• Aucun résultat trouvé

Pour un horizon de finalités en éducation : le droit naturel classique straussien

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Pour un horizon de finalités en éducation : le droit naturel classique straussien"

Copied!
86
0
0

Texte intégral

(1)

Master

Reference

Pour un horizon de finalités en éducation : le droit naturel classique straussien

CENGIZ, Rasan

Abstract

La réflexion en termes de fins ou finalités est couramment rejetée par les penseurs de l'éducation. Cette position n'est, selon nous, pas soutenable. L'éducation implique inévitablement des finalités, « on éduque toujours pour quelque chose ». Par cet abandon, l'éducation est fragilisée et d'autant plus vulnérable aux finalisations par des entités avec des intérêts partiaux. L'idée de droit naturel classique, dans l'optique de Léo Strauss, concerne « la vie bonne » et la vie bonne est une vie de vertu et d'excellence. Ainsi, nous avons posé l'excellence comme l'horizon vers lequel l'éducation devrait tendre. La vie d'excellence est la fin naturelle de l'être humain. Cette idée renoue la réflexion sur l'humain à sa fin naturelle. La fin de l'être humain et ainsi celle de la société et celle de l'éducation est, pour les classiques straussiennes, une vie bonne et d'excellence. En assumant cette fin, l'éducation peut se protéger des finalisations qu'elle jugerait illégitimes.

CENGIZ, Rasan. Pour un horizon de finalités en éducation : le droit naturel classique straussien. Master : Univ. Genève, 2013

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:28758

Disclaimer: layout of this document may differ from the published version.

1 / 1

(2)

Semerstre d’automne 2012

Master Universitaire Analyse et intervention dans les systèmes éducatifs

Pour un horizon de finalités en éducation : le droit naturel classique straussien

par Rasan Cengiz

Sous la direction de Membres du Jury

Janette Friedrich Olivier Maulini

Nicolas Tavaglione

(3)

La réflexion en termes de fins ou finalités est couramment rejetée par les penseurs de l’éducation. Cette position n’est, selon nous, pas soutenable. L’éducation implique inévitablement des finalités, « on éduque toujours pour quelque chose ». Par cet abandon, l’éducation est fragilisée et d’autant plus vulnérable aux finalisations par des entités avec des intérêts partiaux.

L’idée de droit naturel classique, dans l’optique de Léo Strauss, concerne « la vie bonne » et la vie bonne est une vie de vertu et d’excellence. Ainsi, nous avons posé l’excellence comme l’horizon vers lequel l’éducation devrait tendre. La vie d’excellence est la fin naturelle de l’être humain. Cette idée renoue la réflexion sur l’humain à sa fin naturelle. La fin de l’être humain et ainsi celle de la société et celle de l’éducation est, pour les classiques straussiennes, une vie bonne et d’excellence. En assumant cette fin, l’éducation peut se protéger des finalisations qu’elle jugerait illégitimes.

(4)

Semerstre d’automne 2012

Master Universitaire Analyse et intervention dans les systèmes éducatifs

Pour un horizon de finalités en éducation : le droit naturel classique straussien

par Rasan Cengiz

Sous la direction de Membres du Jury

Janette Friedrich Olivier Maulini

Nicolas Tavaglione

(5)

Sommaire

1. INTRODUCTION GENERALE...4

2. LES FINALITES EN PHILOSOPHIE DE L’EDUCATION...7

2.1 LA PHILOSOPHIE DE L’EDUCATION ...7

2.2 FINALITES ET ONTOLOGIE DE REFERENCE : ON EDUQUE TOUJOURS « POUR QUELQUE CHOSE » ...11

3. LA DIFFICULTES DE LA REFLEXION EN TERME DE FINALITES...14

3.1 TYPOLOGIE DES FINALITES ...14

3.2 REFUS DE LA REFLEXION EN TERMES DE FINALITES...17

3.2.1 Des finalités aux visées ...19

3.2.2 Le « cercle des finalités disparues » ...23

3.3 « DEVOIR DE RESISTANCE » ...28

4. LE DROIT NATUREL...34

4.1 LE DROIT NATUREL, UNE « QUÊTE INACHEVEE » ...35

4.2 DROIT NATUREL, NATURE ET DROIT...36

5. LE DROIT NATUREL CLASSIQUE STRAUSSIEN ...39

5.1 PARTICULARITES DE LA CONCEPTION STRAUSSIENNE ...40

5.2 TRANSFORMATIONS DE L’IDEE DE DROIT NATUREL ...43

5.2.1 Thomas d’Aquin : l’ « absorption » de la loi naturelle par la théologie...44

5.2.2 Les présupposés modernes ...44

5.2.3 L’époque contemporaine: vers le nihilisme...47

5.2.3.1 Rejet du droit naturel au nom de l’histoire ... 47

5.2.3.2 Rejet du droit naturel au nom de la distinction entre faits et valeurs... 49

5.3 LE DROIT NATUREL CLASSIQUE POUR UN HORIZON DE FINALITES...51

5.3.1 Origine du droit naturel classique ...52

5.3.2 Découvrir la nature des choses ...54

5.3.2.1 Hiérarchie des besoins naturels ... 56

5.3.2.2 Hiérarchie des fins... 58

5.3.3 La finalité éducative dans la perspective du meilleure régime...59

5.3.3.1 Inégalité naturelle ... 61

5.4 DEPASSER L’ELITISME STRAUSSIEN ?...64

5.4.1 Définition de l’éducation libérale straussienne ...65

5.4.2 Méthode...66

5.4.3 Démocratie et éducation libérale...68

6. CONCLUSION ...76

7. BIBLIOGRAPHIE ...79

(6)

Oh non ! Il viendra certainement cet âge de la perfection où l’homme, à mesure que son esprit se convaincra davantage de l’approche

d’un avenir toujours meilleur, n’aura cependant plus besoin de demander à cet avenir les mobiles de ses actes ; car alors, il fera le bien parce que c’est le bien, et non pour

la raison qu’il s’accompagne de certaines récompenses qui, autrefois, avaient été instituées arbitrairement pour que le regard vacillant de l’homme soit rendu plus ferme et

plus fixe, pour qu’il arrive ainsi à découvrir dans l’essence même du bien les véritables récompenses qui sont inhérentes à sa nature.1

1 Lessing, 1780/1946, p. 129.

(7)

1. INTRODUCTION GENERALE

L’éducation est formation et développement. Considérer ainsi l’éducation implique une position normative. Etant donné que la notion de « formation » s’oppose à celle de

« régression », et celle de « développement » à « déformation » ; l’éducation a un sens (Reboul, 1990, p. 746). Il est possible d’éduquer « à mieux » ou de former « à mieux », toutes les éducations ne se valent pas. Alors, quelle orientation l’éducation doit-elle adopter afin d’éduquer « à mieux » ? Cette question concerne principalement la problématique des finalités. Il convient avant tout de choisir de bonnes finalités afin de former et pour éviter de déformer. Le retour au droit naturel classique préconisé par Leo Strauss (1899-1973) permet de reconsidérer la question des finalités dans une perspective normative, en d’autres termes, d’envisager la possibilité d’une amélioration de l’éducation.

Léo Strauss, d’origine allemande, a poursuivi des études en mathématique, physique, science naturelle et philosophie. Il a soutenu sa thèse doctorale sur l’épistémologie de Jacobi. En 1932, il quitte l’Allemagne pour la France, l’Angleterre, puis, en 1938, il s’installe définitivement aux Etats-Unis. Son œuvre comporte une quinzaine de livres et quelques quatre-vingt articles. Elle atteint une maturité en 1952 avec son livre La persécution et l’art d’écrire. Strauss découvre l’art d’écrire ésotérique, c’est- à-dire une écriture entre les lignes, qu’il applique désormais à ses propres œuvres. Ce qui rend d’autant plus difficile la pénétration de ses idées. Notre analyse se base essentiellement sur le livre Droit naturel et histoire de 1954 et sur la retranscription de deux conférences données à la fin des années 1960 par Strauss2. Ces textes se situent précisément à la suite de cette maturation. Dans son livre, Strauss préconise un retour au droit naturel classique. Et les deux textes concernent ses réflexions sur l’éducation.

L’idée de droit naturel dans l’optique de Strauss, c’est-à-dire dans son acceptation classique, nous engagera ainsi dans une réflexion sur les finalités en éducation. Nous discuterons différents éléments tout au long de nos chapitres. D’abord l’importance de la réflexion sur les finalités éducatives sera mise en évidence. Ensuite, le droit naturel, en supposant une fin naturel des êtres semble offrir la possibilité de juger des finalités assignées à l’éducation. Dans ce sens, il peut orienter l’éducation. En proposant un horizon

2 Les textes en question se trouvent, dans leur version française, dans le livre : Strauss (1990). Le libéralisme antique et moderne. Paris : Presses Universitaires de France. Le premier est intitulé Qu’est-ce que l’éducation libérale ?(10 pages) et le second Education libérale et responsabilité (24 pages).

(8)

vers lequel l’humain devrait tendre, le droit naturel autorise d’envisager la possibilité de l’amélioration des êtres humains et aussi de l’éducation. Et finalement, l’éducation, dans cette démarche, peut garder une autonomie par rapport aux finalités qui lui sont imposées.

Pour aborder l’idée, voici la définition de base que nous adoptons du droit naturel. Nous définissons le droit naturel comme l’effort de la raison pour approcher « le fondement objectif de la distinction entre le bien et le mal, le juste et l’injuste, le droit et le tordu » (Sériaux, 1993, p. 7). Dans ce sens, le droit naturel peut déboucher sur la possibilité, par le moyen de la raison, de juger des finalités et de déterminer celles qui sont meilleures, plus justes et plus « correctes ». L’idée de droit naturel classique suppose une nature humaine, de laquelle découle une manière de vivre conforme à celle-ci ; dans cette optique, des vies sont considérées « plus bonnes » que d’autres. Il est possible d’approcher de ce qui convient réellement à l’humain. Ainsi, les finalités en éducation peuvent être hiérarchisées.

Notre travail tente une ouverture sur une réflexion pour des finalités autonomes en éducation et la possibilité de leur hiérarchisation, à travers le droit naturel classique straussien.

Or, nous sommes d’emblée confrontés à deux difficultés : la réflexion en termes de finalités est généralement rejetée et l’idée de droit naturel abandonnée. En effet, la manière dont sont pensées les finalités ou les fins en éducation semble aujourd’hui dans une impasse. Un grand nombre d’auteurs soutiennent leur abandon. Ils déclarent l’impossibilité d’une réflexion en termes de finalités en raison de la « mort » des « grands référents » ou des idéologies. C’est pourquoi, après quelques éléments concernant la réflexion sur les finalités en philosophie de l’éducation, nous mettrons en évidence les problèmes qu’engendre le rejet de la réflexion sur les finalités. Pour ce qui est de l’abandon du droit naturel, les crises successives de la modernité relevée par Strauss (1954/1986) déterminent grandement cet état de fait. Nous suivrons Strauss dans son analyse des fondements de la modernité et des conséquences contemporaines de celle-ci dans le but, avant tout, de mieux pénétrer l’idée classique. Précisons encore deux éléments avant d’énoncer notre plan :

Premièrement, dans notre approche d’une partie de l’œuvre de Strauss, notre dessein ne se veut pas être une critique des interprétations des différents auteurs abordés par Strauss. En revanche, nous partons de la manière dont il a compris les époques et les auteurs qu’il aborde, afin de réfléchir sur les finalités assignées à l’éducation.

(9)

Deuxièmement, la position de notre travail semble à contre-courant ; dans la période historique actuelle, penser la possibilité d’absolus est vivement critiqué et assimilé à du dogmatisme. Notre travail postule que des absolus existent et que l’humain peut les approcher sans jamais les atteindre totalement. Ainsi, il y a des manières de vivre qui sont meilleures que d’autres, des finalités plus élevées que d’autres ou des humains meilleurs que d’autres. Il ne s’agit pas uniquement d’une question de point de vue. L’idée de droit naturel classique nous donne la possibilité de porter un jugement afin de réfléchir sur des finalités meilleures. De plus, le droit naturel est plutôt exclusivement discuté à l’intérieur du champ juridique et n’a pas, nous semble-t-il, été mis en lien directement avec l’éducation. Là, réside l’originalité de notre travail, mais il s’agit également d’un obstacle dans le sens où cette démarche inaccoutumée risque d’accentuer la réticence de nos lecteurs.

Avant tout, nous débutons notre analyse par situer la question des finalités dans le champ de la philosophie de l’éducation. La problématique des finalités, telle que nous l’envisageons, est liée à l’aspect dit « normatif » de la philosophie de l’éducation. Puis, nous consacrons notre troisième chapitre à analyser la manière dont les finalités éducatives sont abordées par quelques auteurs contemporains. Leur démarche semble refléter les difficultés rencontrées par toute réflexion actuelle en termes de finalités éducatives. Notre quatrième chapitre est consacré au droit naturel. Il s’agit de cadrer ce concept pour approcher la notion de nature et de droit. Dans la cinquième partie, intitulée Le droit naturel straussien, nous exposons la particularité de la conception straussienne du droit naturel, puis nous nous attarderons sur les transformations que l’idée de droit naturel a subies durant la modernité afin de saisir les implications de l’idée de droit naturel classique. Dans la suite de ce chapitre, nous mettrons en lien l’éducation et le droit naturel classique dans le dessein de révéler son importance pour la question des finalités en éducation. Comme le droit naturel classique implique, dans la perspective straussienne, une inégalité naturelle entre les individus débouchant sur un élitisme éducatif, nous terminerons l’analyse par interroger les réflexions straussiennes sur l’éducation afin de questionner cet élitisme.

(10)

2. LES FINALITES EN PHILOSOPHIE DE L’EDUCATION

Dans son essence même, la philosophie comporte deux liens particuliers avec l’éducation. D’abord, dans la mesure où elle mène à « l’amour de la sagesse », la philosophie constitue, dans sa compréhension traditionnelle, une éducation par excellence.

Vue sous cet angle, la philosophie représente une tentative pour « (...) former l’esprit à connaître, et à connaître son ignorance, mais aussi apprendre à l’être tout entier, corps et âme, à vivre sa vie d’homme » (Drouin-Hans, 2008, p. 526). Cette philosophie est éducation, dans la mesure où elle améliore l’humain. Ensuite, l’ensemble des philosophes sont confrontés à la question de l’éducation dès qu’il s’agit de réfléchir à ce qui est humain dans l’homme, sa finalité et donc la finalité de sa formation ou sa morale (p. 528). En effet, l’histoire de la philosophie témoigne du caractère récurrent des interrogations au sujet de cette thématique. Ainsi, d’un côté, la philosophie est traditionnellement éducation dans son essence même, et de l’autre côté, l’éducation constitue toujours un angle fondamental de réflexion philosophique dès qu’il est question de l’humain. Dans ce chapitre, il s’agit d’abord, de situer notre réflexion en termes de finalités éducatives dans le champ de la philosophie de l’éducation et de souligner la prégnance de la réflexion en termes de finalités. Ensuite, afin de mettre en valeur plus précisément la présence inéluctable des finalités lorsqu’il s’agit d’éducation, nous nous penchons sur le concept d’ontologie de référence défendu par David Lucas (2009).

2.1 LA PHILOSOPHIE DE L’EDUCATION

Comme l’indique son nom, la philosophie de l’éducation3 se trouve entre deux champs disciplinaires ; celui de la philosophie et celui de la pédagogie. Elle comporte d’importantes différences de formes selon son type d’ancrage institutionnel. Qu’elle soit liée au département de philosophie, des sciences de l’éducation, à un institut de formation ou, selon le statut, les fonctions et compétences des personnes qui la produisent, elle se distingue dans son approche (Forquin, 2005, p. 738). Dans cet enchevêtrement, une manière de définir la philosophie de l’éducation consiste à distinguer les fonctions qu’elle

3 Nous ne distinguons pas la philosophie de l’éducation de la philosophie sur l’éducation. Nous considérons la philosophie de l’éducation dans un sens large, comme toute réflexion relative à la problématique de l’éducation dans un sens large également. De plus, les termes éducation et Ecole sont utilisés, dans l’ensemble de ce travail, de manière indistincte.

(11)

occupe. Ce procédé nous permet de situer la réflexion sur la problématique des finalités éducatives et de mettre également en évidence l’aspect normatif de la philosophie de l’éducation.

Guy Avanzini (1994) soulève trois fonctions : à savoir, les fonctions épistémologiques, élucidatrices et normatives ou axiologiques (Forquin, p. 739). La première – épistémologique – dépend essentiellement du contexte institutionnel dans lequel elle se trouve. Cette fonction permet de déterminer la validité et la pertinence des savoirs scientifiques produits dans le cadre d’une discipline. La seconde fonction, celle d’–

élucidation –, sert à « augmenter l’intelligibilité du monde ». Pour bien saisir cette fonction, Forquin souligne que « l’élucidation implique l’idée d’une opacité préalable, d’un voile qu’il faut dissiper ou déchirer, mais aussi l’idée d’une vérité qui est en quelque sorte déjà là, présente ou latente derrière le voile » (p. 740). Selon Forquin, deux postures se dégagent de cette fonction ; l’une dite « herméneutique » et l’autre, « analytique ».

L’herméneutique comprend d’un côté l’élucidation dans le sens d’une interprétation des signes, et de l’autre un « dévoilement des implications et des significations profondes des situations et des pratiques aussi bien que des discours » (p. 740). Forquin cite Avanzini (1994) pour clarifier cette seconde posture :

« Pénétrer au sein des systèmes éducatifs repérables dans le temps et l’espace, pour en discerner la signification et dégager les implications de leur fonctionnement comme du discours qu’ils tiennent sur eux-mêmes, les valeurs que, clairement ou non, délibérément ou non, ils poursuivent, enfin la vision de l’homme et de sa destinée qui les anime » (p. 740).

La posture analytique quant à elle, conçoit l’élucidation dans le sens de clarification du vocabulaire. C’est une démarche d’analyse du langage afin de mettre en évidence les confusions sémantiques ou les fausses questions. Olivier Reboul (1989), cité par l’auteur, soulève que la révélation des valeurs investies dans le langage, peut servir de guide dans le sens où « ce qu’on peut dire étant la norme de ce qu’on doit faire » (p. 740).

L’ « explicitation des fondements et des fins » servirait au même dessein. Dans ce sens, cette démarche ne saurait être complètement séparée de sa compétence normative. Nous débouchons sur la troisième fonction, dite normative, relevée par Avanzini (1994). Cette fonction s’emploie à participer à la réflexion sur les finalités à promouvoir, sur les principes à diffuser (Avanzini, 1994, p. 19). C’est en raison de l’incompétence des sciences à prescrire des valeurs ou finalités, souligne Avanzini, qu’une telle réflexion

(12)

s’impose. Cette réflexion s’impose d’autant plus que, « paradoxalement, on n’a jamais tant voulu éduquer et jamais si peu su à quelle fin, pour quoi. Le rôle de la philosophie est, face à cela, de proposer des finalités légitimes et intelligibles » (Avanzini, p. 19).

Dans ces circonstances, nous constatons l’importance du rôle de la philosophie de l’éducation. Dès lors, comment proposer des finalités légitimes tout en restant autonome de tout dogmatisme ou idéologie ? Le retour au droit naturel classique tel que le propose Leo Strauss nous semble ouvrir sur une telle démarche. Notre travail, en se penchant sur la question des finalités en éducation et en proposant le droit naturel comme

« guide normatif » se situe dans cette fonction normative de la philosophie de l’éducation.

Nous proposons d’interroger la possibilité de juger des finalités à travers l’idée de droit naturel afin de penser la possibilité de soutenir des finalités plus « légitimes » que d’autres.

Cette interrogation se situe dans l’aspect normatif de la philosophie de l’éducation.

Continuons par soulever quelques arguments de différents auteurs qui soutiennent l’importance de la réflexion philosophique en éducation.

D’abord, pour Jacques Hallak (1974), une philosophie de l’éducation est d’autant plus indispensable car les spécialistes de la pédagogie ont tendance à consacrer une grande partie de leurs efforts aux techniques d’apprentissage, cherchant à améliorer ou inventer de nouvelles méthodes, et les préoccupations sur les procédés font perdre de vue la racine profonde des choses. La pédagogie scientifique aurait tendance à négliger les questions philosophiques des valeurs et des fondements de l’éducation. La question du « comment » tendrait à voiler celle du « pourquoi » (p. 7). La philosophie de l’éducation est nécessaire car elle se penche sur le « pourquoi ». Ensuite, Anne-Marie Drouin-Hans (2008) relève la capacité régulatrice de la philosophie de l’éducation. Cette auteure s’approche de la conception normative d’Avanzini en relevant que la philosophie doit servir à « tracer un idéal régulateur » et à « s’interroger sur les éventuels moyens de maîtriser la violence et le nihilisme, de développer l’amour du savoir, du monde et des hommes » (p. 530). La philosophie n’étant pas sortie de sa « crise de la modernité » – modernité faisant référence aux Lumières du XVIIIe siècle – un idéal régulateur semble plus qu’indispensable, suggère l’auteure. Les Lumières avaient posé la raison au centre de leur réflexion, mais aujourd’hui la confiance en son pouvoir émancipateur est mis en doute sur tous les plans que ce soit moral, politique, épistémologique ou esthétique. C’est précisément dans sa capacité à tracer un horizon régulateur que l’idée de droit naturel straussienne nous intéresse. Nous préférons le termes horizon à idéal, afin de rester fidèle à la pensée de

(13)

Strauss, l’horizon est unique tandis l’idéal est un idéal parmi d’autres. Cette remarque s’éclaircira dans notre cinquième chapitre. La réflexion philosophique est pertinente à plusieurs égards. Relevons encore deux positions qui soulignent la prégnance de la réflexion philosophique en termes de finalités cette fois.

D’abord pour Gaston Milaret (2011), « on ne peut pas parler d’éducation sans définir les fins de cette éducation » (p. 83). Notre travail défend l’idée que toute éducation implique des finalités. Nous éduquons toujours « pour quelque chose » (Jacques Hallak, 1974, p. 6), en vue d’une ou plusieurs finalités. Les finalités sont comme intrinsèques à l’acte éducatif et transcende l’éducation. La question essentielle de notre travail concerne la possibilité de juger des finalités que poursuit l’éducation, et de la possibilité de les hiérarchiser. Précisons que dans ce travail, nous distinguons la notion de « finalité » de celle de « fin ». La particularité de la finalité est de laisser ouverte la discussion sur la ou les finalité(s) que l’on assigne à l’humain, c’est-à-dire une discussion sans fin vers des finalités « plus vraies », « plus justes » et « meilleures ». L’acceptation que nous faisons de la notion de finalité implique l’impossibilité d’atteindre une fois pour toute le vrai, le juste et le bien tout en admettant que le vrai, le juste et le bien existent. Bien qu’il soit possible de les approcher, ils demeurent inatteignables. C’est en raison de l’existence de ces

« absolus » précisément, qu’il devient envisageable d’améliorer son action ou d’assigner des finalités plus élevées que d’autres à l’éducation. Le retour au droit naturel classique préconisé par Strauss permet de reconsidérer les absolus ainsi que la question des finalités dans une perspective normative, en d’autres termes, d’envisager la possibilité d’une amélioration de l’éducation. Soulignons que Strauss, reste fidèle à la pensée classique et parle davantage de fin plutôt que de finalités. C’est une position qui admet la possibilité d’atteindre une fois pour toute le vrai. Précisons d’emblée que notre position en diffère donc légèrement.

Ensuite, la réflexion sur les finalités est d’autant plus importante dans un contexte d’incessantes réformes éducatives (Gohier, 2002). Ces changements provoquant des crises, il convient de réfléchir sur les finalités puisque c’est sur celles-ci que se construisent les curriculas d’étude. Des finalités conscientes et assumées sont nécessaires. Selon Christiane Gohier (2002), les finalités sont souvent formulées en aval des réformes et servent des impératifs économiques, politiques, bureaucratiques, ou encore des modes pédagogiques dont les bases scientifiques ne sont pas vérifiées (p. XI). Cette auteure souligne que les

(14)

réformes actuelles en éducation sont dominées principalement par les visions économiques et le développement des technologies de l’information et des communications (TIC).

Finalement, lorsque la philosophie s’empare de la question de l’éducation, elle ne peut faire abstraction des réflexions sur l’humain, sur sa nature. De plus, nous postulons qu’elle a la possibilité de tracer des normes, de diriger vers le « mieux », de fournir une orientation. Il est essentiel de souligner, que la réflexion en termes de finalité, afin d’assumer pleinement son potentiel d’orienter « à mieux » postule nécessairement l’idée d’un bien absolu, d’une vérité. Dans ce travail, il s’agit de se pencher sur les finalités, et de questionner à nouveau l’approche normative à travers l’idée de droit naturel straussienne ; qui implique justement des absolus. Certains scientifiques appuient l’inutilité et le manque d’importance de la philosophie de l’éducation ; soutenant que les sciences comme l’histoire, la sociologie ou la psychologie sont suffisamment développées et « sûres » pour indiquer l’orientation à l’éducation et les moyens de l’action éducative (Mbombo, 2011, p.

37). Nous soulignons l’importance de l’approche philosophique. La philosophie tente de cerner les questions éducatives dans leur globalité et de fournir une orientation en interrogeant les finalités ; les finalités étant intrinsèques à l’éducation.

Poursuivons par les ontologies de références que soulève David Lucas (2009) afin de mettre en évidence la présence inéluctable des finalités dans l’éducation ; ce qui révèle la réflexion en termes de finalités comme fondamentale.

2.2 FINALITES ET ONTOLOGIE DE REFERENCE : ON EDUQUE TOUJOURS

« POUR QUELQUE CHOSE »

Comme nous l’avons soulevé, l’éducation implique toujours des finalités. Que ce soit explicite ou implicite, nous éduquons toujours pour quelque chose. L’ « ontologie de référence » que relève David Lucas (2009) semble mettre en évidence cette implication.

Cet auteur débute par relever les valeurs qui sont les principes cachées de l’éducation. Les valeurs déterminent l’éducation car elles relèvent de ce « pour quelque chose » (p. 7). Lucas considère la révélation de ces principes cachés comme la vocation de la philosophie. Il définit les valeurs comme un ensemble d’idées et également une « façon de concevoir et de ressentir », une conception du monde, qui déterminent l’action. C’est dans le sens où les valeurs déterminent l’action, qu’elles sont également la source des

(15)

finalités assignées à l’éducation. Les valeurs comportent cette capacité à orienter l’éducation en raison de leur profondeur psychologique, elles s’enracinent dans notre sensibilité et ont le « naturel d’une façon de voir » (p. 8). Dans ce sens, les différentes manières de concevoir le monde, de considérer la réalité sont les racines mêmes des valeurs et des finalités de l’éducation : « c’est effectivement tout d’abord une certaine conception du monde qui permet de considérer la réalité et la valeur de ce qu’il devient alors souhaitable d’inculquer et de transmettre » (p. 8). Il y aurait ainsi autant de manières de concevoir la réalité que de finalités assignées à l’éducation. Dans cette optique, les valeurs et les finalités fluctuent selon les époques historiques.

Afin de demeurer dans l’approche normative, il est pertinent de se demander si la philosophie peut se permettre d’aller plus loin, c’est-à-dire de juger de la conception de la réalité actuelle et de tenter de la dépasser pour approcher une conception « plus vraie »4. Ainsi, serait-il possible d’opter pour des valeurs meilleures et assigner des finalités meilleures à l’éducation en cohérence avec cette « conception » (qui ne serait alors plus une conception parmi d’autre) du monde ? Peut-on porter un jugement sur les différentes conceptions de la réalité et orienter l’éducation en fonction du résultat de ce jugement ? Le concept d’ « ontologie de référence » développé par Jean Borella (1990) et repris par Lucas afin de compléter son explication des valeurs ne nous aident pas à avancer sur cette question. L’ontologie de référence représente la conception de l’être, et « l’être peut s’envisager d’autant de manières qu’il y a de conceptions possibles de la réalité »(p. 9).

Comme il y a plusieurs façons de concevoir ce qui est, différentes ontologies de référence sont par conséquent possibles. « Du point de vue philosophique, on peut dire qu’une conception du monde dépend des modes de l’être auxquels son ontologie de référence conduit à prêter une réalité » (p. 10). L’ontologie de référence qui exprime une conception particulière de l’être, est la source ou le fondement d’une conception particulière du monde, et de cette conception du monde, découle des valeurs et des finalités de la société et de son éducation. Ainsi, l’ontologie de référence détermine la direction que prend la société. Elle oriente l’éducation également ; dans ce sens, on pourrait alors considérer que l’ontologie de référence détermine les finalités éducatives. C’est pourquoi la réflexion en

4 Nous optons pour les termes « plus vraies » ou « valeurs meilleurs », plutôt que pour « le vrai » ou « les meilleures valeurs ». La philosophie étant une quête, la réflexion philosophique mène selon nous, à quelque chose de plus vrai mais difficilement à une vérité définitive.

(16)

termes de finalité ne peut être refusée. Pour éviter qu’une ontologie de référence et des finalités qui en découleraient, s’imposent malgré nous, il convient d’y réfléchir et de les juger. Dans ce sens, la question posée plus haut demeure, la philosophie peut-elle tenter de rechercher un étalon ou un modèle capable de l’aider à juger de l’une de ces ontologies ? Ou doit-elle seulement se limiter à les mettre en évidence ? Si la philosophie refuse la possibilité d’approcher des valeurs ou des ontologies de référence meilleures que d’autres, elle ne peut accepter que des finalités soient meilleures que d’autres. Le droit naturel classique, tel que l’envisage Strauss, nous permet d’aller au-delà de la mise en évidence des valeurs qui guident l’éducation ; l’idée de droit naturel nous autorise à juger de ces valeurs et de rechercher des meilleurs, celles conformes à la nature humaine. Il permettrait de nous fournir un étalon afin de juger de ces idéaux, des ontologies de référence et par conséquent des finalités assignées à l’éducation.

Comme nous l’avons déjà soulevé, pour qu’il soit possible d’orienter « à mieux », de juger des ontologies de référence ou des finalités, la réflexion doit nécessairement postuler qu’un « bien » ou qu’une « justice » existe. Un certain nombre d’auteurs que nous allons parcourir ci-dessous, refusent la réflexion en termes de finalités en raison de l’impossibilité des « absolus » et en viennent à réduire la réflexion des finalités à une question d’intentionnalité ou de visée.

(17)

3. LA DIFFICULTES DE LA REFLEXION EN TERME DE FINALITES

La finalité est le caractère de ce qui tend à un but, « le terme décrit d’abord l’action humaine volontaire qui adapte les moyens en vue de la fin poursuivie » (Duflo, 2012, p.

433). Les finalités de l’acte éducatif doivent être réfléchies et choisies de manière consciente afin d’y adapter les meilleurs moyens. Nous relevons deux difficultés majeures qui perturbent la réflexion en termes de finalités éducatives ; et ces deux difficultés serviront de structure à notre chapitre. La première est un constat : l’éducation est déterminée par des finalités multiples. C’est pourquoi nous débutons par exposer la typologie des finalités éducatives composées par Gingell et Winch afin qu’elle nous serve de repères. La seconde se rapporte à la volonté de certains auteurs d’abandonner la réflexion en tant que finalités éducatives. Nous dénonçons cette position et tentons de soulever son aspect problématique. Ensuite, nous terminerons ce chapitre par exposer la position d’un auteur qui soutient les finalités et soulèverons la difficulté de cette position également.

3.1 TYPOLOGIE DES FINALITES

John Gingell et Christopher Winch (1999) proposent une typologie des finalités en éducation. Cette catégorisation nous paraît pertinente dans le sens où elle permet de servir de repères parmi les finalités multiples et emmêlées. Nous y reviendrons au fils des auteurs abordés.

Que les finalités soient implicites ou explicites, elles déterminent l’ensemble de l’éducation ; à savoir les institutions, le curriculum ou encore les méthodes pédagogiques.

Les finalités explicitées, c’est-à-dire celles présentes dans les documents officiels ne suffisent pas à servir de finalités à l’éducation ; car ces finalités officielles peuvent être ignorées des acteurs concernés par l’éducation (p. 10). L’éducation est influencée par l’ensemble de la société et ce dernier est composé de différents intérêts de groupes comme le gouvernement, l’appareil étatique, le monde économique, les associations de citoyens, les professeurs ou les élèves. Les finalités peuvent être établies par ces différents groupes qui agissent de manière conflictuelle, en concert ou par compromis (p. 11). Ajoutons que comme chaque individu a fréquenté l’école, chacun se sent légitime d’émettre son opinion ou d’influencer l’éducation. Dans ces circonstances, les véritables finalités éducatives sont

(18)

d’autant plus confuses. Ainsi, certaines finalités sont en tension. Voici ci-dessous la représentation sous forme de tableau que nous livre les auteurs :

Table I : Major educational aims

(a) Concern with the needs of society and with the needs of individuals

Individuals needs Social needs

1. The promotion of autonomy To promote economic development

2. To give the individual a secure cultural background

To preserve the society’s culture 3. To give an individual the ability to take part in

society through an occupation

To produce good citizens

(b) Instrumental versus intrinsic aims

Instrumental Intrinsic

1. The promotion of autonomy The promotion of autonomy

2. To give the individual a secure cultural background

To give the individual a secure cultural background 3. To give an individual the ability to take part in

society through an occupation

To preserve the society’s culture 4. To promote economic development

5. To preserve the society’s culture 6. To produce good citizens

(c) Liberal versus vocational aims

Liberal Vocational

1. The promotion of autonomy The promotion of autonomy

2. To give the individual a secure cultural background

To give the individual a secure cultural background 3. To preserve the society’s culture To give the individual the ability to take part in

society though an occupation 4. To produce good citizens (?) To promote economic development

5. To produce good citizens

(Gingill et Winch, 1999, p.13)

(19)

Bien que les finalités ainsi catégorisées paraissent compatibles les unes avec les autres et en harmonie, elles sont généralement en tensions. Il est parfois considéré que les finalités instrumentales (comme celles issues des préoccupations économiques) dominent au détriment des autres.

Le tableau se divise en trois parties : a) les besoins sociétaux et les besoins individuels ; b) les finalités instrumentales versus intrinsèques ; et c) les finalités

« libérales » versus à vocation professionnelle. Certaines finalités se retrouvent dans les trois « étages » du tableau. Nous remarquons que les différentes finalités ne sont pas forcément incompatibles les unes avec les autres. D’après Gingell et Winch, deux traditions de conceptions des finalités existent. L’une des traditions, met l’accent sur l’importance de l’éducation en tant qu’un bien individuel et libéral doté d’une valeur intrinsèque. L’autre tradition considère l’éducation comme un bien social aussi bien qu’individuel mais doté d’une valeur instrumentale. Généralement, la première tradition est appelée « libérale » et la seconde « instrumentale ». Gingell et Winch constatent que la tradition dite « instrumentale », c’est-à-dire les finalités sociales, instrumentales et à vocation professionnelle sont dominante dans la réalité, alors que les philosophes de l’éducation ont tendance à suivre la tradition « libérale ». Autrement dit les philosophes soutiennent davantage les finalités individuelles, intrinsèques et libérales (p. 12). Les auteurs que nous aborderons dans ce chapitre suivent effectivement cette tendance. Dans ce sens, nous pouvons dire que les finalités sociales, instrumentales et à vocation professionnelles ont tendance à être imposées à l’éducation au détriment des autres. En effet, les vues des personnes chargées de réfléchir « scientifiquement » aux questions relatives à l’éducation, c’est-à-dire les philosophes de l’éducation, ont moins de poids sur l’orientation que prend celle-ci.

En fin de compte, l’intérêt de ce tableau est de montrer que les finalités sont multiples et parfois emmêlées, et que certaines finalités s’imposent au détriment d’autres.

L’idée de droit naturel classique, par l’horizon qu’il propose, nous paraît utile dans la possibilité qu’elle offre à servir de résistance à ces finalités imposées. Il en sera plus amplement question dans le cinquième chapitre de notre analyse.

Nous poursuivons ce chapitre par l’analyse de trois auteurs se positionnant

« contre » les finalités en éducation. Un discours « anti-finalités », est défendu par un certain nombre de penseurs en éducation dont par exemple Jean Houssaye (2002). Cet

(20)

auteur émet le constat d’une « disparition des finalités », finalités entendues comme « le fait de tendre à un but par l’adaptation de moyens à des fins » (p. 175). Les finalités se retrouvent sans fins c’est pourquoi elles disparaissent. Dans cette situation, il devient inutile et impossible de chercher à « adapter des moyens à des fins en matière d’éducation pour penser et réguler une action pédagogique ». Il s’agit ci-dessous d’analyser la position d’auteurs soutenant l’abandon des finalités à la manière de Houssaye et leurs alternatives proposées. Nous montrerons la faiblesse de leurs alternatives à servir de guide ou d’horizon à l’éducation ainsi que la difficulté de leur position à résister aux finalités imposées. Nous soutenons qu’avec le refus de la réflexion en termes de finalités, des finalités s’imposent plus facilement à l’éducation. Nous terminerons cette partie par le

« devoir de résistance » face à ces finalités imposées5, réflexion proposée par Bernard Jolibert (2009).

3.2 REFUS DE LA REFLEXION EN TERMES DE FINALITES

Dans cette partie, il s’agit de survoler la position de trois auteurs au sujet de la réflexion en termes de finalités éducatives. Leur position nous paraît refléter une vision dominante concernant les finalités. Ces auteurs entretiennent un rapport suspicieux aux finalités en éducation, et cela, en raison de différents arguments. En revanche, sur leur postulat de base, un argument les rapproche : les « absolus » sont impossibles, et par conséquent, la réflexion en termes de fin ou de finalité est également impossible6. Daniel Hameline (2008), montre précisément comment la réflexion sur les finalités de l’éducation centrée d’abord sur les fins, s’est ensuite concentrée sur les finalités pour se limiter finalement à une question d’intentionnalité (p. 336). Selon cet auteur, le terme « finalité » se serait imposé au XXe siècle au détriment de la notion de « fin ». La fin renverrait à une optique finaliste « facilement dogmatique et naïve ». Elle porte une valeur qui distingue clairement le bien du mal. La fin de l’éducation découle de la définition de l’humain que nous projetons de former. Dans cette perspective finaliste, ce qui est attendu de l’humain et de la société est désiré en fonction de cette fin, et ce qui n’est pas cohérent avec elle est

5 Soulignons que l’auteur en question ne parle pas en ces termes. C’est nous qui utilisons les termes de

« finalités imposées ».

6 Ces auteurs ont tendance à distinguer les fins des finalités et à les refuser toutes les deux.

(21)

rejeté. De cette manière, ce sont les fins qui priment sur les moyens, car les moyens s’accordent à la fin.

Dans le constat de Hameline, la notion de finalité, quant à elle, est liée à la notion de fin tout en acceptant la part d’intentionnalité humaine. Sous cette optique, le finalisme est moins prégnant puisque l’être humain garde une marge de manœuvre. L’auteur précise que la distinction entre fins et finalités implique deux conséquences. D’abord, la pensée inductive lorsqu’on parle des fins (les moyens adéquats sont déduits de la fin légitime) est remplacée par une pensée déductive (la fin adéquate est déduite des moyens utiles). Dans cette démarche, les fins sont ajustés aux moyens et non l’inverse. A ce stade, comment orienter l’éducation par ce raisonnement si des moyens utiles se déduisent les fins ? Est-ce en marchant que l’on trouve la meilleure destination ? Ou le chemin emprunté exige d’être ajusté selon les résultats d’une réflexion sur la destination ; pour ainsi essayer d’atteindre la meilleure destination possible ? N’est-ce pas agir dans le vide que de négliger la réflexion sur les fins? Si toutes les destinations se valent, alors la discussion sur les finalités (telle que nous les envisageons) n’a même pas lieu d’être. Réfléchir sur les finalités ou les fins, suppose la possibilité de juger des différentes destinations. Sans cette possibilité, comment éviter que des entités particulières n’imposent leurs finalités à l’éducation ?

Concernant les intentionnalités, l’auteur éclaire la notion simplement de cette manière :

« Les intentions ne sont ni sacrifiées aux déterminations des facteurs, ni imaginées comme capables de s’imposer par la vertu propre des acteurs. Elles appartiennent à cette zone instable de l’humain et de sa temporalité où s’articulent les mots et les choses, les pensées et les données, l’obligatoire (qui est humain, toujours) et nécessaire (qui l’encadre et le fonde), ce que l’on fait et ce qui arrive, le parcours et l’obstacle » (p. 336).

L’auteur ne dit rien de plus sur la notion d’intentionnalité dans son article. Toutefois, nous remarquons que l’intentionnalité, caractérisée par son instabilité, est variable selon le temps et le lieu. L’intentionnalité n’admet ainsi pas les finalités. L’humain, étant caractérisé par une instabilité, n’est pas en mesure de s’imposer des finalités ou des fins et de les suivre. Dans cette logique, le champ de l’éducation est davantage, nous semble-t-il, vulnérable à toutes sortes d’incrustation d’intérêts partiaux cherchant à imposer leurs

(22)

propres finalités. L’éducation présente alors le risque de perdre de son autonomie. Des finalités s’imposent à son insu. Rien ne nous permet d’en juger c’est pourquoi toutes sont défendables et tout aussi légitimes les unes que les autres. Par exemple, Christopher Winch (2002) un économiste de l’éducation défend, dans un article, l’économique comme finalité de l’éducation sous le seul prétexte que celle-ci est « tout aussi légitime qu’une autre » (p.

101).

Ci-dessous, nous allons parcourir la position de trois auteurs (deux articles) qui, en plus d’émettre le constat de l’impossibilité des finalités, adoptent une position de « rejet » de la réflexion en termes de finalité. D’abord, Bourgeault (2002) montre l’impossibilité des finalités en raison d’un « effacement des grands référents ». Plus aucune idée ou idéal n’a le potentiel de rallier tout le monde, c’est pourquoi il vaut mieux parler de visées. Puis, Soëtard et Hetier (2005) constatent la disparition des finalités et soutiennent que la finalité de l’éducation ne peut réellement être posée, elle doit toutefois permettre de produire chez l’élève une « aptitude à se donner une fin ».

3.2.1 Des finalités aux visées

Avec la remise en question de la science et de la raison et à l’ère de la mondialisation, écrit Bourgeault (2002), il n’y a plus de référent commun, c’est-à-dire « de vision du monde ni de définition de l’Homme qui réussisse à rallier tout le monde » (p.

180). Nous sommes dans une période d’« effacement des grands référents (premiers ou ultimes) », ce qui rend impossible la détermination des fondements et des finalités en éducation.

L’auteur met en évidence une succession de « moments » historiques dans lesquels un référent commun qui existait, a marqué durablement les discours sur l’éducation, ses fondements et ses finalités jusqu’aux dernières décennies (p. 180). De ces référents communs, des morales ont pu faire « l’objet de large consensus » et des règles de conduites en ont été extraites. Ces dernières « étaient perçues de l’intérieur comme universelles et immuables » (p. 182). Au temps de l’ « Athènes de Socrate, et d’Aristote, ou encore de Périclès », une idée et un idéal de citoyen libre était soutenue et servait de référent pour la cité. Pour l’auteur, la « paideia athénienne était à la fois culture, ou civilisation et éducation » (p. 180). Durant la « chrétienté post-romaine », l’« idéal chrétien

(23)

de l’honnête homme » occupait un rôle semblable en servant de référent à l’éducation. Par la suite, des idéaux ont été énoncés par les Lumières, par la science ou encore par la technologie. Différents idéaux se sont suppléés tout au long de l’histoire jusqu’aux dernières décennies. Selon l’auteur, cette succession montre la fragilité et la relativité des référents proposés à chacune de ces périodes. Elle « traduit l’impossibilité des fondements et des finalités entendus comme référents stables, durables, et universellement valables » et révèle également, nous dit l’auteur, l’ « imposture » de ces référents (p. 181). Dans cette optique, les référents sont incapables de guider de « façon certaine » les pratiques. Cet argument que Strauss nommerait d’« historiciste » contre les référents nous paraît insuffisant. En quoi cette succession prouve l’« imposture » des référents et leur relativité ? Doit-on exclure la possibilité que certains fondements et finalités de ces différentes périodes puissent être « plus justes ou meilleurs » que d’autres ? Peut-on juger ou hiérarchiser ces différents fondements et finalités ? Ces questions seront traitées dans notre cinquième chapitre.

Pour Bourgeault, cette succession signifie la « mort des grands référents ». En outre, trois dynamiques actuelles mettent également en cause les conceptions relatives aux fondements et aux finalités de l’éducation et appelle une réflexion en termes de « visées » (p. 184). La première dynamique concerne « l’intrusion de la rationalité technoscientifique dans le processus millénaire de transformation du monde et de la vie par les humains » (p.

184). La science et la technologie nous ont conféré un pouvoir nous incitant à tout

« prévoir, prédire, choisir, et orienter, contrôler ». Or, il a fallu, apprendre à agir avec l’imprévu et l’incertain de l’avenir. C’est pourquoi, il est nécessaire, nous dit l’auteur, que le débat implique les visées et pas uniquement les objectifs et les moyens. Etant donné qu’il n’y a plus de modèle donné (de grand référent), nous ne savons pas quelle humanité nous serons demain. C’est désormais dans l’action même que tout se joue. La deuxième dynamique est liée à la première. Dans un contexte de grande complexité, l’individu est confronté sans cesse à la diversité des idées, des données et des actions. En somme, il est en constante interaction avec l’altérité. C’est pourquoi personne ne peut, dans cette situation, se considérer détenir « la vérité ». Nous sommes contraints, affirme Bourgeault, à discuter de tout et à tout mettre en débat (p. 185). La troisième dynamique est relative au marché mondialisé. Cette dynamique réduit tout à des produits et à des marchandises, elle

« introduit partout à la fois la diversité et l’homogénéité – une diversité qui demeure enfermée du pareil au même » (p. 185). Malgré la fin des mythes déclarée plus haut,

(24)

Bourgeault admet que le marché est devenu un référent commun. Dans ce sens, il est possible de parler du « Mythe de la mondialisation ». La régulation par le marché de l’offre et de la demande a été possible par la « victoire » de la raison instrumentale. Le mythe de la mondialisation au service du marché joue un rôle d’idéologie. Nous pouvons considérer que le « mythe de la mondialisation », avec les valeurs et croyance qu’elle véhicule, influence les finalités en éducation.

Ajoutons que ce « mythe de la mondialisation » s’accompagnent, depuis les années 1960, « des nécessités économiques [qui] font de plus en plus la loi » (Hameline, 2008, p.

338). Cette situation représente un nouveau type d’imposition de finalités économiques à l’éducation. Dès lors, les actions humaines et éducatives sont également conçus comme étant susceptibles d’une « planification rationnelle et de projets évaluables en termes d’objectifs ». L’UNESCO, avec la création de l’Institut Internationale de planification de l’éducation, prend part à ce changement et, ainsi, l’investissement dans l’éducation devient une affaire mondiale. Tous les Etats attendent un « retour sur investissement » de l’éducation et se préoccupent par conséquent d’évaluer leur système éducatif. L’évaluation est de plus en plus considérée sous la loupe du « profit ». Cette démarche de planification met en avant une « rationalité d’inspiration économique ». A termes, nous soutenons qu’une rationalité d’inspiration économique impose des finalités économiques. Alors, c’est avant tout « au nom de l’utile » – dans une perspective de productivité économique – que le contenu des enseignements est susceptibles d’être choisi et hiérarchisé.

Nous constatons également cette « intrusion » de l’économie dans le champ éducatif à travers le discours de l’apprentissage par compétences qui est aujourd’hui dominant dans l’enseignement en général. Sévérac (2012) met en évidence deux dates qui ont contribuées à imposer l’idée de compétences dans les systèmes éducatifs7. La Loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école de 2005 qui définit le « Socle commun de connaissances et de compétences » ; et, en 2007, la recommandation de l’Union Européenne Compétences clés pour l’éducation et la formation tout au long de la vie qui met l’accent sur les compétences plutôt que les connaissances. Ce discours sur les compétences relève de la logique de l’adaptation de l’élève au monde économique. Il est présent dans les idées de planification de l’économie de l’éducation ou dans celles qui

7 Ce propos concerne le système politique français.

(25)

considèrent le « capital humain » comme source d’une grande compétitivité (p. 3). La logique économique impose ses propres finalités à l’éducation, dans le sens où l’Ecole doit tendre à façonner des individus employables. Précisons qu’en soulevant la perspective

« morale ou éthique » de cette approche, l’auteur souligne que le paradigme de compétences ne signifie pas uniquement former un sujet compétitif. Parler de compétences renvoie également à la préoccupation de ce que l’élève apprend, comprend et de ce qu’il en fait. Toutefois, cet aspect des compétences ne nous occupera pas ici.

Pour revenir à Bourgeault, ayant traité de la mondialisation, il met en évidence les attentes envers l’éducation et la formation, en tant qu’entreprise de socialisation, pour qu’elles contribuent à faire émerger une « conscience planétaire ». Ce devoir est assigné à l’éducation à travers différents discours. Celui des économistes, qui est dominant, exige une grande compétitivité de la part des entreprises, raison pour laquelle il faut assurer des conditions favorables pour une abondante productivité. Cela nécessite une éducation et une formation « sur mesure ». L’Ecole devient, par conséquent, le lieu et l’instrument pour la préparation et l’adaptation de la main-d’œuvre aux exigences du marché du travail mondialisé (p. 187). Un autre discours, celui des technologies de l’information et de communications (TIC) considère que tous les aspects de la vie sont placés sous le signe de l’information. Pour ce faire, l’éducation doit assurer l’appropriation des technologies.

Cette « intrusion » des visées économiques et des TIC, en ce qui concerne les finalités éducatives, peut être considérée, si l’on se réfère au tableau de Gingell et Winch, comme des finalités instrumentales et à vocation professionnelle. Elles s’opposent aux finalités intrinsèques et libérales, dans le sens où elles sont considérées en fonction des besoins économiques.

Selon l’auteur, « les morales ne sont plus possibles » en raison de la grande diversité engendrée par la mondialisation. Elles sont dépouillées de « référents supérieurs » tels que Dieu, l’Homme ou la Raison. Les référents étant morts, plus aucune finalité ne peut être prescrite « d’emblée ou a priori » à nos actions. Dès lors, « il n’est plus de finalité inscrite dans la nature des choses » pouvant décider à l’avance, c’est pourquoi il s’agit de garder une place à l’incertitude et ainsi de discuter et débattre des « visées de nos projets et de nos actions » (p. 182). Les morales n’étant plus concevables, désormais, les visées remplacent les finalités.

(26)

Pour aller plus loin, l’auteur souligne deux conceptions opposées de l’éthique.

Dans la première, « la vision d’un ordre du monde préétabli et immuable impose à la conscience comme aux conduites humaines la rigueur de sa loi énoncée une fois pour toutes » (p. 182). Toute la vie est régie par une morale de la loi divine ou naturelle d’orientation téléologique, relative aux fins dernières. Dans la seconde conception par contre, tout « se construit et déconstruit, se négocie et renégocie » à travers une expérience de vie au cours de laquelle « se fait l’énonciation ». Dans cette conception, la vie est comprise comme « élan de vie » et visée, qu’il convient sans cesse de revoir et préciser.

Nous rétorquons que cette première conception de l’éthique, selon laquelle un ordre du monde immuable et préétabli existe, peut également accepter l’idée d’une morale conçue dans l’énonciation et non uniquement comme quelque chose d’énoncée et fixée une fois pour toute. Nous ajoutons, que l’être humain, dans cette position, peut également garder la possibilité de construire et reconstruire sans cesse, et cela, en cherchant tout de même à approcher de cette perfection du monde préétabli. Cela ouvre la possibilité de juger du comportement des humains et également des finalités poursuivies. Adopter une posture de quête de la nature de l’humain en partant du postulat que la nature est transcendante, n’engendre pas l’impossibilité de maintenir la discussion des fondements et des finalités ouverte. Le droit naturel straussien nous sera utile pour une telle démarche. Bourgeault conclut que la mort des grands référents anciens débouche sur la possibilité d’un « débat neuf » sur les visées de l’éducation et de la formation. Il ajoute que la définition des fondements et des finalités a toujours été affaire de pouvoir. Au contraire, nous soutenons que c’est en s’éloignant de la réflexion en termes de finalités dans le domaine éducatif, que l’Ecole encoure le risque que la définition de ses finalités devienne affaire de pouvoir.

Ci-dessous, nous allons poursuivre avec Hetier et Soëtard (2003). Ces auteurs rejettent également la réflexion en termes de finalités. Puis, nous verrons que leur alternative non plus, ne « protège » pas l’éducation des finalités imposées.

3.2.2 Le « cercle des finalités disparues »

D’après Michel Soëtard (2005), jusqu’à la renaissance et la réforme, le projet d’éducation était lié à une définition de l’homme se référant à une « Nature divine ». A partir de la modernité, c’est dans des idéologies ou grands systèmes philosophiques que la question des finalités s’imbrique. Une crise des valeurs depuis les années 1960 ne permet

(27)

plus de telles positions concernant les finalités. Dans une époque appelée désormais

« postmoderne », on parle de « finalités introuvables » et Soëtard et Hetier (2003) utilisent l’expression de « cercle des finalités disparues » (p. 62). C’est en se basant sur l’Emile de Rousseau, que ces auteurs mettent en avant une « re-finalisation de l’éducation dans et par l’éducation ». Ils posent la liberté comme un accomplissement « dans la nature humaine même » plutôt que comme un objectif à atteindre. Par cette démarche, la fin de l’éducation, selon les propos de l’auteur, « ne peut être posée » ni même « dite en mots ».

Toutefois, les auteurs soutiennent que « la singularité de la finalité éducative, c’est qu’elle vise à produire chez les autres autant d’aptitude à se donner une fin » (Soëtard et Hetier, 2003, p. 64).

Pour défendre leur position, ils mettent en évidence un changement : il n’y a plus de grandes idéologies qui imposent une fin. Dans un contexte de crise des grandes fins idéologiques, « on tourne dans le cercle des finalités disparues ».

« C’est dans le même temps le déclin de l’éducation pour autant qu’elle était traditionnellement comprise comme l’instrument par excellence du modelage de la nature humaine selon ces finalités pensées, voulues et dotées d’en haut » (p. 62).

Selon Soëtard et Hetier, un « réalisme pédagogique » se substitue à un « idéalisme éducatif dont la grande erreur fut de noyer les moyens dans la fin » (p. 63). L’individu est libre par nature et il utilise les moyens qui ne sont que des instruments pour se « donner sens en liberté ». Les auteurs incombent à la nature humaine la « liberté », c’est-à-dire, la liberté de se « donner un sens » ; voilà une vie humaine qui se serait réussie. Dans cette optique, toutes les finalités et tous les sens donnés à une vie semblent se valoir. En tout cas, leur hiérarchie ne semble pas exiger de réflexion. Il nous est fondamentalement impossible de juger de l’un de ces sens puisque l’individu étant par nature libre, libre de créer n’importe quel sens, tous ces sens se valent. Or, comment l’éducation peut-elle être guidée par cette finalité minimale – consistant à éduquer pour laisser l’individu se donner librement un sens? Comment hiérarchiser les savoirs ? Et surtout comment l’éducation peut-elle se protéger des intérêts particuliers qui s’imposent sous forme d’idéologie cachée8 ?

8 Par exemple, comme nous l’avons déjà souligné, les préoccupations économiques orientant d’une certaine manière l’éducation se présentent sous forme d’idéologie. On décide par exemple de planifier l’éducation ou on en attend un « retour sur investissement », et tout cela, pour le bonheur de l’humanité, pour simplifier.

Ces démarches ne découlent-elles pas d’une idéologie ?

(28)

Rousseau « entreprend de déconstruire le statut de la finalité humaine tel que Platon l’avait philosophiquement établi et tel qu’il avait été conforté par des siècles de christianisme, jusque dans ses reprises laïcisées ». Soëtard et Hetier montrent qu’avec Rousseau, la finalité politique s’épuise et se limite désormais à la formule démocratique du Contrat social : « que chacun s’unissant à tous n’[obéit] pourtant qu’à lui-même et reste aussi libre qu’auparavant » (p. 62). Pour ce qui est de la finalité humaine ultime – historiquement portée selon l’auteur par le christianisme et ses « substituts laïcs » c’est-à- dire l’ « humanisme sous toutes ses formes » –, elle a terminé son chemin en montrant qu’elle était incapable d’ « assurer à l’homme une vie pleinement réussie ». Les grands systèmes philosophiques ont tenté d’énoncer le sens et se sont perdus dans des contradictions. Tout sens a perdu sens et on en est venu jusqu’à se demander :

« l’Homme existe-t-il, ou est-il plus qu’un carrefour de phénomènes ? » (p. 63).

Pour Hetier et Soëtard, c’est la liberté qui désormais porte la question des finalités.

Rousseau traite cette question dans l’éducation et ferait de l’Emile « la clef de voûte de son système » (p. 63). Le philosophe genevois entreprend une « re-finalisation de la nature humaine dans et par l’éducation » (p. 64). La liberté n’est pas conçue comme un objectif à atteindre mais se réalise dans la « matière humaine elle-même ».

« Il s’agit moins de former un citoyen ou un homme, comme on modèlerait la glaise selon une idée préconçue, que de faire produire à la matière humaine sa forme en liberté, sa forme qui est la liberté » (p. 64).

Sa forme étant liberté, elle ne peut ni être établie ni formulée. La finalité informulable de l’éducation est « essentiellement agie dans l’Emile », elle tend à « produire chez les autres autant d’aptitudes à se donner une fin » (p. 64). Dans cette perspective, soulignent les auteurs, la question de la finalité ne « doit cesser d’être pensée sous l’égide de la liberté ».

Précisons que Soëtard et Hetier définissent la nature humaine comme la liberté de se donner une fin. Celle-ci serait en quelque sorte une « ontologie de référence » qui détermine ensuite la finalité assignée à l’éducation. Ainsi, la nature humaine « appelée à la liberté par l’éducation » ne doit pas, de ce point de vue, être sacrifiée à un nouveau finalisme issu d’une quelconque idéologie. Or, penser la finalité de l’éducation sous l’égide de la liberté pour « produire chez les autres autant d’aptitudes à se donner une fin », n’ouvre-t-il pas la porte à une finalisation de l’éducation par des entités extérieures à l’éducation, comme par le monde de l’économie par exemple ? Là, se situe le centre de

Références

Documents relatifs

 Termes à utiliser pour le schéma n°4 : risque de hausse du chômage ; baisse du volume du crédit ; désinflation ; ralentissement de la hausse (voire baisse)

Pour autant, ce constat, additionné au fait que ce dispositif est ouvert aux plus grandes entreprises, appelle à une certaine vigilance de la part des organisations syndicales et

Si vous devez vous absenter d’un cours pendant au moins trois semaines consécutives ou pendant une durée consécutive correspondant à au moins 20 % de la durée totale du cours,

Christian Payeur, « La relation entre recherche et action syndicale en éducation : le cas du Québec », Revue française de pédagogie [En ligne], 154 | janvier-mars 2006, mis en ligne

et l'altitude de la cible, et vous avertira quand les detecteurs du missile ont detect la source de chaleur (l'avion ennemi). Si la cible est proche, essayez

Une capacité d’accueil des écoles encore insuffisante 13 ; des offres alternatives d’éducation encore trop peu développées 14 ; un manque de matériel pédagogique 15 ;

ous avons ouvert un centre d'accueil thérapeutique à temps partiel, dans le 11ème arrondissement de Paris, il y a deux ans, avec une petite équipe déjà présente dans

Bref, ce document refléterait bien la « réalité » sociale de l’époque et, même si, le professeur prend soin de dire que « c’est une caricature », il n’est pas sûr que