• Aucun résultat trouvé

La politique de l’Empire russe par rapport à l’islam au Kazakhstan, d’un côté, s’est définie par ses objectifs, et, de l’autre, par les spécificités de l’islam chez les Kazakhs. La colonisation graduelle des grands espaces du Kazakhstan et la faible connaissance de la culture du peuple ont fait que la politique religieuse menée par la Russie était assez délicate à mettre en œuvre. Elle a renoncé à l’idée de persécuter les institutions islamiques et à son but d’éradiquer cette religion.

Dans la première moitié du XIXème siècle, la Russie soutient l’islam. Cela se manifeste par l’envoi des mollahs tatars dans la steppe, la construction des mosquées à la charge du fisc. Mais ces mesures-là ne représentaient pas vraiment un soutien, car d’autres objectifs étaient poursuivis. Par le biais de l’islam et de ses institutions, le gouvernement a essayé de gagner les Kazakhs à sa cause, pour bien établir le protectorat russe et s’assurer de leur résignation religieuse. C’est la raison pour laquelle seuls des mollahs loyaux à l’Empire étaient envoyés. De plus, la Russie a toujours conservé la perspective d’une christianisation, en considérant les nomades plus comme des païens que des musulmans.

L’utilisation des Tatars dans la régulation des relations avec les Kazakhs en tant que mollahs, instituteurs, interprètes et intermédiaires dans les affaires commerciales a amené à l’augmentation de leur influence sur les Kazakhs. Les résultats obtenus se sont donc avérés contraires aux buts de la Russie, car au lieu de se rapprocher de la culture russe et de s’intégrer à l’Empire, les Kazakhs, à partir du milieu du XIXème siècle, commencent à s’intéresser davantage à l’islam. Ce phénomène a été expliqué par les administrateurs russes comme la conséquence de l’impact des Tatars, la tatarisation de la steppe, ce qui était analogue à l’islamisation.

De ce fait, à partir du milieu du XIXème siècle, la politique de la Russie vis-à-vis de l’islam change, en choisissant de limiter l’influence de cette religion sur les Kazakhs. La lutte contre la tatarisation, considérée comme la cause de l’islamisation, commence. Une série de mesures sont prises pour empêcher cette influence : le tatar est remplacé par le kazakh dans les écritures, l’alphabet cyrillique est utilisé au lieu de l’arabe, les interprètes tatars sont écartés par leurs collègues kazakhs qui ont terminé les écoles russes ou par des Russes

connaissant le kazakh familier. Toutes les écoles ministérielles (russo-kazakhes), les mektebs et medreses sont transférées sous la compétence du Ministère de l’instruction populaire. Le système éducatif des allogènes, élaboré par le missionnaire et l’éclaireur connu Ilminsky, est appliqué. Ce système est basé sur l’éducation primaire dans les langues autochtones.

Admettant l’islam comme une religion uniquement tolérée dans l’Empire, la Russie ne voulait pas son renforcement. Cela se reflète dans un document historique comme les « Règles temporaires » de 1867-1868. Elles essayent de restreindre le nombre des mollahs et des mosquées jusqu’à un seul sur un volost. La rémunération des mollahs, la construction des édifices de culte et leur entretien était à la charge de la communauté. Les mollahs devaient être choisis dans le milieu kazakh. Pour affaiblir leur influence sur la population, les autorités ont cherché à miner leur autorité en transférant la tenue des registres aux chefs des villages. A la fin du XIXème siècle, les mollahs pour avoir un poste, devaient parler le russe. En ce qui concerne les mollahs influents et actifs, ils étaient déportés en Sibérie. Les restrictions ont touché des questions comme l’ouverture des mektebs, le hajj, le waqfs au Turkestan, sur le reste du territoire ils étaient interdits dès le début.

La Direction spirituelle - l’Assemblée - était conçue par les pouvoirs russes comme un facteur de consolidation. Pour cette raison, les Kazakhs des régions steppiques ont été retirés de sa compétence selon les réformes des années 1860. Quant au Turkestan, il ne dépendait d’aucune Direction religieuse existante en Russie. C’est au début du XXème siècle que la question du morcellement des Directions religieuses a été mise à l’étude.

Ni la politique de christianisation, ni celle de la russification n’ont donné de fruits. Cela n’est pas dû à la divergence entre le christianisme et l’islam au niveau des rites, ni à l’orientation idéologique des écoles russo-kazakhes, et ni à l’activité des Tatars, mais au développement intérieur des Kazakhs. Sous l’influence de certains facteurs économiques et politiques, la conscience des nomades a évolué ainsi que leur identification en tant que peuple désirant avoir ses propres organes religieux à égalité avec d’autres confessions.

La politique limitatrice du tsarisme n’a pas donné les résultats souhaités car la Russie ne pouvait pas mettre en place autant de contrôle dû aux frais que cela engendrait. Les administrateurs de la région ne pouvaient pas exercer un contrôle strict sur les institutions musulmanes. En plus, il n’y avait pas d’avis commun parmi les représentants des pouvoirs : les uns étaient pour le durcissement du contrôle, les autres contre tout contrôle. Il est évident que les administrateurs du Kazakhstan agissaient de la façon dont ils comprenaient la question. Le gouvernement russe ne pouvait pas ne pas prendre en considération son environnement musulman extérieur. Pour cette raison il ne menait pas les mesures radicales

envers les musulmans de la Russie intérieure par peur de la réaction négative des pays musulmans.

Concernant l’islam « kazakh », la Russie soutenait les traditions populaires qui n’étaient pas liées à l’islam, en motivant ses décisions par l’absence de telle ou telle règle auparavant. Cela a touché la prestation du serment dans la mosquée dans la présence du mollah, l’organisation de la direction religieuse, l’examen des affaires familiales, nuptiales, etc., selon la charia. Mais les autorités russes ne reconnaissaient pas non plus le soufisme malgré son côté populaire. Ils voyaient la force et la vivacité du soufisme et le considéraient comme un phénomène qui n’avait rien à voir avec les buts russes dans la région.

Pour l’Empire russe, il était typique de constituer la religion dominante - l’orthodoxie - en un organe étatique sous le contrôle du tsar. De la même manière se construisaient les rapports avec d’autres religions tolérées dans l’Empire. Les Directions spirituelles se trouvaient sous la compétence du département des affaires spirituelles de la confession étrangère au sein du Ministère des affaires intérieures. Ce département était chargé de désigner les religieux, de les destituer, de définir leur rémunération et leurs congés, d’exercer un contrôle sur l’activité des Directions religieuses.

L’ASMO n’avait qu’un impact moindre sur les Kazakhs, il était limité à l’épreuve de

connaissances de la foi que devaient subir les mollahs et à leur nomination.

Après le retrait des Kazakhs de la direction de l’Assemblée, toute la vie spirituelle des régions Torghay, Oral, Aqmola et Semey a été soumise au Ministère des affaires intérieures et sur place aux gouverneurs généraux et militaires, dans la région de Turkestan au ministre de l’armée. Il n’y avait que le khanat de Bökey qui était restée dépendante de l’AMSO. Ce morcellement dans la gestion était caractéristique des pays colonisateurs pour la réalisation de la politique consistant à « diviser pour régner ».

Les projets des directions spirituelles ont été discutés en Russie à plusieurs reprises à la charnière du XIXème et XXème siècles, ce qui était le résultat de la demande de la population du Kazakhstan d’établir un muftiyat afin de gérer toute la vie spirituelle et appliquer le principe de non-intervention des pouvoirs laïques. Pourtant le gouvernement n’a pas pris de décision concrète jusqu’à la révolution de 1917.

En ce qui concerne l’institution économique de l’islam, le waqf, la Russie a empêché

sa création. A l’intérieur de la Russie ainsi qu’au Nord et à l’Ouest du Kazakhstan il n’y avait pas de condition pour sa fondation, et l’Etat l’a interdit au niveau législatif. Cette circonstance a conditionné la faiblesse économique de l’islam en Russie et l’absence de motivation pour créer un Etat théocratique indépendant. Dans la région du Turkestan où les biens de waqf

étaient bien développés avant l’arrivée des Russes, on pouvait donc créer les nouveaux waqfs avec l’autorisation des pouvoirs. Les anciens waqfs ont dû être réenregistrés afin de transférer ceux qui n’avaient pas de documents à l’usage de l’Etat.

Tout en faisant obstacle au renforcement économique de l’islam, le gouvernement utilisait ses institutions pour réaliser sa politique. Il essaya de gagner à sa cause des Kazakhs utilisant les fonctions importantes de la mosquée : idéologiques, éducatives, communicatives. C’est pour cela que le gouvernement russe au XVIIIème et au début du XIXème siècle encouragea la construction des mosquées, désigna les sommes, exigea de l’administration locale qu’elles soient conformes au plan ratifié, essaya de contrôler le nombre de visiteurs. Avec le renforcement de son pouvoir au Kazakhstan, la Russie avait pour objectif de stopper la consolidation des positions de l’islam. C’est ainsi qu’elle a cherché à réglementer le nombre des mosquées, et qu’à l’occasion elle ne donnait pas l’autorisation de construire des édifices de culte ; et la même ligne politique a été observée vis-à-vis d’autres institutions de l’islam : le clergé, les établissements scolaires- mektebs et medreses.

Outline

Documents relatifs