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Arrivée au pouvoir de Catherine II et changement de situation

Deuxième partie L’islam face à l’Empire russe

2.1. L’Empire russe et l’islam au cours de la colonisation des terres kazakhes (XVIIIème siècle-Ière moitié du XIXème siècle)

2.1.2. Arrivée au pouvoir de Catherine II et changement de situation

Les bases de la politique religieuse par rapport à la population kazakhe étaient définies par Catherine II qui cherchait à faire de l’Empire russe la protectrice des musulmans et transformer leurs affaires religieuses en un des outils du pouvoir. La politique nationale et religieuse du pouvoir se construisait sur la conception de la mission civilisatrice de la Russie en Asie. La politique des poursuites religieuses et de la christianisation forcée des musulmans caractéristique au XVIème siècle a été remplacé au XVIIIème par la politique de la tolérance religieuse devenue un des principes de la construction de l’Etat.

Une série des facteurs a influencé sur ce changement cardinal. Parmi eux le soulèvement de Pougatchëv, les insurrections des Kazakhs sous la direction de Sırım Datulı et des Tchétchènes avec le cheikh Mansour, les guerres de la Russie avec l’Empire ottomane au XVIIIème siècle et la présence de la population musulmane qui se révoltait à l’intérieur du pays ont fait que la confrontation de l’Etat avec l’islam devenait dangereuse. La tsarine russe a trouvé nécessaire de pousser l’islamisation des nomades car elle croyait que la construction des mosquées allait rapprocher les Kazakhs et l’empire.

Le gouvernement de Catherine II a pris des mesures pour faire de la Russie la protectrice des sujets musulmans et intégrer leurs couches actives dans la structure de l’Etat. Des droits de noblesse ont été donnés aux mourzas67 tatars et chefs bachkirs en 1784 ; selon les lois de 1763 et 1776, les commerçants musulmans (avant tout les Tatars) pouvaient créer des entreprises et même de nouvelles colonies pour les musulmans dans la steppe kazakhe, et avaient des privilèges (allègements d’impôts…) dans le commerce avec les pays orientaux comme le Turkestan, l’Iran, l’Inde et la Chine. En même temps on assiste à une atténuation de l’interdiction de construire des mosquées. Des centres religieux apparaissent comme les bourgs de Seid et Sterlibach, qui ont joué un grand rôle dans l’histoire des musulmans russes

66 Idéologue et leader de soulèvement musulman en 1755-1756, publiciste et mollah, dont le vrai nom est

Ghabdulla Ghaliev

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Le titre aristocratique dans les Etats turcs comme le khanat de Kazan, Astrakhan, Crimée et la Horde de Noghaï

et cela jusqu’à la révolution d’octobre 1917. Les Tatars commerçant en Asie centrale ont eu la possibilité d’envoyer leurs enfants dans les medreses de Boukhara et dans d’autres centres religieux.

En 1773 l’islam obtient un statut officiel avec la publication de la loi « Sur la tolérance de toutes les croyances », qui interdisait au clergé orthodoxe de se mêler aux affaires d’autres confessions. Parmi d’autres réformes il y avait un oukase de Catherine II du 22 septembre

1788 sur l’établissement de l’Assemblée spirituelle musulmane d’Orenbourg68

de laquelle les Kazakhs dépendaient et qui était destinée à contrôler la vie des communautés musulmanes.69

L’oukase reconnaissait officiellement l’islam comme une religion tolérée mais en même temps sévèrement contrôlée. Il a mis la base de la structuration et la bureaucratisation du clergé musulman. C’était un essai de former dans l’empire le clergé musulman officiel selon le principe synodal de l’Eglise orthodoxe avec une hiérarchie claire. C’est le mufti – chef spirituel des musulmans – qui dirigeaient les assemblées. Au haut clergé, appartenaient, à part lui, les akhouns.70 Selon la Charte des affaires spirituelles des confessions étrangères, la désignation sur les postes spirituels pour toutes les organisations confessionnelles tolérées dans l’Empire russe relevait de la compétence des autorités de l’Etat. Ainsi, le haut clergé était nommé directement par le tsar.

Sous Catherine II et Alexandre Ier les musulmans jouissaient de plus grande liberté. Le gouvernement fonctionnait comme cela : l’Etat n’intervient pas dans les affaires des musulmans tant qu’eux remplissent certaines règles. Par rapport aux Kazakhs, la politique du gouvernement était particulièrement attentive. Tout le long du XIXème siècle les Kazakhs prêtaient serment selon les dogmes de l’islam.71

L’Assemblée était pensée comme un organe dont la fonction principal serait la réalisation de la ligne progouvernementale parmi les musulmans et la progression de la colonisation russe en Asie centrale et au Kazakhstan. Le directeur de cet établissement était pour la première fois dirigé par un Tatar M. Houssaïnov72 et cela désigné par Catherine II. L’Assemblée spirituelle musulmane d’Orenbourg dirigeait le clergé dans tous les gouvernements et régions sauf la Transcaucasie et la Tauride.

68 Même si l’institution s’appelait l’Assemblée spirituelle musulmane d’Orenbourg, elle avait son siège à Oufa 69 NURĞALÏEVA A., Očerki po istorii islama v Kazahstane (Abrégé de l’histoire de l’islam au Kazakhstan),

Almaty, Dayk-Press, 2005, p.33

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Titre musulman en Russie prérévolutionnaire

71 Le khan se mettait à genoux sur le tapis et prêtait solennellement serment de fidélité à la Russie devant le

Coran répétant les paroles du religieux. A la fin il embrassait le Coran et le mettait sur la tête et une fois debout mettait son tampon sur le document.

La Direction spirituelle musulmane de la Tauride avec son centre à Simferopol, était prévue en 1794 après la colonisation de la Crimée (1785) mais finalement créée en 1831 par l’oukase de Nicolas Ier.73 Elle s’occupait des affaires spirituelles des musulmans des gouvernements74 indépendants occidentaux et Taurique. Un mufti et son adjoint- kadi-asker75 la dirigeait. Le clergé « paroissial » qui comprenait les khatibs76, les imams, les mollahs, les muezzines et les serviteurs auprès des mosquées géraient directement les kadis des ouiezds77 faisant partie de la direction spirituelle.

Le projet de l’Assemblée d’Orenbourg, était élaboré par le gouverneur général d’Orenbourg, O. Igelström78

et ratifié par Catherine II. La fonction principale de cet établissement d’Etat était le contrôle sur la désignation des mollahs et l’organisation des examens des candidats pour occuper le poste du religieux musulman, c’est à dire le choix des personnes loyaux aux pouvoirs. Par l’instauration de l’Assemblée spirituelle des musulmans d’Orenbourg, l’Etat russe a placé l’islam et ses instituts dans le système étatique. Le but politique était de faire du personnage du mufti tatar le contrepoids du cheikh-ul islam en Empire ottomane. Cette assemblée avait été aussi créée pour contrôler le clergé musulman et l’utilisation ultérieure des instituts islamiques officiels dans la politique étatique parmi la population musulmane, tant à l’intérieur de la Russie qu’à l’extérieur, avant tout en Asie centrale et au Kazakhstan. C’était un organe collégial où les décisions étaient prises à la majorité des votes, et où les muftis n’avaient pas le droit de prendre de décisions personnelles. Le clergé touchait des appointements, l’état et l’entretien des principales mosquées était contrôlé, pour leur reconstruction des moyens étaient prélevés sur les impôts. A partir de 1787, le Coran fut publié en Russie dans son édition originale arabe selon l’indication du gouvernement79. D’après la demande de l’Assemblée, avec l’oukase de 15 décembre 1800, il était permis l’édition de livres musulmans religieux. Dès 1802 la typographie orientale était transférée de Saint-Pétersbourg à Kazan qui devient le centre de la diffusion de l’islam.80 Parmi les compétences de l’Assemblée il y avait celles des questions familiales et celles des biens. Elle se guidait sur la synthèse des prescriptions de la charia et de la

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ALIEVA M., BATURINA L., « Rossijskoe gosudarstvo i musulʹmanskij mir. Istoriâ vzaimootnošenij s XIIIv do nachala XXv. » (Etat russe et monde musulman. Histoire des relations du XIIIème au début du XXème s.),

Qarağandı wnïversïtetiniñ xabarşısı, N° 2, 2006, p. 129

74 Le gouvernement ou bien la guberniâ en russe est une entité territoriale de la Russie impériale 75 Le titre de l’adjoint du mufti dans le gouvernement Taurique à l’époque de l’Empire russe 76

Le prédicateur qui fait le sermon lors de la prière du vendredi et des fêtes musulmanes

77 Subdivision administrative russe

78 Igelström est une famille de la noblesse d’origine suédoise qui s’est illustrée au service de l’Empire russe 79

Il était publié par l’édition Šnora à Saint-Pétersbourg avec le tirage de 3 600 exemplaires

législation russe. L’assemblée restait sous la surveillance méticuleuse de l’administration locale et du Ministère des affaires intérieures qui ne permettaient pas l’application des normes de la charia ostensiblement contradictoires aux lois russes. Outre cela, c’étaient les questions de la construction et de la restauration des mosquées, ainsi que la passationdes examens pour les enseignants qui relevaient de la compétence de l’Assemblée.

Les aspirations de l’Assemblée spirituelle d’obtenir son statut, et d’être libérée de la tutelle du gouvernement, étaient rejetées par le pouvoir en place. En même temps, ce dernier n’allait pas jusqu’à prendre des mesures radicales pour fermer cette Assemblée, ce qui avait été proposé plusieurs fois par les hauts fonctionnaires et l’Eglise orthodoxe russe.

A travers l’Assemblée, le gouvernement annonçait ses décisions, par exemple sur la limitation des normes de la charia ou bien l’introduction de l’enseignement du russe dans les écoles. Mais la rupture entre l’appareil et le clergé de la mosquée a permis à ces derniers d’agir à leur guise. Cela a été le cas surtout au Kazakhstan où l’influence de cette Assemblée se limitait pratiquement à la nomination des mollahs fidèles à l’Etat.

Les questions de la direction religieuse n’ont pas obtenu de mention dans les documents importants du gouvernement russe comme dans la « Charte sur la gouvernance des allogènes » ou la « Règlements sur les Kirghizes sibériens ». Dans le premier document, il est défini que le clergé hétérodoxe est subordonné à la police locale81. Dans aucun des documents le rôle de l’Assemblée spirituelle musulmane d’Orenbourg n’était indiqué.

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