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B Le colonisateur et ses figurations littéraires

I : La littérature de l’immigration et l’historiographie du champ littéraire africain francophone

II. Les œuvres pionnières des voyages en littérature africaine : périodisation et constances narratives

II. 1. B Le colonisateur et ses figurations littéraires

Le personnage du Blanc ou de la Blanche en terre africaine ou en France est une constance des premières œuvres de l’immigration africaine en France. Dans Mirages de

Paris, c’est le personnage de l’institutrice qui est évoqué dans une représentation plutôt

sympathique :

Une femme "aux oreilles rouges" […] haute, mince et qui avait des yeux bleus comme ceux des chats. Elle portait un vêtement semblable au caftan et sur la tête une sorte de calebasse, à larges bords, pareille aux chapeaux des bergers de la brousse ;

1 F. Oyono, Chemin d’Europe, op.cit., pp.110-111.

2 D. Maingueneau, « Ethos, scénographie, incorporation », dans Ruth Amossy (dir.), Images de soi dans le

discours. La construction de l’ethos, Lausanne, Delachaux et Niestlé, 1999, pp.61-100. Selon cet auteur, l’éthos implique une police tacite du corps appréhendé à travers un comportement global. Caractère et corporalité du garant s’appuient donc sur un ensemble diffus de représentations sociales valorisées ou dévalorisées, des stéréotypes, sur lesquels l’énonciation s’appuie et qu’elle contribue, en retour à conforter ou à transformer. Ces stéréotypes culturels circulent dans les registres les plus divers de la production sémiotique d’une collectivité : livres de morale, théâtre, peinture, statuaire, cinéma, publicité.

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autour de la calebasse s’enroulait un ruban noir. Elle était juchée sur d’étranges babouches aux talons hauts comme des échasses.1

La posture verticale du personnage ici est révélatrice de sa mission de cicérone de jeunes enfants noirs auxquels elle apprend les rudiments de la langue française, en tâchant, bien sûr de récompenser leurs réussites : « La "dame aux oreilles rouges" donna à Fara deux mandarines et une tape amicale sur la joue »2, lorsque celui-ci fournit une

bonne réponse aux questions de l’institutrice. Un autre portrait d’enseignant est celui que Socé met en scène lorsque Fara se trouve dans le navire qui le mène en France. Le personnage est témoin d’une discussion entre M. Dupont, un professeur en Afrique noire et deux autres personnages que le narrateur préfère évoquer sous les traits de caractères plutôt que par leur nom. Le premier, avec son accent de Perpignan, est un commerçant qui, fort de ses vingt-cinq ans de colonie, dénie aux Noirs toute capacité intellectuelle excepté celle d’être dotés d’une « mémoire phénoménale »3 tandis que le second, décrit comme un gros mangeur d’oignons, est originaire de la Syrie. Ce dernier redoute que l’instruction des Noirs ne leur dessille les yeux et ne mette en péril le négoce. À quoi, le professeur oppose la capacité des Noirs d’assimiler la culture scientifique et littéraire venue d’Europe. Le colon ouvert d’esprit est aussi présent dans le roman d’Aké Loba en la personne de M. Gabe ou dans L’Aventure ambiguë où l’on voit le personnage français, monsieur Lacroix, dialoguer sincèrement avec le père de Samba Diallo pour saisir les points de différence entre la culture africaine et la culture occidentale. Dans le roman

Kocoumbo, l’étudiant noir, M. Gabe est l’ami blanc auprès duquel le vieil Oudjo confie

sa résolution d’envoyer Kocoumbo en France. Cet expatrié se révèle tout de suite comme un passeur ou un facilitateur de l’entreprise dans laquelle se trouve engagé Kocoumbo : « Celui-ci [M. Gabe], après l’avoir [le vieil Oudjo] félicité de sa décision, lui promit de faire son possible pour faciliter l’hébergement de son fils en France. Il allait tout de suite faire le nécessaire. »4 Ce bienfaiteur désintéressé se retrouvera dorénavant en véritable

tuteur, encadrant le jeune noir et le remettant dans le droit chemin à ses moindres

1 O. Socé, Mirages de Paris, op. cit., p. 12. 2 Ibid., p. 13.

3 Ibid., p. 21.

148 fredaines de jeunesse. M. Gabe intercède en faveur de Kocoumbo auprès de sa sœur, Mme Brigaud, pour l’hébergement du jeune Africain, il se présente au Wharf le jour du départ de Kocoumbo et ne cache aucunement sa satisfaction d’avoir contribué à cette tâche de civilisation : « Tout en saluant chaque famille de ses mains aux veines apparentes, M. Gabe contemplait avec une satisfaction heureuse tout le remue-ménage de cette jeunesse en partance pour la métropole. »1 De même, lorsque les difficultés

matérielles rencontrées en France entraînent Kocoumbo sur la voie de la prostitution et mettent sa formation intellectuelle en péril, c’est le même personnage qui lui vient en aide pour endiguer la situation :

Depuis le jour où son protecteur l’a fait entrer dans cette maison de commerce import-export, aux nombreuses succursales africaines, et dont le directeur est un ami de M. Gabe, il [Kocoumbo] mène une vie aussi régulière que celle d’un moine. Il se lève à six heures et va aussitôt au bureau pour rattraper les heures que son patron lui laisse libres dans la journée. L’après-midi, il court à la Sorbonne et revient ensuite à son travail pour n’en sortir que très tard ; il est autorisé pendant les heures creuses à faire ses devoirs au bureau. L’exceptionnelle compréhension qu’on lui témoigne lui a permis d’obtenir un diplôme de l’École des Langues orientales, puis ses certificats de licence en Droit. Il a suivi ses cours avec ponctualité sans faiblesse et le voici aujourd’hui magistrat, depuis peu affecté en Afrique comme juge de paix ; enfin, en plein préparatifs de départ.2

On peut être tenté de taxer un tel passage de naïveté. Pourtant, il est inévitable d’y voir la mise à mal, par Loba, du préjugé sur l’incapacité du Noir à assimiler la civilisation occidentale, comme le prétendent les propos répandus dans l’espace métropolitain à leur sujet. Ce sont plutôt les conditions favorables à l’épanouissement du personnage africain dans l’espace de la métropole qu’il faut dénoncer et non l’incapacité naturelle de celui-ci à saisir les éléments culturels d’Occident. En cela, la scénographie mise en place par Aké Loba dans ce roman est en résonance avec les propos d’Albert Memmi3. Le personnage

de M. Gabe est en cela analogue à Mme Aline, mise en scène par Camara Laye dans son roman Dramouss ; cette « vielle Normande sexagénaire qui habitait la rue Saint-Jacques

1 Ibid., p. 41. 2 Ibid., p. 256.

3 A. Memmi, Portrait du Colonisé. Précécé du Portrait du colonisateur et d’une préface de Jean-Paul

149 et qui était la maman de tous les jeunes Africains. »1 Celle-ci, à l’instar de ce que M.

Gabe fait pour Kocoumbo, tire Fatoman d’une mauvaise situation financière d’abord en lui offrant de l’argent pour survivre, puis en le mettant sur la piste d’un travail de manutentionnaire aux Halles.2 Il faut en outre mentionner le fait que Mme Aline parle la

langue malinké et a vécu en Afrique jusqu’en 1925. Dans le même sillage, nous pouvons aussi évoquer un personnage du roman Le Docker noir de Sembène Ousmane, celui que les Africains de Marseille ont surnommé "Maman" et qui tient une blanchisserie à la devanture de laquelle ces derniers se retrouvent quotidiennement pour deviser :

"Maman" était le sobriquet que les Africains avaient donné à la propriétaire, non à cause de son âge, mais pour sa bonté envers eux. Elle devait avoir environ cinquante-cinq ans, le corps bien conservé malgré les longues heures de travail. Les jeunes gens, lorsqu’ils disposaient d’un peu de temps, venaient pour lui tenir compagnie.3

Tanoé Bertin, le voyageur que met en scène Bernard Dadié dans son roman Un

Nègre à Paris, soutient avoir reçu gracieusement son billet d’avion des mains d’un « ami

blanc »4. La sympathie entre le colonisateur et le colonisé aboutit, dans certains cas à des

liens solidement noués et que l’on tente de péréniser. Ainsi, dans Le Docker noir, il est fait état d’un personnage africain, Paul Sonko, qui doit son prénom chrétien en reconnaissance des solides liens d’amitié que son géniteur a eus autrefois avec un personnage blanc.5 Ces passeurs fictinnalisés démontrent que les voyageurs des

premières écritures de l’immigration ne visent pas que la dénonciation, mais inscrivent leur relation dans un projet de connaissance, voire de conciliation interculturelle. Ceci reflète d’ailleurs la situation de parrainage dans l’espace littéraire où, autour des années 1930, des écrivains de France comme Gide ou Sartre, prennent fait et cause en faveur de la cooptation institutionnelle des écrivains pionniers noirs.

1 C. Laye, Dramouss, op. cit., p. 77. 2 Ibid., p. 89.

3 S. Ousmane, Le Docker noir, op. cit., p. 33. 4 B. Dadié, Un Nègre à Paris, op. cit., p. 11. 5 S. Ousmane, Le Docker noir, op. cit., p. 98.

150 Le portrait du personnage blanc ne se limite cependant pas à ces figures d’adjuvants. Il s’attache aussi, dans de nombreux romans, à la peinture des travers de l’Occidental installé dans la colonie. Fatoman, le narrateur du roman Dramouss résume la cohabitation interraciale dans l’espace colonial en ces termes :

À la Colonie, l’homme blanc est le patron, l’homme noir l’employé. Quand bien même les bureaux admettent l’un et l’autre, le patron et l’employé se mêlent peu, presque aussi peu qu’à Paris le patron blanc et l’employé blanc, avec cette différence que la race, à la Colonie, constitue la seule barrière, bien que la question de race, apparemment ne soit pas en jeu…1

La distension de liens ici évoquée entraîne des situations d’incompréhension et de malentendus qui ne sont pas passés inaperçus dans la fiction littéraire. En cela nous pouvons d’ores et déjà mettre la représentation du personnage blanc dans certains romans comme un écho du portrait que René Maran ébauche du colonisateur, dans la préface de son roman Batouala, lorsqu’il écrit :

Car la large vie coloniale, si l’on pouvait savoir de quelle quotidienne bassesse elle est faite, on en parlerait moins, on n’en parlerait plus. Elle avilit peu à peu. Rares sont, même parmi les fonctionnaires, les coloniaux qui cultivent leur esprit. Ils n’ont pas la force de résister à l’ambiance. On s’habitue à l’alcool […] Ces excès et d’autres, ignobles, conduisent ceux qui y excellent à la veulerie la plus abjecte. Cette abjection ne peut qu’inquiéter de la part de ceux qui ont charge de représenter la France. Ce sont eux qui assument la responsabilité des maux dont souffrent, à l’heure actuelle, certaines parties du pays des noirs.2

Des écrivains de la première génération s’attachent ainsi à la critique des dégradations morales que suscite le séjour outre-mer du personnage blanc et qui freinent finalement la conciliation des deux cultures en présence. Deux tendances s’observent à cet égard. Des écrivains comme O. Socé et Camara Laye, plutôt que de mettre en scène des personnages européens en Afrique, accordent plutôt une grande importance à une représentation valorisante des cultures africaines dans l’objectif de les réhabiliter ; ce qui a comme corollaire une réduction de la visibilité de personnages blancs. Ceux-ci

1 C. Laye, Dramouss, op. cit., p. 102.

151 n’apparaissent que comme comparses. Ainsi, les romans de Socé comme Karim ou

Mirages de Paris ou encore ceux de Camara Laye comme l’Enfant noir, dans leur

description de l’espace d’émigration, s’inscrivent dans ce registre moins polémique sans pour autant que leurs auteurs ne cautionne l’idée répandue de l’infériorité des cultures africaines. En revanche, Bernard Dadié, dans un roman comme Climbié, paru en 1956, mais écrit en 1953, au même moment que l’Enfant noir de Camara Laye, s’inscrit dans l’optique de la satire de la civilisation occidentale à travers une ironie que l’on retrouve dans les relations de voyage ultérieures de l’écrivain ivoirien ; ironie que l’on retrouve également dans les œuvres de Ferdinand Oyono. Dans Chemin d’Europe, l’image de l’Européen procède de la représentation pathétique que le romancier fait de la communauté européenne qui peuple l’espace africain mis en scène. Entre autres personnages, citons par exemple les commerçants grecs. C’est notamment le cas de M. Kriminopoulos, le premier employeur du personnage, ou encore du propriétaire du gros Berliet à bord duquel Barnabas se rend à Yaoundé pour mener des démarches en vue de l’obtention d’une bourse d’études pour la France. À propos de ce dernier, le narrateur du roman rapporte qu’il est « assuré du monopole de l’exploitation du trafic sur cette ligne de 250 kilomètres. »1 Les Hébrard, le couple alsacien auquel appartient l’Hôtel de France,

le troisième lieu de travail de Barnabas, sont aussi à considérer comme commerçants, puisqu’ils hébergent les Occidentaux intéressés par la découverte des cultures africaines. Au commerçant il faut joindre les administrateurs comme M. Gruchet, l’hystérique2

ingénieur qui offre à notre personnage son deuxième emploi, soit d’assurer la charge de répétiteur de la fille des Gruchet, en remplacement d’un curé que l’inspecteur a congédié. M. Dansette, le préposé au siège du Gouvernement, qui, dans sa « bovine obstination »3 décourage les aspirations de Barnabas, représente également l’administration. Enfin, les autres personnages blancs sont représentés par des gens d’église. Le portrait qu’Oyono dresse de ces Européens, pris individuellement ou encore dans leur relation, entre eux ou avec les Africains, est loin d’être enchanteur. Si les commerçants sont simplement représentés sous les aspects de la cupidité et de la vénalité, la représentation d’autres

1 F. Oyono, Chemin d’Europe, op. cit., p. 148. 2 Ibid., p. 25.

152 personnages repérés se présente comme un retour des préjugés couramment attribués aux Africains dans l’imaginaire collectif occidental. Les épouses Gruchet et Hébrard ainsi font figure d’épouses délaissées et aigries. Voici par exemple le portrait que Barnabas dresse de Mme Hébrard :

Elle s’insurgeait grossièrement à chaque instant contre sa destinée, ironique, de vieille tenancière de bar de la brousse, elle qui, vingt et un ans auparavant, n’y était venue avec son mari que pour y passer un certain temps : celui nécessaire pour s’investir de tout ce qu’il fallait pour qu’elle devînt une grande dame […] Mais le temps avait passé et Mme Hébrard, qui n’avait supporté de vivre dans ce maudit pays que dans l’espoir de devenir une grande dame en Europe, s’était enfin aperçue, à cet âge où ni le miroir ni les hommes ne lui donnaient plus d’illusions, […] que le climat, l’alcool, les fausses couches, les maladies, tous ses maux coloniaux, par une cruelle et machiavélique alchimie étaient en train de la transformer en une sorte de négresse ocre, bien qu’elle s’en défendît à tort et à travers, à son insu, en humiliant, vilipendant ses authentiques consœurs butinant autour de son établissement.1

Les transformations évoquées ici s’apparentent à une sorte d’abrutissement du personnage, qui, privé de loisirs se rabat sur la collection de « ces abêtissants magazines féminins auxquels elle avait souscrit un abonnement qu’elle renouvelait avec enthousiasme chaque année. »2 La condition de Madame Gruchet, n’est pas non plus

enviable : « Mme Gruchet, petite bourgeoise dévote, certainement épousée vierge et envoûtée par la sacro-sainte autorité maritale, ne pouvait se permettre de contrarier son seigneur et maître qui m’avait engagé malgré elle. »3 Le trait dominant de ces deux épouses est incontestablement leur solitude et leur abandon par des époux volages et si M. Hébrard, bien que faisant chambre à part avec son épouse ne se limite qu’à deux liaisons au quartier européen, Gruchet quant à lui établit sa cour dans le quartier indigène où il alterne les maîtresses : « Il trottait à cheval au quartier noir où l’on reconnaissait un peu partout ses bâtards café au lait et ses pyjamas de soie en train de sécher. »4 Dans ce

contexte, il faut d’abord situer la naissance des écritures africaines de voyage dans le sillage d’une politique de l’empire. Le contexte d’énonciation ou la scénographie que

1 Ibid., pp. 114-115. 2 Idem.

3 Ibid., p. 42. 4 Ibid., p. 41.

153 mettent en place ces textes rejoint la problématique soulignée par Bernard Mouralis dans son livre République et Colonies lorsqu’il écrit :

À la différence de la colonisation fondée sur l’esclavage, le système qui se met en place à partir de la deuxième moitié du XXe siècle ne se limite pas au contrôle des

territoires. Son action vise encore à les connaître et l’on se souviendra que les conquêtes opérées à cette époque s’accompagnent dès le début, d’une importante production de textes à visée scientifique et d’un souci d’inventorier, notamment à travers un travail ethnographique et muséographique, les civilisations africaines […] Parallèlement à la constitution de cette science africaine, s’est opérée une découverte, par les Africains, du monde européen. Celle-ci a été rendue possible en particulier par le contact entre Africains et Européens en Afrique même, dans le cadre de la relation coloniale, à travers les métiers suscités par le système (fonctionnaires, employés de commerce, responsable politiques, etc.) ainsi que par la scolarisation qui a proposé un certain nombre de modèles culturels nouveaux. À cela s’est ajoutée l’incidence des diverses formes de voyages que les Africains, depuis le début du siècle, ont effectués en Europe, comme soldats, travailleurs ou étudiants.1 De ce point de vue, le roman Chemin d’Europe peut se lire comme la version locale des représentations ébauchées, à l’échelle de la métropole, par Tanoé Bertin, le voyageur-narrateur du roman Un Nègre à Paris de Bernard Dadié. Les deux romanciers s’attachent à déconstruire certains préjugés en dépeignant des personnages occidentaux dont la condition humaine n’est pas nécessairement meilleure que celle du colonisé. Le voyageur mis en scène dans Un Nègre à Paris ironise ainsi sur les prétentions de supériorité du Parisien ou de la Parisienne pour ramener le colonisateur à ce qu’il a de commun avec le colonisé, la condition humaine : « Il a beau être brun, blond, le Parisien, en tant qu’homme nous ressemble par beaucoup de côtés. »2 Ainsi, comme le colonisé, le

Parisien cultive l’affection envers sa famille : « Et lorsque je vois un père tenir son enfant par la main, lui sourire en racontant des histoires, je dis, "mais ils se conduisent comme des Nègres" ; ils sont comme nous ! ils aiment aussi les enfants. »3 Le Parisien, à l’instar du colonisé, est aussi empreint de superstition, puisqu’il s’astreint à brûler d’importantes quantités de cierges autour des statues de ses saints pour en appeler à leur aide ; ou encore à toucher du bois pour conjurer le mauvais sort en souvenir « de l’époque

1 B. Mouralis, République et Colonies, op. cit.pp.37-39. 2 B. Dadié, Un Nègre à Paris, op. cit., p. 89.

154 lointaine où ses ancêtres adoraient un arbre, le gui. »1 La civilisation occidentale, au

regard de la description que Tanoé Bertin fait du Parisien, se réduit à un tissus de contradictions. Celles-ci sont inhérentes à la vie de tous les jours comme à la tradition écrite ou encore au niveau des institutions. Ainsi, le Parisien, qui a pour totem le coq, détruit ce pacte pour des besoins alimentaires :

Ce peuple qui a en principe pour totem le coq, en fait ici une hécatombe effroyable. Partout au long des boulevards sont des rôtisseries, où l’on aperçoit sur broche des poulets bien dorés. Lorsqu’on voit ces poulets tourner en chantant sur le feu, on a beau l’avoir pour totem, l’envie d’en manger devient la plus forte et l’emporte.2

Dans le même registre, le pommier inscrit, par la coutume, à l’origine de la chute de l’humanité pécheresse, est un fruit particulièrement délectable pour le Parisien. Celui- ci en outre n’aime pas le diable, mais ne s’avise pas non plus de jouer à l’ange, puisque « qui veut faire l’ange fait la bête. »

Sur le plan de la mémoire, la contradiction est décelable à travers notamment l’existence de plusieurs versions sur les grands récits comme celui de la prise de la