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Oncologie : Article pp.250-251 du Vol.3 n°4 (2009)

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Texte intégral

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Psycho-Oncol. (2009) 3:250-251 DOI 10.1007/s11839-009-0161-x

EXTRAIT DE COMMUNICATION

Lina, une adolescence amputée, une identité mutilée

Impact des traitements anticancéreux sur le corps et l’identité d’une adolescente

H. Nove-Josserand

© Springer-Verlag 2009

Lina, 15 ans et demi, est arrivée dans notre service après avoir effectué deux cures de chimiothérapie consécutives à son ostéosarcome dans son pays d’origine. Lina incarne une adolescente épanouie, gaie, subissant les nouveaux traite- ments sans manifester ni réticence ni opposition silencieuse ou bruyante, caractéristiques de nombreux adolescents traités pour un cancer.

La régression classique des adolescents confrontés au cancer ne semblait pas la toucher. Arrivée de son pays et accueillie par sa tante âgée d’une trentaine d’années, Lina se sentait libre, sans parents ni professeurs à qui s’opposer. La France, tellement rêvée et idéalisée par ses compatriotes et par elle-même, lui offrait non seulement une chance de se soigner mais aussi des perspectives d’atteindre un dépasse- ment de son adolescence et de son cancer par ses propres ressources personnelles, un « dépassement de soi par soi-même ».

Son cancer représentait pour elle quelque chose de l’ordre d’un pseudo-rite d’initiation privé, qui lui promettait d’affronter sans éclat la douleur et peut-être la mort, en quittant la tranquille assurance du passé pour trouver une place, une identité. « Mourir » à l’enfance pour renaître à l’âge adulte ne provoquait pas, comme pour de nombreux adolescents, son lot de souffrance et de violence chez elle ni chez les soignants qui la prenaient en charge. Sa puberté, son adolescence, lui octroyaient de nouvelles potentialités, avec la promesse de jouir de son adolescence pleinement après la guérison qui, pour elle, ne faisait aucun doute. Car la médecine occidentale en général, médecine toute puissante dans les représentations de son pays d’origine, contrastait avec la misère de la prise en charge médicale de son pays. La richesse, l’efficacité des soins et la gentillesse des soignants ne pouvaient que venir à bout de son ostéosarcome.

Mais voilà qu’elle apprend, de façon brutale, par une autre tante beaucoup plus âgée que celle qui l’a accueillie, qu’elle va devoir subir une amputation de la jambe dans quelques semaines. Le cancer, qui jusqu’à présent était vécu comme quelque chose d’extérieur à elle, a pris un sens nouveau. « Ce n’est pas la honte que je crains, c’est le rejet et l’abandon que je redoute avec cette amputation si je retourne dans mon pays ». La violence de l’annonce de cette amputation de la jambe, reprise par les médecins, ne provoqua pas chez elle une violence en retour, mais un abattement provisoire. Ce réel qui allait toucher son corps n’était pas encore concevable ni représentable ni imagi- nable. Même après l’amputation, durant les quelques jours qui suivirent cet acte chirurgical, Lina ne pouvait pas encore mobiliser des affects adaptés à sa nouvelle situation. Elle y répondait par des réactions inappropriées, dans une sorte d’euphorie mêlée d’excitation et de séduction. Ce réel irréversible du corps ne pouvait encore s’inscrire. Son corps était toujours investi malgré la mutilation, comme un corps entier, un corps adolescent qui s’épanouissait à la vie, avec une féminité focalisée sur ce qui se donnait à voir en premier, le visage : regard et bouche maquillés.

Ce sont les chimiothérapies postopératoires, les séjours au centre de rééducation et surtout le refus du visa pour sa mère qui entraînèrent, chez Lina, plusieurs mouvements psychiques et affects : régression, honte, rejet, sentiment de persécution, sentiment d’être incomprise par les soignants, bref tout un éventail de processus caractéristiques de l’adolescent en général et de l’adolescent atteint et traité pour un cancer en particulier.

La France, le corps médical, les soignants, les réédu- cateurs sont renvoyés pêle-mêle ; comme un seul et même objet indifférencié, vécu comme attaquant, disqualifiant faisant surgir chez elle des affects exacerbés.

La chimiothérapie postopératoire et l’amputation la confrontent alors à des transformations physiques qui relèvent d’une métamorphose. Fragilisée à l’extrême, ce n’est pas simplement sa jambe qui est amputée mais son H. Nove-Josserand (*)

IHOP (Institut dhématologie et doncologie pédiatrique), 1, rue Joseph-Renaut, F-69373 Lyon cedex 08, France e-mail : novejoss@lyon.fnclcc.fr

Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur archives-pson.revuesonline.com

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adolescence aussi. Son corps s’affaiblit, lui échappe, se dérobe à elle. Un nouveau corps qu’elle ne peut plus

« habiter ». Alors que son corps lui devient étranger, se renforce en elle la conscience d’être étrangère à ce pays tant idéalisé, et aujourd’hui désidéalisé. Cette métamorphose corporelle mutile aussi son identité, ce qui se manifeste dans les propos de Lina l’avant-veille de ses 16 ans : « est-ce que je serai un jour une femme, moi qui suis devenue une créature ? ». Cette interrogation révèle, de manière écla- tante, la confusion et le trouble identitaire classiques de l’adolescence, adolescence que la psychanalyse définit par le négatif : « l’adolescent n’est plus un enfant mais pas encore un adulte ».

Sa mère, à qui le consulat français avait refusé le visa, ne pouvait être présente à ses côtés et lui offrir un étayage, un soutien, un appui, un modèle identificatoire et la possibilité d’accueillir ses attaques. Lina nourrissait un espoir immense, celui d’être la fille qui « sortirait sa mère » de la misère de son pays pour venir vivre en France. La France apparaissait à Lina comme le pays de recours afin d’éviter « une mise au banc de la société dans son pays d’origine car le handicap d’une femme est une malédiction ». Elle avait décidé de rester en France, « mineure, elle ne peut pas être expulsée et, à sa majorité, elle se débrouillera pour y rester ».

Le sacrifice de son enfance, le sacrifice de sa jambe ne pouvaient être concevables, voire acceptables qu’à cette condition : « sauver ma mère et mes deux petites sœurs ».

Les faire venir et y rester avec elles, même si cela devait aboutir plus tard à une immigration clandestine. Par ce sacrifice, elle pensait devenir adulte, femme payant sa dette à sa mère qui lui a donné la vie, femme avec un membre en moins mais une dimension salvatrice en plus. La perte d’une jambe pour un don de soi, la perte pour un gain comprenant générosité, solidarité familiale, utilité ; une adolescente adulte accomplissant un geste héroïque !

Mais ce sacrifice n’a pas obtenu le bénéfice espéré (sa mère devra attendre un an avant de demander un autre visa), elle n’a pu accomplir la mission qui était devenue la sienne, imposée par elle-même. Cela a renforcé le sentiment

de solitude, d’abandon réel et de fantasmatique, d’exil géographique et, de manière plus large, le sentiment d’exil que l’expérience du cancer et ses conséquences lui font traverser. Le manque d’un membre et le manque de sa mère ouvrent alors sur la dépression en plaçant au premier plan la blessure narcissique avec l’obligation d’envisager sa propre finitude : « à 16 ans, je suis trop jeune pour mourir, je n’ai encore rien vécu ».

Cependant, tout en s’enfonçant dans un syndrome dépressif, elle ne cesse de demander à me voir lors de chaque hospitalisation durant une cure de chimiothérapie ou un séjour pour une aplasie fébrile et de parler avec moi en excluant sa tante de la chambre. L’échange, la parole entendue, la reconnaissance mutuelle permettent alors d’ouvrir sur un processus d’appropriation subjective. Parler de son membre fantôme, de « ce rien à voir » qu’elle me montrait, de l’absence de sa jambe amputée, mais aussi de son absence dans la famille, de sa différence avec ses pairs, de sa coupure momentanée du champ social, de son exclusion fantasmatique du champ de l’humain faisait émerger un discours riche de questions, des récits détaillés de ses cauchemars et de ses terreurs nocturnes. La parole entendue, reçue, échangée a favorisé chez Lina, tout d’abord, l’émergence d’un processus d’appropriation de l’état de malade, l’appropriation de son nouveau destin, mais aussi la promesse d’appropriation de ce nouveau corps. Dans ce processus d’appropriation qui se mettait en route apparut alors, et cela lors de l’avant-dernière cure de CT, l’hypothèse, chez Lina, d’une causalité psychique.

« Son cancer s’est déclaré suite à une punition et à une humiliation par son père. Il l’avait battue devant tout le quartier, car elle était sortie avec un garçon, acte fortement réprouvé dans son pays ».

Dans cette découverte de causalité psychique qui fait partie du processus d’appropriation subjectif, Lina pouvait alors réactualiser des éléments subjectifs qui ouvraient sur un travail d’élaboration associé à son état d’adolescente mutilée par un cancer et sur une tentative de dépassement des divers traumatismes subis par elle.

Psycho-Oncol. (2009) 3:250-251 251

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