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Le contexte social colonial et l’émergence d’un discours africain de voyage

I : La littérature de l’immigration et l’historiographie du champ littéraire africain francophone

II. Les œuvres pionnières des voyages en littérature africaine : périodisation et constances narratives

II. 1. Le contexte social colonial et l’émergence d’un discours africain de voyage

La littérature de l’immigration africaine en France a ses assises dans l’espace social africain sous la colonisation ainsi qu’aux problèmes interculturels qui y ont pris naissance et se sont répandus au fil du temps dans l’imaginaire collectif en Afrique et en France. Ainsi, aux sources du roman africain de voyage, il nous semble exister une modalité d’énonciation particulière s’appuyant sur les rites de passages et les blocages culturels inhérents au voyage ; sur la figuration des frontières géographiques ou culturelles propres à toute situation de contact entre deux cultures mais aussi aux transformations psychologiques des Africains et des Occidentaux en situation de cohabitation. L’espace d’émigration que dépeignent les œuvres de Socé, de Dadié ou d’Oyono est révélateur de frontières culturelles érigées par la « sous-culture » coloniale

1 B. Mouralis, Littérature et développement, op. cit., p. 53. Cet auteur note ainsi que l’espace colonial, dans

le contexte de la colonisation française en Afrique noire n’a pas valorisé le dialogue entre deux cultures. Il écrit à cet égard : « La situation coloniale impliquait en effet, une destruction, à tous les niveaux, de la culture autochtone, et le remplacement de celle-ci non par la culture européenne mais par une culture coloniale spécifique, " adaptée ", et qu’on peut désigner, à la suite de Césaire, par le terme de sous- culture. »

2 Le concept de discours mérite d’être pris ici dans l’acception qu’en donne Dominique Maingueneau dans

son ouvrage Genèses du discours, Liège, Mardaga, 1984, p. 5, soit « Une dispersion de textes que leur mode d’inscription historique permet de définir comme un espace de régularités énonciatives. »

121 dans l’espace africain. C’est d’abord la superposition de deux structures spatiales qui caractérise l’espace africain, point de départ du personnage qui va voyager en France. Au-delà de la division désormais banalisée entre l’espace rural et l’espace urbain, les œuvres élaborent également une cartographie à l’intérieur de la ville entre le quartier blanc, celui de l’administration, du commerce et le quartier des indigènes. La version présente de cette segmentation se retrouve dans la répartition de l’espace africain entre le quartier chic à l’exemple du Mont Banéné1 dont parle Daniel Biyaoula dans L’Impasse opposé au quartier populaire où habitent les parents du narrateur de ce roman. Assèze dans le roman de Calixthe Beyala parle, à propos de ces deux sphères de la ville africaine contemporaine en termes d’« un cosmos bien organisé avec deux sphères superposées, dont l’une était l’antichambre du paradis et l’autre la cuisine de l’enfer. »2 Dans les

œuvres des années 1950, le chaînon entre ces espaces était marqué par des subalternes au nombre desquels on peut ranger les interprètes, les boys et marmitons, mais surtout les « évolués », les indigènes ayant été formés à l’école coloniale et engagés comme infirmiers, instituteurs ou commis, mais dont la formation intellectuelle était dépourvue de toute légitimité à l’extérieur de l’espace colonial, donc ne correspondait pas à celle donnée en métropole dans les mêmes domaines de spécialité. Ainsi, Tanoé Bertin dans

Un Nègre à Paris, fulmine contre le refus des agences de voyage de lui concéder une

place dans l’avion sous le prétexte qu’il n’est pas une personnalité de marque, malgré sa fonction de commis. Il aboutit à un monologue intérieur édifiant : « Ces titres que j’ai mis vingt ans à acquérir, et que je crois pouvoir utiliser comme un bélier, un sésame, ces titres n’entrent pas en ligne de compte. Il faut avouer qu’ils sont désespérants, ces hommes. »3

Cette situation est caractéristique de l’espace colonial dans la dénégation des titres que l’administration coloniale elle-même a conférés aux indigènes comme l’ont déjà démontré de nombreuses études sur la littérature africaine. Ces découpages de l’espace urbain cependant sont encore d’actualité, bien que modalisés en fonction du contexte actuel.

1 D. Biyaoula, L’Impasse, op. cit., p. 125. 2 C. Beyala, Assèze l’Africaine, op. cit., p. 68. 3 B. Dadié, Un Nègre à Paris, op. cit., pp. 18-19.

122 La représentation de l’espace africain dans les œuvres pionnières de mobilité s’attache également à la mise en place d’une scénographie propre, lisible sur les deux plans de l’énonciation littéraire ; les plans diégétique et institutionnel en ce sens que le voyage du personnage africain en France est une fictionalisation des modalités d’insertion de l’écrivain africain dans l’espace littéraire francophone. En témoignent les éléments d’ipséité qui rattachent cette littérature à des écritures de soi. En effet, de

Mirages de Paris d’Ousmane Socé au Ventre de l’Atlantique de Fatou Diome, la présence

d’éléments biographiques est indissociable de la narration. Pour les romans des années 50, ce rapprochement est établi par Fabienne Guimont qui constate en effet que des « étudiants comme Bernard B. Dadié, Aké Loba, Camara Laye et Cheikh Hamidou Kane ont fait part de leur expérience en France dans des romans autobiographiques. »1 Pour la

production des écrivains actuels, les marqueurs de subjectivité qui parcourent leurs œuvres, associés à la deixis, cette « localisation personnelle, spatiale et temporelle »2 dont

s’entoure la scène d’énonciation de leurs romans, confirme la thèse de cette subjectivité constitutive des œuvres. On ne peut douter de l’existence des lieux comme Niodor, Pointe-Noire ou Brazza, cadre spatial africain des œuvres de Fatou Diome, d’Alain Mabanckou et de Daniel Biyaoula. On ne peut non plus douter de leur vie dans ces villes avant de gagner la France. Certains, comme Alain Mabanckou, ont confirmé dans les œuvres ultérieures, plus autobiographiques, avoir vécu dans ces lieux. Pour le cas de ce dernier, des œuvres comme Demain j’aurai vingt ans et Lumières de Pointe-Noire prolongent la veine autobiographique perceptible déjà dans Bleu-Blanc-Rouge, premier roman de cet auteur.

Dans les œuvres fondatrices de la mobilité des Africains en France, le voyage, qui met au premier plan de la narration un personnage sérieux, tient la plupart du temps à des préoccupations d’ordre intellectuel, matériel ou tout simplement à la réalisation d’un rêve de découverte de l’espace métropolitain comme dans le roman de Bernard Dadié, Un

Nègre à Paris, qui s’ouvre par un enchantement du narrateur protagoniste à l’idée de

voyager à Paris. La réinscription de la genèse de ce corpus dans les romans de la

1 F. Guimont, Les Étudiants africains en France 1950-1965, Paris, L’Harmattan, 1997, p. 11.

2 P. Charaudeau et D. Maingueneau (dir.), Dictionnaire d’analyse du discours, Paris, Le Seuil, 2002, p.

123 première génération d’écrivains africains, a l’intérêt de redessiner l’archeion1 de la

société africaine à l’époque de sa mise en rapport avec l’Europe, bien que ces œuvres pionnières, du moins, leur inscription comme « aire déterminée de la production verbale »2 d’une parole africaine, ne semblent pas avoir longtemps retenu l’attention de la

critique.

Si la paternité de l’ouvrage de Bakary Diallo, Force-Bonté, qui est en effet un récit de voyage d’un jeune berger peul enrôlé dans l’armée française, a été contestée, on est en droit de s’étonner des hésitations de la critique littéraire de l’immigration sur les œuvres d’Ousmane Socé, de Bernard Dadié, d’Aké Loba, de Ferdinand Oyono ou de Camara Laye, principalement de celles qui mettent en scène la mobilité d’un personnage de la colonie à la métropole. En effet, si l’on excepte le récit de Backary Diallo Force-

Bonté dont les circonstances d’écriture et de parution suscitent des doutes sur la vocation

littéraire de l’auteur3, Mirage de Paris constitue le premier roman africain à mettre en

1 D. Maingueneau, Le discours littéraire. Paratopie et scène d’énonciation, Paris, Armand Colin, 2004,

pp.46-55. Ce terme est introduit dans le cadre de l’analyse que Maingueneau fait du discours littéraire. À l’instar des discours religieux et philosophique, Dominique Maingueneau inscrit le discours littéraire dans la catégorie des « discours constituants ». Le point de départ de cette incorporation de la littérature dans les « discours constituants » est le statut d’exception assigné à la littérature par rapport aux « textes profanes ». Toutefois, l’auteur trouve une telle démarcation insuffisante dans la mesure où certains textes rédigés en vertu d’une nécessité philosophique ou religieuse historiquement définie, figurent dans les ouvrages de littérature. Il se propose ainsi de rassembler ces différents discours, religieux, littéraire et philosophique, en s’appuyant sur les invariants que ces types de discours se partagent, leur fond commun. Ainsi est mis en place le terme de « discours constituants » que Dominique Maingueneau définit comme « ces discours qui se donnent comme discours d’origine, validés par une scène d’énonciation qui s’autorise elle-même », des types de discours issus de la production verbale d’une société et qui « se partagent un certain nombre des propriétés quant à leurs conditions d’émergence, de fonctionnement et de circulation ». Les discours constituants participent ainsi de « l’archeion d’une collectivité », du siège de l’autorité de cette collectivité et de l’élaboration de sa mémoire. Ce sont en définitive des discours qui se posent comme des « inscriptions », c’est-à-dire qui « suivent la trace d’un Autre [discours] invisible » et qui « s’ouvrent à la possibilité d’une réactualisation ».

2 Idem.

3 Dans le sixième chapitre (pp.419-436) de son livre L’Illusion de l’altérité, Paris, Honoré Champion,

(2007), intitulé « Autobiographies et récits de vie dans la littérature africaine. De Bakary Diallo à Mudimbé », Bernard Mouralis donne une version nuancée de la réception controversée du livre Force- Bonté. Certains critiques comme Robert Cornevin et Robert Pageard ne trouvent pas une autonomie auctoriale suffisante qui accréditerait la vocation littéraire de Bakary Diallo. En effet, bien que des exégètes comme János Riesz proposent une lecture qui envisage de réhabiliter l’auteur dans le reproche de « l’admiration naïve pour la France » qui semble transparaître dans son texte et surtout contre le soupçon qui pèse sur lui au sujet de sa réelle paternité du texte, il n’en demeure pas moins évident que le texte Force-Bonté a pu être publié grâce au parrainage de Jean-Richard Bloch et surtout de Lucie Cousturier, intellectuelle de la gauche française et très intéressée par la situation des « Africains venus en France après la première Guerre mondiale. » C’est elle qui aurait rencontré Bakary Diallo en France, après que ce dernier avait été mobilisé. De cette rencontre serait né le projet, puis la rédaction du roman Force-Bonté.

124 place l’Europe comme thématique majeure du discours littéraire. C’est du moins ce que soutient Robert Pageard lorsqu’il écrit : « Le premier auteur noir qui ait tracé de l’Europe une esquisse proprement africaine est le Sénégalais Diop Ousmane Socé avec son court roman Mirages de Paris, publié en 1937 et réédité en 1955. »1 Ainsi, au fil des

générations dans la littérature africaine, des textes de l’assimilation à ceux de la nouvelle diaspora, dénommée "migritude" par Jacques Chevrier en passant par la grandiose négritude, les récits de voyage ont existé sur plusieurs modalités de narration, bien que relégués au second plan par le discours critique, sans doute par une moindre prise en compte des questions formelles au profit des thématiques de résistance et aussi par une assignation institutionnelle de statut que l’écrivain africain s’est vu définir. Pourtant ceux-ci se sont tous attachés à un même travail d’imagologie que Jean Dérive identifie de façon convaincante dans Un Nègre à Paris, à savoir, la mise en place d’une « hétéro- image »2, soit celle qu’un écrivain colonisé donne de la métropole en mettant en scène un

personnage qui a en partage avec l’auteur la condition de colonisé et qui profère son discours de l’intérieur même de cette métropole. Ces scénarisations ont pourtant produit des textes, certes en rupture les uns avec les autres sur le plan des marques formelles, ainsi que sur celui des contenus idéologiques, mais dont la sève vivifiante continue d’alimenter des écritures de l’immigration actuelles en ce sens que tous traduisent les failles, obstacles et fausses notes d’une aventure commune entre la France et ses anciennes colonies. La configuration d’un texte comme Chemin d’Europe3, de Ferdinand

Oyono, porte en germe les marques génériques et narratives du genre d’écriture dont se nourrit le roman de la nouvelle diaspora africaine en France.

Dans ce roman à narrateur autodiégétique (Aki Barnabas raconte sa propre aventure), Ferdinand Oyono relate les tribulations d’un jeune Africain entiché de la France où il aspire désespérément à aller certes en raison de la fascination que cette terre

Ces circonstances posent un soupçon que les critiques mentionnés portent sur la véritable vocation littéraire de Bakary Diallo ; ce qui est par ailleurs renforcé par le fait que l’éditeur de la première édition du texte, Rieder, a publié le texte dans une collection intitulée « Témoignages ». Pour Bernard Mouralis, ce contexte "confère déjà à l’ouvrage un statut qui n’est pas tout à fait celui d’une œuvre littéraire de création." p.423.

1 R. Pageard, op.cit. p. 324.

2 J. Dérive, « Un Nègre à Paris : contexte littéraire et idéologique », dans U. Ederiri (dir.), Bernard Dadié.

Hommages et études, Paris, Nouvelles du Sud, 1992, pp. 189-209.

125 métropolitaine exerce sur le personnage, mais aussi par goût de la culture, puisqu’il entend voyager en France pour poursuivre ses études après avoir été reçu au certificat d’études primaires, le dernier diplôme accessible aux indigènes. Cette délectation apparaît à l’occasion des choix du personnage :

Je cédai, non d’y avoir été enjoint par une dizaine de vieillards spécialement réunis pour me circonvenir, mais parce qu’il m’apparut que le certificat d’études étant, dans mon pays, le diplôme suprême pour indigènes, le séminaire était l’au-delà interdit du Savoir, auquel on pouvait accéder grâce au cheval de Troie de la vocation. C’était d’autant plus facile que, devant le penchant des noirs à entrer dans les ordres, les Européens n’y voyaient, scientifiquement, qu’une manifestation de leur tempérament religieux…1

Il faut ici remarquer les relations de pouvoir qui structurent cet espace. Il faut également souligner la juxtaposition qu’établit le narrateur entre les catégories du savoir, du pouvoir et de la foi d’une part, entre les institutions de la science et de la religion d’autre part. À travers ces juxtapositions, ce sont tous les paradoxes inhérents à la formation de l’élite africaine sous la tutelle coloniale qui se posent. Ce contexte est déterminant dans la saisie des mobiles du personnage. C’est en fonction de ce qu’il observe dans son ambiance, comparé à ce qu’il découvre dans les ouvrages que celui-ci conçoit la métropole comme un espace plus avenant et plus juste. C’est le cas par exemple dans la conversation que Barnabas tient avec sa mère au sujet de la pauvreté. Celle-ci, ayant appris de son fils qu’en France tout se paie, même les besoins vitaux, aboutit à la déduction suivante :

J’aurais pu m’en douter […], c’est pour cela que tous ces blancs ont préféré venir ici où tout est gratuit […] alors ce sont de pauvres blancs que nous avons ici, ceux qui ne pouvaient ni s’asseoir ni pisser chez eux ?...Et c’est pour ça qu’ils sont impitoyables comme l’esclave de la Bible !2

L’ironie entraîné par l’antéposition de l’épithète « pauvre » inverse les rôles et rive les Blancs de la colonie à une inhumanité que le narrateur suppose inexistante à la

1 Ibid., p. 11. Les marqueurs typographiques sont soulignés par l’auteur. 2 Ibid., p. 89.

126 métropole. En outre, la posture subalterne de Barnabas présente les choix de ce dernier comme des étapes stratégiques plutôt que définitifs. Ainsi, après ce dernier diplôme autorisé par l’administration coloniale, le personnage, fils unique d’une famille camerounaise de l’époque coloniale, entreprend des études de théologie. Il est pourtant exclu du Séminaire en raison d’une relation d’amitié protectrice avec Laurent, son jeune camarade d’étude ; amitié que le clergé soupçonne d’être entachée d’homosexualité. Barnabas enchaîne des travaux subalternes comme rabatteur de magasin auprès de M. Kriminopulos, un commerçant européen véreux ; puis comme répétiteur auprès de la fille des Gruchet, avant d’occuper la fonction tout aussi subalterne de « Guide attitré de l’Hôtel de France », une grande bâtisse d’accueil à l’intention d’Européens et d’Américains férus d’exotisme. L’objectif assigné à cet acharnement du personnage, celui de se former intellectuellement est légitime, puisque l’espace social mis en scène ici s’apparente à tous les égards à celle de la loi-cadre comme en témoigne les thèses de l’amitié franco-africaine que Barnabas inscrit à la fin de sa lettre au Gouverneur. Cette légitimité est d’autant plus claire que cet Africain solidement cultivé en latin et en français affiche une grande admiration pour ce pays ami comme il le clame lui-même :

Je me sentais avec ce pays que je ne connaissais pourtant pas, et dont on m’avait appris à chanter le génie et la beauté depuis l’enfance, une affinité telle que je me demandais si je n’avais pas été français dans une existence antérieure.1

Il faut ici rappeler que cette admiration naïve pour la France est partagée par Kocoumbo dans le roman éponyme d’Aké Loba ainsi que par Fara dans Mirages de Paris d’Ousmane Socé bien avant que ceux-ci n’arrivent en métropole. Tous ont également découvert le charme de ce pays par le biais de la lecture. À propos de Fara, le narrateur du roman Mirages de Paris met son attachement à la France sur le compte du goût de l’évasion que fait naître, chez notre personnage, la littérature, l’histoire et le milieu physique de ce pays « Le plus cher souhait de Fara, dit-il, était de voir cette France dont il avait appris, avec amour, la langue, l’histoire et la géographie. »2 Dans le cas du

1 Ibid., p.45.

127 personnage mis en scène par Oyono, opiniâtre et résolu, il ne désarme ni devant le refus de la tribu de consentir à l’aider financièrement pour des raisons de jalousie maladroitement masquée sous des dehors de compassion dans le discours condescendant de son chef, Fimtsen Vavap ; ni à la fin de non-recevoir à laquelle aboutit la correspondance qu’il adresse au Gouverneur pour solliciter une bourse d’études en France. Le destin est implacable, Barnabas ne peut rien contre la voix de M. Dansette, son interlocuteur au Siège du Gouvernement qui, tout aussi péremptoire que Vavap, lui rappelle obstinément qu’il ne peut voyager en France sans passer son bac et que celui-ci ne voit pas la validité de son projet de voyage « en France où les bacheliers sont balayeurs de rues. »1 Bien que dans le cadre de l’intrigue le personnage ne voyage pas en France, le roman se referme en revanche par une narration ultérieure, où un an après les épisodes de la chute de l’intrigue, Barnabas affirme, alors qu’il se trouve à Paris, avoir appris de sa mère la mort de Bendjanga-Boy, un de ses acolytes africains.

Le récit d’Oyono, étant donné l’univers qu’il représente, s’inscrit bien dans la perspective d’une écriture qui prend en compte la question des conflits inhérents à la cohabitation interculturelle. Il articule en outre les rites de passage, les prescriptions et les proscriptions propres à l’espace de cohabitation institué par la colonisation française en Afrique. La prise en compte de l’espace africain dans ces premières écritures de l’immigration africaine permet de jauger ce que pouvait symboliquement représenter l’espace métropolitain pour l’indigène. Pour Barnabas, la France renvoie au seul pays où il puisse « se réaliser »2, le seul qui lui permettrait d’être « un nègre arrivé »3, d’autant