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Le stieng, en tant que langue isolante, est dépourvue de morphologie flexionnelle et contient une morphologie dérivationnelle résiduelle peu productive. Par conséquent, les catégories lexicales ne peuvent être définies selon des critères morphologiques. Dans ce contexte, la notion de construction est fondamentale pour distinguer les catégories : une forme est identifiable comme appartenant à telle ou telle catégorie lorsqu’elle est située dans son contexte syntaxique, c’est-à-dire dans une position particulière au sein d’une construction en combinaison avec d’autres formes. Pour identifier les différentes catégories, cette grammaire se base donc principalement sur des critères distributionnels et fonctionnels167.

A l’instar des autres langues d’Asie du Sud-Est (ASE), les frontières entre catégories de mots sont relativement floues et fluides en stieng. Elles reflètent l’importance des processus de grammaticalisation de formes lexicales en formes grammaticales.

Ce chapitre présente dans un premier temps les catégories lexicales du stieng (1.1), à travers la question de l’opposition verbo-nominale (1.1.1) suivie d’une description des critères morphosyntaxiques permettant d’identifier les noms (1.1.2), les verbes (1.1.3) et les adjectifs qui constituent une sous-classe de verbes (1.1.1.4).

Sont ensuite décrites les catégories grammaticales (1.2), à savoir les prépositions (1.2.1), les adverbes (1.2.2), les expressifs (1.2.3) ; et pour finir, les connecteurs (1.2.4) et les interjections (1.2.5)168.

167 Voir Croft (1991).

168 Les formes grammaticales relatives au domaine du nom, telles que les démonstratifs, les pronoms, les numéraux, les classificateurs, etc. sont abordées dans le Chapitre 2. De même, les formes grammaticales appartenant au domaine du verbe, telles que les marques de TAM sont décrites et commentées de façon détaillée dans le Chapitre 7.

Une grammaire de la langue stieng

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La dernière section de ce chapitre se focalise sur la question de la création de catégories grammaticales à l’issue de processus de grammaticalisation afin de démontrer l’importance de ces processus au sein de la grammaire du stieng (1.3).

1.1 Catégories lexicales

Les catégories lexicales en stieng regroupent deux classes fondamentales : les noms et les verbes, la frontière entre ces deux catégories n’étant pas nettement démarquée. Le stieng ne disposant pas de morphologie flexionnelle, il est impossible d’argumenter la distinction entre les deux classes sur la base de leur morphologie, c’est-à-dire sur la base de la présence de marques de définitude, de genre et de nombre, ou encore de TAM directement affixées au lexème. Si ces marques existent comme morphèmes libres et comme éléments du syntagme nominal ou verbal, il faut alors considérer le nom avant tout comme tête de syntagme nominal et le verbe comme tête de syntagme verbal.

La section (1.1.1) montre que la distinction verbo-nominale n’est pas claire en stieng, de même que les catégories sont floues. Sont ensuite présentées les caractéristiques distributionnelles et fonctionnelles des noms en tant que têtes de syntagmes nominaux (1.1.2), des verbes en tant que prédicats (1.1.3) ainsi que des verbes statifs (ou adjectifs) (1.1.1.4).

1.1.1 Oppositions verbo-nominale et prédicat-substantif

Mis à part quelques rares cas de dérivation nominalisante169 il n’existe pas d’évidence morphologique pour différencier un nom d’un verbe. D’un point de vue sémantique, on reconnait, certes, au sein du lexique deux catégories sémantico-conceptuelles fondamentales regroupant des ‘mots’ renvoyant à des entités stables et permanentes s’apparentant prototypiquement à des noms ; des actions s’apparentant prototypiquement à des verbes.

Néanmoins, la catégorie d’un lexème ne peut être identifiée que dans un contexte de prédication, selon sa distribution, sa position et sa fonction dans la construction. Par ailleurs, les fonctions de prédicat et de substantif peuvent être assurées par deux catégories lexicales : verbes et noms. Dans l’exemple suivant, les noms boəŋ ‘chignon’ et

169 Comme par exemple la dérivation au moyen de l’infixe –n- dans par ‘voler’ > p-(ə)n-ar ‘plume’ ou encore puːs ‘balayer’> p-(ə)n-uːs ‘balais’. Voir Chapitre 2.

III - Chapitre 1 | Catégories de mots

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mbiən ‘toilette’ peuvent occuper une fonction prédicative, au même titre que les verbes səmʔaːŋ ‘se.faire.beau’et tɛʔ ‘mettre’ :

(23) buː boəŋ sɑk , buː mbiən , buː səmʔaːŋ sak , buː nɛːh , buː tɛʔ pənar kəmpʰiəm[…]

buː boəŋ sɑk / buː mbiən / 3IMPS chignon cheveux / 3IMPS toilette, costume.de.mariage /

buː səmʔaːŋ sak / buː nɛːh / buː tɛʔ pənar-kəmpʰiəm 3IMPS se.faire.beau REFL / 3IMPS DEM(kh) / 3IMPS mettre aile-scarabée

‘On s'attache les cheveux en chignon, on se met en costume de mariage, on se fait beau, de cette façon, on met des ailes de scarabée […]’ -T-MKw-Ma-2010#7

Il apparaît également que certains lexèmes sont indéterminés du point de vue de leur catégorie lexicale, et donc indifférenciés en termes d’opposition verbo-nominale - hors situation d’énonciation. Tel est le cas de la forme ɟəmɑːh qui selon le contexte syntaxique peut avoir une fonction substantive ou prédicative :

(24) a. ɟəmɑːh hej kɨə Tʰɨən b. hej ɟəmɑːh Tʰɨən

ɟəmɑːh hej kɨə Tʰɨən hej ɟəmɑːh Tʰɨən nom 1SG FOC Thɨən 1SG appeler Thɨən ‘Mon nom est Thɨən’- Eli. ‘Je m’appelle Thɨən’ – Eli.

Ainsi, les noms peuvent partager avec les verbes la fonction de prédicat. Les verbes quant à eux peuvent également être utilisés comme substantifs partageant alors les mêmes fonctions que celles des noms.

Différents critères morphosyntaxiques permettent d’identifier un substantif par opposition à un prédicat, et inversement : les deux critères principaux sont la place du pronom par rapport au lexème étudié (1.1.1.1) et le type de négation (1.1.1.2). Ces deux critères sont illustrés et commentés dans les sections suivantes.

1.1.1.1 Place du (pro)nom

Dans le cas de lexèmes indéterminés en termes de catégorie, le critère principal pour différencier substantifs et prédicats est la place du nominal (pronom ou nom) par rapport au lexème étudié : lorsque ce dernier suit le lexème, il s’agit d’une construction génitivale [SUBST GEN]. En revanche lorsqu’il précède le lexème, il s’agit d’une proposition de type [S PRED] :

Une grammaire de la langue stieng

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(25) a. wiam hej b. hej wiam

wiam hej hej wiam bouche 1SG 1SG parler (fam)

SUBST POSS S PRED

‘ma bouche’ – Eli. ‘je cause’ – Eli.

(26) a. tap ʔiar b. ʔiar tap

tap ʔiar ʔiar tap œuf poule poule pondre

SUBST POSS S PRED

‘œuf de poule’ – Eli. ‘(la) poule pond’ – Eli.

Cette indétermination en termes de catégorie n’est pas systématique dans le lexique et semble être spécifique à certains champs sémantiques170. Par exemple, le nom pour maison niːh ‘maison’ ne peut être utilisé comme verbe pour signifier ‘habiter’.

1.1.1.2 Type de négation : négation verbale ɓən vs. restriction diː

Les marques ɓən et diː, correspondant respectivement à la négation et à la restriction (REST), constituent deux critères supplémentaires permettant de différencier un prédicat d’un substantif.