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A L’émergence d’une conscience diasporique noire en France

I : La littérature de l’immigration et l’historiographie du champ littéraire africain francophone

II. Les œuvres pionnières des voyages en littérature africaine : périodisation et constances narratives

II. 2. A L’émergence d’une conscience diasporique noire en France

L’espace français en général et la ville de Paris principalement est, au début du XXe siècle, le cadre de l’émergence d’un panafricanisme1 qui profite à l’expansion des voix littéraires africaines émergentes.

Bien que les préjugés forgés par l’idéologie coloniale y demeurent avec persistance, il se remarque en revanche une vitalité intellectuelle noire dont l’aboutissement est incontestablement la naissance d’un champ littéraire négro-africain. Les écrivains comme Ousmane Socé, Camara Laye et Bernard Dadié s’y trouvent, peu avant la génération suivante de Ferdinand Oyono, d’Aké Loba ou encore de Yambo Ouologuem, pour des études. Ils y font la connaissance de Senghor le chantre de la négritude ainsi qu’Alioun Diop, le promoteur de la maison d’édition Présence Africaine en 1947.

Le réseau de l’intelligentsia nègre ne se limite cependant pas à ces fréquentations entre étudiants africains et antillais de Paris. Il s’insère dans un contexte que Brent Hayes Edwards qualifie comme diasporique2 puisque des noirs d’Afrique, d’Amérique et des

Antilles occupent le devant de la scène culturelle et prônent un discours identitaire que l’on peut appeler « fine », en référence à la terminologie introduite par Pap Ndiaye3.

1 Dans la sphère de la politique, ce vent de panafricanisme peut s’attacher à la tenue, du 19 au 21 février

1919 du second Congrès panafricain, après celui de Londres, tenu en 1900. Le Congrès de Paris, qui se tient au Grand Hôtel, boulevard des Capucines, en marge du traité de Versailles, est symboliquement placé sous la présidence conjointe du Noir-Américain, William Edward Burghardt Dubois, leader de la National Association for the Advancement of Colored People (NAACP) et du Sénégalais Blaise Diagne, député grand recruteur des « tirailleurs » pendant la guerre. Cf, C. Coquery-Vidrovitch, « 1914-1924 : tirailleurs. Forces noires et premiers combats » dans P. Blanchard (dir.), La France noire. Présences et migrations des Afriques, des Amériques et de l’océan Indien en France, Paris, La Découverte, 2012, pp. 104-107.

2 B. H. Edwards, The Practice of diaspora. Literature, Translation, and the Rise of Black Internationalism,

Cambridge, Massachusetts and London, Harvard University Press, 2003.

3 Dans son ouvrage La Condition noire. Essai sur une minorité française op. cit., p. 56, Pap Ndiaye,

s’inspirant des travaux du sociologue américain Tommie Shelby, forge deux modes de représentation de personnes noires dans l’espace social français : "l’identité noire épaisse" et "l’identité noire fine". Si la première modalité de construction identitaire renvoie à une revendication et s’associe à l’attachement des membres d’une communauté délocalisée à une histoire, une culture, une langue ou à des références communes qui les distinguent des autres personnes de l’espace social, "l’identité noire fine" quant à elle

160 Samba Diallo, par exemple, le personnage principal du roman L’Aventure ambiguë, rencontre un magistrat antillais retraité qui s’identifie comme originaire du Mali et qui exhorte « tous les Noirs »1 à étudier le « droit et la langue des Blancs. » Cet Antillais est

par ailleurs marié à une Gabonnaise. Ces rencontres et alliances ressoudent des liens entre les différentes diasporas africaines présentes sur le Paris de l’après première guerre mondiale. De ce point de vue, Jean-Marc Moura inscrit à juste titre le roman postcolonial comme « le nouveau roman de l’âge global »2, à la fois à travers le cheminement qui l’a conduit de l’époque coloniale à la World Fiction actuelle tout autant que par sa propension à problématiser la colonisation en tant que processus historique et à scénariser de manière littéraire l’avènement d’une "culture globale". Dans cette perspective, les deux termes de ce processus, si l’on se limite à la génération d’écrivains actuellement installés en France ou à l’extérieur de l’Afrique, s’associent à des phénomènes de diaspora, dans le cadre de la littérature africaine francophone. Le narrateur de Mirages de

Paris par exemple témoigne de l’espoir associé à la ville de Paris par cette première

diaspora :

Paris était une « cour d’appel des Noirs ». Leurs vedettes n’avaient rencontré la parfaite impartialité qu’à Paris. Et des pays les plus éloignés du monde, beaucoup d’entre eux subissaient le mirage de Paris, en rêvaient comme d’un El Dorado de justice et de succès suprêmes…3

Bien qu’ici la modalité d’énonciation soit dubitative sur le bien-être de ces personnages, l’hétérogénéité de leur origine est indéniable. La solidarité qui les ligue dans l’exil est également visible dans les œuvres. De même, au-delà de l’origine des auteurs, la situation d’une race piétinée par l’histoire et qui tente de se relever semble l’élément fondamental qu’ils partagent et qui détermine leur posture dans l’espace social et politique.

renvoie à une assignation : « elle délimite un groupe qui n’a en commun qu’une expérience de l’identité prescrite, celle de Noir en l’occurrence, qui a été historiquement associée à des expériences de domination subies, et qui peut s’accompagner de la conscience de partage de cette expérience. »

1 C. H. Kane, L’Aventure ambiguë, op. cit., pp. 142-143.

2 J. M. Moura, L’Europe littéraire et l’ailleurs, Paris, Presses Universitaires de France, 1998, pp.173-195. 3 O. Socé, Mirages de Paris, op. cit., p.117.

161 Les œuvres des écrivains pionniers, celles principalement qui émergent dans la mouvance de la négritude, dans le sillage des débats initiés par Batouala de René Maran et au nombre desquelles nous pouvons retenir les écrits d’Ousmane Socé, de Sembène Ousmane et de Bernard Dadié, méritent bien, ainsi que le soutient Jean-Marc Moura, d’incarner « les premières étapes du postcolonialisme. »1 Leur émergence s’appuie

toutefois sur une culture diasporique2, si l’on se réfère au sens qu’Andrew Smith donne à

ce terme, soit l’affirmation d’un lien qui s’établit « dans l’exil hors du pays d’origine »3 et « d’une unité qui se perpétue dans les circonstances diverses auxquelles est confrontée une population contrainte à la dispersion »4 ; ce qui, poursuit Smith « fait aussi référence à d’autres peuples dispersés. »5 En effet, autour des années 1920-1950, nulle autre ville du monde européen ne permet, autant que Paris, l’élaboration d’un discours politique sur les descendants d’Afrique et leur apport culturel dans le monde occidental. C’est à la même époque, notamment en 1924 que René Maran, accompagné de quelques leaders africains, fonde la Ligue universelle de défense de la race noire (LUDRN), sise rue de Provence.6 Les différences s’estompent et la solidarité au nom de la race passe en

premier. Cet état de choses est concret dans les moments de réjouissance ou d’épreuves. Ainsi, dans Mirages de Paris par exemple, deux épisodes dans le séjour parisien de Fara témoignent de cette solidarité : lorsque celui-ci emménage avec Jacqueline dans leur nouvel appartement, symboliquement situé au quai de la République, ainsi qu’après le décès de celle-ci. Au sujet de ce dernier événement, le narrateur rapporte :

1 J. M. Moura, L’Europe littéraire et l’ailleurs, op. cit., p. 179.

2 B. H. Edwards, The Practice of diaspora, op. cit., souligne les principales tribunes d’expression de cette

diaspora. Le critique note les journaux et revues (Le Paria, L’Action coloniale, Les Continents, La Voix des Nègres, La Race nègre, Le Courrier des Noirs, La Dépêche africaine, Légitime Défense, La Revue du monde noir, Le Cri des Nègres, L’Étudiant martiniquais, L’Étudiant noir, Africa) l’action des intellectuels et artistes, entre autres, les sœurs Nardal, René Maran, Lamine Senghor, William E. Du Bois, Joséphine Baker, Kojo Tovalou Houénou (fondateur, avec René Maran, de la Ligue pour la Défense de la Race Noire) et surtout Claude McKay, auteur du roman Banjo (1929), traduit en français en 1931.

3 A. Smith, « Migrance, hybridité et études littéraires postcoloniales » dans, N. Lazarus (dir.), Penser le

postcolonial. Une introduction critique, Paris, Amsterdam, 2006, pp. 359-386. Trad. M. Groulez, C. Jaquet et H. Quiniou.

4 Ibid., p. 377. 5 Idem.

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Arrivèrent Mamadou Keïta, un Soudanais, Jacques Diett, un mulâtre de la Côte d’Ivoire, Sango, un Mossi de la Haute Volta, Mickey Roler, de la Nigéria, des Sénégalais, des Antillais, des Guyanais. La plupart d’entre eux ne connaissaient pas Fara. Il avait suffi qu’un malheur fût arrivé à un Noir de n’importe quelle origine pour que tous accourussent, obéissant à je ne sais quelle solidarité.1

Dans Le Docker noir de Sembène Ousmane de même, le décès d’Ousmane, un des amis de Diaw Falla, mobilise de nombreuses personnes de couleur de la ville de Marseille pour organiser les obsèques, « avec le même fatalisme qu’en Afrique. »2 En

outre, il est émis l’idée d’utiliser le reliquat de la quête organisée à cet effet pour venir en aide aux plus démunis d’entre-eux. Cette solidarité est partie prenante du contexte que scénarisent ces œuvres. En effet, la colonisation ayant dénié toute expression culturelle au colonisé, en raison surtout de sa race jugée inférieure, l’espace métropolitain d’entre- deux guerres, qui rassemble des Noirs d’Amérique, d’Afrique et des Caraïbes, réarticule cette question raciale pour revaloriser les cultures nègres dont les artistes occidentaux commençaient par ailleurs à s’éprendre. La race, ou la question de la couleur est ainsi à l’ordre du jour comme en témoigne le paratexte des œuvres dont les titres accordent une importance majoritaire à la bichromie du monde. On note ainsi, en une seule décennie les titres comme Un Nègre à Paris, L’Enfant noir, Le Docker noir, Le Vieux nègre et la

médaille, Kocoumbo, l’étudiant noir. On peut parler, au regard des éléments paratextuels

de ces premières œuvres de voyage, des romans à titres-axiologiques. La démarche des romanciers puise ainsi dans trois principales stratégies, soit d’ironiser sur la prétendue infériorité du Noir par rapport au Blanc, soit de mettre en scène un personnage noir qui surmonte les préjugés et qui se fait une situation sociale digne, soit enfin de remonter à l’histoire de l’Afrique précoloniale pour déconstruire la vision euro-centriste de l’histoire mise en place par les cultures colonisatrices. Ainsi, le personnage que met en scène Bernard Dadié pose la notion de race comme une invention du colonisateur qui attribue systématiquement la couleur blanche à ce qui est beau, pur, noble ou valorisé tandis que le noir renverrait à la laideur, ou au diable. Tendance d’autant plus contradictoire que les femmes par exemple s’habille en noir. Les personnages de Kocoumbo, l’étudiant noir et

1 O. Socé, Mirages de Paris, op. cit., pp. 156-157. 2 S. Ousmane, Le Docker noir, op. cit., p. 116.

163 de Dramouss de Camara Laye, symbolisent les types d’Africains, qui surmontent les préjugés raciaux tout comme les obstacles matériels pour rentrer dans leur pays nantis de connaissances et d’expérience profitables. Le narrateur du roman Le Docker noir quant à lui, en appelle à l’histoire culturelle pour déconstruire la notion de race. Lors du procès qui est intenté au personnage principal, l’avocat de ce dernier plaide en ces termes :

Si l’on peut dire qu’un individu est supérieur à un autre, on ne peut le dire d’une race. D’ailleurs, les savants sont maintenant convaincus, qu’il y a eu une civilisation noire, qui, descendue le long du Nil, a gagné l’Égypte pour donner naissance à la nôtre…Au Moyen Age, l’Université de Tombouctou échangeait des professeurs avec les écoles du monde entier. Où est donc notre prétendue prééminence ? Dans l’histoire, les différentes races apparaissent supérieures à tour de rôle : seuls les ignorants peuvent trouver dans cet état de fait la preuve d’un droit particulier. Quoi de plus confus, enfin, que la notion de race ? Il n’est pas un ethnologue sérieux pour soutenir qu’après des siècles d’émigrations, de conquêtes et de brassages, les peuples d’Europe, pour ne parler que d’eux, présentent le moindre caractère de pureté.1 L’espace métropolitain permet en outre aux étudiants africains de tisser des rapports d’une part avec leurs confrères et mentors de la Negro-renaissance de Harlem, dont un grand nombre se trouvent en France, ainsi qu’avec les autres Nègres colonisés des Caraïbes ; d’autre part avec le milieu intellectuel de la gauche française. Cette prise de conscience des questions de race trouve son aboutissement dans la construction du discours de la négritude, dont l’émergence signe l’acte de naissance d’un espace littéraire « afro-antillais »2, d’autant plus qu’elle est accompagnée de la mise en place de la maison d’édition Présence Africaine en 1947, ainsi que de la tenue de deux rencontres des écrivains et artistes noirs, respectivement en 1956 à Paris, puis en 1959 à Rome. Ainsi aux liens humains entre écrivains afro-antillais et afro-américains se doublent des influences intertextuelles. Le scénario du meurtre d’une femme blanche par un jeune noir établit la filiation entre le roman Native son3 de Richard Wright et Le Docker noir de

Sembène Ousmane4. Ce roman est par ailleurs placé sous la filiation de Banjo de Claude

1 S. Ousmane, Le Docker noir, op. cit., pp. 72-73.

2 B. B. Malela, Les Écrivains afro-antillais à Paris (1920-1960). Stratégies et postures identitaires, Paris,

Karthala, 2008.

3 R. Wright, Native son, New York, London, Toronto, New Delhi, Auckland, Haperperennial, 2005. 4 D. Thomas, Noirs d’encre, op. cit., pp. 124-130.

164 McKay1. Au sujet de l’intertextualité avec des écrivains métropolitains, citons par

exemple la proximité entre le roman de René Guillot, Histoire d’un blanc qui s’était fait

nègre (1932) et Le Regard du roi de Camara Laye, qui en réalité n’en est pas l’auteur

réel2. Mais le parrainage est aussi idéologique et vise à faire entrer l’œuvre littéraire

africaine dans le champ littéraire. Cette situation de communication littéraire, selon les termes de Dominique Maingueneau3, mérite d’être revalorisée dans la réception des

écritures de l’immigration africaine en France, dans leur tendance qui est loin d’être

1 Voir à ce sujet, J. Riesz, De la littérature coloniale à la littérature africaine, op. cit.

2 Janos Riesz, De la littérature coloniale à la littérature africaine, op. cit., p. 52 soutient que peu avant sa

mort, Camara Laye aurait confié à Lilyan Kesteloot que ce roman, salué par une grande quantité de critiques africains et occidentaux comme une œuvre majeure de la négritude, avait été écrit par un Blanc.

3 Dans l’introduction de son ouvrage Le Contexte de l’œuvre littéraire. Énonciation, écrivain, société, cet

auteur envisage de relire et de réaménager les différents cadres d’approches du texte littéraire de la philologie à l’analyse du discours. De ce point de vue, l’auteur part de la constatation qu’ il existe, en matière de réception du texte littéraire, une tendance à séparer le texte de son contexte, à se préoccuper uniquement soit du texte que l’on pense comme un « univers clos », soit de son contexte pour expliquer l’œuvre littéraire comme étant représentative de ce contexte. Ainsi, la philologie de la seconde moitié du XIXe siècle sa cantonne dans une étude documentaire de l’œuvre littéraire prise comme l’expression des

pensées et des sentiments ou plus précisément de l’esprit d’une époque contemporaine à l’auteur. Qu’elle soit « atomiste » et procède à l’étude de détails du texte pouvant apporter un éclairage sur l’environnement historique dont il émerge ou « organique », cherchant la saisie, au-delà de cette enquête historique, d’une conscience créatrice comme chez Leo Spitzer, la philologie vise à mettre en rapport l’œuvre et la société sans toutefois prendre en compte les enjeux de l’événement que constitue l’énonciation littéraire qui est aussi « un acte qui implique des institutions, définit un régime énonciatif et des rôles spécifiques à l’intérieur d’une société. » (7) L’approche marxiste quant à elle conçoit le texte littéraire comme un reflet idéologique de la lutte des classes sociales. Qu’elle soit inspirée par les travaux originels de Lukàcs qui assigne comme finalité du texte littéraire de donner une figure aux contradictions du monde historique réel, donc de produire du réalisme et de forger des « types » ou encore d’inspiration de Goldmann, proche des philologues et qui fonde l’analyse dans un premier temps sur la genèse des œuvres et les conditions sociales de leur apparition, puis en termes de structuralisme génétique, la critique marxiste transpose sur le plan littéraire « les problèmes politiques et économiques rencontrés par les classes qui sont supposées être à la source des grandes œuvres. » (9) Une telle démarche, élude, selon Maingueneau, la prise en compte de la réflexivité constitutive de la communication littéraire. L’auteur note toutefois une inflexion heureuse à la sociologie d’inspiration marxiste dans les thèses avancées par René Balibar puis par Jacques Dubois. À la suite d’Althusser, Balibar et Dubois essaient d’intercaler entre œuvre et lutte des classes d’autres appareils idéologiques tels l’École, la langue et la littérature qui sont autant d’instances de légitimation des œuvres et qui conditionnent leur circulation. De la philologie et de la critique marxiste, il convient de distinguer le structuralisme et la nouvelle critique. De ce point de vue, Dominique Maingueneau commence par définir les deux approches ainsi évoquées. La nouvelle critique renvoie à un ensemble d’approches divergentes mais coalisés par leur critique à l’histoire littéraire issue de la philologie du XIXe siècle. L’analyse

structuraliste en revanche envisage l’œuvre comme un système textuel à appréhender dans son immanence pour en saisir le fonctionnement. Le structuralisme ne dénie pas cependant l’historicité du texte. « ce n’est pas tel ou tel détail de l’œuvre qu’il faut corréler avec tel ou tel fait historique mais une structure textuelle et une structure non-textuelle. » (14) Faussement conçue comme une sorte d’impérialisme linguistique, la critique structuraliste a achoppé sur son projet majeur à savoir la recherche de la littérarité, ouvrant ainsi à une nouvelle perspective théorique qui envisage l’œuvre comme une communication littéraire. Ce sont les concepts de cette approche théorique qui puise tout autant à la sociologie des champs de Bourdieu, à la pragmatique, à la transtextualité et surtout à la linguistique d’énonciation que Maingueneau met en place dans Le Contexte de l’œuvre littéraire.

165 nouvelle, de se situer à l’intersection des traditions littéraires hétérogènes. D’une part, elle permet de rétablir la dynamique de l’espace littéraire dans lequel ces écritures ont pris leur essor, d’autre part, elle rappelle l’habitus régissant cette émergence du discours africain de voyage dans le champ littéraire. En effet, dans un article intitulé « Réception et évolution de l’image de l’Afrique noire, du lendemain de la seconde guerre à l’époque contemporaine »1 où Jacques Chevrier décrit le processus « d’inféodation de la littérature

africaine naissante à l’institution littéraire française »2, le critique rapporte la situation d’entre-deux inhérente à cette littérature, marquée précisément par la tendance à se confiner au centre tout en théorisant une volonté de rupture avec celui-ci, aussi bien dans l’appareil critique que de la part des auteurs eux-mêmes, qui ne nous semble pas encore dépassée :

L’émergence des littératures africaines n’est donc pas allée sans ambiguïté, décelable aussi bien dans sa genèse que dans la réception dont elle a fait l’objet. Pendant que certains insistaient sur le caractère novateur de cette littérature, dans laquelle ils voyaient l’expression d’un sursaut et d’une prise de conscience, d’autres en revanche, soulignaient à l’excès les liens de filiation qui la rattachaient à la littérature française.3

Ce contexte prévalant lors de la parution de ces œuvres pionnières de la littérature africaine est principalement déterminant. La dimension diasporique s’associe, en plus des préoccupations de revalorisation d’une race marginalisée, à la légitimation institutionnelle d’une œuvre littéraire écrite par un écrivain noir, le Batouala de René Maran, qui bien que dans la pure tradition de la littérature coloniale française, valorise la mission civilisatrice mais articule un discours qui prend pour cible le colonisateur et son "asthénie morale". La posture de René Maran est, de ce point de vue, initiatrice de la mise en place d’un espace littéraire axé sur une menace de la perte du monopole dont avait bénéficié le discours mis en place par la littérature coloniale sur la question nègre et