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III - MÉTHODOLOGIE

9. COMMENT ACCÉDER TECHNIQUEMENT À L’EXPÉRIENCE DES VISITEURS ? VISITEURS ?

9.3. La conduite de l’entretien RSS

cours de son action avec le chercheur. Puis la trace de l’entretien RSS, verbalisations et gestes, sont analysés à l’aide d’un cadre sémio-logique adapté à l’espace muséal et permettant de mettre en évidence le cours d’expérience de l’acteur, soit la connaissance en acte du visiteur au fur et à mesure de son activité, signifiante pour lui et de son point de vue.

9.3. La conduite de l’entretien RSS

La conduite de l’entretien RSS vise clairement tout comme l’entretien d’autoconfrontation les verbalisations préréflexives du visiteur comme effet de surface du couplage du visiteur avec son environnement. Les méthodes d’aides à la verbalisa-tion qui suivent paraissent intéressantes pour maintenir le visiteur dans une situaverbalisa-tion dynamique : un cadre de mise en œuvre, des relances à l’aide d’amorces et de reprises suivies de silences. La question « pourquoi » est en revanche délicate.

Le cadre de mise en œuvre

Le cadre de mise en œuvre consiste à préciser ce que le chercheur attend du visi-teur : décrire et commenter les images et si besoin, à montrer sur l’écran ce dont il parle. Désigner du doigt sur un écran les objets pris en compte par le visiteur est particulière-ment utile dans les entretiens avec les enfants mais aussi dans les entretiens avec des adultes lorsqu’il est plus facile de montrer que de nommer ce dont on parle. Si, comme dans la plupart des cas, le visiteur peut verbaliser son activité à partir de l’enregistrement vidéo, l’attention du chercheur devrait s’attacher à vivre l’expérience du visiteur à travers les images et les verbalisations du visiteur de façon à construire une communauté de compréhension. Il faut préciser que dans le cours de l’entretien, cette compréhension est très partielle, plus expérientielle qu’analytique. Ce n’est que dans un second temps que le chercheur accède à la compréhension analytique du cours d’expérience du visiteur, après analyse composantes des signes hexadiques et reconsti-tution et concaténation des séquences signifiantes.

Les relances avec des amorces de phrase

Lorsque le flux des verbalisations se tarit, j’ai essayé de relancer en commençant une phrase et en la laissant en suspens. Une amorce de phrase engage le visiteur à commenter et à décrire son activité tout en préservant le chercheur de nommer la chose

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perçue ou de découper la séquence à la place du visiteur. Par exemple [Amande RSS 10:02] :

Chercheur : — racontez-moi ça… là vous êtes sur les animaux… c'est vous

qui…

Visiteure : — oui je regarde…

Chercheur : — et là…

Visiteure : — et là du coup j'écoutais ce que son père lisait et je le regar-dais… en me disant que ça l'intéressait pas mal ces petites choses là.

Cependant, il me semble que l’usage des amorces est d’autant plus intéressant que cet usage s’accompagne de commentaires de la part du chercheur qui scandent et qui valident les verbalisations du visiteur pour l’assurer d’être compris, comme dans [Bix SH5] :

Visiteur : — oui, donc… je lis, ensuite… j'essaye de faire un escalier

comme ça dit…

Chercheur 1 : — et ?

Visiteur : — là j'avais directement commencé par le niveau le plus dur

Chercheur 2 : — d’accord

Visiteur : — comme j'ai vu que c'était trop dur, j'ai été… au niveau un peu plus facile.

Sans les encouragements-validations du chercheur, l’entretien relancé par des amorces de phrase peut paraître anxiogène pour le visiteur qui ne dispose pas de re-pères pour déployer son commentaire.

Les relances avec des reprises de phrases

À la différence de l’amorce, la reprise de phrase s’appuie sur la fin de la phrase du visiteur, ce qui permet de l’inviter à continuer ses verbalisations tout en respectant le domaine de descriptif du visiteur. Ainsi [Genny RSS 01:54] commentant une sculpture :

Visiteure : — je suis dans les mains, je suis dans le corps des statues…

Chercheur : — tu es dans le corps des statues…

Visiteure : — je suis complètement dans les statues <Chercheur : d'ac-cord> et dans une gestuelle moi qui m'a vraiment parlé, les parallèles des mains les doigts levés, les portés et toutes ces choses-là en fait, mais des statues et des attitudes…

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Visiteur : — sur la partie historique de l'île oui… oui c'est intéressant hein… ah lui aussi il m'a fait rigoler… enfin je connaissais pas du tout

Chercheur : — il vous a fait rigoler…

Visiteur : — enfin pas rigoler mais c'est vrai que c'est… où on se rend

compte que la nature a... il y a tellement de diversité que chaque animal a ses spécificités, que là, ce genre de musée on peut y rester des heures parce que si on lit tout et qu'on s'inté-resse à chaque spécimen, on apprend des choses.

Les silences

L’usage du silence est intéressant. Quelle que soit la forme de la relance, respec-ter des temps de silence crée un espace dans lequel le visiteur peut se concentrer, où il peut se replonger dans le cours émotionnel de son expérience. À la suite d’une relance, il est assez fréquent d’entendre le visiteur retrouver assez précisément ce qu’il a dit, ce qu’il a pensé au bout de 2 ou 3 secondes. Ainsi [Thierry RSS 04:24] :

Chercheur : — alors vous revenez sur le lion… hop… l'oiseau et vous…

c'est comme un… et vous lui dites quoi…

Visiteur : — ah honnêtement je me rappelle plus ce que je lui ai dit là… [3 secondes] mais oui, si j'ai dû lui dire… ah parce qu'elle me disait c'est une tête d'antilope ou quelque chose comme ça et je lui ai dit, alors c'est pas la tête, c'est le squelette, en fait c'est ce qu’il y a sous le… c'est ça que je lui ai dit à ce mo-ment-là.

Il faut garder à l’esprit que le visiteur perçoit l’enregistrement vidéo comme un té-moignage signifiant de son activité alors que du point de vue du chercheur, l’interprétation de ces images est rigoureusement impossible en l’absence du commen-taire du visiteur mais le visiteur ne le sait pas et peut parfois s’agacer de devoir commenter ce qui lui semble « évident ». Je crois qu’il y a là quelque chose d’essentiel pour conduire l’entretien RSS : accompagner le visiteur dans son parcours, se tenir à ses côtés sans demander de justifications, tout en lui signifiant régulièrement notre pré-sence dans son monde, en partageant son monde, celui qu’il nous propose au moment de l’entretien.