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Analyse structurelle de l’analogie développementale

L’analogie développementale consiste à affirmer que tout comme les traits phénotypiques d’un organisme humain sont le produit de l’interaction entre le bagage génétique de cet individu et de l’environnement dans lequel celui-ci se développe, les traits culturels d’un individu humain sont produits à partir de l’interaction des unités culturelles et du contexte dans lequel l’individu agit. C’est cette relation d’analogie qu’il faudra maintenant formaliser à l’aide de la théorie struc- turelle de l’analogie développée au chapitre 2. La figure 4.2 présente la structure de l’analogie développementale sous forme de tableau. On prendra évidemment le domaine biologique comme analogue source (représenté dans la colonne de gauche) et le domaine culturel comme analogue cible (analogue cible).

Du côté biologique, le phénome de l’organisme est le produit développemental du génome qui s’est constitué alors qu’il était encore zygote. Toutefois, le génome entier d’un organisme n’est transmis d’un parent à un descendant que dans les cas de reproduction asexuelle. Dans le

cas de la reproduction sexuelle, seule une part du génome est effectivement transférée du parent à ses descendants. Pour simplifier la discussion, on parlera ici d’un gène comme d’un facteur développemental en spécifiant qu’il est encodé dans une portion du matériel génétique participant au développement d’un organisme. De ce fait, on pourra attribuer au gène lui-même un potentiel causal en l’identifiant à un chaînon d’ADN particulier, relation rendue par encodésg(gènes,

ADN)1. La DIT propose un analogue à cette relation en affirmant que les unités culturelles sont encodées dans les structures neuronales d’un individu humain. Cette relation est donnée par encodéesc(unités-culturelles, structures-neuronales).

Un organisme possède des gènes ainsi que des traits phénotypiques et, du côté culturel, un indi- vidu humain en viendra par apprentissage social à posséder des unités culturelles qui produiront chez cet individu des traits culturels. De ce fait, on peut alors dire que ces quatres entités sont possédées par un individu humain. Cette « possession » de propriétés est rendue par les relations possèdeXy, où la possession d’un gène donné est rendu par possède1g(individu-humain, unités-

culturelles) et la possession de traits phénotypiques donnée par possède2g(individu-humain,

traits-phénotypiques). Du côté culturel, et en directe analogie avec ces deux relations, on trouvera la relation possède1c(individu-humain, unités-culturelles) représentant la possession d’unités

culturelles par un individu humain, et la relation possède2c(individu-humain, traits-culturels),

reflétant le fait qu’un individu humain manifestera certains comportements culturellement acquis ou qu’il produira certains artéfacts. Il est nécessaire de spécifier ces relations pour trois raisons. D’une part, cela permet de mettre en relation les facteurs développementaux biologiques et culturels en relation avec l’environnement développemental de l’organisme qui les possède. D’autre part, ce sont les facteurs héréditaires possédés par un organisme qui produisent les traits matériels de ce même organisme. Finalement, ces relations participent à la confusion entre les deux notions de développement culturel défendues par les tenants de la DIT. En effet, lorsqu’il sera question de la théorie de l’organisme de second ordre à la section 4.5, il sera question de remettre en question la validité de l’alignement de ces relations.

La dernière relation de premier ordre qu’il faut définir pour établir la structure de haut niveau de l’analogie développementale consiste à indiquer que les gènes ne sont pas les seuls facteurs développementaux servant à la production des traits phénotypiques. Bien que les gènes soient

1. Cette identification d’un gène avec un segment d’ADN servira à dénoter la réalité matérielle et donc la puissance causale du gène. Bien que dans le contexte de l’analogie développementale il n’est pas nécessaire d’établir cette relation d’identité, lorsqu’il sera question de l’interface entre l’analogie développementale et l’analogie popu- lationnelle, il sera important de pouvoir identifier le gène servant de facteur développemental au gène transmissible d’une génération à l’autre. De ce fait, on adoptera ici une notion de gène qui ne sera pas analysée en plus de détail puisque cette relation entre les gènes comme facteurs héréditaires et les gènes comme facteurs développementaux constitue en soi un sujet controversé au sein des sciences biologiques et de la philosophie de la biologie. Voir Beurton et al. (2000), Keller & Harel (2007) & Rheinberger & Müller-Wille (2010) pour un aperçu des problèmes entourant la notion de gène tant dans un contexte moléculaire, évolutionnaire et développemental.

FIGURE4.2. – Représentation de la structure de l’analogie développementale sous forme de tableau

analogique.

des facteurs développementaux héréditaires, l’environnement développemental joue aussi son rôle dans la production des caractères d’un organisme. Cette relation sera alors formalisée par interagissentg(gènes, environnement). De manière analogue, les unités culturelles ne sont pas les

seules causes de production des traits culturels d’un organisme. En codant pour des dispositions comportementales, ces unités culturelles s’expriment différemment selon le contexte dans lequel l’action est perpétrée, relation rendue par interagissentc(unités-culturelles, contexte).

On peut maintenant définir la relation de haut niveau qui est identifiée dans l’analogie dévelop- pementale avancée par les tenants de la DIT. Du côté biologique, ce sont les gènes possédés par un organisme qui, en tandem avec l’environnement développemental de cet organisme, produisent les traits phénotypiques de l’organisme. Ici, on identifie une relation causale où ce sont les gènes d’un organisme donné (possède1g) qui, par leur interaction avec l’environnement (interagissentg)

en viennent à produire les traits phénotypiques de ce même organisme (possède2g). On rendra

donc cette relation de productivité causale par produisentg, où la conjonction des antécédents

(possède1g & interagissentg) sert de cause au conséquent (possède2g). Du côté culturel, les

tenants de la DIT nous disent que ce sont les unités culturelles possédées par un individu humain (possède1c) qui, par leur interaction avec le contexte dans lequel l’individu agit (interagissentc),

produisent les traits culturels de cet individu (possède2c). On rendra cette relation par produisentc

où la conjonction des antécédents (possède1c & interagissentc) sert de cause au conséquent

(possède2c). En d’autres mots, la relation produisentg(possède1g& interagissentg, possède2g)

dénote le développement des traits phénotypiques d’un organisme alors que la relation pro- duisentc(possède1c& interagissentc, possède2c) dénote l’analogue culturel du développement

biologique, soit le développement des traits culturels.

L’analogie développementale consiste donc à dire que les relations de haut niveau produisentx

sont en fait analogues parce qu’elles dénotent un même type de schème causal et parce que les éléments constitutifs de ces relations de haut niveau sont eux-mêmes analogues les uns aux autres. La projection est isomorphe, sans exception : toutes les composantes de l’analogue source, de la relation de haut niveau jusqu’aux objets et propriétés, sont alignées à un et un seul élément équivalent dans l’analogue cible. De plus, les arguments des différentes relations sont alignés avec les arguments occupant la même position dans la relation analogue. La consistance structurelle semble donc être maximisée.

Du côté du critère de similarité sémantique, les termes choisis pour représenter les relations suggèrent qu’elles ont la même signification, mais certaines indications sont nécessaires pour expliquer pourquoi les tenants de la DIT en arrivent à ce constat. La relation d’encodage des gènes dans les chaînons d’ADN et celle de l’information culturelle dans les structures neuronales seraient sémantiquement similaires non parce qu’elles dénotent des processus matériellement similaires, mais bien parce qu’elles permettent aux gènes et unités culturelles d’avoir une réalité causale. Les tenants de la DIT font remarquer que les recherches neuroscientifiques ne sont pas suffisamment avancées pour offrir une théorie de la réalité matérielle des unités culturelles et que de ce fait on ignore la manière dont l’information culturelle est effectivement encodée dans le cerveau humain (Mesoudi et al., 2006, 342-344 ; Mesoudi, 2011, 214-216 ; section 3.2.2). Il serait alors problématique pour l’analogie de l’hérédité culturelle que la relation analogique entre encodésg(gènes, ADN) et encodéesc(unités-culturelles, structures-neuronales) dût se faire

à partir des similarités matérielles des deux processus. Comme il en a été question à la section précédente, l’analogie ne concerne pas le détail matériel des processus alignés mais bien leur structure fonctionnelle.

La relation d’encodage sert donc à identifier le substrat matériel des acteurs de cette analogie fonctionnelle, soit l’ADN du côté biologique et les structures neuronales du côté culturel. Néanmoins, les portions d’ADN et les structures neuronales sont alignées non pas parce qu’elles partageraient quelques propriétés matérielles particulières, mais plutôt parce qu’elles jouent un rôle développemental analogue – elles participent à la production d’un trait. Au sein de l’analogie développementale, c’est ce rôle de facteur développemental qui servira à la construction de l’analogie de l’hérédité culturelle et non pas les propriétés matérielles des entités qui assurent ce rôle dans la source et dans la cible (voir section 7.1 pour une discussion plus approfondie de ce point). Néanmoins, une entité matérielle doit pouvoir, par ses capacités causales, assurer un tel rôle. La relation d’encodage permet ainsi d’asseoir la structure causale de l’analogie développementale sur des fondements matériels. Cela permettra, du côté de la biologie, de mettre en relation les processus moléculaires de l’ADN et leur impact au niveau de la production de traits et, du côté de la culture, d’organiser une science neurologique des unités culturelles et de la production des traits culturels.

Les relations interagissentx font appel à une relation abstraite où on ne fait qu’affirmer que

deux entités peuvent avoir un effet causal l’une sur l’autre. Parallèlement, les relations possèdeXy

sont aussi très générales puisqu’elles ne font qu’affirmer que leurs arguments font partie de l’organisme humain. Finalement, les relations produisentx sont elles-mêmes générales. On y

indique simplement que certaines entités encodées possédées par un individu interagissent avec l’environnement de cet individu et de ce fait participent à la production de traits pour ce même organisme. L’analogie développementale, en adoptant une conception fonctionnelle qui évacue les détails matériels des processus développementaux biologiques et des détails neurophysiologiques de l’expression de comportements socialement acquis, semble donc très bien satisfaire le critère de similarité sémantique. Il reste toutefois à voir si cette conception abstraite du développement saura servir le rôle explicatif que les tenants de la DIT entendent lui faire jouer. Il faudra attendre le chapitre 6 pour une analyse de la valeur explicative de cette analogie constitutive puisqu’elle dépend de son interface avec l’analogie populationnelle.