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Une composition notionnelle complexe

Concernant la composition de l’accès au droit, il est possible d’observer un mouvement gravitationnel de notions concourant à cet accès. Plusieurs conceptions propres à tout « État de

droit » semblent se mobiliser de manière intuitive : l’accès au droit serait notamment lié à

l’« accès à la justice », au concept d’« égalité », à la notion de « clarté », ou encore à celle d’« intelligibilité » du droit. Ces intuitions concordent avec certaines recherches opérées par la doctrine. Il est aussi pressenti que d’autres notions concourent ou participent à la conception de l’accès au droit. Un travail relatif à ce que recouvre chacune de ces notions s’avère essentiel pour comprendre sa composition.

Par exemple, les travaux d’A.-L. CASSARD-VALEMBOIS portant sur la « sécurité

juridique »61 permettent de concevoir que l’accès au droit pourrait être lié à cette notion. Comme cette dernière l’indique, « La connaissance du droit est l’une des deux dimensions de

l’accès au droit. L’autre dimension, institutionnelle, renvoie essentiellement au droit au juge et à la transparence de l’action publique »62. Ces deux aspects intéressent profondément l’accès au droit.

61 A.-L. CASSARD-VALEMBOIS, La constitutionnalisation de l’exigence de sécurité juridique en droit français, thèse, sous la direction de B. MATHIEU, Université de Dijon, LGDJ, 2005.

62 A.-L. CASSARD-VALEMBOIS, La constitutionnalisation de l’exigence de sécurité juridique en droit français, thèse, sous la direction de B. MATHIEU, Université de Dijon, LGDJ, 2005, p. 14.

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A.-L. CASSARD-VALEMBOIS a ensuite différencié l’« accessibilité matérielle des

normes juridiques »63 de leur « intelligibilité »64. Elle a précisé que « L’accessibilité matérielle

des normes juridiques est permise par leur publicité, qui est le préalable nécessaire à leur connaissance »65 et que « L’intelligibilité des normes juridiques renvoie à leur clarté et à leur

précision. Une norme est claire lorsqu’en ont été éliminées les obscurités de pensée ou de langage ; l’idée de précision renvoie à la suffisance du modelé conceptuel, de la détermination des notions »66. Ces indications font ressortir le besoin d’analyser les concepts d’« intelligibilité », de « clarté », ou encore de « précision ».

Il est aussi compris que la « connaissance du droit »67 ne peut suffire à l’accès au droit, et doit se coupler avec des moyens pratiques, mis en œuvre dans le cadre du système d’aide à l’accès au droit et dans celui de politiques publiques. De plus, cette conception mobilise de nombreuses notions intrinsèquement liées à la « sécurité juridique », comme la « prévisibilité » ou encore la « stabilité du droit »68. Le pressentiment initial lié à la galaxie de droits concourants à la notion d’accès au droit semble se renforcer.

Il est aussi possible de citer les travaux de P. RRAPI, qui ont lié l’exigence d’accessibilité et l’intelligibilité de la loi à la nécessaire « qualité de la loi »69. Cette dernière a rappelé, dans son étude sur l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi que, « pour la doctrine, l’accessibilité semble consister en

l’accessibilité matérielle, et l’intelligibilité en l’accessibilité intellectuelle. Les deux sont

63 A.-L. CASSARD-VALEMBOIS, La constitutionnalisation de l’exigence de sécurité juridique en droit français, thèse, sous la direction de B. MATHIEU, Université de Dijon, LGDJ, 2005, p. 14.

64 A.-L. CASSARD-VALEMBOIS, La constitutionnalisation de l’exigence de sécurité juridique en droit français, thèse, sous la direction de B. MATHIEU, Université de Dijon, LGDJ, 2005, p. 15.

65 A.-L. CASSARD-VALEMBOIS, La constitutionnalisation de l’exigence de sécurité juridique en droit français, thèse, sous la direction de B. MATHIEU, Université de Dijon, LGDJ, 2005, p. 14.

66 A.-L. CASSARD-VALEMBOIS, La constitutionnalisation de l’exigence de sécurité juridique en droit français, thèse, sous la direction de B. MATHIEU, Université de Dijon, LGDJ, 2005, p. 15.

67 A.-L. CASSARD-VALEMBOIS, La constitutionnalisation de l’exigence de sécurité juridique en droit français, thèse, sous la direction de B. MATHIEU, Université de Dijon, LGDJ, 2005, p. 15.

68 A.-L. CASSARD-VALEMBOIS a considéré que « l’exigence de sécurité juridique implique premièrement

l’accessibilité (matérielle et intellectuelle des normes juridiques), deuxièmement la prévisibilité (des conséquences juridiques de ses actes et du droit lui-même) et troisièmement la stabilité (pour assurer la prévisibilité du droit et pour cristalliser certaines situations acquises) » : A.-L. CASSARD-VALEMBOIS, La constitutionnalisation de

l’exigence de sécurité juridique en droit français, thèse, sous la direction de B. MATHIEU, Université de Dijon, LGDJ, 2005, p. 18.

69 Cette dernière entend par « discours sur la "qualité de la loi", un discours qui semble avoir pris naissance, en

France, sous la Troisième République et qui s’est intensifié – avec quelques modifications dues certainement à la Seconde Guerre mondiale – sous la quatrième République pour renaître, à peu près, dans les années 1990. Il s’agit, à son origine, du discours sur le "déclin du droit" » : P. RRAPI, L’accessibilité et l’intelligibilité de la loi en

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présentées comme deux volets indispensables à la "prévisibilité de la loi" »70. Cette auteure a aussi opéré une distinction dans l’utilisation de l’objectif par le Conseil constitutionnel, qui serait utilisé tantôt pour s’assurer de la « "compréhensibilité" de la loi par le citoyen »71, tantôt pour permettre « la prédétermination de l’action des autorités chargées d’appliquer la loi »72. Elle a par conséquent différencié la « "qualité" ex ante de la loi »73 de la « "qualité" ex post de

la loi »74. De telles indications sont à prendre en compte dans ce travail de recherche et favorisent certains postulats de départ.

Il est considéré que l’accès au droit au droit est lié à cet impératif de « qualité de la loi », puisqu’une loi peu claire ou mal rédigée ne favorise pas sa compréhension. Il est dès lors estimé que l’accès au droit peut être pris en compte dans le cadre de l’élaboration de la « norme ». Le terme de « norme » est préféré à celui de « loi », car il est plus englobant et permet d’envisager d’autres textes de l’ordonnancement juridique comme les décrets, arrêtés, etc. Il est aussi considéré que l’accès au droit doit être pris en compte à la réception de la norme, c’est-à-dire lorsque l’« individu » se retrouve confronté au droit.

Au regard de ces premières indications, certaines précisions de vocabulaire s’imposent. Tout d’abord, et étant donné le flou qui entoure la notion d’accès au droit, nous considérons que l’accès au droit peut se concevoir comme une exigence décomposable en deux volets distincts. Ces derniers, qui se distinguent assez nettement, sont d’une part, une accessibilité au droit « matérielle »75 et d’autre part, une accessibilité au droit « intellectuelle »76. L’« exigence

d’accessibilité et d’intelligibilité du droit » est considérée comme le reflet de la notion

70 L. MILANO, « Contrôle de constitutionnalité et qualité de la loi », RDP, n° 3, 1er mai 2006, p. 637 ; citée par P. RRAPI, L’accessibilité et l’intelligibilité de la loi en droit constitutionnel, thèse, sous la direction d’A. ROUX, Université d’Aix-Marseille, Dalloz, 2014, p. 21.

71 P. RRAPI, L’accessibilité et l’intelligibilité de la loi en droit constitutionnel, thèse, sous la direction d’A. ROUX, Université d’Aix-Marseille, Dalloz, 2014, p. 36.

72 P. RRAPI, L’accessibilité et l’intelligibilité de la loi en droit constitutionnel, thèse, sous la direction d’A. ROUX, Université d’Aix-Marseille, Dalloz, 2014, p. 36-37.

73 P. RRAPI, L’accessibilité et l’intelligibilité de la loi en droit constitutionnel, thèse, sous la direction d’A. ROUX, Université d’Aix-Marseille, Dalloz, 2014, p. 60.

74 P. RRAPI, L’accessibilité et l’intelligibilité de la loi en droit constitutionnel, thèse, sous la direction d’A. ROUX, Université d’Aix-Marseille, Dalloz, 2014, p. 60.

75 L’accessibilité matérielle permet de « favoriser la découverte matérielle du droit et à en assurer au mieux la

diffusion et la publicité » : Congrès des Notaires de France, La sécurité juridique, un défi authentique,

111e Congrès des Notaires de France, LexisNexis, 2015, pp. 40-41.

76 L’accessibilité intellectuelle se rapporte « à une exigence générale de qualité du droit » : Congrès des Notaires de France, La sécurité juridique, un défi authentique, 111e Congrès des Notaires de France, LexisNexis, 2015, pp. 40-41.

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contemporaine de l’accès au droit. Pour cette raison, ces termes seront utilisés dans cette thèse, faisant suite aux travaux précités77.

Ces précisions étant faites, il convient d’ajouter que de nombreuses incertitudes demeurent, s’agissant du contenu de ces deux volets, et de la délimitation du périmètre de l’accès au droit. Par conséquent, l’un des objets de cette thèse est de préciser le contenu de la notion d’accès au droit, entendu comme une exigence d’accessibilité et d’intelligibilité du droit.

Il est également pris comme postulat de départ que les NTIC ont joué un rôle spécifique dans l’accessibilité, mais également l’intelligibilité du droit. Ce rôle apparaît paradoxal. D’une part, il semble que les NTIC ont favorisé l’affirmation de l’accès au droit, ce dernier étant plus que jamais d’actualité, et présent dans le quotidien des individus. Par exemple, la publication en ligne des règles de droit par le biais du Portail « Légifrance » est une évolution positive, puisqu’elle a permis l’accessibilité matérielle en ligne des textes et de la jurisprudence. D’autre part, cette réaffirmation semble se coupler d’un paradoxe. Si l’on reprend l’exemple de

Légifrance, l’accès en ligne des textes permet de confirmer leur complexité et leur

obsolescence78.

Pour faire suite à ce raisonnement, il est possible de se demander si accéder au droit, notamment en ligne, est suffisant pour considérer que la connaissance du droit est acquise. En effet, l’« accessibilité » du droit doit se coupler avec son « intelligibilité ». Dès lors, comment prendre suffisamment en compte le besoin d’accéder « intellectuellement » au droit ? Un travail relatif à ce que recouvre chacune de ces conceptions doit être réalisé.

De plus, le rôle de certains mouvements liés à la globalisation de l’information et promouvant la transparence de la société, comme celui de l’ouverture des données (« Open

data ») ou de l’ouverture des gouvernements (« Open Government ») doit être étudié. Il est

pressenti que de tels mouvements ont eu un impact sur la philosophie de l’accès au droit. Les interactions entre ces différents mouvements et l’accès au droit doivent être analysés, afin de déterminer dans quelle mesure ces derniers ont pu impacter cette notion.

77 A.-L. CASSARD-VALEMBOIS, La constitutionnalisation de l’exigence de sécurité juridique en droit français, thèse, sous la direction de B. MATHIEU, Université de Dijon, LGDJ, 2005 ; P. RRAPI, L’accessibilité et

l’intelligibilité de la loi en droit constitutionnel, thèse, sous la direction d’A. ROUX, Université d’Aix-Marseille, Dalloz, 2014.

78 La crise de la COVID-19 permet d’illustrer cette explosion normative, puisqu’entre mars et juin 2020 (soit quatre mois), ce sont près de 3 lois, 21 ordonnances, 87 décrets et 247 arrêtés qui ont été produits.

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Les NTIC semblent avoir renforcé la multiplicité de notions concourant à l’accès au droit. Dès lors, l’étude de l’accès au droit dans la société de l’information ne peut éluder l’analyse des différents concepts qui interagissent avec cette dernière, tant dans sa conception classique qu’avec les évolutions apportées par les NTIC. Un autre objet de ce travail de recherche est de s’intéresser à la conception de l’accès au droit impacté par les NTIC, et aux éventuelles répercussions de ces dernières sur le périmètre, le contenu, ainsi que la conception de cette notion en elle-même.

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