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Cette section44 présente différentes périodes de l’Histoire du Cambodge à travers les régimes politiques successifs et leur impact sur la situation culturelle et linguistique des Montagnards. Elle présente, dans un premier temps, la place des minorités dans les périodes pré-coloniale (1.2.1) et coloniale (Protectorat français - 1.2.2). Vient ensuite la période postcoloniale, qui comprend successivement le Sangkum Reast Niyum (Communauté socialiste populaire -1.2.3), la guerre du Vietnam, le régime khmer rouge et l'occupation vietnamienne (1.2.4). L'appréhension de cette Histoire récente à travers le prisme de thématiques spécifiques telles que les frontières, l'imposition de la langue par le

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Les deux autres langues de ce sous-groupe, le koho-sré et le chrau, étant parlées exclusivement au Vietnam.

44 Principalement basée sur les ouvrages de Mathieu Guérin (2003; 2008), spécialiste de l’Histoire de l’Asie du Sud Est des XIXème et XXème siècles.

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pouvoir politique, ou encore l'assimilation des minorités permettront de dégager les traits particuliers de la situation actuelle des communautés du pays et de leurs langues.

1.2.1 Place des minorités avant la colonisation française

Jusque vers la fin du XIXème siècle, les hauts plateaux peuplés par les communautés autochtones constituaient des territoires autonomes45 et les actuels Cambodge, Laos et Vietnam n’étaient pas délimités par des frontières internationales. L’ethnie dominante du Cambodge, qui vivait uniquement dans les plaines, ne jouissait d’aucune domination politique sur les hauts plateaux et leurs habitants46

.

Les groupes vivant dans les zones limitrophes avec les royaumes khmers successifs étaient parfois soumis à l’autorité du roi, devant notamment lui verser un impôt.

1.2.2 Protectorat français

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En 1863, le Cambodge signe un traité de Protectorat avec la France : cette période implique la perte d’autonomie des Montagnards. Le français devient la langue administrative et son enseignement est obligatoire dans toutes les écoles, peu d’importance étant accordée aux langues locales.

Vers la fin de la conquête coloniale de l’Indochine (1897), la France décide d’annexer les actuelles provinces de Ratanakiri et de Mondulkiri, celles-ci demeurant hors contrôle et représentant, pour les Français, des terres vierges à valoriser. Il s’agit également de différencier les zones de protectorats (Cambodge et Annam) des colonies cochinchinoise et laotienne en créant des limites administratives et fiscales.

Dans ce contexte, l’administration française dirige plusieurs opérations successives de tracé des frontières sans concertation avec les habitants concernés. Comme le souligne Guérin & al. (2003:25), cette situation implique, pour de nombreuses minorités telles que les Stieng, d’être divisées de part et d’autre des frontières :

De Laotiens, les Lao et les Brou-Kavet de Siempang sont devenus sujets cambodgiens. De même, les Stieng de la région de Léc-Ninh, d’abord indépendants, se sont retrouvés Cambodgiens puis Cochinchinois. Les Mnong de l’Est de la Chbar sont même devenus successivement

45 Avec néanmoins plusieurs tentatives d’invasions khmères, thaï, annamites et cham. 46 Quoique ces zones aient pu représenter une réserve de denrées rares et d’esclaves. 47 1863-1953

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cambodgiens, laotiens, annamites puis de nouveau cambodgiens… Finalement, on a attribué au Cambodge les Mnong de l’Ouest, les Krol, les Thmonn et les Tampuon- ainsi qu’une partie des Brou, des Jaraï et des Stieng. Quant à lui, le Viet Nam, via l’Annam et la Cochinchine, a hérité de la plupart des Jaraï et des Stieng de l’Est, des Eddé, des Mnong de l’Est, des Koho, des Sré, des Maa, et des groupe plus septentrionaux - les Halang, Sedang, Bahnar, Katu, etc.

Ceci explique que de nombreuses communautés de Montagnards soient aujourd’hui transfrontalières entre Cambodge, Vietnam et Laos.

Suite à l’annexion de ces régions, de nombreux autochtones sont spoliés de leurs terres et employés comme ouvriers agricoles dans des plantations d’hévéas, de thé ou de café établies par les Français dans les provinces des hauts plateaux et plus particulièrement dans la province de Kratie et le district de Snuol, peuplé par les Stieng.

On les sollicite également pour des travaux d’aménagement du territoire (construction de routes, de bâtiments administratifs…). Cette domination des Français enclenche de nombreuses rébellions contre la conquête de leurs terres, notamment chez les Stieng48.

Les Français amorcent ainsi un double processus combinant la ‘pacification’ des populations afin de neutraliser ces rébellions49 et leur ‘civilisation’ en condamnant certaines pratiques culturelles. L’éventuel impact de cette mission civilisatrice sur les langues n’apparaît pas dans la littérature consultée mais ne doit être écartée.

1.2.3 Sangkum Reastr Niyum

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Le Sangkum Reastr Niyum (ou Sangkum, Communauté socialiste populaire) correspond au mouvement politique créé par le Roi Norodom Sihanouk en 1955, suite au retrait de la France du Cambodge. C’est à cette époque que les frontières délimitant Cambodge, Laos et Vietnam acquièrent un statut international.

Durant le Sangkum, il s’agit pour l’Etat cambodgien nouvellement indépendant d’investir les hauts plateaux et d’en intégrer les habitants. Les hauts plateaux se voient attribuer un statut administratif en 1959-60afin d’être mieux contrôlés, avec la création des provinces du Ratanakiri et du Mondulkiri. Quant à l’intégration des habitants de ces régions, celle-ci s’établit par le biais d’une politique de khmérisation, qui considère que

48 Voir (Guérin, 2003:59) et Morère (2011).

49 Voir Guérin (2008) pour une étude détaillée de cette pacification. 50 1955-1970

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cette intégration passe par leur identification comme Khmers et leur ‘développement’ sur le modèle khmer. C’est ainsi que le nom khmer Loeu, les ‘Khmers d’en haut’51

est créé pour désigner les Montagnards.

Des vagues de migrations sont par ailleurs encouragées par l’État52, dans l’objectif de valoriser des terres considérées comme inexploitées voire appauvries par les populations minoritaires53. Il s’agit également de sécuriser un territoire fragile représentant une cible potentielle pour des colons étrangers tels que les Viêt ; ou encore de guider les populations locales, dans une posture paternaliste, avec notamment la création de villages modèles, comme Phum Sre Sangkum dans le district de Koh Nyek, au Mondulkiri.

Ci-dessous est présenté le témoignage d’un américain daté de 1961, attestant de la politique d’acculturation du gouvernement, qui passe entre autre par l’éducation, en khmer et en français :

‘Le gouvernement royal khmer ne veut pas seulement soumettre les Khmer Loeu à un contrôle administratif et les alphabétiser, il souhaite aussi qu’ils deviennent cambodgiens dans leur attitude. Ceci a pris différentes formes. En plus d’une scolarité de base qui est prévue pour la plupart des jeunes et qui comprend l’étude du khmer, du français et de l’histoire cambodgienne récente, on s’efforce de développer un enseignement religieux. En envoyant des bonzes vivre parmi les Khmer Loeu dans les centres administratifs, les autorités espèrent convertir les khmer Loeu au bouddhisme, la religion d’Etat’. (Melville, 2000:16 in Guérin & al., 2003:56)

51 Musulmans, les Cham quant à eux sont nommés ‘Khmer Islam’.

52Pour encourager les Khmers à s’installer dans ces régions, on leur propose primes et terres cultivables. Cependant, compte tenu des nombreuses craintes à l’égard des populations indigènes jugées ‘sauvages’ et belliqueuses’ seulement 3000 colons ont migré vers le Ratanakiri entre 1955 et 1970.

53 Les groupes indigènes utilisent l’essartage comme technique agricole: il s’agit de plantations variées sur brûlis (avec notamment la culture non inondée du riz) – rythmées par un cycle de rotation afin de laisser les sols se régénérer.

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1.2.4 Guerre du Vietnam

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, régime khmer rouge

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et

occupation vietnamienne

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Pendant la guerre du Vietnam57, les hauts plateaux du Cambodge font office de refuge aux différentes guérillas et tout le Nord-Est est contrôlé par les Khmers Rouges dès 1968. Cette même année, les minorités du Ratanakiri se révoltent contre les troupes royales khmères face à la politique de khmérisation, et obtiennent le soutien des Khmers Rouges.

En 1970, de nombreuses populations fuient le Nord-Est qui représente une cible pour les bombardements massifs des Américains : en mai 1970, les environs de Snuol et Memot, où sont localisés les Stieng, sont bombardés58.

Pol Pot, le dirigeant militaire et politique des Khmers Rouges, prend Phnom Penh, la capitale, en avril 1975: le régime khmer rouge est dévastateur, y compris pour les communautés minoritaires. Les villageois situés dans les zones les moins reculées sont déportés vers les plaines pour servir de main d’œuvre dans des coopératives et des camps de travail. Tout ce qui fondait leur richesse leur est confisqué et les pratiques religieuses sont prohibées, voire punies sous peine de mort. Beaucoup fuient vers le Laos ou le Vietnam dès 1971. Sous le régime khmer rouge, 15% des indigènes auraient péri, soit environ 9000 personnes. Mais compte tenu des disettes, des massacres et des bombardements américains ce chiffre apparaît sous-estimé.

En 1979, le régime khmer rouge est renversé par les troupes vietnamiennes qui occupent le pays pendant toute une décennie. Pendant cette période, les membres des minorités alors délocalisées regagnent leurs terres. L’invasion des Viet suscite une guerre civile, notamment entre les forces de l’État du Cambodge et les Khmers Rouges. Les troupes vietnamiennes se retirent du Cambodge en 1989.

54 Dans le contexte de la guerre du Vietnam, la République Khmère, est érigée suite à un coup d’état, dirigées par le général Lon Nol entre 1970 et 1975.

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1975-1979 56 1979-1989 57 1954-1975

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1.3 Retour à la monarchie et situation actuelle