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Oncologie : Article pp.250-255 du Vol.4 n°4 (2010)

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ARTICLE ORIGINAL /ORIGINAL ARTICLE DOSSIER

Repérage, clinique et évaluation de la dépression en oncologie : collaboration psychiatre, psychologue et cancérologue

Screening, clinic and assessment of depression in oncology: collaboration psychiatrist, psychologist and oncologist

H. de La Ménardière · M. Reich · L. Vanlemmens

Reçu le 20 août 2010 ; accepté le 10 septembre 2010

© Springer-Verlag France 2010

RésuméLa dépression est fréquemment rencontrée en onco- logie avec des implications cliniques pratiques, et pourtant elle reste sous-évaluée. Son impact sur la qualité de vie des patients et leur adaptation à la maladie et ses thérapeutiques est loin d’être négligeable. Une symptomatologie spécifique de la dépression en cancérologie rend son dépistage plus aléatoire, d’où la nécessité d’une évaluation rigoureuse. Les objectifs de cet atelier seront, en illustrant par des vignettes cliniques, de mieux appréhender la sémiologie spécifique des troubles dépressifs dans le champ de l’oncologie. Les tech- niques d’entretien permettant le repérage et donc le dépistage de la dépression seront proposées. L’abord pluridisciplinaire de cette pathologie sera illustré en confrontant le point de vue du psychiatre, du psychologue et de l’oncologue. Une réflexion sur la manière d’optimiser le repérage de ce trouble sera faite afin de sensibiliser les équipes soignantes sur cette problématique. Pour citer cette revue : Psycho-Oncol. 4 (2010).

KeywordsCancer · Depression · Screening · Multidisciplinarity

AbstractDepression is often encountered in oncology with practical clinical implications and yet remains underestima- ted. Its impact on patient’s quality of life and coping with the disease and its treatment are not to be neglected. A specific symptomatology of depression in oncology makes its scree- ning more uncertain and advocates for a rigorous assess- ment. The objectives of this workshop, through clinical vignettes, will be to better grasp the specific semiology of depressive disorders in the oncologic field. Communication and interview skills allowing detection and depression scree- ning will be proposed. A pluridisciplinary approach of this disorder will be illustrated by confronting psychiatrist, psy- chologist, and oncologist point of view. A reflection about how to optimize depression screening will be done in order to make the caregivers aware of this problem. To cite this journal: Psycho-Oncol. 4 (2010).

Keywords Cancer · Depression · Screening · Multidisciplinarity

Introduction

La dépression, « c’est le cancer de l’âme » rapportait un patient suivi pour un mélanome. Cette réflexion dénote à quel point la dépression et sa stigmatisation peuvent générer une souffrance indicible au point d’être assimilées à celles du cancer, maladie, elle aussi encore très stigmatisée tant sur le plan de la souffrance physique que psychique. Pourtant, dans la pratique clinique routinière, il existe un paradoxe certain :

dune part, les patients atteints de cancer souffrent physiquement et vont spontanément parler au soignant de leur douleur physique ;

dautre part, les patients qui souffrent psychologiquement ne vont pas parler spontanément au soignant de leur dou- leur morale. Ils auront tendance à dénier ou minimiser leurs troubles dépressifs.

H. de La Ménardière (*)

Unité de cancérologie, groupe hospitalier Cochin–Hôtel-Dieu–Broca, site Cochin, Assistance Publique–Hôpitaux de Paris, 27, rue du Faubourg Saint-Jacques, F-75679 Paris cedex 14, France

e-mail : helene.de-la-menardiere@cch.aphp.fr M. Reich

Équipe de psycho-oncologie, centre Oscar-Lambret, 3, rue Frédéric-Combemale, BP 307,

F-59020 Lille cedex, France L. Vanlemmens

Département de sénologie, centre Oscar-Lambret, 3, rue Frédéric-Combemale, BP 307,

F-59020 Lille cedex, France DOI 10.1007/s11839-010-0285-z

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Cela fera écho à l’attitude des soignants oncologues et paramédicaux qui eux aussi vont sous-estimer et banaliser, mais parfois aussi surestimer ces troubles dépressifs. En effet, ils considèrent que ceux-ci s’inscrivent de manière légitime et réactionnelle au contexte d’organicité propre à la carcinologie.

La minimisation ou la surestimation de ces troubles de l’humeur sont le plus souvent liées au recoupement des symp- tômes physiques de la dépression avec ceux du cancer [12].

D’une manière générale, les oncologues ont plutôt tendance à se focaliser sur les problématiques somatiques générées tant par la maladie que par ses traitements et inves- tiguent moins les répercussions psychosociales [2].

L’importance des troubles somatiques liés au cancer ou à ses traitements peut masquer une authentique dépression.

Cela rend difficile dans la pratique clinique la différenciation entre les symptômes de la dépression de ceux pouvant être liés à l’évolution de la maladie cancéreuse et aux effets secondaires des traitements. De multiples raisons peuvent expliquer cet état de fait : un manque de sensibilisation et d’éducation tant des soignants que des patients aux problé- matiques de la dépression, un diagnostic encore vécu comme une marque de « faiblesse » et donc culpabilisant et stigma- tisant, une surcharge des consultations d’oncologie avec un manque de temps à consacrer aux difficultés émotionnelles des patients et de leur entourage [8].

Compte tenu du retentissement qu’opère la dépression, tant sur la qualité de vie, que sur l’estime de soi, ainsi que sur les fonctions élémentaires ou l’observance des traitements, il est nécessaire d’essayer de caractériser les spécificités cliniques de la dépression chez un patient atteint d’une maladie cancéreuse.

Spécificités de la dépression en oncologie : freins au diagnostic

Il n’est pas rare qu’au décours d’une prise en charge, une dysthymie ou des troubles de l’adaptation apparaissent, par- fois même au premier plan par rapport à une dépression en tant qu’entité syndromique.

La présence de symptômes dépressifs n’est pas significa- tive d’un diagnostic de dépression. D’ailleurs, tout symptôme ne nécessite pas une réponse médicale, quand bien même un traitement chimiothérapique et/ou un soutien psychologique peuvent parfois s’avérer indispensables. Néanmoins, la présence de ces symptômes révèle un mal-être, une souf- france, un malaise, dont il convient de tenir compte. Il est nécessaire d’évaluer la capacité qu’a un sujet, qui éprouve des affects douloureux ou dépressifs, à faire face et les ressources dont il dispose mais aussi la désorganisation que ceux-ci peuvent induire.

Devant la gravité du diagnostic carcinologique, les soignants et l’entourage peuvent parfois être tentés de ratio- naliser de façon excessive les troubles de l’humeur [13].

Ajouté à cela que les troubles dépressifs en cancérologie sont rarement rapportés spontanément, car ce qui prévaut aux yeux de tous, soignés comme soignants, c’est « d’avoir le moral », qui au dire de certains patients permettrait

« d’assurer la guérison à 70 % ».

Lorsque les symptomatologies se télescopent

Lorsque l’on décide de rechercher et d’évaluer un état dépressif chez un malade atteint d’un cancer, on est très vite confronté à des difficultés liées au fait qu’il existe des correspondances entre la clinique habituelle de la dépression (anorexie, perte d’élan vital, tristesse…) et la situation dans laquelle se trouve le malade, menacé dans son existence. De plus, il est souvent difficile de distinguer, dans le recouvre- ment des signes, ce qui appartient à la dépression de ce qui appartient à la pathologie cancéreuse et à ses signes somati- ques. La tristesse et le désespoir du patient apparaissent trop souvent comme des signes d’adaptation normaux à sa situation existentielle.

Une sous-évaluation des problèmes dépressifs en découle. La dépression peut être curable, à partir du moment où elle est recherchée systématiquement et activement, dès lors que les équipes des services de cancérologie sont atten- tives à ce qui la favorise, comme la douleur, la perte d’auto- nomie, un manque de soutien social ou encore des antécédents dépressifs.

Il est cependant important de distinguer l’humeur dépres- sive ou tristesse passagère, souvent présente, d’un épisode dépressif majeur qui pourtant concerne 5 à 10 % de patients atteints d’un cancer. Les symptômes somatiques (perte de poids, fatigue, insomnie) s’observent fréquemment dans le cancer. Ils ont donc beaucoup moins de valeur diagnostique que certains symptômes psychologiques. En effet, c’est la présence et la persistance de symptômes tels que pensées récurrentes de mort, idées suicidaires (alors que les symp- tômes d’inconfort sont contrôlés), perte d’estime de soi, dévalorisation, sentiment d’inutilité, désinvestissement relationnel, absence de plaisir même minime qui doivent nous alerter.

Les causes organiques des troubles dépressifs existent aussi. Il est important de connaître cette notion, car la prise en charge pourra être différente. Elles peuvent être liées à la pathologie cancéreuse, c’est à dire suite à des troubles neurologiques, endocrinologiques ou métaboliques. Les symptômes susceptibles d’être retrouvés sont l’asthénie, qui prédomine, l’anhédonie ainsi qu’un ralentissement psycho- moteur. La dévalorisation de soi est absente de ce tableau clinique. Des traitements, notamment des antalgiques, des

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corticoïdes, des opiacés, peuvent conduire à des troubles dépressifs. Seule la chronologie permet d’établir le diagnostic.

Rarement rapportés spontanément, ces symptômes doi- vent être recherchés systématiquement. En effet, un syn- drome dépressif installé peut parfois conduire au suicide mais surtout à ses équivalents, fréquemment observés, comme l’arrêt des traitements ou l’abandon de la surveil- lance oncologique.

Côté patient, réticence à évoquer ou à reconnaître des symptômes

La maladie va révéler et faire vaciller chez la personne malade tous ses repères corporels, relationnels, temporels et d’identité, l’amenant à vivre une crise existentielle profonde, l’obligeant à aménager de nouveaux étayages.

L’image de soi s’en trouve profondément bouleversée et les blessures narcissiques ravivées seront bien souvent plus douloureuses que la maladie elle-même. Au-delà de l’angoisse de mort, le malade sera habité par des peurs multiples : peurs de la souffrance, de la déchéance physique, des traitements et leurs effets mutilants, peur d’être un fardeau pour ses proches ou encore du regard des autres.

La personne malade est imprégnée par différentes repré- sentations plus ou moins fondées sur les moyens d’être un bon patient à l’égard de son médecin référent, des équipes, ce qu’il faut faire pour guérir [9]. Ainsi, la célèbre injonction type « il faut avoir le moral pour guérir » est bel et bien vivante dans nos services et guide les comportements, les attentes de chacun des protagonistes. Il n’est pas rare non plus que les patients aient la conviction que ce qu’ils ressen- tent ne concerne pas le cancérologue. Nous nous situons donc dans un contexte de souffrance globale qui opère chez la personne un dysfonctionnement et une déchirure à la fois physique, psychologique et spirituelle. La souffrance est comme un cri, mais sans voix, « qui est la parole d’un sujet qui se cherche dans la déchirure du corps, il est le plus souvent voilé, caché, rendu inaudible sous le bruit et le remue-ménage que déclenche la douleur » [15]. Le plus souvent masquée, la souffrance est non dévoilée parce qu’in- communicable par le sujet qui la porte et impossible à enten- dre par celui qui l’écoute. Lorsqu’une personne évoque sa souffrance, elle est quelqu’un d’autre, comme séparée d’avec elle-même. La souffrance touche à ce qui est de l’ordre de l’intime, et bien que constituant une des manières d’en parler, dire quelque chose de sa souffrance est risqué, puisque le sujet, directement mis en cause, en parle alors d’une manière trop générale ou bien trop intime.

Les troubles émotionnels (dépression), eux-mêmes, peuvent aussi empêcher leur expression, tels que la honte, un repli, un ralentissement psychique. C’est aussi le cas pour certains mécanismes d’adaptation, et plus particulière- ment en cas de répression émotionnelle.

Aussi, dans ce contexte, comment parler de soi au décours de consultations relativement courtes et déjà tellement denses en informations médicales communiquées, attendues, bouleversantes ?

Côté soignant, des difficultés diagnostiques

En cancérologie, dans la pratique quotidienne du cancérolo- gue, différents facteurs participent aux difficultés diagnos- tiques de la dépression. La spécialité médicale de l’oncologue référent ou de l’interne n’est pas de poser des diagnostics psychiatriques. Le plus souvent, chaque médecin a, au décours de sa formation universitaire, pu appréhender la psychopathologie clinique de la dépression qui ne permet cependant pas de poser un diagnostic dans ce contexte si particulier. Ce d’autant qu’à cela vient s’ajouter le chevau- chement des symptômes dépressifs avec les symptômes de la maladie cancéreuse.

De plus, au décours des consultations médicales, alors que le temps fait défaut, de nombreuses informations doivent être communiquées, et le médecin le sait bien, ce qu’il énonce a un retentissement émotionnel fort. Aussi, ces conditions sont peu propices pour explorer une symptoma- tologie dépressive ou encore effectuer un diagnostic différentiel.

Dans notre clinique quotidienne, il n’est pas rare d’enten- dre une certaine réticence à explorer le champ émotionnel.

En effet, il s’agit pour le médecin d’évoquer avec son patient ce qu’il en est de son vécu, des répercussions psychiques de ce qu’il est en train de vivre. Cela nécessite du temps et signifie aussi s’engager davantage dans la relation à l’autre.

Le praticien a parfois des difficultés à aborder ce champ pour diverses raisons : peur d’être mis en difficulté, manque de connaissance de la symptomatologie, manque d’intérêt ou encore de temps.

Enfin, il n’est pas rare que les troubles de l’humeur soient minimisés, banalisés, « c’est normal », ou rationalisés au regard de la sévérité médicale.

Une collaboration, cancérologue–psychologue–

psychiatre, indispensable

Un trouble dépressif peut être traité (psychotropes, psycho- thérapies). Les antidépresseurs sont efficaces sur les dépres- sions vraies. En cas de doute, le traitement est souvent débuté lorsque l’intensité symptomatique le justifie. Cepen- dant, une médication par défaut, faute de certitude, est-elle toujours nécessaire et favorable pour le confort et le bien-être du patient ? Les prescriptions systématiques des psychotro- pes peuvent parfois être pour le médecin l’unique recours, souvent illusoire, pour faire taire la parole qu’il pressent chez le malade et se prémunir de ce qu’il ne peut encore entendre.

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Dans les services d’oncologie médicale, les infirmières, qui sont en première ligne, sollicitent le psychologue du service lorsque le patient « n’a pas le moral », se plaint davantage, ou encore est « moins motivé » pour venir en traitement.

Le psychologue clinicien qui exerce en cancérologie est intégré à un service dont le cadre se définit par le référentiel médical. Il est au service du patient, des familles, de l’équipe soignante, dans ce contexte où « l’arrivée de la maladie a mis à mal le rapport entre somatique et psychique » [1]. En effet, l’annonce du diagnostic d’un cancer engendre une situation de crise qui rompt le cours des choses et, comme le souligne René Kaës, met « en cause douloureusement la continuité du soi, l’organisation de ses identifications, l’usage de ses mécanismes de défense, la cohérence de son monde person- nel de sentir, d’agir et de penser ». Comme l’explique si bien Jeannine Pillot, « il y avait avant ; désormais, cela ne sera jamais plus pareil. Il y a maintenant et maintenant est difficile à vivre, avec les interventions, la dépendance, la non-maîtrise, la fragilité, les chirurgies, les traitements difficiles et aléatoires ». Il y a « après qui est dans le brouil- lard, qui est impossible à imaginer et difficile à vivre ».

Aussi, ce que vise l’accompagnement psychologique, c’est de reconstituer l’histoire du sujet au sein de laquelle vient s’inscrire la maladie, et de permettre qu’une continuité s’établisse au décours des annonces, des examens, des traitements [5].

Il n’est pas rare dans les services de cancérologie de tra- vailler en lien avec le psychiatre de liaison en cas d’urgence psychique : menace suicidaire, propos morbides. Les situa- tions extrêmes ne participent pas à développer une prise en charge globale au quotidien, et ne constituent en rien un critère de qualité.

Ayant une formation universitaire en psychopathologie et formé à la psycho-oncologie, le psychologue clinicien qui exerce en cancérologie est rompu à repérer la symptomato- logie dépressive dans ce contexte particulier. Aussi, l’entre- tien clinique mené par le psychologue permet d’évaluer la présence ou non d’une symptomatologie dépressive, les éventuelles répercussions sur la qualité de vie quotidienne de la personne ou encore les ressources psychiques dont elle dispose pour faire face. Nous connaissons les réticences des patients à rencontrer un psychiatre, craignant d’être étiqueté « fou ». Il en est de même pour les soignants. En effet, « l’hésitation du somaticien est aussi à rapporter à la répugnance à cataloguer comme « psy » son malade ou aux difficultés structurelles d’intervention du psychiatre : délais, difficulté à formuler l’objet de la demande et crainte de l’intrusion de l’équipe médicopsychologique au moment où l’équipe somatique porte une culpabilité certaine quand l’état du patient est préoccupant et quand le traitement a ses limites » [10]. Dans ce contexte, le psychologue fait fonction de lien entre les différents protagonistes, tel un pont du

patient au cancérologue, du patient au psychiatre et du cancérologue au psychiatre.

N’étant pas médecin, il est indispensable pour le psycho- logue clinicien, dans sa pratique quotidienne, de travailler en partenariat avec le psychiatre de liaison qui lui seul posera un diagnostic médical et pourra proposer un traitement optimal adapté. Cette démarche ne peut s’effectuer qu’en lien avec les oncologues, permettant ainsi des diagnostics différentiels ou encore d’éviter des interactions médicamenteuses malen- contreuses. Il est donc indispensable pour le psychologue, comme pour l’interne en oncologie ou encore pour le cancé- rologue référent de pouvoir travailler en étroite collaboration avec le psychiatre de liaison de l’hôpital.

En pratique, comment faire le diagnostic de dépression ?

Avant tout, il est possible de s’interroger pourquoi les patients atteints de cancer vont-ils développer un syndrome dépressif ? De multiples facteurs peuvent y contribuer :

laltération physique génératrice de modifications du rythme, du style de vie et d’une perte d’autonomie ;

les stress répétitifs liés aux décisions médicales à prendre ;

la crainte d’un avenir vécu comme sombre et sans espoir et des pensées morbides récurrentes ;

la présence de symptômes physiques non contrôlés comme la douleur, les troubles digestifs et la fatigue ;

une iatrogénie soit médicamenteuse (médicaments dépressiogènes), soit secondaire aux actes chirurgicaux mutilants.

Complexité Première difficulté

La première difficulté sera de faire la différence entre des réactions émotionnelles supposées être normales durant le contexte et la trajectoire de la maladie. C’est par exemple la manifestation d’une détresse psychologique (pleurs !) dans les suites d’une annonce diagnostique qui ne va pas forcément s’apparenter à un trouble dépressif avéré. Toute- fois, cela peut parfois augurer d’un effondrement thymique ultérieur, si les mécanismes de défense mis en œuvre (déni, déplacement, isolation, minimisation entre autres) ne s’avèrent pas opérants.

Ce sont autant les répercussions sur la vie quotidienne (sociale, affective, relationnelle) et la durée du trouble (au moins deux semaines) que l’intensité, la permanence ou le nombre des symptômes qui doivent être les éléments déterminants pour poser un diagnostic de dépression et légitimer une prise en charge. Ainsi, un patient qui resterait

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dysphorique, submergé par ses émotions, ou dans une atti- tude de passivité et de repli sur lui même devrait être suspect de dépression associée et évalué dans ce sens. Un change- ment significatif de comportement par rapport à l’état antérieur du patient, le plus souvent rapporté par l’entourage doit là aussi faire suspecter et rechercher ce diagnostic.

Des réactions dépressives légères accompagnent fré- quemment le stress lié à l’annonce diagnostique et aux propositions de traitement parfois mutilants chez les patients atteints de cancer. Ces réactions normales de tristesse, de vulnérabilité, de crainte, voire de désespoir sont à intégrer dans le cadre de réactions d’adaptation qui le plus souvent vont se résoudre spontanément. Par contre, l’épisode dépres- sif majeur est un diagnostic de trouble pathologique lorsque surviennent des problèmes d’adaptation permanents au cancer et lors de son évolution.

Il existe une fréquente confusion entre des symptômes d’allure « dépressive » caractérisés par une tristesse ou une humeur « déprimée » et un syndrome dépressif ou épisode dépressif majeur. Si chez des malades atteints de cancer, la tristesse est normale, la dépression ne l’est pas. L’humeur dépressive est en soi un sentiment (humeur triste, se sentir abattu) ou un symptôme mais pas un diagnostic.

Deuxième difficulté

La deuxième difficulté sera de faire la part entre une symp- tomatologie rattachée effectivement à la dépression et celle pouvant être liée au cancer et à ses traitements. La multifac- torialité des symptômes peut rendre le diagnostic difficile à faire. Il existe en effet un recouvrement et un recoupement somatique (sommeil, appétit, libido, asthénie) entre dépres- sion et cancer, rendant le diagnostic de trouble de l’humeur difficile.

Sur le plan clinique, le clinicien devra porter une attention particulière aux symptômes cognitifs et affectifs non liés directement à l’état somatique [4] :

présence dun sentiment de désespoir et d’impuissance ;

présence dune culpabilité excessive ou d’un sentiment d’indignité inappropriée souvent de pair avec un senti- ment de dévalorisation et d’inutilité ;

présence dune anesthésie affective et indifférence ;

absence de plaisir même minime ou d’intérêt pour les activités usuelles dénommée anhédonie ;

sentiment de devoir être puni ;

présence didéation suicidaire, de pensées récurrentes de mort ou d’un désir de mort (qui doivent systématiquement être recherchés) d’autant plus que les symptômes physi- ques sont contrôlés ;

refus ou mauvaise observance du traitement jusqu’alors bien accepté et suivi.

Certains signes plus fréquents, mais moins spécifiques au regard du contexte somatique, seront toutefois à prendre en compte tels que les pleurs ou une labilité thymique, une irritabilité, des troubles du sommeil, une anorexie et un amaigrissement, des troubles de concentration.

L’intensité et l’expression clinique de la dépression vont être modulées par le contexte de la maladie somatique avancée et sa sévérité, la présence de symptômes contrai- gnants (douleur, fatigue, bouffées vasomotrices, nausées), la pauvreté ou non du soutien social du patient et ses types de stratégies d’adaptation utilisées, l’importance ressentie du sentiment de perte et de deuil face aux événements.

Troisième difficulté

La troisième difficulté sera de relier le phénomène dépressif dans une temporalité face au cancer. Ainsi, il faudra pouvoir distinguer plusieurs cas de figure :

la dépression est préexistante à la survenue du cancer et n’a donc rien à voir avec le cancer mais peut être rattachée à une autre cause ;

la dépression précède et est annonciatrice du cancer et va en souligner son origine ;

la dépression est contemporaine de la découverte du cancer et représente une association fortuite sans aucun rapport avec la pathologie tumorale ;

la dépression est réactionnelle au cancer et va traduire un phénomène postcritique, survenant après la découverte du cancer, une prise de conscience de la maladie, une confrontation aux handicaps, au deuil et aux pertes asso- ciées qui seront des facteurs favorisants et de maintien d’une pathologie dépressive ;

la dépression vient compliquer l’évolution du cancer et/ou est induite par les thérapeutiques contre le cancer (ex. : immunothérapie, corticothérapie).

Dépistage de la dépression

Par le biais du dialogue, l’oncologue peut aider son patient à aborder et exprimer ses difficultés. Il doit relever les aspects qui indiquent sa souffrance morale, effectuer un repérage actif des symptômes et évaluer les répercussions de la mala- die et des traitements sur le plan psychosocial.

Il pourra s’aider de questionnaires afin de dépister une souffrance psychologique et le cas échéant des troubles dépressifs chez ses patients. Un des avantages est de lui faire gagner du temps et d’optimiser l’orientation vers un psycho-oncologue, psychologue clinicien ou psychiatre.

Deux possibilités s’offrent à l’oncologue :

soit poser la question ouverte suivante : « comment est votre moral ces derniers temps ? » ou des questions

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plus fermées telles que : « durant ces 15 derniers jours, avez-vous ressenti des moments d’abattement, de tris- tesse, de perte d’espoir ? » Durant ces 15 derniers jours, avez-vous été inquiet d’une perte de capacité à être inté- ressé, à prendre plaisir à vos activités habituelles ?» [3] ;

soit effectuer un dépistage succinct par une échelle d’autoévaluation l’HADS (« Hospital Anxiety Depression Scale »), couramment utilisée en oncologie, car d’admi- nistration rapide en quelques minutes, sans items somati- ques et donc validée dans la détection des troubles anxiodépressifs [14]. D’autres échelles de mesure des troubles dépressifs dites d’hétéroévaluation pourraient être utilisées mais restent plus du domaine du spécialiste ou de la recherche (BDI, MADRS, Hamilton) et apparais- sent moins discriminantes en oncologie, car comportant justement ces éléments somatiques pouvant majorer artificiellement les scores [11].

Certaines conséquences d’une dépression non diagnosti- quée à temps peuvent alerter l’oncologue en raison des implications sur le plan du pronostic oncologique : retard au diagnostic du cancer et défaut d’adhésion aux soins [6].

Conclusion : des questions demeurent

Daniel Widlöcher cité par Ehrenberg [7] envisage la dépres- sion comme « une réponse comportementale globale » : émettrait-elle des signaux vis-à-vis de l’entourage et du Moi du malade ? Cette « attitude protectrice de retrait » permettrait-elle au patient de survivre quand il a abandonné la lutte, n’ayant plus la faculté ni les ressources suffisantes pour cela ?

L’instauration d’un traitement antidépresseur nécessite un long et régulier suivi. Lorsque celui-ci est établi au décours de venues en hôpital de jour, qu’en est-il du suivi lorsque la personne est en rémission ? Qui prend le relais du psychiatre de liaison lorsque celui-ci ne peut pas assurer un suivi en externe ? Qui s’en assure ?

Le travail en lien est indispensable, la pluridisciplinarité permet une meilleure action qui permet d’optimiser la prise

en charge du patient. Seul un travail pluridisciplinaire quoti- dien et complémentaire participe à la prise en charge au mieux de la personne malade, et ce, dans sa globalité.

Conflit d’intérêt : les auteurs déclarent ne pas avoir de conflit d’intérêt.

Références

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Références

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