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Représentations disciplinaires du FLE des enseignants et des responsables administratifs

5.1 Représentations disciplinaires du FLE chez les enseignants

5.1.2 Constitution de la discipline FLE

Les professeures ont su distinguer la formation en licence et celle en master et elles ont indiqué la constitution disciplinaire du FLE dans les deux phases.

Selon les cinq enseignantes interrogées, au niveau de la licence, la discipline FLE a pour contenu principal la langue, la culture franco-francophone ou la littérature française. Elles considèrent la langue-culture comme un ensemble et le noyau disciplinaire du FLE en licence à une nuance près en ce qui concerne l’importance de chaque composante.

Lors de mes quatre années d’études en licence, je n’ai appris qu’une langue – le français. La littérature, on n’avait qu’une matière sur l’histoire de la littérature française et l’apprenait très peu et très superficiellement. [...] Je n’ai rien fait dans ce domaine, sauf la lecture de certains romans. [...] Aujourd’hui, je ne crois pas qu’il y a un changement radical. Ce qui distingue les spécialistes de FLE des étudiants d’autres disciplines, c’est la maîtrise de la langue française. D’ailleurs, la culture ne s’écarte jamais de la langue. En apprenant le français, vous acquérez plus ou moins des connaissances culturelles sur la France. (Ens 5)

Il faut que les étudiants apprennent à parler correctement le français et puis qu’ils aient une connaissance de base sur la culture et la littérature française au bout de 4 ans. Pour un étudiant en licence, c’est déjà pas mal de maîtriser les compétences linguistiques. [...] Le français général est donc la matière la plus importante de notre discipline, c’est le cours le plus élémentaire qui permet d’améliorer les

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compétences linguistiques, puis la traduction-interprétation. Enfin, puisque notre discipline est intitulée « langue et littérature française », il faut avoir une orientation littéraire, mais d’après moi, ce que les étudiants apprennent en cours de littérature française en licence, ce ne sont que des connaissances superficielles.

(Ens 3)

Ce qui est indispensable dans notre discipline ? N’ai-je pas besoin de répéter l’importance des quatre compétences ? En effet, les étudiants ne sont toujours pas à la hauteur d’une maîtrise parfaite. [...] Par apprentissage du français, on se rend compte du système linguistique d’une langue occidentale, de sa logique. [...] En effet, la langue chinoise est aussi reliée aux manières de penser des Chinois. (Ens 4)

Après avoir comparé la formation au FLE d’hier et celle d’aujourd’hui, l’enseignante 5 a affirmé la position centrale de la langue française (les connaissances et les compétences linguistiques) au sein de la discipline FLE. parce qu’elle est la plus élémentaire dans l’E/A du FLE et fait distinguer les spécialistes de FLE. Pour elle, la culture est aussi partie prenante du contenu disciplinaire du FLE, mais à une préoccupation moindre.

L’enseignante 3 est du même avis que l’enseignante 5 sur la place clée de la langue dans la discipline FLE. Pourtant, bien qu’elle trouve peu approfondie la formation à orientation littéraire au niveau de la licence, à ses yeux, la discipline FLE resterait lacunaire sans enseignement de la littérature française.

Ce qui différencie l’enseignante 4 de ses deux homologues, c’est qu’elle identifie la langue à la culture. Pour elle, la langue n’est plus un outil avec lequel on a accès à la culture, mais est aussi une culture.

À part des enseignantes 3 et 5, les trois autres ont insisté à maintes reprises sur le poids de la langue-culture dans la discipline FLE et ont souligné que l’appropriation de celle-ci aide au développement des étudiants en compétences communicatives, interculturelles ou encore des recherches scientifiques.

Quand ils sortent de RUC, les étudiants ne devraient pas faire perdre la face à notre université en termes du niveau du français, il faut avoir d’excellentes compétences linguistiques. […] Mais sans savoirs culturels, l’apprentissage d’une langue serait fastidieux, les apprenants seraient comme une machine. Il faut associer étroitement la langue et la culture dans l’E/A du FLE. (Ens 2)

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Je reste toujours traditionnelle en ce qui concerne la constitution de la discipline FLE. La discipline FLE est une spécialité qui offre un enseignement du français et de la culture française. Il faut absolument avoir des cours de littérature, mais la littérature ne représente pas la totalité de la culture. L’intitulé de notre discipline, la langue et la littérature française, est une appellation démodée. Par conséquent, il y a deux piliers des savoirs disciplinaires pour moi : l’un concernant la langue, l’autre concernant la culture : la connaissance des comportements et des manières de penser des Français. (Ens 1)

Il faut avoir un esprit ouvert pour accepter les pensées des autres, et réfléchir du point de vue des Français. […] La connaissance des étudiants ne saurait pas s’arrêter aux savoirs culturels, qui sont d’ailleurs ce qui nos professeures pourraient enseigner, mais il vaut mieux qu’ils saisissent ce qui est derrière, est plus profond à travers l’apprentissage du français et de la littérature française. [...] On pourrait aussi intégrer des concepts clés tels que la laïcité, la religion, la séparation des pouvoirs dans les cours d’histoire, d’art ou encore de littérature. (Ens 4)

L’enseignante 2 a attribué la même importance à la langue et la culture au sein de la discipline FLE tout en soulignant leur rôle de « piliers » dans la discipline FLE.

L’enseignante 1 a réaffirmé la langue-culture comme essence disciplinaire du FLE pour déterminer les compétences linguistiques et (inter)culturelles, aptitudes centrales des spécialistes du FLE. Par rapport à l’enseignante 3 qui a divisé le contenu du FLE en deux parties distinctes - la langue et la littérature, l’enseignante 1 considère que la littérature est partie prenante de la culture qui est à son tour fondamentale du noyau dur de la discipline FLE. Une autre différence entre les professeurs et les étudiants porte sur les relations entre la langue et la culture françaises.

Il en est de même pour l’enseignante 4 qui a argumenté « l’indivisibilité » de la culture-littérature en mettant l’accent sur la découverte, la compréhension des concepts culturels clés, les échanges des cultures sino-françaises et la prise de conscience interculturelle des étudiants par l’intermédiaire de l’E/A de la littérature française.

Au niveau du master, les enseignantes s’accordent à dire que la discipline FLE est une discipline autonome qui a pour domaines d’études la littérature, les sciences du langage, la traductologie et que les domaines de sciences sociales sont exclus de la discipline FLE.

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On approfondira les études en littérature, linguistique, didactique ou traductologie en master ou doctorat. Notre discipline ne serait pas complète sans ces domaines, mais l’économie ou le droit, c’est loin de notre discipline, ce n’est pas indispensable. (Ens 3)

Les connaissances d’autres disciplines, on peut les procurer par d’autres voies, en chinois par exemple. (Ens 5)

L’enseignante 2 a pourtant proposé de construire le FLE dans la perspective interdisciplinaire voire transdisciplinaire en y intégrant les savoirs de plusieurs disciplines. Le développement disciplinaire du FLE fait appel à un ensemble transversal au lieu des domaines cloisonnés et séparés.

Il faut apprendre non seulement la langue et la culture française, mais aussi d’autres disciplines de sciences humaines et sociales telles que la philosophie, l’anthropologie, la sociologie, sinon, les recherches littéraires ne seraient vagues, peu profondes, privées de dimension idéologique, c’est-à-dire que notre discipline nécessite un « mariage » des connaissances spécialisées (langue et culture françaises), générales et d’autres disciplines. (Ens 2)

Ainsi, la discipline FLE est structurée d’une manière générale par les professeures à deux échelons : langue-culture française en tant que formation élémentaire du FLE et études littéraires, linguistiques et traductologiques en tant que formation disciplinaire. Il est à noter que certaines professeures pensent que la construction disciplinaire du FLE finira pas devenir une discipline de la recherche scientifique touchant à des domaines transversaux de sciences humaines.

5.1.3 Le statut disciplinaire du FLE

Ce que les cinq enseignantes pensent de la vocation disciplinaire du FLE révèle qu’elles sont différentes au sujet du statut disciplinaire du FLE. Les unes (cf. 5.1.1 Ens 3, Ens 5) trouvent que le FLE est une discipline d’application parce que « la langue est un outil »; les autres (cf. 5.1.1 Ens 4) pensent au contraire que le FLE est une discipline qui « répond le mieux aux finalités de l’éducation supérieure pour développer la personnalité indépendante et les pensées indépendantes ». À ce sujet,

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l’enseignante 1 qui est directrice du Département de français nous a fait part des considérations personnelles suivantes :

Notre discipline, au niveau de la licence, reste une discipline axée sur la pratique et l’application. Nous pouvons donner des cours sur la littérature ou la linguistique afin de stimuler l’intérêt des étudiants pour la recherche pour que nos étudiants souhaitent continuer leurs recherches en littérature, linguistique ou traductologie en master. Mais à la différence des étudiants de la discipline de l’anglais qui commencent leurs études universitaires avec une bonne base en anglais, nos étudiants débutent leur apprentissage du français à partir du zéro. Être capable de communiquer avec les Francophones, c’est déjà pas mal après des études universtaires en quatre ans. Si l’on formait les étudiants capables de faire des recherches mais incapables de parler le français, ce serait aller à l’encontre de nos objectifs de formation. […] Pour moi, il faut trois étapes (pour bien maîtriser la discipline FLE) : tout d’abord, jeter une bonne base linguistique, puis s’informer et comprendre les manières de penser et d’agir, la vision du monde des Français et des Francophones à travers la langue, et enfin, échanger des pensées et des cultures avec la langue. (Ens 1)

Ici, madame la directrice a en fait relevé les particularités du FLE dans les différents niveaux d’études. Selon elle, en licence, comme le français n’est pas la première langue étrangère enseignée en Chine et que les étudiants ne connaissent pas un seul mot français avant de venir à RUC, on débute les études du FLE par l’apprentissage de la langue française. Selon elle également, la maîtrise du français en 4 années n’est pas un objectif facile à atteindre47, c’est pourquoi en licence, pour les étudiants comme pour les enseignants, il faut travailler prioritairement et principalement sur le FLE dans ses aspects linguistiques et communicatifs, ce qui explique partiellement le retard des étudiants dans les études disciplinaires ainsi que l’ignorance de sa valeur culturelle et scientifique de la part des étudiants, car les spécialistes (masters, docteurs, même les professeurs) de FLE sont moins

« expérimentés » dans les études disciplinaires, bien qu’elle ne manque pas de souligner la vocation culturelle et scientifique de la discipline FLE.

Ensuite, l’enseignante 1 s’est vivement opposée à la formation à « compétences composées », tendance courante de la construction disciplinaire des langues

47 Les autres professeures en étaient aussi d’accord.

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étrangères en Chine.

Je suis contre une idée très courante en milieu des LE ainsi que dans la société chinoise, c’est-à-dire la généralisation du concept formation à « compétences composées ». [...] Je pense qu’il faut avoir des établissements supérieurs qui consacrent à la langue et la littérature françaises. Il me semble que la formation à compétences composées ne ressemble à rien. Le français des affaires, le français du tourisme, le français de droit, le français sur objectifs scientifique et technologique ? Au fond, ce sont des cours centrés sur les connaissances linguistiques. Dans ces cours, l’enseignant présente tout simplement les terminologies, mais il ne comprend pas vraiment le domaine. [...] Si l’on fixe comme objectif la formation à compétences composées, l’on se méprise, on s’insulte, on dévalorise notre discipline. Il faut absolument avoir des départements qui s’attachent aux études linguistiques et littéraires. […] Actuellement, tout le monde parle des compétences composées, alors que personne n’affirme fermement qu’il souhaite développer une discipline centrée sur la langue et la littérature françaises. On se traite comme outil des autres, subconsciemment on se croit inférieur aux autres disciplines, on manque d’auto-identification comme professionnel ou spécialiste du FLE. (Ens 1)

Il en ressort trois argumentations de l’enseignante 1 à l’encontre du modèle de formation « à compétences composées » :

Premièrement, la formation à « compétences composées » traduit la conception instrumentaliste de la langue, c’est-à-dire que la langue n’est qu’un outil de communication au service des échanges économiques, politiques, culturels, etc. Par contre, les philosophes ont beaucoup argumenté les relations entre la langue et les pensées, le langage et l’être, le langage et la cognition, le langage et l’agir social, etc.

Deuxièmement, le modèle de l’E/A à « compétences composées » a pour hypothèse que la formation disciplinaire du FLE s’identifie à l’E/A du français. Si l’on pratique la formation à « compétences composées » au sein d’un établissement d’enseignement supérieur des LE, c’est parce qu’on s’attache trop à sa nature de discipline appliquée et ignore ses visés éducative et scientifique.

Troisièmement, dans la perspective de la formation à « compétences composées », la discipline FLE se tiendrait trop facilement pour une discipline de service, dépendant d’autres disciplines. L’image disciplinaire du FLE est par conséquent rabaissée et son rôle minimisé.

Elle s’en est tenue à une discipline du FLE consacrée aux études de la

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langue-culture française, parce que cette discipline a pour statut aussi noble et autonome que d’autres disciplines de sciences sociales et humaines à RUC pour ses valeurs à la fois pratiques, éducatives et scientifiques.

Enfin, aux yeux de l’enseignante 1, le fait que la discipline FLE est statutairement mal placée à RUC comme dans le reste du milieu supérieur des LE en Chine constitue d’ores et déjà un obstacle au développement sain et durable de cette discipline en Chine.

Les étudiants sont démotivés parce qu’ils ne sont pas capables de se repérer : tout le monde veut faire une spécialité noble qui englobe un peu de tout. Dans ce cas-là, les étudiants n’apprennent pas bien leur discipline et les enseignants ne savent pas quoi et comment enseigner. (Ens 1)

La démotivation des étudiants s’explique par le statut contradictoire de la discipline FLE. Réduire une discipline telle que le FLE à une position de service conduit à perdre facilement et vite ses étudiants qui croient avoir perdu leur identité disciplinaire. Une telle situation finira par perturber l’enseignement normal des enseignants.

À part la définition de la discipline humaniste, l’enseignante 2 a introduit ci-dessus (cf. 5.1.2), consciemment ou inconsciemment, la notion

« interdisciplinarité » dans la discipline FLE. Elle est d’avis que la recherche du FLE se perfectionnerait si la discipline FLE était interdisciplinaire.

En résumé, nous sommes en position de dire que même les enseignantes réagissent différemment quant à la détermination du statut disciplinaire du FLE, l’avis est cependant très partagé pour reconnaître l’autonomie de la discipline FLE. D’après elles, la discipline FLE possède des contenus et des particularités disciplinaires indéniables. Ce sont, entre autres, le savoir normatif (à savoir les connaissances linguistiques et culturelles), le savoir-faire professionnel (qui permet l’insertion professionnelle), mais également et surtout le développement et l’éducation des apprenants en vue de favoriser l’épanouissement de la personnalité, de renforcer la responsabilité citoyenne, de les rendre conscients de l’interculturalité et de la nouvelle vision du monde. Ainsi, l’enseignante 4 a bien conclu que la discipline FLE est

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structurée et positionnée à la fois autour d’« utilité » et de « spiritualité ».

La discipline FLE, tout comme la littérature chinoise ou l’histoire, est une discipline humaniste qui ne sert pas grand-chose dans la vie réelle. Oui, la traduction-interprétation est très utile. Mais comme la littérature, notre discipline offre en effet une vision, pas seulement un outil. Elle fournit donc plus de voies aux étudiants. Notre discipline intègre en même temps les concepts « utilité » et

« spiritualité ». (Ens 4)

5.2 Représentations des responsables d’administration : modèles de construction

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