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Alexandre Ier et les affaires religieuses

Deuxième partie L’islam face à l’Empire russe

2.1. L’Empire russe et l’islam au cours de la colonisation des terres kazakhes (XVIIIème siècle-Ière moitié du XIXème siècle)

2.1.3. Alexandre Ier et les affaires religieuses

Alexandre Ier comprenait cette politique de tolérance par l’instauration du contrôle et la gestion des affaires religieuses les concordant aux intérêts de l’Etat. Le Manifeste du 25 juillet 1810 a établi la Direction générale des affaires religieuses des confessions étrangères (DGARCE). C’était la nouvelle étape dans la politique russe concernant les religions. Quelques temps après, le 19 avril 1819, un Département asiatique était crée au sein du Ministère des affaires étrangères s’occupant de la vie des peuples d’Asie centrale.82

Le gouvernement d’Alexandre Ier avait comme objectif principal de sa politique en matière de religion la prévention des conflits à base religieuse. C’est pour cela qu’il planifiait de transmettre les fonctions de réalisation des mesures de la politique religieuse au Ministère des affaires intérieures. La DGARCE qui disposait de beaucoup de responsabilités et devait

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veke, op.cit., p.78

assurer la soumission des religions aux intérêts de l’Etat, a fait partie de ce Ministère en tant que Département des affaires religieuses des confessions étrangères (DARCE) le 2 février 1832.

Pour toutes questions relatives aux affaires religieuses, l’Assemblée devait faire un rapport aux pouvoirs locaux et centraux. Par exemple, toute information sur les mariages et divorces parmi les musulmans devait être transmis à laDGARCE. Elle s’occupait des affaires des églises : catholique, grégorienne arménienne, arménienne catholique et protestante, et aussi des affaires spirituelles des musulmans, juifs et lamaïstes. Si dans la pratique de gestion des organisations confessionnelles, il y avait des questions non prévues par les lois en vigueur, elles pouvaient être réglées sur présentation du ministère par le tsar.

La loi donnait une grande compétence au Département. Elle permettait de congédier les personnes spirituelles dont l’activité était jugée nocive pour l’Etat ; d’exercer une surveillance sur le collège spirituel et les monastères ; de permettre les voyages d’affaire et les congés du clergé, d’instaurer les nouveaux départements ; de gérer la paie des personnes spirituelles sur le budget de l’Etat, d’effectuer un contrôle sur l’utilisation du capital privé des religieux et des moyens laissés aux soins du clergé.

Durant le XIXème siècle, le gouvernement réglait la question de l’élection ou de la nomination du mufti. En 1817, Alexandre Ier signa un oukase sur la fondation du Ministère des affaires spirituelles, où il était défini que le mufti devait être élu par la communauté musulmane. Ce règlement est entré à la Charte du Département des affaires spirituelles des confessions étrangères, ratifiée par Nicolas Ier83. Pourtant ces actes législatifs n’étaient pas mis en application, et les muftis étaient nommés par l’empereur sur la présentation du Ministère des affaires intérieures. C’est seulement en septembre 1889 que le Conseil d’Etat a introduit les modifications correspondantes dans la législation, et la pratique habituelle a pris force de loi84.

D’autres personnes spirituelles étaient désignées par le Ministre des affaires intérieures ou les autorités des gouvernements. Les gouverneurs et les directions des gouvernements, les chefs des districts, et d’autres fonctionnaires devaient exercer une surveillance administrative sur l’activité du clergé des confessions étrangères et sur l’exercice précis des lois et des décrets du gouvernement. La direction des Eglises de toutes les religions était soumise à la charte des affaires spirituelles des confessions étrangères, car ayant prêté serment de

83 L’empereur Nicolas Ier comptait plus sur les méthodes de la police pour réaliser la politique religieuse et

contrôler les musulmans.

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dévouement au tsar et à son héritier, celle-ci devait respecter les droits et les priorités de l’empereur et les lois de l’Etat. Cette norme avait une grande importance car elle se répétait dans tous les chapitres de la charte.

Avec l’oukase du Sénat du 21 septembre 1828 les mollahs dépendants de l’Assemblée

étaient chargés de tenir les registres. La réalisation de cet oukase était rendue difficile dans les terres kazakhes car il n’y avait pas assez de mollahs. Ces registres étaient tenus dans les mosquées des villes.

Lorsque les mollahs ont passé l’examen pour être serviteur du culte officiel (connaissances de la théorie et de la pratique de l’islam), leurs documents étaient envoyés au DARCE. Si le Département ratifiait la candidature, le muftiyat85 d’Orenbourg donnait au mollah une attestation sur l’attribution du titre religieux d’akhoun où était indiqué également le titre pédagogique (mudarris, mughalim). Cela a engendré l’apparition de l’islam officiel et non-officiel dans l’histoire de l’Empire.

Malgré le fait que, dans la « Règlements sur les Kazakhs sibériens », l’entretien des mollahs était à la charge des sultans, on peut voir que ce n’était pas le cas, car qu’ils étaient entretenus par l’Etat. Pour augmenter leurs revenus, les mollahs essayaient de cumuler plusieurs postes en étant à la fois secrétaires, interprètes et mollahs. Par exemple Mahmout Mouhametov, envoyé déjà en 1819 dans les steppes kazakhes à la demande des députés de Grand jüz et du sultan Süyik Abılayxanov, était le muezzin de la mosquée d’Omsk. Il demandait à être nommé secrétaire du sultan.

Etant fonctionnaires d’Etat, les mollahs obtenaient non seulement des appointements

mais recevaient aussi des frais de voyage. Les mollahs exerçant la commande d’Etat prétendaient à une récompense « pour le service et le zèle rendus à l’empereur ».

Un des exemples représentatifs du service des mollahs est le cas de Ghabdesalam Ghabdrahimov qui était l’akhoun de la mosquée d’Orenbourg. Il s’acquittait d’une fonctionde reconnaissance et de diplomatie du gouvernement au Kazakhstan et en Asie centrale. Dans les années 1823-1824 il était le membre de la commission sur la solution des affaires du khanat de Bökey sous la présidence du khan Şerğazı Ayşwaq. Le rapprochement étroit de Ghabdrahimov avec l’élite kazakhe est dû au fait que l’akhoun s’occupait de l’éducation de leurs enfants dans son medrese. Tous les frais pour l’enseignement et le logement des enfants des khans et des chefs kazakhs étaient à la charge de l’Etat russe. En 1825, par l’ordre de l’empereur Alexandre Ier, G. Ghabdrahimov est nommé sur le poste de mufti-représentant de

l’Assemblée. Pour ce service, ce mufti fut récompensé de deux médailles d’or, de deux anneaux de diamant et de la pelisse de zibeline par ordre d’Alexandre et Nicolas Ier. De plus, lui et ses fils ont obtenu le titre de tarkhan86.

Les mollahs du département se trouvaient sous la surveillance de l’administration de

région : s’ils prenaient un congé, ils devaient en avertir le département de la zone, indiquant pour quelle période ils partaient et s’il n’y avait pas de raisons qui l’empêchaient. Le gouvernement russe ne permettait pas au clergé musulman de faire quoi que ce soit sans autorisation, et cherchait aussi à ne pas laisser les croyants de cette zone sans surveillance. Dans le cas d’une absence longue des personnes spirituelles, on leur trouvait un remplaçant. L’administration russe s’adressait à l’aide des mollahs non seulement pour veiller aux intérêts de l’Etat mais aussi pour résoudre des problèmes difficiles liés à l’islam. La direction régionale d’Omsk a reçu une demande d’akhoun du département de Semey Ahmet Mouhametov et d’imam Mouhamedyar Ichmouhametov, où était notifiée l’importance d’expliquer aux Kazakhs les règles du Coran, interdisant le lévirat. Il était indiqué que les Tatars et Ouzbeks suivaient ces règles, tandis que le lévirat dans le milieu kazakh amenait au vol du bétail, ce qui serait puni par Dieu dans l’avenir. Mais pour cette demande l’avis de l’akhoun de la mosquée d’Omsk, très connu en Russie, Mouhamet Charif Abdourahmanov, était réclamé par la direction d’Omsk. Ce dernier, reconnaissant cette mesure comme utile pour les Kazakhs mêmes, avertissait que ce peuple vivait selon ses anciennes coutumes ; c’est pourquoi l’introduction de ce règlement pouvait leur paraître comme une mesure radicale et susceptible de semer le trouble. De ce fait, l’akhoun pensait préférable de le leur conseiller mais pas plus. Quant à l’administration russe, elle était avant tout favorable à la sauvegarde de sécurité dans la steppe mais pas de la pureté de l’islam.

Ce fait-là était la preuve de la vitalité des rites préislamiques dans le milieu kazakh. Et cette circonstance donnait raison aux Tatars et d’autres peuples centrasiatiques d’avoir une attitude dédaigneuse envers les Kazakhs en les appelant kafirs. Ce comportement conduisait aux conflits interethniques, ce qui contribuait à la construction des mosquées nationales et aussi la désignation des mollahs de son milieu, comme c’était souvent le cas en khanat de Bökey.

L’islam ne divisait pas ses disciples selon l’appartenance ethnique. Malgré les demandes des Kazakhs d’avoir un mollah compatriote, l’Assemblée restait neutre.

86 Couche privilégiée de l’élite turque, dans l’Empire russe c’étaient des militaires tatars et bachkirs qui ne

payaient pas d’impôts. Ce titre héréditaire, était donné aux personnes pour leurs mérites diplomatiques ou militaires.

L’administration russe dans les situations conflictuelles adoptait la position des Kazakhs, soutenant plus les coutumes populaires que les rites islamiques.

L’instauration de l’Assemblée a permis aux serviteurs du culte musulman d’obtenir le

statut juridique et c’est seulement le mufti qui détenait certains privilèges. Tous les autres représentants du clergé musulman avaient un bas statut social. Selon la loi, tous leurs droits et devoirs étaient dus à leur fonction, mais ils n’étaient pas héréditaires. De ce fait, ils n’étaient pas exemptés de la taille personnelle et d’autres impôts. Dans ce rapport, le clergé musulman de l’Assemblée d’Orenbourg se différenciait de celui de la Crimée qui a constitué une couche religieuse spéciale et à la base des oukases du 9 décembre 1796 et du 22 mai 1801 obtenait quelques privilèges. Dans l’Etat il y avait une situation inégale pour les différentes confessions qui était fixée juridiquement : la religion dominante – l’orthodoxie – et les religions tolérées. Certaines confessions bénéficiaient de facilités matérielles, d’autres en partie, les dernières n’en avaient pas du tout. Le clergé orthodoxe, par exemple, bénéficiait d’un dégrèvement fiscal, tandis que les personnes du rite sunnite et leurs enfants ne payaient pas de charges uniquement pendant l’occupation de ce poste. Le clergé du district musulman d’Orenbourg (à qui appartenait le Kazakhstan) n’était pas libéré du paiement des impôts, bien que la loi donnât le droit de les prendre sur les visiteurs des mosquées. Pour la violence physique ou l’agression des religieux musulmans la loi prévoyait une punition moins sévère que pour les mêmes actions vis-à-vis des religieux chrétiens. Selon l’oukase du 25 janvier 1822, si le mollah a commis un crime, il était puni par le châtiment corporel tandis que le prêtre était libéré. C’est seulement en février 1850 qu’un oukase a libéré le clergé musulman des punitions. Dans le domaine de la justice, l’ASMO appliquait une sorte de synthèse entre les normes de la charia et la législation russe. Sous la pression des pouvoirs, elle prenait des décisions qui interdisaient aux serviteurs religieux les lois de la charia contradictoires aux lois de l’empire russe. Ces interdictions concernaient principalement le système de punition pour l’infraction des normes de la morale prévu par le droit musulman.

L’inégalité juridique des diverses organisations confessionnelles jouait aussi en ce que la conversion était autorisée à sens unique, à partir des religions tolérées à la dominante. Les personnes classées comme appartenant au christianisme ne pouvaient pas se convertir à l’islam, au judaïsme ou au bouddhisme.

La législation de la Russie tsariste n’autorisait pas le statut d’athée au sein de l’empire, chaque sujet de l’Empire russe, dès sa naissance, appartenait à une des religions existantes par filiation et ce jusqu’à la fin de ses jours, indépendamment de son attitude réelle envers la religion, et était considéré officiellement un adepte de cette religion. C’est pour cela qu’il y

avait une obligation d’exercice des rituels et cérémonies religieux. En 1833 une circulaire spéciale fut éditée qui prescrivait seulement aux musulmans de la Russie de suivre tous les dogmes et les rituels de leur religion. Le non-respect de ces directives entrainait des châtiments corporels, par exemple le gouverneur de la région de Turkestan imposait à la population, en 1865, de respecter toutes les prescriptions de l’islam sous peine de condamnation.

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