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Le Cambodge compte deux grandes familles ethnolinguistiques : la famille austro-asiatique (AA) et la famille austronésienne (AN)27.

La famille austro-asiatique est la plus importante au Cambodge : elle est approximativement représentée par une douzaine de langues, parmi lesquelles figurent le stieng, le brao, le tampuon, le bunong, le poar, le saoch, le suoy et le kuy. La famille austronésienne, n’est, quant à elle, représentée que par deux langues : le jaraï et le rhadé (qui n’entretiennent pas de contact avec le stieng). La Carte 3 ci-dessous indique la répartition des langues affiliées aux familles austro-asiatique et austronésienne au Cambodge.

26 Terme emprunté à la géographie : mécanisme d'extension des territoires exploités et cultivés ayant comme objectif d’augmenter la production agricole ou forestière, d’homogénéiser les densités et de mieux contrôler les marges du territoire (voir Mérenne, 1990).

27 Sans tenir compte des familles taï-kadaï et sino-tibétaine représentées par les diasporas lao, thaï et chinoise.

I - Chapitre 1 | Les Stieng et leur langue

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Carte 3 : Répartition des langues par familles au Cambodge28

Au sein de la famille austro-asiatique, le stieng est affilié à la branche bahnarique du groupe môn-khmer (MK)29. La zone correspondant aux langues môn-khmères couvre la totalité du Cambodge, une grande partie du Vietnam, quelques zones frontalières au Sud-Ouest du Laos. Elle s’étend par enclaves à l’Est (Myanmar, Thaïlande), au Sud (péninsule malaise) et au Nord (Chine30) : la Carte 4 rend compte de cette répartition.

28 Source : SIL International : http://www.ethnologue.com/map/KH

29 Toutes les langues austro-asiatiques du Cambodge appartiennent à la branche môn-khmère. 30 Non visible sur la carte.

Une grammaire de la langue stieng

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Carte 4 : Répartition des langues môn-khmères31

Parmi les langues bahnariques, le stieng est classé comme langue bahnarique-sud (> central-sud >bahnarique-central) auprès du bunong (phnong, mnong)32 parlé également au Cambodge et au Vietnam, ainsi que du chrau et du sré (koho) parlés uniquement au Vietnam. Dans ce contexte, les analyses linguistiques du stieng présentées dans cette thèse font régulièrement appel à des comparaisons avec ces langues, sur la base des travaux disponibles dans la littérature33.

Des désaccords subsistent néanmoins, tant au niveau de la structure générale du phylum austroasiatique, qu’au sujet des diverses sous-branches de la branche bahnarique : la classification adoptée dans cette thèse correspond à la proposition la plus récemment publiée (Sidwell, 2009 :203). Cette dernière est illustrée en Figure 1 ci-après.

31 Goddard (2005:31), sur la base de Comrie, Matthews & Polinsky (2003).

32 ‘Bunong’ correspond à l’appellation que la communauté se donne elle-même, phnong à l’appellation donnée par les Khmers ; et mnong, à celle donnée par les Vietnamiens. Ces deux dernières ont une connotation négative et sont utilisées par extension comme terme générique pour faire référence à des individus ‘sous-développés’.

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21 Mon-Khmer

Aslian Bahnarique

Katuique Bahnarique Ouest Khasian Bahnarique Central

Khmérique Bahnarique Nord Central-Sud

Khmuique Bahnarique Est Bahnarique-Sud

Mônique Bunong

Nicobarique Stieng

Palaungique Chrau

Pearique Sré

Viétique

Figure 1 : Affiliation génétique du stieng34

Tableau 2 ci-dessous présente quant à lui le détail des langues bahnariques ainsi apparentées au stieng :

Bahnarique Ouest Bahnarique Central Bahnarique Nord Bahnarique Est Jru’ (laven), Juj, Su’

Nyaheun

Oi, The, Sok, Sapuan, Cheng Brao, Laveh, Kreung, Kravet

Taliang (kasseng) Alak Central-Sud Tampuon Bahnar Bahnarique-sud Bunong Stieng Chrau Sré Halang, Kayong Jeh Kotau Tadrah, Modrah Sedang Hrê Meuneum (beunam) Rengao Kaco’, Ramam Cua (Kor)

Tableau 2 : Langues bahnariques (version modifiée de Sidwell, 2009:203)35

34 Sur la base de : http://sealang.net/monkhmer/ et Sidwell (2009).

35 Dernière version révisée et provisoire. La classification des langues banhariques est évolutive, au fil des recherches et des reconstructions. Le site sealang.net propose un suivi de ces différentes évolutions. Voir également le n° 42 de la revue Môn-Khmer Studies où les dernières propositions de classification sont présentées (2013).

Une grammaire de la langue stieng

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D’un point de vue géographique, la zone de diffusion des langues bahnariques couvre un large territoire sur les hauts plateaux du Cambodge, du Laos et du Vietnam. La Carte 5 ci-dessous en présente la répartition. Au Cambodge, le stieng est la langue bahnarique située la plus au Sud.

Carte 5 : Répartition des langues bahnariques (Eva Ujlakyova, 2013, in Cheeseman & al, 2013:xxxv)

Cette carte représente deux groupes stieng : les Stieng Bulo et les Stieng Budeh, les Stieng du Cambodge appartenant au premier groupe. Selon l’Ethnologue, les Stieng Bulo feraient partie, avec les Stieng Budeh d’un ensemble plus vaste, les Xtiêng, regroupant 85 436 membres au Vietnam, d’après le recensement national de 2009. Davantage d’informations seraient nécessaires pour comprendre sur quels critères se base cette distinction. Cette carte souligne par ailleurs un contact entre Stieng et Bunong (Phnong, Mnong), de part et d’autre de la frontière. En revanche, les Koho (Sré) et les Chrau, localisés uniquement au Vietnam, ne se trouvent pas en contact avec les Stieng du Vietnam.

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1.1.4 Situation géolinguistique du Cambodge : synthèse

Les minorités autochtones du Cambodge sont principalement situées dans les régions du Nord-Est (Ratanakiri et Mondulkiri). Elles représentent aujourd’hui près de 3% de la population totale du pays et sont réparties en deux grandes familles ethnolinguistiques (austro-asiatique - dont fait partie le stieng - et austronésienne).

Organisé par ordre décroissant des populations, le Tableau 3 ci-dessous synthétise les données démographiques, géographiques et ethnolinguistiques présentées dans ce chapitre en précisant : l’affiliation génétique, le nombre de personnes et la localisation de chaque groupe ethnolinguistique. Dans ce tableau, le stieng est situé en sixième position.

Les chiffres indiqués par la colonne relative à la population concernent les membres de la communauté et non pas le nombre de locuteurs. La communauté la plus large, celle des Kuy (branche katuique), constitue quelques 30 000 personnes tandis que la communauté la plus petite, celle des Saoch (branche péarique), ne regroupe que 150 personnes. Ici, la douzaine de Rhadé (n°13) n’est pas prise en compte dans la mesure où cette communauté se situe principalement au Vietnam avec 45 000 de personnes. D’après ces chiffres, on peut considérer les Stieng comme une communauté moyenne démographiquement.

Ce tableau met en relief une dominance linguistique bahnarique (famille Austro-asiatique, groupe môn-khmer) : cette branche représente la majeure partie de la population autochtone, dont font partie les Stieng. En revanche, la branche pearique, quoique représentée par cinq langues, ne représente qu’une très faible proportion des populations autochtones au Cambodge.

Une grammaire de la langue stieng

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N° Communauté ethnolinguistique

Sous-branche Branche Groupe Famille Population 36 Province(s) et pays

1 Kuy ~ Kuay Katuique ouest Katuique MK37 AA38 30 000 Preah Vihear; Kampong Thom; Stung Treng; Thaïlande et Laos

2 Tampuon Bahnarique Ouest Bahnarique MK AA 24 000 Ratanakiri et Mondulkiri 3 Brao 39 Bahnarique Ouest Bahnarique MK AA 23 800 Ratanakiri; StungTreng

Laos

4 Bunong 40 Bahnarique Sud Bahnarique MK AA 20 000 Mondulkiri ; Stung Treng ; Ratanakiri et Kratie

Vietnam

5 Jaraï Chamique Malayique MP AN. 20 000 Ratanakiri, Laos et Vietnam

6 Stieng Bahnarique Sud Bahnarique MK AA 6540 ~ 900041 Kratie (Snuol); Mondulkiri (Keo Seima) Kampong Cham (Memot); Vietnam 7 Kachac ~ Kaco’ Bahnarique Nord Bahnarique MK AA 1300 Ratanakiri

8 Suoy ~ So’ong Pear de Kpg Speu Pearique MK AA 500 Kampong Speu 9 Samrê Pearique Est Pearique MK AA 400 Koh Kong

10 Poar ~ Poa Pear de Kpg Thom Pearique MK AA 300 Kampong Thom et Pursat 11 Somray Pearique Ouest Pearique MK AA 300 Pursat

12 Saoch ~ Cu’ung Pear de Veal Renh Pearique MK AA 150 Kampot et Pursat 13 Rhadé ~ Eddé Chamique Malayique MP AN ~ 12 Mondulkiri et Vietnam

Tableau 3 : Classification géolinguistique des minorités du Cambodge42

Ainsi, le stieng du Cambodge, dont il est question dans cette thèse, est une langue minoritaire des hauts plateaux du Cambodge. Ses locuteurs sont situés à proximité des plaines au contact des Khmers, ce qui expliquerait les nombreux emprunts présents dans la langue.

Il s’agit par ailleurs d’une langue transfrontalière avec le Vietnam, où la population stieng constituerait une communauté beaucoup plus large qu’au Cambodge, avoisinant les 45 000 personnes.

36 Sont ici proposés les chiffres de Filippi (2008), sauf pour les Rhadé (dernière ligne), Filippi ne les mentionnant pas.

37

MK : môn-khmer ; MP : malayo-polynésien. 38 AA : austro-asiatique ; AN : austronésien.

39 Regroupant brao, kreugn, kravet et lun (cf. Filippi, 2008:57,94)

40 Intégrant kraol et mel, ignorés dans Filippi (2008) mais listés Chhim (2005:25) et Plant, (2002:4) comme des groupes à part entière, ou encore mentionnés par Ethnologue et Joshua Project (http://www.joshuaproject.net/) comme représentant des langues non-intelligibles entre elles.

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La population stieng regroupe 4000 personnes selon Filippi (2008 :102).

42 Version modifiée de ‘Geolinguistic Classification of the Main Indigenous Populations in Cambodia’, de Bourdier (1996), reproduit dans Plant (2002), révisée et complétée par Bon avec les données de Filippi (2008).

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Comme une majorité de langues parlées au Cambodge, il s’agit d’une langue de la branche bahnarique du groupe môn-khmer. Le stieng constitue, avec le bunong, l’une des deux seules langues bahnariques-sud du Cambodge, les deux autres langues de la même filiation étant localisées au Vietnam43.

La communauté stieng occupe une place intermédiaire en termes de population au sein des différentes minorités du Cambodge, mais figure parmi les communautés bahnariques les moins peuplées du Cambodge. Les Bunong, qui constituent le groupe le plus proche des Stieng en termes géographique et ethnolinguistique, représentent plus du double de la population stieng.

Une bonne compréhension de la situation actuelle des Stieng du Cambodge nécessite une synthèse historique et politique des nombreux bouleversements subis par les minorités du Cambodge depuis le début du XXème siècle, ces bouleversements étant à l’origine d’une grande insécurité linguistique et culturelle. Parmi ces bouleversements figurent la colonisation française, le tracé aléatoire des frontières, les guerres successives et les politiques assimilationnistes d’intégration. Ainsi, la section suivante décrit la place et l’intégration des minorités du Cambodge et, plus particulièrement celles des habitants des hauts plateaux du Nord-Est, les Montagnards, à travers un résumé de l’Histoire récente du pays et son impact sur le destin des langues minoritaires.

1.2 Contexte Historique et géopolitique des