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Chapitre 2 : De la gestion des compétences au KM en PME de hautes technologies

2  De la gestion des compétences  au KM

2.3  Connaissance, connaissance tacite, connaissance explicite en milieu innovant

 

La question des différents types de connaissance semble diviser la littérature. Spender et Marr (2005) vont au-delà de ces notions en démontrant que la donnée et le sens peuvent être séparés en deux types de sources. L’un est inhérent au phénomène, l’autre contribué par la connaissance. Le premier est basé sur l’expérience et l’autre sur l’exercice de la raison. Ils expliquent que cette notion a également été approchée par la distinction sémantique entre le langage ou le symbole et l’idée qui s’y réfère. Selon les auteurs cette distinction renvoie directement aux travaux de Polanyi (1958 ; 1962) sur la distinction entre la connaissance tacite et explicite adoptant ainsi un parallèle avec la donnée et la signification ce qui représente un double enjeu de gestion pour le manager.

Selon Polanyi (1958 ; 1962) la différence entre explicite et tacite reflète les dimensions humaines de la connaissance située dans deux type d’espace. L’explicite ou la connaissance codifié se réfère aux connaissances transmissibles de manière formelle et par le langage systématique. Le tacite est profondément ancré dans l’action et Polanyi va même jusqu’à dire que « c’est entrer dans la connaissance compréhensible de l’esprit et du corps humain ». La donnée s’apparente alors à la dimension explicite communicable par le langage tandis que la dimension tacite est la source de la signification. Ainsi les enjeux du management serait de rendre explicite le tacite pour le rendre sous le contrôle de la firme alors que des auteurs tel Nonaka et Takeuchi (1995) pensent davantage à structurer les interactions contrôlées entre les parties explicites et tacites de l’entreprise pour les faire grandir ensemble. Dans une approche dynamique de la connaissance, nous préférons le concept développé par Nonaka et Takeuchi (1995), bien qu’ils aient développé ce concept dans un milieu différent de notre champ d’étude.

Nonaka et Takeuchi (1995) font de l’interaction tacite et explicite un mode d’apprentissage central de leur théorie de la création de connaissance organisationnelle. L’origine de la connaissance vient de l’intuition individuelle. Ils se concentrent néanmoins sur la transformation et la communication de ce qui est connu tacitement par les individus. Ils

expliquent en fait que les individus apprennent ce que l’autre a découvert. Nonaka ne revient pas sur les travaux de Polanyi qui inscrit le concept du tacite dans un contexte philosophique mais cherche à l’intégrer dans une dimension pratique. Pour lui, le tacite inclut donc un ensemble d’éléments cognitif et technique. Les éléments cognitifs sont centrés sur ce que Johnson et Laird (1983) appellent le « modèle mental » dans lequel les êtres humains forment leurs modèles de travail par la création et la manipulation des analogies de leurs esprits. Ces modèles incluent les schèmes, paradigmes et croyances qui aident l’individu à percevoir et définir son monde. A l’inverse l’élément technique de la connaissance couvre les savoirs faires et autres compétences développées dans un contexte spécifique. Nonaka parle alors de process de mobilisation comme la clef de la création de connaissances nouvelles.

La connaissance tacite est une activité continue d’apprentissage et d’encastrement que Bateson (1973) appelle, une qualité « analogue ». Dans cette perspective Nonaka (1994) précise que la communication entre les individus doit être un process analogue qui vise à partager la connaissance tacite pour construire une compréhension mutuelle. A l’inverse la connaissance explicite est discrète ou numérisée. Elle est en fait capturée dans les enregistrements archivés (livre database…) pour être activée séquentiellement.

Polanyi (1958 ; 1962) précise que la connaissance tacite est encastrée dans l’action et qu’il ne suffit pas d’expliciter la performance pour en déterminer l’aspect tacite. Elle apparaît davantage comme un puzzle avec le monde dans lequel l’action se situe. L’argument de Polanyi réside dans l’idée que « nous pouvons savoir des choses que nous ne pouvons pas exprimer ». Le tacite est défini parfois comme impossible à communiquer mais permet de donner un sens à la dimension explicite. En effet les connaissances explicites nécessitent d’être tacitement comprises. Les connaissances sont soit tacites soit enracinées dans des connaissances tacites suggérant alors qu’il n’existe pas une dichotomie tacite et explicite (Inkpen et Dimur, 1998).

Spender (1994) explique cependant que ces deux types de connaissance peuvent être mobilisés selon deux vocations différentes. La première consiste à utiliser la connaissance dans l’acquisition de données, et la seconde dans la façon logique et rigoureuse de les traiter. Il définit alors la science comme un process de création de connaissances par l’interaction de ces deux éléments. Mais cette méthode découverte perd son appui aussitôt que nous arrêtons de supposer que les données sont un message non problématique de la réalité.

Au préalable, la façon d’opérationnaliser la relation entre le rationalisme et l’empirisme de James (1950) argumentait la perception de la connaissance humaine selon deux types : la

connaissance de (Knowledge about), et la connaissance directe (knowledge acquaintance). Ces deux types de connaissance correspondent aux expressions « en théorie » et « le sens commun de la pratique » ou encore dans une distinction entre savoir et connaître. Mais James (1950) argumente alors que l’interaction des deux types de connaissance est la notion pragmatique des sciences. L’expérience produit alors la connaissance directe. Le « Knowledge about » apparait comme le résultat systématique qui élimine la contingence subjective et contextuelle de l’expérience qui est le principe même du lien avec le « Knowledge acquaintance » prônant ainsi la science comme un process de purification. Si la position de James (1950) au sujet de la science semble un peu radicale, elle a néanmoins pour mérite d’être précurseur dans sa manière de concevoir plusieurs types de connaissances, même si les relations entre ceux-ci ne sont pas claires. Elle a également permis de recadrer le positionnement de la firme comme un mode particulier de gouvernance favorisant la croissance de la connaissance et soutenant la théorie d’une connaissance organisationnelle. Néanmoins nous ne souhaitons pas rester sur cette perception de la firme et de la connaissance et préférons nous rapprocher de la distinction faite par Polanyi car elle nous permet de disposer d’un caractère plus dynamique et continu de la gestion de la connaissance et attribue à la firme un aspect structurant.

Dans cette partie, nous avons démontré le relâchement du concept de gestion des compétences au profit d’une gestion des connaissances davantage appropriée en contexte des PME de hautes technologies. La connaissance apparaît au centre du soutien à l’innovation. Nous avons défini la connaissance en articulant les notions de connaissance tacite et de connaissance explicite en montrant leur interdépendance et leur complémentarité dans l’action d’innovation et l’apprentissage organisationnel. Ce travail s’est constitué sur la base d’une littérature de référence en gestion des connaissances tel que Nonaka et Takeuchi ou encore Polanyi. Mais elle présente une limite importante pour notre travail. Ces auteurs n’ont pas appréhendé le concept de gestion des connaissances dans des modèles de PME de hautes technologies et sont pour la plupart restés dans les grandes entreprises innovantes. Il nous faut alors à présent chercher à comprendre la notion de KM en PME.

Ce que nous retenons de cette partie

 Le glissement de la gestion des compétences vers une gestion des connaissances en milieu innovant

 Le positionnement central de la connaissance dans l’innovation et la complémentarité connaissance tacite et explicite

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