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La jeunesse en crise? Une étude des archives de la radio télévision suisse (années 1950-1960)

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La jeunesse en crise? Une étude des archives de la radio télévision suisse (années 1950-1960)

PITTET, Solenne

Abstract

Les années cinquante-soixante en Occident sont marquées par le phénomène culturel et social des « blousons noirs ». Ce mouvement adopté par une grande part de la jeunesse constitue une sous-culture (Rock ‘N Roll, motards,…) et un nom donné à certaines bandes de jeunes délinquants. Il encourage de nombreux questionnements au sujet des moeurs des adolescents et de la délinquance juvénile dans une société en pleine transition économique et sociale. L'inquiétude engendre une vague d'intervention de diverses instances sociales, psychologiques et éducatives, dans le but d'isoler et de « traiter » les adolescents considérés comme menaçants. La Suisse se préoccupe également pour sa jeunesse durant cette période mais est moins affectée par le phénomène des blousons noirs. Elle se différencie du reste de l'Occident par une approche éducative d'encadrement et de formation professionnelle des adolescents (délinquants ou non) en vue de les « reconnecter » à la société des adultes.

PITTET, Solenne. La jeunesse en crise? Une étude des archives de la radio télévision suisse (années 1950-1960). Master : Univ. Genève, 2016

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:81807

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LA JEUNESSE EN CRISE ? UNE ÉTUDE DES ARCHIVES DE LA RADIO TÉLÉVISION SUISSE (ANNÉES 1950-1960)

MÉMOIRE RÉALISÉ EN VUE DE L’OBTENTION DE LA MAÎTRISE

UNIVERSITAIRE EN SCIENCES DE L'ÉDUCATION - ANALYSE ET INTERVENTION DANS LES SYSTÈMES ÉDUCATIFS (AISE)

PAR Solenne Pittet

DIRECTRICE DU MÉMOIRE Joëlle Droux

JURY

Véronique Czaka

Fernando Carvajal Sanchez

GENÈVE, JANVIER 2016

UNIVERSITÉ DE GENEVE

FACULTÉ DE PSYCHOLOGIE ET DES SCIENCES DE L’ÉDUCATION SECTION SCIENCES DE L’ÉDUCATION

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RÉSUMÉ

Les années cinquante-soixante en Occident sont marquées par le phénomène culturel et social des « blousons noirs ». Ce mouvement adopté par une grande part de la jeunesse constitue une sous-culture (Rock ‘N Roll, motards,…) et un nom donné à certaines bandes de jeunes délinquants. Il encourage de nombreux questionnements au sujet des mœurs des adolescents et de la délinquance juvénile dans une société en pleine transition économique et sociale.

L’inquiétude engendre une vague d’intervention de diverses instances sociales, psychologiques et éducatives, dans le but d’isoler et de « traiter » les adolescents considérés comme menaçants. La Suisse se préoccupe également pour sa jeunesse durant cette période mais est moins affectée par le phénomène des blousons noirs. Elle se différencie du reste de l’Occident par une approche éducative d’encadrement et de formation professionnelle des adolescents (délinquants ou non) en vue de les « reconnecter » à la société des adultes.

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REMERCIEMENTS…

… à ma directrice de mémoire : Mme Joëlle Droux (professeur et chercheur en histoire de la jeunesse), pour ses précieuses critiques et l’intérêt qu’elle a manifesté pour ma recherche.

… à mon compagnon, mes parents, mes sœurs et mes colocataires pour leur patient soutien tout au long de ce travail.

… à ma maman, à Camille et à Ivan tout particulièrement pour leur aide soigneuse et enjouée à la relecture de ce mémoire.

Je remercie enfin les collaborateurs du service des archives de la RTS (Radio Télévision Suisse) pour les informations auxquelles ils m’ont permis d’avoir accès et pour leur disponibilité : Claude Zurcher, Henri Ghidoni, Majan Garlinski, Delphine Zimmermann et Marielle Rezzonico.

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TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION ... 6

I. Présentation de la thématique ... 6

II. Raisons de la recherche ... 6

III. Présentation de la structure du mémoire ... 8

PROBLÉMATISATION ET MÉTHODOLOGIE ... 9

I. Domaine disciplinaire ... 9

II. Problématisation ... 10

III. « Représentation sociale » et « déviance » : des concepts clés de la recherche ... 12

IV. Création d’un corpus à partir des archives de la Radio Télévision Suisse ... 16

V. Méthode d’analyse des données ... 17

MISE EN CONTEXTE HISTORIQUE ... 20

I. Histoire de la jeunesse et de ses représentations en Occident ... 20

CHAPITRE 1 : Du XIXème au milieu du XXème siècle : création et encadrement de la jeunesse en Occident. ... 20

CHAPITRE 2 : La « nouvelle jeunesse » occidentale des années 1950-1960 ... 29

CHAPITRE 3 : Suisse et jeunesse des années 1950-1960 ... 42

II. Brève histoire de la télévision et de la radio ... 49

III. Réflexion quant aux médias étudiés ... 51

IV. Hypothèse à partir du corpus ... 53

ANALYSE ... 56

CHAPITRE 1 : Vision de la jeunesse ... 58

A) Tentative d’appréhension de cette étrange sous-culture qui touche la nouvelle jeunesse suisse ... 58

B) Préoccupation pour la morale des jeunes ... 65

C) Constat d’un fossé entre générations ... 69

D) Recherche de solution au décalage entre générations ... 73

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CHAPITRE 2 : Vision de la délinquance juvénile ... 78

A) Dissociation des types de jeunes et différence de traitement ... 78

B) Quid des blousons noirs et des bandes de jeunes en Suisse ? ... 83

C) La délinquance juvénile comme sujet de société ... 92

CHAPITRE 3 : Différentes perspectives d’explication du problème ... 94

A) Recherche de causes individuelles de délinquance ... 95

B) Recherche de causes sociales de délinquance ... 101

CHAPITRE 4 : Quelle action privilégier en matière de délinquance juvénile ? ... 108

A) Prévenir la délinquance en encadrant la jeunesse ... 108

B) Une justice éducative et bienveillante pour les mineurs délinquants ... 112

CHAPITRE 5 : Critique et remise en question des représentations et de l’action en matière de jeunesse ... 122

A) Les écueils d’un système perfectible ... 123

B) Des tentatives d’analyse des représentations dominantes in situ ... 127

CONCLUSION ... 133

I. Bilan de ce mémoire ... 133

II. Retour critique sur la recherche ... 138

III. Ouverture ... 140

BIBLIOGRAPHIE ... 143

ANNEXE 1 : Corpus des sources ... 147

ANNEXE 2 : Renseignements sur les émissions ... 158

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INTRODUCTION

I. Présentation de la thématique

Ce mémoire s’intéresse à la vision qu’avait la société adulte suisse de sa jeunesse et de la délinquance juvénile dans les années 1950-1960. Cette thématique implique plusieurs angles d’approche. Tout d’abord, il s’agira de percevoir les représentations d’une fraction de population (les adultes) à l’égard d’une autre fraction (les jeunes). Puis, il sera nécessaire d’identifier, à l’intérieur de ces représentations, les liens qui sont faits entre les phénomènes juvéniles sous-culturels de cette époque et la délinquance des jeunes à proprement parler. En outre, les représentations de la jeunesse suisse ne pouvant être traitées sans passer par l’étude plus large de la jeunesse occidentale, certains mouvements marquants des années 1950-1960 seront abordés tels que les « blousons noirs » français ou leurs équivalents anglo-saxons et serviront de toile de fond pour le traitement du terrain suisse. Précisons enfin que cette étude s’emploiera également à une prospection de l’opinion publique à travers l’analyse d’archives de médias de plus en plus présents à cette époque : la télévision et la radio.

II. Raisons de la recherche

Il y a quelques années, j’ai effectué une ébauche de recherche en lien avec ce thème dans le cadre d’un cours universitaire de méthodologie de recherche. J’avais alors examiné les liens qui existaient entre la vision actuelle de la jeunesse délinquante et plusieurs faits divers (viols, rixes, violences) récemment commis par des jeunes à la Télévision en Suisse Romande. J’en avais conclu que l’alarmisme à l’égard de la jeunesse et le sentiment d’insécurité étaient entre autres liés à des actes de délinquance de jeunes relatés par les médias, en particulier la télévision. J’avais aussi observé que cette angoisse à l’égard des jeunes entrainait souvent une recherche de causes et de solutions rapides dans une perspective généralement plus sécuritaire qu’éducative. Ceci m’a donné l’idée de m’intéresser aux années 1950-1960, période d’importante massification des médias (télévision et radio), pour essayer cette fois de percevoir la vision de la délinquance juvénile véhiculée par ceux-ci.

Puis, j’ai fait le choix d’aborder plus particulièrement un phénomène représentatif de la délinquance juvénile de cette période : « les blousons noirs ». En effet, d’une part ce mouvement marquant, souvent caractérisé par des rassemblements de jeunes gens en bandes qui commettent des actes de déprédations et sèment la trouble dans la société civile, m’a semblé être un bon moyen d’aborder la délinquance juvénile des années 1950-1960. D’autre

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part, le fait que ce phénomène s’apparente aussi à un mouvement sous-culturel de jeunesse, une forme de mode (musique, danse, vêtement, loisirs…) généralisable à la jeunesse occidentale de cette époque, m’a paru être un contexte culturel dont l’étude serait propice à l’approche des représentations de cette même jeunesse.

Au niveau personnel, j’ai fait le choix de cette thématique car au gré de certaines lectures et cours universitaires, j’ai remarqué qu’à travers l'histoire, il était assez récurrent qu’un pays traversant une crise des valeurs se préoccupe fortement de sa jeunesse, voire même que la jeunesse focalise les angoisses des autorités et des adultes en général. On peut expliquer ce phénomène par le fait que la société traditionnelle a besoin de s’assurer du cadrage moral de ses jeunes afin que les valeurs qui lui sont chères soient transmises à la postérité. Or, les périodes de crises ayant quasiment toujours pour conséquence une crise des valeurs et les jeunes étant généralement considérés comme les plus vulnérables, l’attention est souvent focalisée sur la jeunesse (et en particulier la jeunesse que l’on qualifie de

« déviante ») durant les périodes d’instabilité sociale, politique et/ou économique. Je trouve intéressant d'analyser la vision de cette jeunesse à différents moments de l'histoire et en particulier dans les années 1950-1960 quand on connait les événements politiques marquants qui ont eu lieu par la suite dans les pays occidentaux (par exemple, « mai 68 » en France, ainsi que d’autres mouvements de révoltes de jeunesse de la fin des années 1960). J’ai donc pensé qu’à travers une approche historique, cette recherche pourrait peut-être apporter des éléments de lecture sur la délinquance juvénile actuelle et aider à mieux envisager les enjeux socio- culturels qui se cachent derrière la médiatisation de celle-ci. En effet, s’il y a bien un tournant des « blousons noirs » dans la vision de la délinquance juvénile de la Suisse des années cinquante-soixante, ce mémoire pourrait peut-être aider à montrer l’importance de la remise en question des médias dans l’approche de la réalité de la jeunesse de nos jours et participer à encourager une vision plus avisée et critique de celle-ci.

Cela rejoint mes ambitions professionnelles pour plusieurs raisons. Tout d’abord, en tant qu’enseignante au primaire, l’éducation aux médias est un aspect non négligeable du programme scolaire, d’autant plus à l’heure actuelle où les élèves sont de plus en plus confrontés à ceux-ci dans leur quotidien. De plus, avec l’arrivée de l’internet (entre autres), les élèves ont accès à une quantité importante d’informations qu’ils n’ont pas toujours l’habitude de traiter de manière consciente et critique. C’est donc en partie mon rôle d’enseignante de les sensibiliser à l’importance de l’analyse des informations auxquelles ils sont confrontés et de se faire une opinion sur celles-ci afin d’être moins facilement manipulés.

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Cette recherche pourrait donc m’apporter des outils de lecture des médias qui pourraient enrichir mon enseignement par la suite. Par ailleurs, il est possible que dans la suite de ma pratique enseignante je sois confrontée à des expériences de délinquance juvénile. Or, le fait de travailler de manière approfondie sur les représentations sociales de celle-ci devrait me permettre d’être plus à même de ne pas avoir un jugement trop hâtif et d’être attentive à réagir de manière critique et informée à l’égard d’actes de délinquances de jeunes. De manière générale, je pense qu’il est important que les personnes travaillant dans les métiers de l’humain soient formées à une lecture critique des médias. En effet, ceci pourrait apporter à chaque professionnel l’occasion de se distancer du sens commun et des mécanismes de rejet à l’égard de ceux qui transgressent les normes et valeurs de notre société et d’avoir une approche plus éthique face à ceux-ci.

III. Présentation de la structure du mémoire

Ce mémoire comporte trois grandes parties. La première partie (Problématisation et méthodologie) présente sous quel angle la thématique de cette recherche a été envisagée et a abouti à une problématique. Puis, elle décrit la méthode imaginée en vue de répondre à cette problématique : l’analyse de sources historiques. Ensuite, la seconde partie (Mise en contexte historique) opère un passage en revue de la littérature des auteurs afin de situer ces sources dans le contexte historique des années 1950-1960 et d’émettre les premières hypothèses de cette recherche. La troisième partie (Analyse) représente, quant à elle, le travail d’étude des sources à proprement parler, à partir des observations tirées de la littérature secondaire (partie précédente). Enfin, la conclusion de ce mémoire sera l’occasion, d’une part, d’effectuer un bilan de l’analyse des sources, en vue de répondre à la problématique de départ. D’autre part, il s’agira de revenir sur le déroulement de cette recherche dans une approche critique des avantages et inconvénients de celle-ci.

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PROBLÉMATISATION ET MÉTHODOLOGIE I. Domaine disciplinaire

Ma thématique s’inscrit dans le domaine de l’histoire sociale de l’éducation et plus précisément dans le domaine de recherche : « Enfance, jeunesse et société » aussi appelé « Entre protection et encadrement : aux sources des politiques contemporaines de l'enfance et de la jeunesse », si l’on se réfère au site de l’équipe ERHISE1 (Equipe de Recherche en Histoire de l’Education) de l’Université de Genève. Précisons aussi qu’à l’intérieur de ce champ de recherche, ce mémoire s’intéresse plus particulièrement aux jeunes qui transgressent les lois et se marginalisent ainsi des normes juridiques et sociales d’une société donnée.

J’ai privilégié cet angle disciplinaire car il tend à étudier comment, dans l’histoire de nos sociétés, les représentations de la jeunesse influencent les politiques éducatives et sociales. En effet, en analysant les représentations à un moment précis, l’approche historique permet de mieux comprendre la succession des décisions et réformes qui ont ensuite lieu, ainsi que les positionnements politiques majoritaires qui en résultent de nos jours. Pour ce mémoire, il s’agira seulement d’étudier les représentations de la jeunesse dans la Suisse des années 1950-1960, mais on peut envisager que celui-ci puisse appuyer par la suite l’étude des politiques suisses de protection, d’éducation et/ou d’encadrement de la jeunesse de cette époque.

Un prolongement de cette recherche pourrait aussi mettre en lien les représentations de la jeunesse occidentale véhiculées par les médias dans les années 1950-1960 et le basculement social, culturel et politique qui a été amorcé quelques années plus tard (mouvements étudiants, hippies, féministes etc.) et qui est en grande partie à la base de la culture de notre société contemporaine occidentale. En effet, dans ce cas, l’opposition de normes entre deux groupes (les jeunes et le reste de la population) qui ressort dans le traitement de la jeunesse par les médias occidentaux est peut-être le reflet d’un conflit de valeurs morales qui a engendré les bouleversements politiques de la fin des années 1960.

1 Consulté le 6 décembre 2015 dans le site web de l’équipe de recherche ERHISE, Université de Genève : https://cms.unige.ch/fapse/SSE/erhise/domaines-de-recherche/enfance-jeunesse-et-societe/

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Une approche historique des représentations sociales m’a donc paru intéressante car je pense qu’elle peut permettre d’étudier leur impact sur le fonctionnement politique d’un pays donné, ce qui peut également servir de clé de lecture lorsqu’on s’intéresse à la situation actuelle de ce même pays. De manière plus large, je pense que l’étude de l’histoire de nos sociétés est un bon moyen d’aborder les événements actuels de manière plus informée et donc plus rationnelle. Ainsi, c’est aussi dans le but de mieux comprendre les enjeux de la vision de la jeunesse actuelle en occident que je me suis penchée sur les représentations de celle-ci dans la Suisse des années 1950-1960.

II. Problématisation

Les premières lectures sur le sujet ont permis d’observer que la plupart des historiens qui étudient le terrain des pays occidentaux du XXème siècle se rejoignent sur le fait que les décennies 1950-1960 sont caractérisées par de nombreux changements sociaux, politiques, économiques et culturels qui ont largement modifié les mentalités. Parmi ces changements, on constate une vraie mutation de la jeunesse occidentale en terme de statut, de revendications et d’éducation, dès la fin de la seconde guerre mondiale et jusqu’aux années 1970. On apprend aussi que cette période a été traversée par de nombreuses et fortes préoccupations à l’égard de la jeunesse et en particulier face à des mouvements de jeunes tels que les « blousons noirs ».

En outre, les auteurs de référence anglo-saxons et français parlent déjà d’un tournant des « blousons noirs » (et équivalents anglophones) dans la représentation de la jeunesse du XXème siècle. Il reste donc à étudier le terrain suisse en vue de savoir si ce pays est traversé par les mêmes tendances durant cette période.

L’objet de ce mémoire se résumerait donc en une approche de l’opinion publique suisse quant à sa jeunesse « déviante » ou délinquante, à travers la médiatisation de la sous- culture des « blousons noirs » des années 1950-1960. Un certain nombre d’interrogations découlent de cet objet : Sous quelle forme et dans quelle mesure cette vague culturelle occidentale apparaît-elle en Suisse dans les années 1950-1960 ? Comment celle-ci est accueillie par la population adulte ? A-t-elle un impact sur sa vision de la jeunesse et de la délinquance juvénile ? Quel rôle jouent la télévision et la radio dans ce processus ?

A partir de la mise en lien de ces questions, on parvient au questionnement central de cette recherche qui aura fonction de problématique tout au long de ce mémoire : La Suisse

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s’inscrit-elle dans le tournant occidental des « blousons noirs » des années 1950-1960 quant aux représentations de la jeunesse et à la manière d’appréhender la délinquance juvénile ?

Cette problématique est sous-tendue par deux axes d’étude majeurs. Le premier consiste à examiner la manière dont la société suisse des adultes perçoit les jeunes et en particulier ceux qui se revendiquent d’une sous-culture nouvelle que l’on qualifie volontiers de « déviante » (les blousons noirs) ainsi que les délinquants. Le second axe de recherche s’emploiera à analyser en quoi ces représentations impliquent un certain nombre d’explications et de propositions pour lutter contre la délinquance des adolescents.

Concernant la période à étudier, deux aspects doivent être pris en compte. D’une part, à partir des premières lectures, nous pouvons dire que le mouvement des « blousons noirs », considéré ici de manière large (niveau occidental) s’inscrit sur une période allant du début des années 1950 au milieu des années 1960 environ. D’autre part, il ressort des ouvrages de référence occidentaux l’idée avérée d’un tournant dans la vision de la jeunesse, à partir de l’après-guerre. La période ciblée pour ce mémoire couvre donc une période allant du début des années 1950 jusqu’à la fin des années 1960.

La population ciblée par cette recherche est, quant à elle, quelque peu difficile à caractériser car elle ne représente pas un ensemble de type de personne bien définie. Il s’agit plutôt d’un ensemble de personnes formant un groupe symbolique qui peut se résumer au terme, souvent utilisé dans les médias, d’ « opinion publique ». Ce groupe représente l’ensemble de la population d’un pays (ici la Suisse), mais de manière non exhaustive dans la mesure où c’est plutôt une tendance générale en terme de valeurs et de convictions qui est ciblée. On peut cependant préciser qu’il s’agira ici d’étudier la population suisse des adultes, c'est-à-dire une partie de la population dont ceux qu’on appelle « les jeunes » ne font pas partie. Eclaircissons enfin le fait que le terme d’opinion publique ne représente pas ici (comme on le définit souvent) un ensemble homogène de personnes tendant vers les mêmes opinions (la majorité). Il s’agirait plutôt d’un ensemble éclectique et mouvant d’aspirations et de valeurs qui, lorsqu’on les étudie après coup (et en lien avec différents faits historiques), permet de conclure à l’existence d’une tendance générale en termes de mentalité à une époque donnée.

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III. « Représentation sociale » et « déviance » : des concepts clés de la recherche

La problématique de ce mémoire implique une double approche au niveau méthodologique. D’une part, cette recherche doit entreprendre l’étude de l’histoire des blousons noirs et plus largement de la jeunesse, avec ses tendances et ses faits marquants dans la société et dans la culture populaire des années 1950-1960 en Occident (histoire). D’autre part, à partir de cette revue historique, elle doit ensuite amorcer une analyse des représentations de cette jeunesse (histoire des représentations). Cette deuxième approche suppose une étude des idéologies, des valeurs, de la culture, des mentalités, de l’imaginaire social et collectif.

Pour cela, il paraît judicieux de faire appel à certains concepts sociologiques et psychosociologiques qui seront opératoires dans le cadre de notre analyse. Il s’agit des notions de « représentation sociale » et de « déviance ».

La « représentation sociale » est un concept très présent dans la sociologie mais nous l’envisagerons ici plutôt du point de vue de la psychologie sociale, c'est-à-dire en tant qu’ « appropriation du monde extérieur » par une personne ou un groupe afin d’opérer une construction du réel (Herzlich, 1972, p. 309). C’est précisément cette image mentale construite par le groupe social des adultes à l’égard des jeunes qui est l’objet d’analyse de ce mémoire. Pour cela, le langage et plus précisément le langage oral de différents interlocuteurs adultes (présent à la télévision et à la radio) apparait comme un moyen privilégié de s’enquérir de ces représentations sociales d’un autre temps puisqu’il opère un lien direct entre celles-ci et le chercheur contemporain. Herzlich explique même que la représentation sociale est « médiatisée » par le langage. Cela augure donc un premier aspect méthodologique pour cette analyse qui est l’importance de l’étude des discours.

Le processus de construction d’une représentation sociale passe par l’ « objectivation » durant laquelle l’individu extrait de la réalité un certain nombre d’informations qu’il retient, et la « naturalisation » où celui-ci interprète la réalité à partir de ces informations, de ses normes et de ses valeurs propres (Herzlich, 1972). Il sera donc intéressant de déterminer les principaux attributs qui caractérisent régulièrement le blouson noir, le jeune, le délinquant afin de repérer la classification de la réalité effectuée par les adultes en Suisse. Enfin, vu qu’une représentation sociale est souvent incluse dans un véritable réseau dynamique, il sera

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intéressant de mettre en lien ces catégories (blouson noir, jeune, délinquant) pour percevoir s’il existe une certaine perméabilité entre elles.

Pour finir, si l’on envisage maintenant les enjeux de la représentation sociale dans la sphère collective, Herzlich (1972) exprime que « […] la représentation collective est l’un des moyens par lesquels s’affirme la primauté du social sur l’individuel […] » (p. 303). Ceci signifierait qu’une représentation sociale n’est pas seulement une construction individuelle mais peut aussi être fabriquée au niveau collectif, dans le cadre d’un groupe social par exemple. On peut dès lors imaginer que les interlocuteurs adultes forment un groupe générationnel et aient le même type de discours à l’égard des jeunes car ils partagent les mêmes normes (lois instituées), des valeurs traditionnelles communes qui leur ont été enseignées et un rapport au monde proche de par leur vécu commun (la guerre par exemple).

Si tel est le cas, plus qu’un reflet des mentalités individuelles, les représentations de la société des aînés pourraient être considérées comme un moyen de « faire groupe » contre ce groupe social émergeant qu’est la jeunesse.

Si l’on aborde à présent le concept de « déviance », nous pouvons constater que celui- ci va de pair avec la délinquance. En effet, sachant que les normes sociales sont des règles plus ou moins officielles qui définissent des comportements adaptés ou non à une situation dans une société donnée, la délinquance serait une forme de déviance qui transgresse les normes officielles que sont les lois (Becker, 1985). Cette transgression entraîne une peine qui diffère suivant les lieux et les époques puisqu’elle dépend d’un système de normes qui provient d’une certaine tradition de valeurs morales. La délinquance serait donc une forme de déviance officialisée par le système législatif et pénal.

Or, ce mémoire s’intéresse aux « blousons noirs » : groupe social qui implique conjointement ces deux concepts. En effet, ce mouvement possède ses propres normes comportementales comme le fait de dépenser de l’argent dans les loisirs, de fréquenter des cafés, bars, dancings, d’écouter du rock and roll, de parler argot, de courtiser les filles, de ne rendre de comptes à personnes, de se battre etc. Ces comportements sont, dans l’ensemble, désapprouvés par la société des adultes des années 1950-1960, et au-delà même de l’aversion, ils constituent des transgressions de normes instaurées par ce groupe social (l’économie, la prévoyance, la réserve, la constance, etc.) et les amènent à qualifier les blousons noirs, et plus largement la jeunesse, de « déviante ». La délinquance est également une caractéristique des blousons noirs qui commettent régulièrement larcins, vandalisme et saccages ce qui va à

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l’encontre, non plus seulement des normes informelles, mais des lois formelles. Cette forme de déviance qu’est la délinquance est d’autant plus sanctionnée qu’elle est exécrée et redoutée par la société adulte qui se sent mise en danger par une fraction intégrante de son organisme : la jeunesse.

Les blousons noirs représentent donc à la fois une figure de la délinquance et de la

« déviance ». Ainsi, l’étude de la vision populaire de ces groupes sociaux devrait permettre de percevoir les liens conscients et inconscients qui sont faits entre la délinquance des jeunes à proprement parler (transgression de lois ou normes formelles) et les mœurs disqualifiées des blousons noirs (transgressions de normes informelles).

A travers l’étude de ces représentations et de ces éventuels amalgames, la vision de la jeunesse en général devrait aussi ressortir puisqu’en plus de caractériser des bandes de jeunes rassemblés autour de certaines pratiques, les « blousons noirs » constituent une forme de vogue culturelle adoptée par d’autres jeunes. Il est donc intéressant d’étudier si la sous-culture jeune, fortement inspirée par les blousons noirs, constitue elle aussi, une transgression qui amènerait tout adolescent, que cette tendance culturelle enthousiasme, à devenir « déviant » aux yeux de la société adulte.

Notons ici que, quoique proches dans les mœurs, les États d’Occident n’ont pas rigoureusement la même conception de ce qu’ils appellent la « délinquance juvénile ». En effet, dans la Suisse des années 1960, les auteurs Henryka et Maurice Veillard-Cybulsky (1963) écrivent un ouvrage sur ce sujet désormais en vogue de la délinquance des jeunes et tentent d’en différencier les significations suivant les pays. Selon leur étude, tous les États se rejoignent sur les acteurs (les mineurs) et les faits (délits, crimes) occasionnant cette dénomination de « jeune délinquant ». Cependant, certains comportements « déviants » ne sont pas classés et n’engendrent pas les mêmes conséquences suivant les pays. Par exemple, alors que les attitudes « déviantes » des normes sociales seraient confiées aux institutions éducatives en Union Soviétique, elles seraient du ressort de la justice pénale dans les pays de l’Ouest tels que l’Europe, et en particulier les Etats-Unis. « Les Américains, estiment que tous les comportements asociaux, moralement répréhensibles doivent, comme la criminalité, relever d’un ensemble de mesures complexes qu’ils dénomment control, mot qui englobe la répression, le traitement et la réinsertion sociale » (Veillard-Cybulsky, p. 12). Nous percevons bien ici la fluctuation du terme de délinquance et à quel point ce concept est étroitement lié à ce que l’on définit comme un acte déviant suivant le pays.

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Précisons maintenant qu’il est ici entendu par « déviance », non pas la conception de sens commun où l’acte qui transgresse une norme commis par une personne la rend substantiellement « déviante ». Nous nous inscrirons ainsi plutôt dans la perspective interactionniste de Becker (1985), selon qui : « […] les phénomènes de déviance lient étroitement la personne qui émet le jugement de déviance, le processus qui aboutit à ce jugement et la situation dans laquelle il est produit. » (p. 28). Si l’on applique cette perspective à notre recherche, les adultes seraient les émetteurs du jugement de déviance, la culture juvénile, la transition des modes de vie et la crise des valeurs traditionnelles en seraient les causes et ce jugement sera ici analysé dans le cadre des médias (situation dans laquelle il est produit).

Enfin, pour enrichir cette conceptualisation, on peut s’appuyer sur la double- signification de la définition d’ « outsider » de Becker (1985) qui implique à la fois une mise à l’écart de l’émetteur du comportement « déviant » (l’ « étranger ») mais aussi l’idée que cet outsider peut, lui aussi, contester ce jugement et par là même désavouer celui qui en est l’auteur : « Il en découle un deuxième sens du terme : le transgresseur peut estimer que ses juges sont étrangers à son univers. » (p. 25). Le jeune délinquant ou « déviant » devient à la fois étranger à la société (rejet de la population des adultes) mais il va également revendiquer cette marginalité à travers certains attributs culturels. Les blousons noirs constituent donc bien ici une sous-culture qui s’installe en opposition à la culture dominante et qui n’est pas suivie par la majorité de la population. Si l’on envisage la culture juvénile dans cette perspective, on voit se dessiner une forme de cercle vicieux où les adultes rejettent ce qu’ils considèrent comme une déviance juvénile comportementale et morale et ce rejet est renforcé par le refus de cette jeunesse de s’inscrire dans les normes et valeurs dominantes, prônant pour cela une sous-culture que l’on pourrait presque qualifier d’ « anti-adulte ». Becker parle d’ailleurs en 1963 de la population américaine en ces termes : « Bien que les jeunes exercent, aux Etats- Unis une puissante influence sur le plan culturel (les médias, par exemple s’alignent sur leurs goûts), de nombreuses catégories de normes importantes sont établies par les adultes pour la jeunesse. » (p.40). La sous-culture juvénile des blousons-noirs pourrait agir ainsi comme une arme de défense contre les normes sociales imposées par les adultes.

En conclusion, la déviance dépend tant des acteurs qui la font intervenir que du milieu spatio-temporel dans laquelle elle est investie. Or, sachant que le mouvement des « blousons noirs » possède à la fois un potentiel « déviant » et délinquant (la délinquance étant une forme de « déviance »), il est intéressant d’étudier l’impact de ce phénomène de déviance dans le

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contexte suisse et d’analyser dans quelle mesure il entraîne une distance croissante entre les jeunes et les adultes dans les années 1950-1960. Précisons que dans ce travail, nous emploierons donc le terme « déviance » entre guillemets lorsqu’il s’agira des comportements de jeunes perçus comme déviants par les adultes et qui ne sont donc pas pour autant

« déviants » en soi.

IV. Création d’un corpus à partir des archives de la Radio Télévision Suisse

La méthode de recueil d’informations de ce mémoire consiste en une récolte d’archives, autrement dit de documents provenant directement des années 1950-1960. Ces archives constituent des traces de l’activité humaine passée qui n’ont pas été écrites par des historiens et qui véhiculent, sans intermédiaire, des préoccupations, des intérêts, des sensibilités, des aspirations.

Ainsi, il s’agira pour ce mémoire de recueillir des informations utiles à l’étude des normes, valeurs, tendances sociales et culturelles des années 1950-1960 en Suisse.

Parmi les types d’archives possibles, les sources médiatiques paraissent adaptées à l’étude des représentations, reflétant (tout autant qu’elles peuvent influencer) l’opinion publique à un moment donné. A l’intérieur de ces médias, le choix des archives de la télévision et de la radio est guidé par le fait que ces deux moyens de communication ont connu une véritable massification durant la période privilégiée par cette recherche : les années 1950-1960 (nous reviendrons sur l’histoire de ces médias ultérieurement). Enfin, si l’on se réfère à la nomenclature de Callu et Lemoine (2004) dans leur travail de mise en exergue du patrimoine sonore et audiovisuel français, la sélection d’archives de la radio et de la télévision pour ce mémoire relève du mode de diffusion (et non de contenu). Il sera donc nécessaire, face à ce critère de sélection relativement large de préciser les types de documents utilisés (reportage, émission, actualité, etc.).

Dès lors, la base de données nationale de la Radio Télévision Suisse (RTS) représente un large terrain d’exploration. En étudiant l’histoire de la Société suisse de radiodiffusion et télévision (SRG SSR), on apprend que l’ancêtre de l’actuelle RTS, dans les années 1960, était la Société de Radiodiffusion et de Télévision de la suisse Romande (SRTR) (Mäusli &

Steigmeier, 2006, p. 25). Cette organisation était le siège francophone dépendant de la Société Suisse de radiodiffusion et télévision (SSR) qui avait le monopole helvétique (Mäusli &

Steigmeier). Ainsi, bien que les archives télévisuelles et radiophoniques de la RTS relèvent

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plus clairement du terrain romand, cette organisation a toujours eu pour mission de représenter le terrain suisse dans son ensemble. En témoigne d’ailleurs le mandat de l’actuelle SRG SSR qui n’a pas changé, et selon lequel la Société suisse de radiodiffusion et télévision « […] réplique la réalité suisse au plan national, au plan régional-linguistique et, pour ce qui est de la radio, aussi au plan local, dans tous les domaines qui intéressent la société (politique, culture, économie, sport, loisirs, etc.) »2. L’étude de ces archives devrait donc permettre d’en savoir plus sur les représentations suisses de la jeunesse véhiculées par la radio et télévision des années 1950-1960 de ce même pays.

La consultation de la base de données interne du Service Document et Archives de la RTS (durant cinq jours) a permis de sélectionner un corpus de documents. Ce corpus s’échelonne sur une période d’environ vingt ans en vue de percevoir quand et dans quelle mesure les médias suisses traitent de la jeunesse, et à quel point ils parlent des blousons noirs pour représenter cette jeunesse. Notons également que ce corpus rassemble les informations utiles à toute personne qui souhaiterait retrouver les documents audio-visuels étudiés, que ce soit en ligne ou sur la base de données de la radio (SIRANAU : Système Intégré Radiophonique d'Archivage Numérique AUdio) et de la télévision (GesiWeb.tsr.lan) de la Radio Télévision Suisse (ANNEXE 1).

Suite à l’établissement de ce corpus, une partie des documents nécessaires à la recherche a été mise en ligne par le service des archives. Pour le reste, ils ont pu être analysés directement sur place durant cinq autres jours, au moyen des bases de données internes.

V. Méthode d’analyse des données

Une fois le corpus de sources établi, il s’agit de déterminer une logique d’analyse des différents documents récoltés. Or, après différentes recherches méthodologique, il s’est avéré que l’analyse de contenu était propice à l’étude des représentations sociales (Quivy & Van Campenhoudt, 2011). En effet, cette méthode s’intéresse à la dimension explicite du discours, qui reflète (dans une certaine mesure) les pensées et opinions d’une personne. Mais elle tient également compte d’une part implicite du discours qu’il s’agit de détecter à travers différents moyens que nous exposerons ci-après. En d’autres termes, l’émetteur utilise le langage pour

2 SRG SSR. Service public. Mandat. Consulté le 6 décembre 2015 dans le site web de la SRG SSR, Suisse : http://www.srgssr.ch/fr/service-public/mandat/

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faire passer un message objectif au récepteur, mais ce discours est teinté des représentations de cet émetteur, et transmet donc un message qui relève de sa propre « subjectivité » (même si c’est inconscient) (Negura, 2006, p. 4).

Dès lors, une analyse thématique devrait permettre d’accéder au contenu des discours selon une double-approche : celle de « l’analyse de contenu » (qui se focalise sur le discours lui-même) et celle de « l’analyse du contenu » (qui s’intéresse aux représentations sociales sous-jacentes au discours) (Negura, 2006, p. 5). Il s’agit, tout d’abord, de ranger les énoncés par thème en vue d’élaborer un plan d’analyse, puis d’identifier la « composante affective » de ces énoncés (Negura, p. 5). Ensuite, comme le préconise Moscovici, les

« opinions », « attitudes », et « stéréotypes » à l’égard de la jeunesse devront être relevés afin de rendre compte de la perception de ce groupe par la société adulte (Negura, p. 4). Ainsi, l’analyse devrait, d’une part, retranscrire les propos des interlocuteurs visés (opinions des adultes) dans le cadre d’enregistrements télévisuels et radiophoniques. D’autre part, elle devrait éclaircir les représentations de ces interlocuteurs, identifiables grâce à la composante affective extraite des énoncés (attitudes ou stéréotypes).

Précisons ici qu’il a été volontaire de ne pas traiter les comportements non verbaux des interlocuteurs dans les archives télévisuelles. En effet, après avoir tenté de relever certains de ces comportements et attitudes dans les premiers temps du dépouillement des sources (par exemple : « irrité », « enjoué », « souriant », etc.), ceux-ci se sont avérés être tellement versatiles et difficilement combinables avec les paroles des interlocuteurs qu’ils en devenaient presque des obstacles à l’analyse des discours. En outre, la plupart du temps, ces comportements non verbaux semblaient plutôt relever de la subjectivité de chaque individu et de sa réaction à la présence de la caméra, apportant peu d’informations sur le sujet que celui- ci était en train de traiter. Enfin, l’ampleur du champ épistémologique de l’analyse des conduites (relevant d’ailleurs plutôt de la psychologie que de l’histoire sociale) est telle qu’il s’écarte quelque peu des enjeux historiques de ce mémoire.

Par ailleurs, pour parachever ce travail d’analyse, et avoir une vision nette du contexte de production de chaque énoncé, il a paru important d’effectuer un certain nombre de recherches autour de chaque émission en vue de déterminer plus clairement son rôle médiatique dans la sphère publique suisse des années 1950-1960. Pour cela, et comme le préconisent Callu et Lemoine (2004), un travail sur « l’intentionnalité » et la

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« contextualisation » de chacune des archives a été incontournable en vue d’analyser finement les enjeux qui se cachent derrière les discours de chaque interlocuteur (p. 42).

La « fiche signalétique » d’un document iconographique de Létourneau (2006, p. 96) a donc servi de base pour élaborer une grille de renseignements sur les émissions à l’origine des extraits analysés dans le cadre de ce mémoire. Les « oppositions » de Marchetti (2002) dans le domaine de la sociologie du journalisme ont aussi appuyées ce travail de contextualisation des archives médiatiques : « pôles intellectuel/commercial, généraliste/spécialisé, national/local, parti-pris politique/“objectivité journalistique” » (p. 24). La grille a ensuite été complétée à partir des informations présentes dans la base de données de la RTS. Cependant, les archives de ces années là étant fragmentaires (car pour beaucoup, encore à l’état de bobines non- numérisées et parfois endommagées), certaines informations sont aujourd’hui introuvables.

Mais grâce à l’aide d’un collaborateur de la RTS qui répertorie les synopsis des émissions de radio sur une base de données (« Dico radio »), certaines informations complémentaires ont pu être ajoutées à la grille. Cette grille de renseignement sur les émissions reste donc encore lacunaire mais présente l’avantage de rassembler toutes les informations accumulées à ce jour par la RTS (ANNEXE 2).

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MISE EN CONTEXTE HISTORIQUE

I. Histoire de la jeunesse et de ses représentations en Occident

L’étude de la vision de la jeunesse et de la délinquance dans la Suisse des années 1950-1960 nécessite une approche plus large du contexte politique, économique, social et culturel des pays occidentaux de cette période. Aussi, la littérature explorée ne se réduit pas seulement au terrain Suisse et tente de percevoir les tendances à une plus grande échelle (occidentale). Par ailleurs, cette recherche s’intéressant plus particulièrement à la jeunesse considérée comme « déviante », l’étude de sous-cultures juvéniles telles que les « blousons noirs » français ou leurs ascendants anglo-saxons est incontournable lorsque l’on traite de cette période historique. L’exploration de la littérature couvre donc la Suisse, la France mais aussi des pays anglo-saxons tels que les Etats-Unis et la Grande Bretagne qui sont nettement influents au niveau culturel durant cette période et l’Occident de manière générale. Elle passe aussi par une étude des représentations et idées d’interventions à l’égard de la jeunesse et la délinquance durant les périodes qui précèdent et qui suivent cette période de fin des années 1950-début des années 1960, comme vu précédemment.

Dans un premier temps, nous retracerons donc les grandes lignes de l’histoire contemporaine occidentale des représentations de la jeunesse, et en particulier de la jeunesse marginale jusqu’à la période étudiée (1950-1960). Dans un second temps, nous nous focaliserons sur l’avènement, en Occident, de la vague culturelle juvénile des « blousons noirs » (et équivalents) durant les décennies 1950-1960 en Occident et sur l’accueil fait de cette vague par la société des adultes. Enfin, dans un troisième temps, nous étudierons plus nettement la littérature suisse afin d’en savoir plus sur la vision des jeunes (délinquants et autres) et de cette sous-culture juvénile dans ce pays.

CHAPITRE 1 : Du XIXème au milieu du XXème siècle : création et encadrement de la jeunesse en Occident.

Pour mieux comprendre les enjeux de représentation et les pistes de prise en charge de la jeunesse et de la délinquance des années 1950-1960, il est utile d’étudier sa condition dans la société industrielle occidentale du XIXème siècle.

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a) Transition industrielle et apparition de l’ « adolescence »

La révolution industrielle ayant engendré des changements fondamentaux dans les modes de vie, elle a aussi amené une « profonde métamorphose de l’image et de la place de l’enfance au sein de la société » (Matasci & Droux, 2013, p. 77). En effet, dans les pays touchés par l’industrialisation, nait une nouvelle forme de jeunesse qui travaille dans les usines au sortir de l’école. Luzzatto (1996) explique que le déplacement massif des jeunes des campagnes vers les villes implique un certain abandon de leur rôle traditionnel de « facteur de cohésion sociale » au sein des villages, ce qui constitue un vrai bouleversement des mœurs (p.

210). On assiste à un déclin de la « jeunesse traditionnelle » des campagnes et la « jeunesse ouvrière » est en plein essor, avec une « jeunesse bourgeoise » qui reste minoritaire (Galland, 2009, p. 12-19). Pourtant, c’est pour nommer cette jeunesse des couches supérieures, souvent étudiante et entretenue par ses parents, que l’on va pour la première fois, employer le terme

« adolescent » en ce début de siècle (Huerre, 2001). Puis, l’utilisation de ce qualificatif va se développer tout au long du XIXème siècle pour devenir un terme générique désignant une tranche d’âge, dès lors avérée. Le sociologue français Olivier Galland, qui retrace dans l’un de ses ouvrages, l’histoire de la jeunesse française, nomme ainsi son 1er chapitre qui traite du XIXème siècle : « la construction de la jeunesse » (p. 6). Huerre va dans ce sens, soutenant que même « […] si la puberté est universelle […], l’adolescence est un phénomène récent, propre aux sociétés occidentales, apparu au milieu du XIXe siècle » (p. 6).

Ces changements éveillent un certain souci pour le devenir de cette tranche d’âge qui s’agglomère dans des régions urbaine, n’est plus contrôlée comme elle l’était durant l’Ancien Régime et connaît un relâchement de certaines normes familiales traditionnelles (« droit d’ainesse » moins ancré, mariage de plus en plus tardif etc.) (Luzzato, 1996, p. 210). Notons d’ailleurs que le mot « délinquant » n’existe pas avant le XIXème siècle et apparaît suite, entre autres, au fait marquant de la condamnation à mort de cinq jeunes enfants de 8-12 ans en Angleterre en 1814 (Veillard-Cybulsky, 1963). Mais celui-ci n’est alors employé que dans la sphère juridique, l’espace publique parlant plus volontiers d’ « enfants vicieux », d’ « enfants coupables » (Ruchat, 2010). On retrouve cette appréhension des comportements juvéniles lorsque Rousseaux (2007) parle des « fantasmes des classes bourgeoises » qui développent une hantise à l’égard d’une jeunesse ouvrière qui se rassemblerait en bandes dans les quartiers industriels et dont les mœurs seraient qualifiés de « sociabilité déviante des entrepôts » (p.

139). Ce phénomène de bandes dans les quartiers est pourtant rare, mais comme cette jeunesse du « nouveau régime » est plus volatile et a perdu beaucoup de ses attributs

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traditionnels, « […] elle prend dans les imaginaires une dimension hypertrophiée » (Luzzatto, p. 212).

Ayant des difficultés à la caractériser et des doutes quant à sa capacité à endosser des responsabilités, les gouvernements des pays occidentaux s’attèlent à réguler la jeunesse (Luzzatto, 1996). Beaucoup d’États prolongent l’école obligatoire et développent des systèmes de formation pour retarder l’arrivée à l’âge adulte (Huerre, 2001). L’école est ainsi un moyen de contrôler et d’encadrer les relations sociales de l’adolescence. Quant aux éventuelles désobéissances, elles sont réprimées par l’isolement dans des structures gardées (régiment, couvent, prison) (Huerre).

La seconde partie du XIXème siècle voit se multiplier les mouvements de révoltes ouvrières en Europe, à l’encontre des gouvernements en place. Certains jeunes prennent part à ces mouvements mais leur proportion est largement gonflée par les adultes (en particulier la bourgeoisie) qui voient en eux des réfractaires à l’ordre établi (Luzzatto, 1996). A cette crise sociale qui montre « la fragilité d’un monde miné par la crise des hiérarchies en place », s’ajoutent des conflits externes entre pays européens (Luzzatto, p. 211). C’est dans ce contexte que beaucoup de pays rendent le service militaire obligatoire, afin de canaliser les jeunes réfractaires au gouvernement intérieur (« pacification ») et de rediriger leur révolte vers l’extérieur (« brutalisation contrôlée », « militarisation des violences juvéniles ») (Rousseaux, 2007, p. 136).

Cette tendance à contrôler la jeunesse dans ces temps de « rupture de politique » en vue de réinvestir sa force dans l’intérêt du pays perdure et s’intensifie jusqu’à la fin du XIXème siècle dans la plupart des pays occidentaux (Luzzatto, 1996, p. 210). Ayant peur de cette jeunesse qui pourrait renverser l’Etat en place, on retarde d’autant plus son accès au vote par des lois qui produisent des statuts différentiels de « citoyen passif » ou « citoyen actif » afin de neutraliser ses voies dans le suffrage universel (Luzzatto, p. 211).

Notons, qu’à cette époque et ce dans la plupart des pays occidentaux, les mineurs ne connaissent pas encore de peine distinctive et sont donc, soit dépénalisés car trop jeunes (non responsables), soit traités comme les adultes, dans une perspective de « rétribution » de l’offense commise (Niget, 2008, p. 11). Ceci montre que bien qu’ayant un rôle social croissant, la tranche d’âge adolescente ne constitue pas encore une catégorie officielle qui implique un traitement particulier durant le XIXème siècle. Mais la « dangerosité » des

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adolescents devient progressivement un objet prioritaire pour beaucoup d’Etats et la création de dispositifs de justice pour mineurs est de plus en plus souvent envisagée (Muncie, 2009).

En effet, cette idée constituerait une opportunité de traiter plus spécifiquement les problèmes de cette nouvelle tranche d’âge dont les troubles représentent un risque pour le futur (Muncie).

Passerini (1997) désigne donc cette fin de siècle comme “beginning of youth as a social problem” (p. 317) dans le monde occidental. Pourtant, les cas de violence juvénile (en particulier ceux qui impliquent une « violence physique grave ») sont en déclin durant ce XIXème siècle et continueront à décroitre au gré du XXème (Rousseaux, 2001, p. 140).

b) Un début de siècle de prise en charge morale d’une tranche d’âge qui représente l’avenir L’orée du XXème siècle marque le début d’une longue période de reconnaissance de l’adolescence (« espoir social ») mais aussi d’inquiétude pour les mœurs de la jeunesse et de peur du potentiel « danger » que certains jeunes délinquants peuvent représenter pour la société (Niget, 2008, p. 13). La peur des adolescents est donc encore très présente en ce début de siècle. En témoigne la régularité des descriptions de leurs actes irréfléchis et de leur

« déviance » morale dans la presse (Huerre, 2001). Durkheim va même jusqu’à qualifier les jeunes de « facteurs de désintégration de la société » (Huerre, p. 7). C’est dans ce contexte qu’une nouvelle forme de justice consacrée aux mineurs voit le jour, dans beaucoup de pays occidentaux. Cette nouvelle institution se différencie de celle des adultes, s’affichant généralement comme un « système socialisé de prévention » qui tente de comprendre ce qui a poussé le jeune à agir, plutôt que de juger son acte en tant que tel (Niget, p. 11). Ce système implique également des actions de dépistage de la délinquance par des mesures souvent discriminatoires, en vue de prévenir les actes délictueux. Ainsi, et comme le résume Niget,

« si le XXe siècle reconnaît à la jeunesse un statut social et culturel spécifique, il est aussi celui de la stigmatisation de la jeunesse irrégulière » (p. 8).

Pourtant, en ce début de siècle, une grande partie des adolescents connait d’autres préoccupations, mobilisée au front de la Première Guerre mondiale, apprenant à supporter ce

« paradoxe insoutenable » d’être enrôlé pour tuer alors qu’on leur a enseigné à rejeter la violence (Rousseaux, 2007, p. 136). Mais l’issue de la première guerre mondiale n’apaise pas les préoccupations à l’égard de la jeunesse, bien au contraire. La Grande Guerre a provoqué un traumatisme collectif qui fragilise encore plus l’ordre social. Les Etats doivent faire face à

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des pertes démographiques considérables (en particulier de jeunes hommes morts au front), ce qui nourrit l’angoisse d’un dépérissement démographique (Rousseaux). On s’interroge sur le devenir des orphelins de guerre et sur celui des enfants ayant été employés durant le conflit pour remplacer les hommes au combat. On craint l’indiscipline des nouveaux adolescents que l’on n’aurait pas assez surveillés pendant la Grande Guerre (Rousseaux).

Par ailleurs, les années 1920-1930 sont traversées par une grave crise économique, qui, couplée à la concurrence des ouvriers adultes et des jeunes qui travaillent à côté de l’école, occasionne pour la première fois le chômage des jeunes arrivant sur le marché du travail. En 1935, une étude mondiale du BIT (Bureau International du Travail) révèle que les moins de 25 ans représentent un quart des chômeurs, ce qui édifie le chômage des jeunes comme « problème social international de première urgence » (Matasci & Droux, 2013, p.

78). A ceci s’ajoute la « crise de l’apprentissage » : de moins en moins de maîtres d’apprentissages prennent des jeunes sous tutelle, la scolarité obligatoire s’effectue jusqu’à 12-14 ans dans la plupart des pays occidentaux sans proposer de réelle formation professionnelle et l’accès aux études secondaires est encore rare (Matasci & Droux, p. 77). En résulte une main d’œuvre peu qualifiée lors du 1er emploi et une situation souvent précaire au sortir de l’école pour les jeunes qui trouvent difficilement du travail et ne bénéficient pas toujours de protection sociale (Matasci & Droux).

On s’inquiète donc pour cette jeunesse déjà précocement affectée par la violence de la guerre et maintenant traversée par les affres de la crise du travail. On craint aussi et surtout son oisiveté qui pourrait constituer un risque moral si le temps libre de ces jeunes n’est pas occupé (pressentiment renforcé par les prémices de la société de consommation accompagnée de ses nouveaux moyens de sociabilité juvéniles : fréquentation de cinémas, bars, dancings, consommation d’alcool, flirt etc.). Enfin, on tremble à l’idée que ces jeunes, livrés à eux- mêmes, forment des bandes et/ou deviennent délinquants, ou pire, s’organisent et se révoltent contre le gouvernement en place.

Face à cette situation menaçante, beaucoup d’Etats choisissent de rallonger la scolarité pour repousser l’arrivée sur le marché du travail et encadrer la jeunesse d’ici là. La 1ère recommandation internationale à ce sujet est d’ailleurs émise en 1934 par le BIE (Bureau International de l’Education) (Matasci & Droux, 2013). Mais l’école ne suffit pas, il faut également encadrer les adolescents en dehors du temps scolaire si l’on souhaite avoir un réel impact sur leur morale. Diverses instances religieuses sont pionnières dans ce domaine (telles

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que les « Boy scouts » en Grande Bretagne et aux Etats-Unis) et développent massivement les mouvements de jeunesse afin d’occuper le temps libre de ces classes d’âge (Muncie, 2009).

Ces mouvements visent une « formation intégrale » de la jeunesse, et pour cela, regroupent les enfants par classe d’âge et leur propose des activités éducatives et « morales » (Galland, 2009, p. 26). Il s’agit par exemple des Jeunesses Ouvrières Chrétiennes dans les pays catholiques, mais aussi d’autres mouvements de jeunesse laïcs qui s’implantent, quoique plus lentement, tels que les auberges de jeunesse, les colonies de vacances, les clubs sportifs. Dans tous les cas, ces organismes ont pour but de prendre le relais sur la famille et sur l’école qui ne sont désormais plus les seuls acteurs éducatifs (Muncie, 2009).

Durant cette période d’entre-deux-guerres, les inquiétudes pour la jeunesse sont telles que de nombreuses organisations nationales et internationales sont créées et qu’une collaboration internationale se développe entre pays occidentaux autour de la question de la jeunesse et de sa protection (Matasci & Droux, 2013). Un véritable réseau de coopération entre pays est mis en place en vue d’envisager sa prise en charge morale, mais aussi le dépistage et le traitement de la délinquance juvénile.

En ce qui concerne la justice des mineurs, elle est fortement influencée par l’avènement des « sciences du psychisme » des années 1920-1930 en Occident (Niget, 2008, p. 8). Comme l’exprime Huerre (2001), c’est le « début de la médicalisation et de la psychologisation de l’adolescence » (p. 8). Ces nouvelles sciences vont permettre d’étudier le profil psychologique (souvent en fonction de l’enfance, et en particulier de l’enfance précoce) des adolescents afin de les classifier selon leur degré de « normalité » et de

« dangerosité sociale » (Niget, p. 8). Elle renforce ainsi sa dimension stigmatisante, cherchant de plus en plus constamment à identifier les délinquants avant même qu’ils aient commis un acte qui les définisse en tant que tels. La justice des mineurs va conserver, tout au long du XXème siècle, sa dimension préventive de la délinquance en faisant appel à des spécialistes de l’enfance pour la prendre en charge et va développer des systèmes de « tutorat familial » et de

« liberté surveillée » pour garantir une meilleure socialisation des jeunes délinquants (Niget, p. 8). Quant aux établissements fermés pour mineurs, ils vont tenter de se réformer dans le sens d’une prise en charge plus éducative (Niget).

Par ailleurs, la coopération internationale est à l’origine du mouvement de l’orientation professionnelle (dès les années 1920) qui se propage dans les années 1930 en particulier dans les pays occidentaux (Matasci & Droux, 2013). Ce mouvement est un projet politique à long

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terme qui ambitionne une réforme de l’éducation dans laquelle « l’école unique » devient responsable de la formation scolaire mais aussi professionnelle des enfants en vue de dénouer la crise de l’apprentissage (Matasci & Droux, p. 80). Un autre projet émane des débats internationaux au sujet de la crise du travail et dont on préconise de plus en plus vivement la création dans les pays (notamment lors de la Conférence Internationale du Travail en 1935) (Matasci & Droux). Ce projet propose l’idée du « camp de travail » pour jeunes, dispositif présenté comme « remède idéal à la démoralisation et aux risques de désagrégation sociale » (Matasci & Droux, p. 86). Selon ce projet, il serait judicieux pour chaque pays d’implanter des camps de travail pour jeunes dans ses campagnes afin de leur donner l’opportunité de travailler tout en les extrayant du marché du travail en crise (Matasci & Droux). Ce travail serait donc un simulacre d’emploi destiné aux adolescents seulement, qui consisterait en des travaux d’utilité publique en milieu rural. Les premiers camps de travail sont ainsi créés en Grande-Bretagne en 1929 et en Allemagne 1931, suivis par d’autres dans les années ultérieures (Matasci & Droux). La plupart des pays occidentaux s’accorde sur le fait que cette méthode permet d’isoler cette tranche d’âge pour mieux la surveiller et réduit ses occasions de délinquance ou d’activités considérées comme « déviantes ».

Le début du XXème siècle, en particulier la période de l’entre-deux-guerres, est donc traversé par d’importantes réflexions (à l’intérieur et entre pays) autour de la question de l’encadrement du temps libre des jeunes. Galland (2009) ira même jusqu’à dire que « la jeunesse a été ainsi, en tant que catégorie sociale, partiellement construite par les institutions inventées par les adultes pour l’encadrer ou la faire participer à leurs propres enjeux. » (p. 27).

Et l’individualisme croissant de la société des trente glorieuses ne fait qu’augmenter cette aspiration d’associer la jeunesse aux projets d’avenir collectifs (Rousseaux, 2007).

C’est dans cette perspective qu’apparaissent les mouvements de jeunesse sous les régimes totalitaires de ce début de siècle, tel que le fascisme italien des années 1920 ou le nazisme allemand des années 1930. Ces mouvements ne constituent plus une forme d’encadrement, mais une réelle mobilisation idéologique de la jeunesse à des fins de représentation des idées du régime en place. Michaud (1996) décrit ainsi l’adolescent enrôlé dans la Hitler-Jugend comme le « soldat d’une idée » (p. 309). La jeunesse est sacralisée au point de devenir un concept, comme le montrent les paroles de Baldur von Schirach, chef de la Hitler-Jugend, qui énonce en 1934 : « Seul ce qui est éternellement jeune doit avoir sa place dans notre Allemagne » (cité par Michaud, p. 309). La jeunesse est donc à la fois moyen et symbole du Régime, de la même manière que dans les mouvements de jeunesse fascistes

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italienne quelques années plus tôt, comme l’exprime Passerini (1997) : « Youth was thus both a metaphor of fascism and its tool […] » (p. 315). On fait d’ailleurs régulièrement appel aux figures artistiques traditionnelles (telles que celles de la mythologie wagnérienne pour les nazis) afin d’encourager chaque jeune à se révéler tel un héros mythique, à « s’autoproduire comme une œuvre d’art » pour « créer sa propre image immortelle » (Michaud, p. 330).

Quant aux objectifs concrets des mouvements de jeunesse totalitaires, ils sont généralement d’extirper « la jeunesse d’état » de l’autorité parentale afin de procéder à un embrigadement direct de celle-ci et de l’utiliser comme moyen de représentation idéologique, de surveillance de la population et comme force militaire (Michaud, 1996, p. 310). Pour cela, dans le régime nazi par exemple, la Hitler-Jugend est rendue obligatoire, toute autre association de jeunesse étant soit contrôlée, soit dissoute dès l’année 1933 et l’idéologie d’Hitler est injectée dans tous les programmes scolaires (Michaud). L’idée des camps de travail agricole est aussi reprise par certains régimes, comme c’est le cas du gouvernement de Vichy en France, qui développe les « chantiers de la jeunesse » en y ajoutant, ici encore, un encadrement militarisé (Matasci & Droux, 2013).

Néanmoins, l’embrigadement ne suffit pas toujours à détourner certains jeunes de leurs aspirations culturelles et de leur besoin de liberté. Ainsi, dans les derniers temps de l’Allemagne nazie, se forment des bandes de jeunes appelés « jeunesse swing » qui s’opposent au Régime par différentes pratiques telles que le rejet de la Hitler-Jugend, les vols, la fréquentation entre garçons et filles, l’écoute de musique anglophone (jazz, swing), le port de cheveux longs pour les garçons (Michaud, 1996). En 1944, le chef de la SS et de la police allemande Heinrich Himmler présente un projet de « lutte contre les cliques de jeunes », proposant d’expédier en camp de concentration tout jeune qui montre une opposition à la politique intérieure, qui commet des actes délinquants (« caractère criminel asocial »), ou qui s’intéresse à la nouvelle culture anglophone (« individualisme libéral ») (Burleigh &

Wippermann, 1991, cités par Michaud, p. 332).

Mais pour d’autres pays d’Occidents, le traitement de la jeunesse est très différent durant cette seconde Guerre Mondiale. En effet, et en particulier concernant les pays acteurs de la guerre, la tranche d’âge adolescente est mise au second plan et on la rattache plus régulièrement à son action dans le conflit, c'est-à-dire soit aux soldats (pour les plus âgés), soit aux enfants (pour les plus jeunes). Aux Etats-Unis par exemple, Passerini (1997) fait

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