la relation humain - ordinateur avec le paradigme des systèmes vivants (Winograd & Flores, 1986) de l’autopoièse et des couplages structurels de Maturana60 mais aussi des travaux de Varela (1989). Theureau prend appui sur l’hypothèse de l’autopoièse61 où la clôture opé-rationnelle d’une unité spécifie son domaine d’existence, un domaine où l’unité conserve sa clôture et son identité et à partir des année 1990, Theureau s’intéresse à l’énaction qui justement met « l’accent sur l’aspect contextualisé et créateur de la cognition » et mesure combien cette approche permet de « renouveler la description/explication de phénomènes tels que les relations entre perception et action, l’apprentissage, la com-munication » (Theureau, 1992, p. 27). Puis concernant les différents couplages identifiés par Maturana (1978), Theureau comme Varela précise qu’en tant qu’observateur, nous n’avons pas un accès direct au couplage de deuxième ordre qui relève des neuros-ciences. En revanche nous avons accès au couplage structurel de troisième ordre, au domaine consensuel entre acteurs (domaine linguistique) ainsi qu’au couplage de pre-mier ordre, au domaine cognitif d’un acteur. L’un des apports importants de l’énaction est de mettre en évidence qu’un observateur peut observer le couplage de premier ordre d’un acteur avec son environnement mais lorsqu’un observateur donne une explication du comportement de cet acteur,

60 « In Maturana’s terms, the key to cognition is the plasticity of the cognitive system, giving it

the power of structural coupling. » (Winograd & Flores, 1986, p. 178). Dans les termes de

Matu-rana, la clé de la cognition se trouve dans la plasticité du système cognitif qui lui donne la puissance du couplage structurel.

61 Sous l’influence de John Stewart, Theureau (1992) est passé de la notion d’autopoièse à la notion d’autonomie qui semble suffisante et s’applique à des systèmes au-delà des êtres vi-vants (cf.Theureau, 2002, p. 11).

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tout se passe comme si les interactions passées semblaient dé-terminer la conduite actuelle, comme si ces interactions s’inscrivaient comme modifications du système nerveux, et agissaient par relation causale sur le comportement. Cette ob-servation fondamentale semble être à l’origine de l’idée selon laquelle le système nerveux détient tout un stock de représen-tations, d’origine génétique ou ontogénétique (innées ou acquises). Cela permet d’établir des analogies avec l’ordinateur et avec les notions de stockage et de traitement de l’information. (Varela, 1989, p. 146)

Cette remarque importante appelle des précisions sur ce que l’on désigne par comportement. « Par comportement nous entendons les changements de position ou d’attitude chez un être vivant qu’un observateur décrit comme des mouvements ou des actions relatifs à un certain environnement. » (Maturana & Varela, 1994, p. 127) et comme le disent Maturana et Varela, « le comportement n’est pas quelque chose que l’être vivant fait en soi-même, mais quelque chose sur lequel nous attirons l’attention. » (Maturana & Varela, 1994, p. 128) même si, « tout comportement est la contrepartie ex-terne de la danse des relations inex-ternes à l’organisme. » (Maturana & Varela, 1994, p. 158).

Pour nous observateur qui voyons simultanément et le visiteur et l’environnement muséal, nous sommes enclins à établir des corrélations entre l’environnement et les changements de comportements. Mais en faisant cela, nous supposons que ce que nous percevons dans l’environnement agit en quelque sorte par « représentation » à l’intérieur de l’esprit du visiteur or il est essentiel de ne pas confondre trois domaines phénoménaux : 1) le domaine phénoménal du couplage entre le chercheur et l’environnement auquel participe l’acteur, 2) le domaine phénoménal de la dynamique interne de l’acteur et 3) le domaine phénoménal du couplage entre l’acteur et son envi-ronnement.

La description que nous pouvons faire du comportement d’un acteur avec son environnement ne détermine pas la description que nous pourrions faire de ce qui se passe à l’intérieur de la clôture, dans le domaine de structure de l’acteur et inversement, une description opérationnelle du domaine de structure de l’acteur, par exemple la con-figuration de son système neuronal, ne peut pas déterminer les descriptions que nous pourrions faire du couplage de l’acteur avec son environnement ou avec un autre acteur. Les concepts de mémoire, de stockage, de traitement de l’information relèvent du cog-nitivisme et ont un sens parce que ces concepts permettent d’expliquer, au sens de construire une relation causale, l’enchaînement des comportements observables que

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l’observateur découpe au cours de son observation pour en faire des séquences de comportements observés. Mais si les mots décrivent ces séquences comportementales de façon partageable entre plusieurs observateurs, ils peuvent rendent compte d’un comportement sans pour autant rendre le sens de ce comportement parce que le com-portement n’appartient pas à la clôture du sujet observé mais il appartient au domaine phénoménologique du langage de l’observateur. Ainsi les concepts d’ordinateur, de mémoire, de stockage et d’information ne sont pas nécessaires,

cette interprétation n’est pas nécessaire […] elle confond deux domaines phénoménaux : le premier concerne le système en tant qu’unité et le second concerne l’histoire de son couplage structurel. Ces deux domaines exigent des explications diffé-rentes opérationnelles pour le premier, symboliques pour le second. (Varela, 1989, p. 146)

De sorte que comme Varela, Theureau s’attache à séparer les comptabilités entre les phénomènes qui peuvent être approchés avec des explications opérationnelles de ceux qui peuvent être approchés avec des explications symboliques. En tant qu’observateur de comportements humains, nous pouvons appréhender le domaine consensuel entre les acteurs, nous pouvons entendre, comprendre, enregistrer le cou-plage linguistique entre plusieurs acteurs et nous pouvons observer également le couplage de premier ordre, celui d’un acteur avec son environnement y compris son environnement social. Ce type d’observation nécessite des explications symboliques tandis que le domaine de structure, les processus de l’autopoièse d’un individu, néces-site des descriptions opérationnelles.

Theureau s’appuie également sur la définition d’une description symbolique ac-ceptable telle que développée par Varela. Pour Theureau qui interprète Varela, une description symbolique est dite acceptable si elle respecte deux critères : 1) la descrip-tion respecte la clôture opéradescrip-tionnelle du système et 2) cette descripdescrip-tion constitue un langage de description (Theureau, 1992, p. 38). Le respect de la clôture opérationnelle nécessite de « 1) ne pas pouvoir distinguer au sein du système, les perturbations qui proviennent de l’extérieur de celles qui proviennent de l’intérieur ; 2) ne pas recevoir, ni traiter, ni stocker d’information prédéfinie » (Theureau, 1992, p. 39). Pour Theureau, l’hypothèse de l’autopoièse ainsi que la dimension historique de l’acteur et de son envi-ronnement nous invitent à privilégier les recherches et « l’étude des interactions de l’acteur avec ses situations naturelles » c'est-à-dire dans son environnement et non en laboratoire. La relation de l’acteur avec son environnement est asymétrique en ce sens que :