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Le basculement du droit à l’information publique vers un droit général à l’information

Section 2 : Des droits et des inégalités propres à ce nouvel écosystème impactant l’accès au droit

B. Le basculement du droit à l’information publique vers un droit général à l’information

La notion de « droit à l’information publique » a évolué jusqu’à celle de « droit à

l’information ». Désormais, « L’information devient un droit, que les administrés peuvent opposer à l’administration »995. Il est possible de compléter en indiquant que « les personnes

concernées peuvent opposer ce droit à l’information aux organismes concernés »996. Ce droit à l’information, qualifié également de « droit de savoir »997 ou encore de « droit à la

989 L’article 2 de la Convention indique que « Chaque Partie garantit à toute personne, sans discrimination

aucune, le droit d’accéder, à sa demande, à des documents publics détenus par des autorités publiques ». Selon

F. EDEL, « Il faut comprendre le cercle des bénéficiaires de la manière la plus généreuse possible : les personnes

physiques comme les personnes morales, les personnes privées mais aussi les agents publics (en activité ou en retraite) » : F. EDEL, « La convention du conseil de l’Europe sur l’accès aux documents publics : premier traité consacrant un droit général d’accès aux documents administratifs », Revue française d’administration publique, n° 137-138, 2011/1, p. 70 ; Cf. N. LAHLOU,Accès au droit & Droit d’accès dans la société de l’information », Revue

Internationale des Gouvernements Ouverts, volume 5, IMODEV, 2017, p. 95.

990 F. EDEL, « La convention du conseil de l’Europe sur l’accès aux documents publics : premier traité consacrant un droit général d’accès aux documents administratifs », Revue française d’administration publique, n° 137-138, 2011/1, p. 70.

991 L’article 1er de la Convention renvoie à « toutes informations enregistrées sous quelque forme que ce soit,

rédigées ou reçues et détenues par les autorités publiques ». Cf. F. EDEL, « La convention du conseil de l’Europe sur l’accès aux documents publics : premier traité consacrant un droit général d’accès aux documents administratifs », Revue française d’administration publique, n° 137-138, 2011/1, p. 72.

992 F. EDEL, « La convention du conseil de l’Europe sur l’accès aux documents publics : premier traité consacrant un droit général d’accès aux documents administratifs », Revue française d’administration publique, n° 137-138, 2011/1, p. 77.

993 Le préambule de la Convention du Conseil de l’Europe énonce ainsi que « tous les documents publics sont en

principe publics et communicables, sous réserve, seulement, de la protection d’autres droits et intérêts légitimes ».

994 N. LAHLOU,Accès au droit & Droit d’accès dans la société de l’information », Revue Internationale des

Gouvernements Ouverts, volume 5, IMODEV, 2017, p. 96.

995 J. CHEVALLIER, « L’accès aux documents administratifs et aux archives », Problèmes politiques et sociaux, n° 773-774, La documentation française, 1er novembre 1996, pp. 28-29.

996 Cette phrase est de nous. Le terme organisme permet de regrouper les personnes morales de droit public et de droit privé.

997 M. RONAI, « Données publiques : accès, diffusion, commercialisation », Problèmes politiques et sociaux, n° 773-774, La documentation française, 1er novembre 1996, pp. 8-9.

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connaissance »998, serait la résultante d’une « préoccupation informationnelle »999 accrue de la part des pouvoirs publics. Il s’agit de « rompre avec le principe du secret, en donnant à

l’administré des armes juridiques lui permettant d’accéder aux diverses catégories d’informations détenues par les administrations »1000. L’objectif poursuivi est d’assurer une transparence de l’administration, mais également de la société de manière plus globale. Le versant juridique de ce droit plus général à l’information sera développé à l’issue d’une présentation de ses fondements.

Selon M. BRAIBANT, le « droit à la connaissance » est composé de deux droits, dont le « droit d’accès » et le « droit à l’information ». J.-M. BRUGUIÈRE qualifie ces droits « de

droit individuel d’accès et de droit collectif d’information »1001. Le droit à l’information a comme fondement l’article 1er de la loi du 17 juillet 1978 n° 78-7531002 et « facilite la

connaissance des données d’intérêt général »1003. Le droit d’accès a comme fondement la loi du 6 janvier 1978 n° 78-17 (dite loi « Informatique et Libertés ») et la loi du 17 juillet 1978 n° 78-753 (dite loi « CADA ») et « permet de consulter les informations réunies sur son propre

compte »1004. Ce droit d’accès prévu par la loi du 17 juillet 1978 n° 78-753 se comprend comme un droit d’accès aux documents administratifs par les administrés qui en font la demande1005. L’article 39 de la loi du 6 janvier 1978 n° 78-17 prévoit quant à lui que toute personne physique justifiant de son identité a le droit d’interroger le responsable de traitement de données à caractère personnel en vue d’obtenir la confirmation du traitement le concernant mis en œuvre, certaines informations relatives à ce traitement, ainsi qu’une copie de ses données à caractère personnel. Cet article a été repris et le droit d’accès étendu depuis l’entrée en application du RGPD le 25 mai 20181006. Le droit d’accès antérieurement et postérieurement au RGPD peut, en tout état de cause, être exercé auprès d’un responsable de traitement qu’il soit public ou

998 G. BRAIBANT, « Droit d’accès et droit à l’information », Mélanges Charlier, 1979, p. 703. Présenté par

J.-M. BRUGUIÈRE, Les données publiques et le droit, Litec, 2002, pp. 52-53.

999 M. RONAI, « Données publiques : accès, diffusion, commercialisation », Problèmes politiques et sociaux, n° 773-774, La documentation française, 1er novembre 1996, p. 3.

1000 J. CHEVALLIER, « L’accès aux documents administratifs et aux archives », Problèmes politiques et sociaux, n° 773-774, La documentation française, 1er novembre 1996, p. 28.

1001 J.-M. BRUGUIÈRE, Les données publiques et le droit, Litec, 2002, p. 53.

1002 Pour mémoire, cet article évoque le droit des administrés à l’information. Cf. J.-M. BRUGUIÈRE, Les données

publiques et le droit, Litec, 2002, p. 54.

1003 J.-M. BRUGUIÈRE, Les données publiques et le droit, Litec, 2002, p. 53.

1004 J.-M. BRUGUIÈRE, Les données publiques et le droit, Litec, 2002, p. 53.

1005 Article 1er de cette loi.

1006 L’article 15.1 du RGPD prévoit notamment que « La personne concernée a le droit d’obtenir du responsable

du traitement la confirmation que des données à caractère personnel la concernant sont ou ne sont pas traitées et, lorsqu’elles le sont, l’accès auxdites données à caractère personnel […] ».

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privé1007. Les données et informations concernées par ce droit d’accès ne sont pas publiques mais considérées comme des données à caractère personnel.

Selon J.-M. BRUGUIÈRE, le « droit collectif d’information » peut avoir deux fondements et être issu soit des « droits dits de première génération des droits de l’homme et

plus précisément [de] l’article 5 de la déclaration de 1789 »1008 soit « des droits dits de seconde

génération des droits de l’homme ou droits de créances. Un droit créance qui suppose la mise en place d’un appareil destiné à satisfaire cette exigence, ce qui passe nécessairement par le service public »1009. Il s’oppose en cela à M. BRAIBANT pour qui le droit à la connaissance peut être isolé au travers des lois de « troisième génération des droits de l’homme »1010. Selon J. CHEVALLIER, « ce droit semble plutôt se situer dans le prolongement des droits-libertés

conquis contre le pouvoir »1011. L’intégration de ce droit collectif d’information dans l’une ou l’autre des générations des droits a des conséquences sur les conditions de leur mise en œuvre. Afin de comprendre ces potentielles conséquences, il faut rappeler que la conception de droits dits de première et de deuxième génération est issue de la théorie des générations des

droits de l’homme de K. VASAK, qui prend en compte l’ordre historique d’apparition des droits

et libertés1012. La première génération de ces droits se rapporte « à la proclamation des droits

civils et politiques »1013. Il s’agit de « droits de », qui « se prêteraient le plus facilement à une

individualisation normative et seraient, par conséquent, les plus clairement justiciables »1014. La deuxième génération « intéresse les droits économiques, sociaux et culturels (liberté

syndicale, droit de grève, droit au travail, droit à la sécurité sociale…). Ici, il s’agirait de reconnaître des " droits à" ou "droits – créance" ("freedom to") »1015. Les « droits à »

1007 Article 15 du RGPD.

1008 Nous pensons que la référence à l’article 5 est une coquille et que l’auteur vise en réalité l’article 15 de la DDHC, auquel il a par ailleurs été fait référence dans le A) du paragraphe 1 de cette section en tant que fondement du droit à l’information publique. Cf. J.-M. BRUGUIÈRE, Les données publiques et le droit, Litec, 2002, p. 61.

1009 J.-M. BRUGUIÈRE, Les données publiques et le droit, Litec, 2002, p. 61.

1010 G. BRAIBANT, Droit d’accès et droit à l’information, [in] Mélanges Charlier, Édition de l’Université et de l’enseignement moderne, 1979, p. 703. Présenté par J.-M. BRUGUIÈRE, Les données publiques et le droit, Litec, 2002, pp. 52-53. Cf. pour une présentation de la théorie des générations des droits de l’homme de K. VASAK,

M. LEVINET, Théorie générale des droits et libertés, Collection droit et justice, 2e édition, Bruylant, Belgique,

2008, pp. 73-75.

1011 J. CHEVALLIER, « L’accès aux documents administratifs et aux archives », Problèmes politiques et sociaux, n°773-774, La documentation française, 1er novembre 1996, p. 29.

1012 M. LEVINET, Théorie générale des droits et libertés, 2e édition, Collection droit et justice, Belgique, Bruylant, 2008, pp. 73-75.

1013 M. LEVINET, Théorie générale des droits et libertés, 2e édition, Collection droit et justice, Belgique, Bruylant, 2008, p. 74.

1014 M. LEVINET, Théorie générale des droits et libertés, 2e édition, Collection droit et justice, Belgique, Bruylant, 2008, p. 74.

1015 M. LEVINET, Théorie générale des droits et libertés, 2e édition, Collection droit et justice, Belgique, Bruylant, 2008, p. 74.

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nécessitent d’être mis en œuvre par les autorités publiques et en particulier par le service public afin de permettre leur effectivité1016. Les droits de troisième génération visent quant à eux « des

droits de solidarité, dont l’émergence serait largement due à l’influence un temps exercée dans la société internationale par les États du tiers monde (droit à la paix, droit au désarmement, droit au développement, droit à un environnement sain…) »1017. Des droits de quatrième génération sont ajoutés par certains auteurs et se rapportent à « ceux qui doivent protéger la

dignité humaine de certains abus de la science »1018, et notamment « de l’informatique »1019. Cette théorie des générations des droits de l’homme a néanmoins été fortement critiquée à plusieurs titres, aussi bien du point de vue chronologique que sur la conception des droits en eux-mêmes1020.

Il apparaît nécessaire de se questionner sur la classification du droit à l’information au regard de cette théorie. Le rattachement aux droits de première génération induit que ce droit à l’information est rattaché aux droits civils et politiques premiers. Cette approche est tout à fait concevable dans la mesure où le droit à l’information publique trouve notamment ses sources dans la DDHC1021. Cependant, le droit à l’information tel qu’on le conçoit a fortement évolué depuis ces textes, basculant progressivement du droit à l’information publique vers un droit à l’information plus global des informations produites par les acteurs publics et privés. Il apparaît de ce point de vue contestable de le rattacher à cette catégorie, puisque ce droit à l’information ne serait que l’accessoire de ce droit à l’information publique.

1016 Ces droits appellent « une prestation des autorités publiques, notamment par la mise en place d’un service

public permettant l’effectivité d’un droit à l’emploi, du droit à un niveau de vie suffisant, du droit à la santé, du droit à la sécurité sociale, du droit à l’éducation, du droit à la culture, du droit aux loisirs » : M. LEVINET, Théorie

générale des droits et libertés, 2e édition, Collection droit et justice, Belgique, Bruylant, 2008, p. 74.

1017 M. LEVINET, Théorie générale des droits et libertés, 2e édition, Collection droit et justice, Belgique, Bruylant, 2008, p. 75.

1018 M. LEVINET, Théorie générale des droits et libertés, 2e édition, Collection droit et justice, Belgique, Bruylant, 2008, p. 74.

1019 M. LEVINET, Théorie générale des droits et libertés, 2e édition, Collection droit et justice, Belgique, Bruylant, 2008, p. 74.

1020 Selon M. LEVINET, elle porte « atteinte à l’indivisibilité, à l’interdépendance des droits de l’homme ». De plus, « À l’exception des droits de la 3e génération, elle repose sur une historicité fort discutable sur le plan international […] et au plan interne ». Par ailleurs, « Elle postule une approche discutable de la justiciabilité dans la mesure où, d’une part, certains droits de la 2e génération sont tout à fait justiciables […] et, d’autre part, un certain nombre de la 1re […] s’accompagnent désormais d’obligations positives pesant sur l’État afin d’en rendre

l’exercice effectif ». En outre, « S’agissant des droits dits de la 3e génération, les "pseudo-droits de solidarité", force est d’observer avec le Professeur Frédéric Sudre […] qu’ils impliquent une certaine dénaturation des droits de l’homme ». On observerait ainsi pour résumer une dénaturation des droits de l’homme, des sujets de droits de

l’homme, ainsi que de la sanction des droits de l’homme. Cf. M. LEVINET, Théorie générale des droits et libertés, 2e édition, Collection droit et justice, Belgique, Bruylant, 2008, pp. 76-82.

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Le rattachement à la deuxième génération des droits de l’Homme est intéressant dans la mesure où il mobilise la conception du service public comme manifestation et condition de matérialité du droit à l’information. En effet, la concrétisation du droit à l’information nécessite que les autorités publiques interviennent afin d’en garantir la matérialité. Certes le droit à l’information se globalise avec des initiatives privées promouvant l’universalisme de l’accès à l’information, mais la mise en œuvre de ce droit s’envisage nécessairement par le biais d’une intervention de l’État, s’agissant en particulier des données publiques détenues par l’administration. Néanmoins, après analyse du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, il nous apparaît difficile de rattacher le droit à l’information à cette génération de droits. Le rattachement à la troisième génération des droits de l’Homme est envisageable au regard du caractère « collectif » du droit à l’information, s’il est conçu comme un droit universel d’accéder à de l’information. Pour autant, l’intégration de ce droit dans cette génération ne reposerait sur aucun texte particulier. De plus, le droit à l’information n’est pas qu’un droit collectif, puisqu’il peut concerner des individus pris isolément. En conséquence, cette intégration dans les droits de troisième génération demeure artificielle et apparaît difficilement justifiable d’un point de vue juridique.

Quant au rattachement aux droits de quatrième génération, il est possible de l’envisager, à condition d’admettre que cette génération des droits de l’homme ait une utilité en termes de classification des droits1022. La complexité de rattachement à l’une ou l’autre génération des droits de l’Homme n’est pas sans nous rappeler que la classification des droits et libertés est une tâche ardue en soi. De nombreuses classifications des droits et libertés existent, en fonction par exemple de l’objet des droits et libertés, du mode d’exercice des droits et libertés, etc.1023. En tout état de cause, nous estimons que le droit à l’information doit bénéficier d’un soutien juridique, économique et logistique quant à sa mise en œuvre, que ce soit de la part des organismes publics comme de la part des organismes privés. La mise en œuvre d’un service public promouvant l’accès à l’information juridique est nécessaire pour garantir ce droit à l’information. En outre, des politiques publiques œuvrant pour un tel accès doivent être prévues afin d’encourager les organismes privés à mettre à disposition du public les informations

1022 La 4e génération des droits de l’Homme serait « artificielle », les droits de 1re génération étant suffisants. Cf. M. LEVINET, Théorie générale des droits et libertés, 2e édition, Collection droit et justice, Belgique, Bruylant, 2008, pp. 76-82.

1023 M. LEVINET, Théorie générale des droits et libertés, 2e édition, Collection droit et justice, Belgique, Bruylant, 2008, pp. 70-100.

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