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: La « nouvelle jeunesse » occidentale des années 1950-1960

a) Les années 1950 : convalescence d’après-guerre et nouveau souffle économique pour un monde occidental en (re)construction

Au lendemain de la Guerre, les dissensions internes aux populations des pays éclatent et on recherche souvent des coupables sur qui remettre la faute des barbaries commises et des souffrances vécues. Dans ce cadre, on assiste à une « surcriminalisation » de la jeunesse que l’on accuse, entre autres, de contrebande et de vol (pour les garçons) et de « fréquentation sexuelle » (pour les filles) (Rousseaux, 2007, p. 137). Ceci, ajouté au fait que la surveillance parentale a été amoindrie durant le conflit, fait ressurgir « la crainte d’une insubordination générale de la jeunesse » (Rousseaux, p. 137).

Dès lors, on dissocie à nouveau clairement l’enfance, la jeunesse et l’âge adulte.

Notons d’ailleurs que depuis 1945, le terme « teenager » est de plus en plus employé dans le langage quotidien et que l’ « adolescence » obtiendra un statut légal et social à la fin des années 1950 aux Etats-Unis (Passerini, 1997, p. 317). C’est comme si l’adolescence réapparaissait après une mise à l’écart de plusieurs années.

Ainsi, après avoir eu peur pour elle et pour sa morale durant la première partie de XXème siècle, on redoute à nouveau la marginalisation, voire la rébellion de la jeunesse.

Pourtant, comme vu précédemment, les actes de délinquance grave sont en déclin tout au long de ce XXème siècle et ceci depuis le siècle précédent (Rousseaux, 2007). Mais l’exode rurale toujours croissante et l’agrandissement des villes et de leurs quartiers périphériques développe une crainte du rassemblement de la jeunesse délinquante (Huerre, 2001).

C’est ainsi que l’école obligatoire est, une fois encore prolongée, allant d’environ 6 ans à 16-18 ans dans la plupart des pays occidentaux (Rousseaux, 2007). Le service militaire reste ou devient obligatoire dans beaucoup de pays, on pratique une censure des écrits destinés à la jeunesse et les systèmes d’encadrement de « l’enfance irrégulière » sont en plein essor (Rousseaux, p. 138).

On aborde également différemment les causes des problèmes de l’adolescence à partir des années 1950 en Occident. En effet, jusqu’aux années 1940 (et ce depuis la fin du XIXème

siècle), on expliquait les débordements de certains jeunes par la crise des mœurs traditionnelles et souvent plus particulièrement par l’éducation peu morale et l’alcoolisme des parents (« dégénérescence ») dans les milieux ouvriers (Mucchielli, 2001, p. 209). Mais la vague d’investigation psychologique et de dépistage catégorisé de la délinquance des adolescents, amorcée dans les années 1920-1930, s’est largement déployée et est à son comble dans les considérations populaires des années 1950. Dès lors, on appréhende de plus en plus fréquemment les actes de délinquance juvénile comme des manifestations de mal-être lié à l’enfance et à certaines carences affectives. Néanmoins, l’idée d’une crise de la famille caractérisée par la croissance des divorces et des familles monoparentales est toujours présente (voire se développe) dans les années 1950. On relie donc encore fréquemment cette

« dissociation familiale » à l’inadaptation de certains jeunes (Mucchielli, p. 210). Que ce soit dans l’idée d’une prévention ou face à ce que l’on qualifie de « troubles du comportement » ou de « tendances anti-sociales » chez les jeunes, les interventions médicales, sociales, éducatives et psychologiques se multiplient et les institutions qui pourvoient ces interventions franchissent de plus en plus régulièrement les remparts de la sphère familiale (Huerre, 2001, p. 8). En définitive, cette vague d’intervention à l’égard des adolescents constitue possiblement une nouvelle manière « […] de contrôler les faits et gestes de la jeunesse » (Rousseaux, 2007, p. 138).

Dans cette perspective, la justice des mineurs poursuit son partenariat avec les instances sociales et éducatives, conserve ses instances de tutelle et ses foyers ouverts, tout en favorisant l’éducation et la formation, y compris dans les établissements fermés (Bailleau, 2002). Comme l’énonce Niget (2008), la période des années 1950-1960 est l’ « ère du tout éducatif » (p. 10). Le juge pour mineurs adopte dès lors un nouveau rôle : celui de référent éducatif et moral qui donne à la justice un visage paternel et dévoué pour la cause des adolescents en rupture.

Par ailleurs, les années 1950 constituent une période de forte croissance économique caractérisée par une reconstruction d’après-guerre pour certains pays (France, Allemagne etc.) ou de prospérité industrielle et d’exportation pour d’autres pays épargnés par la seconde Guerre Mondiale (Suisse, Etats-Unis etc.) (Gilg & Hablützel, 2004). Cette aubaine économique s’accompagne d’une augmentation du pouvoir d’achat (des classes moyennes en particulier) et de l’avènement d’une société où la consommation de nouveaux produits tient une place importante dans la vie quotidienne (Sirinelli, 2005). La télévision, les nouvelles voitures et divers nouveaux objets électroniques s’insèrent petit à petit dans les ménages. Les

loisirs (tels que le cinéma) sont aussi de plus en plus prisés par la population. L’heure n’est plus à la recherche de solutions face au chômage des jeunes, ceux-ci trouvant généralement assez facilement du travail, entrainés dans l’expansion économique des trente glorieuses.

Les années 1950 représentent également une phase de remise en question du fonctionnement politique et social. En France par exemple, la IVème République érigée au lendemain de la Guerre rencontre d’importantes oppositions (Bantigny, 2007). Aux Etats-Unis, les tensions raciales sont de plus en plus palpables et opposent souvent les gouvernements des Etats et la population. Durant cette décennie, bien que les valeurs traditionnelles occidentales subsistent, on assiste aux prémices d’une volonté de libération de la femme par rapport au schéma domestique ordinaire (Passerini, 1997). C’est aussi l’avènement des préoccupations autour de la sexualité dans la sphère publique (Passerini).

Cette décennie d’après-guerre constitue donc sans nul doute le début d’un tournant dans les mœurs des sociétés occidentales, la croissance économique et le développement de la société de consommation participant à une véritable révolution des modes de vie. Quant à la jeunesse revendiquant elle-aussi l’accès à la consommation de masse, on a l’impression qu’elle est évincée par la population adulte qui a peur que la nouvelle société l’avilisse.

L’adolescence est de plus en plus souvent considérée comme un groupe social qu’il faut contrôler ou guérir pour en éviter les débordements. On se concentre d’ailleurs largement plus sur les problèmes de la jeunesse que sur tout autre préoccupation sociale : « […] the idea of youth became overdetermined, absorbing all the problems of the society” (Passerini, 1997, p.

316).

b) Le charme du blouson noir américain ou l’envoutement progressif de la jeunesse occidentale

Cette énergie dépensée par les adultes pour définir l’adolescence, l’isoler et la contrôler afin de l’empêcher de nuire au reste de la population, va générer une certaine solidarité et un sentiment d’appartenance au sein de ce groupe. En effet, ces enfants nés durant la 2nde Guerre Mondiale ont grandi, connaissent désormais une longue scolarité qui les rassemble autour d’aspirations communes de consommation. Ils souhaitent exister en tant que groupe et profiter, comme les adultes, des produits et services de la société néo-libérale (Passerini, 1997). C’est dans ce contexte que les attributs d’une forme de sous-culture nouvelle, propre à la jeunesse, voient le jour dans les classes moyennes américaines.

Cette nouvelle sous-culture prend largement racine dans les loisirs américains du moment : musique (rock and roll), cinéma (« teenpics » : films mettant en scène un héros adolescent), voitures customisées et motos (« hot rods »), « comic-books », radio etc. Les jeunes se coiffent et s’habillent à la manière de leurs idoles : Elvis Presley, James Dean, Marlon Brando (blouson de cuir souvent noir, jeans, botte en cuir, coupe « banane » etc.) et se font souvent appeler les « greasers » en référence à leurs cheveux gominés (Passerini, 1997).

Dans les « highschools », les jeunes filles de la classe moyenne expérimentent leurs premiers

« flirts », l’attrait de la sexualité devient un incontournable de la « real life » à laquelle la jeunesse aspire, en dépit des mœurs traditionnelles que la société tente de lui imposer (Passerini).

Cette nouvelle jeunesse inquiète car ses modèles sont considérés comme subversifs.

La société des adultes rejette, par exemple, la figure d’Elvis Presley en tant que symbole de sexualité, ainsi que sa musique qui contiendrait des attributs de la musique noire réfractaire (Passerini, 1997). Mais surtout, on craint que cette identité commune qui ne cesse d’être renforcée par des médias (radio, cinéma, etc.) soit source de délinquance et les rende dangereux à l’égard du reste de la population.

Les bandes de jeunes, font peur et préoccupent de plus en plus, notamment suite à la sortie du film « L’équipée sauvage » (« The Wild one ») en 1953. Ce film met en scène des bandes de jeunes motards qui se déplacent de ville en ville, sèment le désordre et qui, dit-on, ne « croient » en rien et méprisent tout. Cette image du chef de bande, « rebelle sans cause » en blouson noir (interprété par Marlon Brando) s’inscrit dans l’imaginaire collectif comme figure du nouvel adolescent délinquant en perte de repères moraux, dangereux pour lui-même et pour les autres.

La population américaine semble donc percevoir l’adolescent comme un « alien » en référence à ses valeurs, comportements et attributs culturels étranges, et pourtant, elle aspire dans le même temps à le réadapter aux mœurs de la société des adultes (Passerini, 1997, p.

320).

La jeunesse anglaise s’approprie rapidement cette sous-culture d’outre-atlantique, à travers la musique et le cinéma notamment. Comme aux Etats-Unis, des jeunes se rassemblent autour d’une mode et d’un idéal de liberté de consommation commun (Cohen, 1972). Dans un premier temps, des bandes de « teddyboys » apparaissent dans les banlieues sud de Londres.

Bien qu’issus des « working class », leur style se réfère plutôt à la figure des « Edwardian Dandys » et s’inspire en partie des « greasers » américains. Le comportement parfois violent de ces bandes, attisé par les médias, contribue à effrayer de plus en plus la population : « Although it was less than most people – and certainly the press – imagined, the violence was there and it was frightening enough to provoke a moral panic. » (Cohen, p. 208).

Dans un second temps, deux mouvements de jeunes distincts découlent des

« teddyboys ». D’une part, on assiste à l’émergence des « mods » (terme issu de

« modernists ») : groupe de jeunes d’origine plutôt aisée qui favorise une version italianisée du style « greasers », se réunit pour écouter de la musique (pop, rock and roll etc.) et consommer des drogues dans certains cas (Cohen, 1972). D’autre part, dans les milieux ouvriers, des gangs de « rockers » (appelés aussi « ton-up boys ») apparaissent. Contrairement aux « mods » et aux « teddy boys », le style des rockers est directement inspiré des mouvances et idoles américaines : blousons noirs, motos, rock and roll (Cohen). Comment expliquer le clivage entre ces deux groupes de jeunes pourtant proches dans le style (greaser), les mœurs (musique) et les aspirations (consommation) ? Cohen soumet l’hypothèse que puisque les mods sont issus d’une catégorie sociale qui leur donne accès aux produits culturels (disques, magazines, etc.), ils sont mieux intégrés par la population des adultes (qui va d’ailleurs entretenir cette consommation). Quant aux rockers qui revendiquent eux-aussi leur part de participation à l’industrie culturelle mais n’en ont pas les moyens, le vandalisme est souvent un moyen de manifester la frustration ressentie. Bien entendu, ce type de démonstration attise la peur des bandes de jeunes en blousons noirs qui arpentent ces cités déshéritées et participe au rejet de plus en plus répandu de l’image de la jeunesse « déviante » qu’ils véhiculent.

En France, cette nouvelle sous-culture jeune se répand plus tardivement. En témoigne le fait que le film « l’Equipée sauvage » ait été interdit en Grande-Bretagne alors qu’il a été l’objet d’un échec commercial à sa sortie en France en 1954 (car considéré comme étrange et non représentatif de la jeunesse française) (Le Pajolec, 2007). On comprend mieux ce décalage si l’on sait que dans la France du début des années 1950, la majorité des jeunes entre dans la vie active dès 14 ans (fin de la scolarité obligatoire) et qu’une faible part de la population fréquente le lycée (contrairement au phénomène des « highschools » américaines) (Léon, 2012). Dans le contexte américain, le « high school movement » date des années 1910-1940 et a engendré un accroissement massif des inscriptions dans les écoles publiques

secondaires (14-19 ans), donnant également lieu à une augmentation de la population étudiante (Goldin, 1998).

Dès lors, il est encore difficile d’envisager une identité adolescente commune en France à cette époque puisque la plupart des enfants s’insèrent alors directement dans la société des adultes sans transition notable.

D’autres films ont tout de même, quelques années plus tard, retenu l’attention de la jeunesse française comme « la fureur de vivre » (« Rebel without a cause ») avec James Dean comme allégorie d’une jeunesse rebelle désabusée (Le Pajolec, 2007). Mais c’est surtout à travers les idoles de la vogue musicale française « yé-yé » (dès 1959 environ) qu’une nouvelle mode adolescente se propage en France. Ces idoles (Johnny Hallyday, Richard Anthony, Vince Taylor) s’inspirent fortement du style musical mais aussi vestimentaire des icônes

« rock and roll » américaines (blousons de cuir noir, bottes, jeans, motos etc.). Ce mouvement se diffuse à travers des émissions telles que « Salut les copains » sur les radios à transistors (nouveau produit très affectionné par les adolescents) et dans les magazines pour jeunes (Sirinelli, 2005). Par ailleurs, de nouveaux courants cinématographiques apparaissent comme le « film noir » et la « nouvelle vague », accompagnés du « nouveau roman » et d’autres courants (Sirinelli). Précisons ici qu’à la fin des années 1950 en France, l’accès au 2ème cycle d’études secondaires se popularise : « la population scolaire du secondaire va ainsi doubler entre 1945 et 1958 et croître encore de 65% entre 1959 et 1964 » (Galland, 2009, p. 32). De plus, en janvier 1959, une réforme rehausse la scolarité obligatoire à 16 ans (Léon, 2012). On peut présumer que ceci, ajouté au phénomène de « babyboom » (ayant pour conséquence une forte représentation de la population juvénile) contribue, en cette fin de décennie française, au renforcement d’une prise en considération de la tranche d’âge adolescente.

C’est d’ailleurs à la fin de ces années 1950 que l’ « Equipée sauvage » paraît à nouveau en France. Le Pajolec (2007) explique qu’à cette occasion, « l’image de Marlon Brando a retenu l’attention de la presse car elle condensait une incarnation mythologique (l’acteur) issue d’une culture juvénile (le cinéma), une panoplie vestimentaire (le fameux blouson) et une angoisse sociale (les bandes de jeunes) » (p. 68). Très vite, des groupes d’adolescents des banlieues françaises qui ne veulent pas travailler à l’usine comme leurs parents s’approprient la mode et la philosophie des « greasers » américains et des « teddy boys » anglais (Joignot, 1999). Le nom de « blousons noirs » apparaît pour la 1ère fois dans la presse durant l’été 1959 pour désigner une bande de jeunes ayant saboté un café (« Saint

Lambert »), puis le lendemain, deux groupes de jeunes se bagarrant dans la rue (« Bandol ») à Paris (Bantigny, 2007). C’est le début d’un tapage médiatique incessant autour de la délinquance des blousons noirs et plus largement à propos de la « nouvelle jeunesse dangereuse » qui persistera jusqu’au milieu des années 1960 (Le Pajolec). Durant cette période, « tout jeune portant un blouson de cuir ou écoutant du rock est susceptible de se transformer en jeune délinquant, le moindre incident à la sortie d’un bal est l’occasion de ressortir le stéréotype du blouson noir » (Le Pajolec, p. 70). Un événement représentatif de ce phénomène médiatique (on parle dès lors de « phénomène blouson noir ») est le concert de Johnny Hallyday, Richard Anthony et Sylvie Vartan en 1963 qui rassemble 100 000 jeunes à Paris et à l’issue duquel des magasins sont saccagés et des groupes d’adolescents se heurtent aux policiers (Joignot, 1999). Laurent Mucchielli (2011), sociologue français spécialiste de la délinquance juvénile vue par la presse dans ces années-là, explique en ces termes :

L’augmentation de la délinquance juvénile dans les statistiques judiciaires à partir de 1954, associée à la campagne médiatique des « Blousons noirs », a fait surgir à l’époque une panique morale sur ces jeunes et sur leur violence réputée (déjà)

« nouvelle », « gratuite » et « extrême ». Pourtant, le seul phénomène véritablement nouveau de l’époque est le vol de voiture, et c’est lui qui porte l’augmentation en question (p. 50).

On retrouve cette fièvre médiatique autour de la violence des jeunes, accompagnée de ses amalgames de plus en plus nombreux entre culture juvénile et délinquance, durant cette décennie des années 1950. Une mobilisation massive autour de la question de la jeunesse délinquante s’étend au niveau international. Ce ralliement concentre cette fois-ci un certain nombre d’angoisses qui vont plus loin que les inquiétudes de l’entre-deux-guerres à l’égard des mœurs de la jeunesse. La délinquance des jeunes en bandes fait peur, la violence juvénile devient une hantise populaire attisée par les médias. La population adopte le terme de

« délinquant » de manière croissante pour désigner les mineurs qui enfreignent la loi et celui-ci pénètre également la sphère politique au côté des préoccupations autour des bandes de jeunes dans les années 1950-1960. Pourtant, l’augmentation de la criminalité juvénile n’est pas probante durant ces années et les tribunaux pour mineurs font plus souvent état d’une hausse des vols liés à l’attrait de la société de consommation (Fize, 1993).

Cette vague d’inquiétude va donner lieu à une coopération d’autant plus forte entre pays autour de ce phénomène juvénile. Par exemple, une commission consultative de

l’enfance délinquante et socialement inadaptée se tient en 1961, dans le cadre de l’Union Internationale de la Protection de l’Enfance, pour essayer de comprendre le phénomène de bandes, avec comme thème principal : « Les blousons noirs »3 (Fize, 1993). De nombreuses recherches et consultations entre pays se développent pour rechercher des causes aux comportements de « déviance » des jeunes. Nombre de spécialistes de la jeunesse en tout genre se questionnent autour de la consommation, de l’urbanisation, des effets de bande, de la famille, de l’école, du travail, des loisirs (Fize). Notons d’ailleurs que ce n’est que depuis le lendemain de la seconde guerre mondiale, heure florissante des sciences sociales de l’école de Chicago aux Etats-Unis, que le phénomène de délinquance juvénile est un réel objet d’étude.

Cette recherche de causes sociales au problème de la délinquance est donc surement largement héritée des études des années 1920-1930 qui avaient, pour la première fois, envisagé ce genre de problème de société dans une perspective sociale (pauvreté, nouvelles conditions de vie dans les cités etc.) (Poupart, 2011). D’autres perspectives plus portées sur la psychologie parlent d’une « crise d’originalité juvénile » pour caractériser les agissements que l’on considère comme typiques chez l’adolescent : recherche identitaire, appétence pour les situations où il se met en danger, défi des règles, besoin de liberté mais aussi d’affection (Fize, p. 37). La préoccupation grandissante à l’égard de la délinquance des jeunes (en particulier en bandes) et la vague de popularisation des théories issues des sciences sociales et de la psychologie se croisent donc dans les années 1950-1960, donnant lieu à des mises en relations multiples et éparses (Moscovici & Marková, 2006).

Le cinéma nourrit également l’angoisse collective à l’égard des débordements d’une jeunesse incontrôlable. Revenons sur trois films traitant de l’adolescence et qui marquent particulièrement les sociétés occidentales en cette fin des années 1950 – début des années 1960 : La fureur de vivre (Rebel without a cause), Graine de violence (Blackboard jungle) et L’équipée sauvage (The wild one) (Vuille, 2007). Ceux-ci affichent des termes tels que

« fureur », « rebelle », « violence », « jungle » ou « sauvage » dans leurs titres, ce qui met en exergue une forme de menace à l’égard de la société des adultes et des normes qu’elle prône.

La figure du « blouson noir » est d’autant plus forte qu’elle apporte une image stylistique à cette jeunesse menaçante et polarise ainsi l’anxiété de la population :

3 Union internationale de Protection de l’enfance. Commission consultative de l’enfance délinquante et socialement inadaptée. Thème : Les Blousons Noirs (Fribourg-en-Brisgau, 28 août-3 septembre 1961). Brochure CRIV Vaucresson. N° 10867.

Les unes après les autres, les nations du monde – qu’elles soient du nord ou du sud, de régime capitaliste ou socialiste – découvrent qu’elles ont, elles aussi, des « rebelles sans cause », aux noms particuliers : « teddy boys » et « teddy girls » en Grande Bretagne, « vitelloni » en Italie, « nozems » aux Pays Bas et en pays flamand belge,

« skinn knuttar » en Suède, « laerjekker » (pour les garçons) et « exhaustryper » (pour les filles) en Norvège, « anderupen » au Danemark, « hooligans » en Pologne,

« bodgies and widges » en Australie, « stiliagues » en URSS, « totsis » en Afrique du Sud, « taio-zoku » au Japon, « taïpan » en Chine, enfin, indistinctement « tricheurs »,

« dragueurs », « casseurs », « J3 » ou, bien sûr, « blousons noirs » en France.

L’universalité du phénomène n’est ainsi pas contestable et elle sera d’ailleurs soulignée lors du IIème Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le

L’universalité du phénomène n’est ainsi pas contestable et elle sera d’ailleurs soulignée lors du IIème Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le