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Les outils de collecte définis, nous expliciterons ici des notions de la théorie de l’activité dans lesquelles s’ancrent nos méthodes d’analyse et dont les définitions sont essentielles à la compréhension de l’analyse que nous mettons en œuvre. Nous détaillerons ensuite les méthodes choisies pour analyser les vignettes ethnographiques ainsi que les entretiens semi-dirigés.

3.5.1. Concepts clés et perspectives d’analyse

3.5.1.1 La tradition dialectique

Selon Garaudy (2010), la dialectique est un effort pour rationaliser des aspects complexes du réel : le mouvement, la contradiction, la totalité. Elle est la méthode de recherche qui permet d'intégrer à la pensée rationnelle le devenir et les contradictions qui en sont le moteur. La théorie de l'activité est une théorie dialectique d’après Engeström et Sannino (2010) et la conception dialectique de la contradiction joue un rôle crucial. Aussi, selon Engeström et Sannino (2011), le cadre dialectique traite des systèmes en mouvement à

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travers le temps. Une contradiction dialectique se réfère à une unité des contraires, des forces opposées ou des tendances au sein d'un tel système en mouvement. C’est dire que l’aspect dialectique est non négligeable et nous en tenons compte dans l’analyse que nous menons.

3.5.1.2 La double stimulation

La double stimulation est un concept qui provient de Vygotsky (1987) et Engeström en fait un usage adapté dans sa méthode du « Change laboratory » (Engeström et al., 1996). Selon Engeström (2009), la double stimulation est une méthode émancipatoire. Elle pousse le sujet à aller au-delà du problème initial pour ouvrir et tendre vers un objet derrière ce problème. Lors de la double stimulation, le sujet passe par deux phases, soit celle de la construction, puis de l’actualisation. Le premier stimulus est le problème lui-même. Ensuite, le sujet utilise des moyens externes pour déterminer la suite de son comportement. Il ne réagit pas directement au premier stimulus, mais il mobilise des ressources pour agir. C’est la modélisation d’une nouvelle activité. Par exemple, dans le cas précis de notre étude, la situation initiale (premier stimulus) peut être l’introduction d’un nouvel outil comme le KF qui entre en conflit avec les méthodes habituelles. L’enseignant va réagir en posant l’action de créer des équipes de travail (deuxième stimulus), ce qui est une nouvelle façon d’appréhender sa classe afin de s’adapter aux besoins qui émergent de l’intégration du nouvel outil. Avec le temps, cette double stimulation mènera vers une nouvelle activité. Ce concept est directement lié aux actions en transition (Sannino, 2008) explicitées précédemment, car ces dernières concernent les tentatives de transformation de l’activité. Les actions entreprises lors de la phase de l’actualisation sont justement des actions en transition.

3.5.1.3 La cellule germinale et la progression de l’abstrait au concret

La double stimulation est aussi en lien avec le concept du « germ cell » que nous traduisons ici par « cellule germinale ». Virkkunen (2009) explique qu’au milieu des tentatives rétrogrades et évasives pour résoudre les problèmes d’une activité, une cellule germinale émerge. Il s’en dégage un nouvel objet de l’activité qui promet de résoudre les contradictions internes secondaires. Cette cellule germinale est donc le point de repère d’où nait la nouvelle activité, l’ancrage dans lequel puise le sujet pour poser des actions en

63 transition considérées comme deuxième stimulus qui fonctionnent et mènent vers un nouvel objet. Selon Davydov (1990), cette séquence d’actions d’apprentissage progresse en un mouvement ascendant de l’abstrait au concret. Engeström et Sannino (2012) l’exposent en ces termes :

Il s’agit d’un processus pour saisir l’essence d’un objet en reproduisant théoriquement la logique de son développement, à travers l'émergence et la résolution de ses contradictions internes. Une nouvelle idée ou un concept théorique est d'abord réalisé sous la forme d'un résumé, la relation explicative simple, une "cellule germinale." Cette abstraction initiale est peu à peu enrichie et transformée en un système concret de multiples manifestations qui ne cessent de se développer. Dans l'activité d'apprentissage, l'idée de départ simple est transformée en un objet complexe, dans une nouvelle forme de pratique. [Traduction libre] (p. 12)

Suivant ce processus, c’est dire qu’au cœur des systèmes d’activité que nous avons ressortis et que nous utilisons pour notre étude, des opérations, des actions et des activités ont émergé d’une abstraction, c’est-à-dire d’une cellule germinale. Elles sont accomplies pour mener vers une nouvelle activité dominante. Autrement dit, le sujet passe d’une conceptualisation de l’activité à des actions concrètes, des actions en transition, pour atteindre un objet complexe. C’est ainsi que s’ouvrent les possibilités de développement et d’innovation. Il est complexe de documenter l’abstraction qu’exécutent les sujets et c’est pour cela que nous nous centrerons sur les actions concrètes posées par ceux-ci, mais il est important de comprendre d’où partent les actions porteuses de changement pour saisir le processus traversé.

3.5.1.4 Les concepts de tension et de contradiction

Une tension peut être définie au sens large et abstrait par un état de ce qui menace de rompre. Il s’agit d’un désaccord, d’une situation tendue entre deux personnes, deux groupes, deux nations, deux éléments. Selon Engeström (2001), les tensions ne sont pas nécessairement des problèmes ou des conflits, mais plutôt des tensions structurelles au sein d’un système. Elles jouent un rôle central et peuvent devenir génératrices de construction et de résolution de problèmes (Barma, 2008). Les tensions peuvent prendre différentes formes. Sannino et Engeström (2011) relèvent quatre formes de tensions, soit le conflit, le

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conflit critique, le dilemme et la double contrainte qui sont les quatre formes retenues pour la présente étude.

La contradiction quant à elle, que l’on peut nommer contradiction dialectique dans le contexte de la théorie de l’activité, est définie par Engeström et Sannino (2011) comme étant une unité des contraires, des forces opposées ou des tendances, comprises dans un système en mouvement. Une contradiction est un concept fondamental philosophique qu’il ne faut pas confondre avec une tension, cette dernière étant plutôt une manifestation de contradictions. De plus, une contradiction peut être située dans son développement historique. Engeström (1999) relève quatre niveaux de contradictions possibles au sein d’un système d’activité.

Figure 3. Quatre niveaux de contradictions dans un réseau de systèmes d'activités humaines