Il est illusoire d’anticiper sur les usages, ceux de la formation à distance comme ceux des technologies numériques. Ce genre de réflexion en général peu fiable, est au fond peu utile.
Sans chercher à décrire un futur de la formation médiatisée, de son organisation ou de ses modalités, il y a des questions fortes que l’on ne doit pas éviter : elles concernent l’action d’aujourd’hui pour une recherche en éducation, elles conditionnent le développement des formations et la conception des ressources pour apprendre et se former. Prendre conscience des mutations engagées dans ces domaines qui associent étroitement ancrage social et technologies de l’information et de la communication, est une source de dynamisme, d’innovation et d’efficacité.
Comment apprendrons-nous dans les décennies à venir, quelle place et quel rôle donnerons nous aux technologies numériques dans les parcours de formation, comment saurons nous gérer la temporalité des adaptations et nous approprier la distance pour l’accès aux connaissances et la promotion des savoirs ?
Ce numéro de Distances et Savoirs s’ouvre donc aux questions de l’avenir sans entrer dans l’anticipation ni même dans une approche prospective qui exigerait des méthodes spécifiques. A partir d’observations, de résultats de recherche et d’expériences, ce numéro pose des jalons. Un Colloque en octobre 2006 à Albi,
« E-prospectives et territoires de la connaissance », a permis aux chercheurs et praticiens réunis de réfléchir aux mutations des connaissances, aux modalités de leur transmission et aux stratégies de leur acquisition. Ce numéro de Distances et Savoirs s’inspire de ce colloque et prolonge la réflexion. Tout en reprenant certaines des ses interventions, l’intention de ce numéro n’est pas seulement de donner des perspectives pour préparer et accompagner les changements, mais aussi de solliciter l’inventivité des formateurs, la créativité des chercheurs et la réactivité des apprenants.
L’engagement des acteurs
Sans cesse, des usages émergent ; ils sont portés par des innovateurs, ils apparaissent par le biais d’expériences ou de recherches, ils sont sollicités par la sphère technicienne qui renouvelle sans cesse outils et méthodes, mais ils restent toujours soumis au corps social qui en interagissant avec les contextes techniques et culturels, en définitive les intègre ou les rejette.
Pas de prédiction dans ce numéro mais un regard sur des perspectives, une interrogation sur un avenir qui se construit surtout dans l’engagement et la réflexion.
Il n’y a pas de déterminisme technologique, il n’y a pas d’outil qui s’impose de lui-
même, il y a des communautés qui s’approprient des dispositifs, qui promeuvent des valeurs et partent à la conquête de nouveaux savoirs.
L’importance de l’engagement personnel apparaîtra dans les témoignages et entretiens de ce numéro. Avec Denys Lamontagne, fondateur et animateur du service THOT sur l’actualité de la formation à distance, « la connaissance est un réseau » et chacun peut s’y risquer.
L’engagement constant de Maryse Quéré autour de l’idée d’« un enseignement sur mesure », propice à la valorisation des qualités de chacun, montre combien le rythme des évolutions du champ de la formation médiatisée, n’est pas celui, pressé et changeant, du modèle commercial et publicitaire.
En tant que géographes, Emmanuel Eveno et Mathieu Vidal esquissent l’idée qu’aux domaines de la connaissance et des parcours individualisés de formation, se superposent les territoires où vivent ceux qui apprennent et ceux qui forment. Les logiques territoriales agissent dans les dispositifs d’échange numérique et de formations en ligne ; l’engagement des institutions et des collectivités locales fonde nombre d’initiatives dans ces domaines et participe à la structuration des espaces virtuels permis par ces réseaux d’information et de communication.
Ils sont nombreux ceux qui croient à l’éducation, qui inventent de nouvelles modalités d’apprentissages et qui s’associent pour réaliser des formations performantes. Le défi de la formation et de l’éducation est toujours à relever : former mieux et plus, construire des compétences, ouvrir l’accès aux savoirs à des publics neufs et demandeurs.
Perspectives
Trois mots clés, trois concepts se croisent et se répondent dans les articles de ce numéro : coopération, accompagnement et communauté.
En tant que psychosociologue, Émilie Vayre s’intéresse à l’articulation entre les processus individuels et l’environnement des individus. Elle s’interroge sur la place et le rôle des relations interpersonnelles dans les conduites de formation en situation de e-learning. Cette réflexion est d’autant plus pertinente que de nombreux discours privilégient les principes d’individualisation et les processus d’appropriation individuels.
Dans une analyse argumentée, s’appuyant sur une réflexion théorique solide et étayée par des résultats tirés d’interview d’étudiants impliqués dans des formations en ligne, elle montre la présence significative et bien réelle de la dimension relationnelle dans ces dispositifs de formation.
Tout en indiquant que l’individu n’est pas impliqué de manière solitaire dans un dispositif de formation médiatisée et que les relations qu’il entretient avec autrui sont à l’œuvre sur plusieurs plans, elle note la difficulté du travail collaboratif,
l’importance du soutien social offert par les pairs dans la dynamique d’apprentissage et insiste sur le rôle primordial de médiateur que tiennent les tuteurs.
Olivier Catteau rend compte dans le cadre d’un campus numérique très actif de la mise en place d’un environnement informatique qui tout en adoptant des normes et standards, permet en particulier la collaboration entre les concepteurs des modules de formation. La question du cycle de vie des objets pédagogiques est tout particulièrement approfondie, elle opérationnalise le partage et la réutilisation de ressources au sein de viviers de connaissance.
En établissant ainsi une méthode expérimentée pour la gestion collaborative des objets pédagogiques, il montre comment les normes et les standards peuvent être mis au service de la productivité, de la création et de l’efficacité pédagogique.
La collaboration entre les acteurs et la réutilisation des ressources sont bien deux attentes récurrentes de la formation à distance mais elles sont difficiles à réaliser et à faire fonctionner, la solution développée dans cet article renouvelle les perspectives.
En s’appuyant sur un programme de recherches en cours, la communication d’Éric Delamotte montre comment des communautés d’apprentissage, qu’elles se reconnaissent ou non, se développent et s’organisent avec les outils et services de l’Internet. Elles offrent de nouveaux agencements et modifient les modes de validation des connaissances.
Dans le cadre d’une culture numérique examinée sous un éclairage social, culturel, professionnel et scolaire, l’article interroge ces pratiques communautaires souvent irréfléchies qui relèvent principalement de l’expérience et de l’échange entre pairs. Quelle est la place d’une culture plus réflexive favorisant mieux l’exercice de la pensée critique ?
Dans une deuxième partie, en esquissant les traits constitutifs d’une communauté d’apprentissage, l’article propose d’orienter la perspective autour de trois variables : la trajectoire de croissance des communautés, l’évolution de la structure relationnelle de ses membres, l’évolution dans le temps des ressources qui y circulent. On notera par exemple que pour que des espaces communs fonctionnent et produisent des connaissances, les participants demandent que des règles soient établies afin de faciliter ou de modérer les contributions.
Éric Delamotte nous montre dans son article que la possibilité de mettre en visibilité un nombre toujours plus grand de domaines de connaissance, loin de conduire à une uniformisation des modes de réception, inaugure l’entrée dans un régime d’éparpillement et d’atomisation en une multitude de « savoirs » et de
« publics » de plus en plus différenciés.
Territoires à conquérir
La « formation à distance » recouvre un domaine où les attentes sont fortes et les possibilités importantes. Comment s’appuiera-t-elle sur la puissance du numérique, la généralisation des réseaux de communication, l’innovation, la recherche et l’expérimentation ? La distance n’est pas un obstacle pour apprendre mais un levier pour l’action.
Les quatre expériences analysées dans ce numéro montrent en effet que la gestion des distances est une source de questionnements qui peuvent interroger les performances éducatives et la valorisation des compétences.
La validation des acquis
La loi dite de modernisation sociale adoptée en France en 2002, ouvre le droit à toute personne disposant d’une expérience notamment professionnelle d’au moins trois ans, à demander la validation de ses acquis et leur certification par un diplôme.
La demande croissante de reprise d’étude qui a suivi cette loi a incité nombre d’établissements de l’enseignement supérieur à faire évoluer leurs dispositifs d’accueil et d’orientation en particulier en mettant en place des dispositifs d’accompagnement. Sur cet aspect du phénomène VAE, la contribution d’Isabelle Cherqui propose un point de vue, élaboré à partir de l’observation des pratiques actuelles et des résultats d’une recherche menée conjointement dans cinq universités.
L’analyse vise à identifier les activités respectives des différents protagonistes des « communautés VAE » autour du candidat, à évaluer l’efficacité des outils et des systèmes d’information et de communication mis à disposition. Les outils de positionnement y apparaissent en particulier, opportuns dans leur fonction indicative.
La simulation de travaux pratiques à distance
Michel Galindo et Daniel Marquié présentent une expérience en cours concernant la constitution de laboratoires virtuels pour réaliser des travaux pratiques à distance. Modalité pédagogique et innovation technologique coopèrent et débouchent ici sur des formes nouvelles de travail.
Le système de laboratoire virtuel dédié à des manipulations informatiques existe dans l’industrie informatique mais ces laboratoires sont le plus souvent associés à la préparation d’examens de certifications et sont, de ce fait, totalement dédiés à des objectifs d’apprentissage très ponctuels.
Le concept de « machine virtuelle » présenté dans l’article permet d’apporter des
préparation et la mise à disposition des ateliers. Il offre en particulier des possibilités enrichies dans l’accompagnement pédagogique. Trois types de laboratoires y sont décrits.
L’audio accompagnateur
Depuis McLuhan, on sait que l’hybridation des média donne au nouveau médium créé une puissance d’action qui dépasse la simple logique d’addition.
Dominique Saint-Martin dans l’exploration qu’il fait du dispositif Webradio, repose la question de l’usage de l’audio dans un contexte numérique, interactif et pédagogique. Les expériences et les réalisations de cette radio « enrichie », menées par le Groupe de Recherches Musicales, sont décrites avec précision et permettent d’envisager des formes de navigation guidées par l’expression sonore. On perçoit comment une structuration par le son des contenus numériques peut faciliter le lecteur/auditeur dans sa découverte d’espaces de connaissances.
Débattre pour apprendre dans la blogosphère
Toute nouveauté, tout dispositif de communication et d’échange n’est pas nécessairement utile à la formation. Le blog est un de ces phénomènes de communication qui croise des expressions et regroupe sur la Toile des communautés diversifiées. L’analyse de cette blogosphère sous l’angle précis des sites d’actualité, pose la question du blog à des fins d’apprentissage. Puisque son organisation permet la confrontation, l’expression et le débat, n’y a-t-il pas dans ce domaine des pistes pour des activités pédagogiques ?
L’analyse que réalise Iannis Pledel montre que des phénomènes de clôture informationnelle se produisent, qui au lieu de favoriser un débat argumenté et raisonné, et donc utile pour approfondir des notions et des connaissances, risquent de refermer ces groupes sur leurs certitudes. A nouveau la nécessité de la régulation est posée et la dimension d’un accompagnement précis s’avère indispensable pour associer la blogosphère aux évolutions des savoirs et des connaissances.
Performance et valorisation
Alors que les questions de normalisation des parcours, de description des ressources, de formatage des modules, de mise au point de procédures de production, sont au cœur des débats actuels sur le développement des formations en ligne et conditionnent un bon nombre de projets et de réalisations en cours, il n’est pas inutile de se mettre à l’écoute d’un avenir en relation avec les usages incertains du numérique ; il n’est pas inutile également de mesurer le rôle social et culturel que l’on confie à la formation et l’exigence d’éducation que l’on souhaite.
A l’ère de la mondialisation, les besoins de formation sont immenses ; chercheurs, praticiens et apprenants sont engagés dans l’aventure de la connaissance, pratiquant des voies nouvelles pour apprendre, échanger et diffuser. Chaque lecteur de ce numéro de Distances et savoirs est invité à prendre la figure de l’explorateur sur des territoires de connaissances qui s’élargissent et se complexifient ; à chacun de s’interroger sur les chemins sur lesquels il pourrait s’engager ou, à tout le moins, d’évaluer la pertinence des chemins qui ont déjà été empruntés par d’autres.
Y.ARDOUREL IUFM Midi-Pyrénées yves.ardourel@laposte.net
