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3. LA DIFFICULTES DE LA REFLEXION EN TERME DE FINALITES

3.2 REFUS DE LA REFLEXION EN TERMES DE FINALITES

3.2.1 Des finalités aux visées

Avec la remise en question de la science et de la raison et à l’ère de la mondialisation, écrit Bourgeault (2002), il n’y a plus de référent commun, c’est-à-dire « de vision du monde ni de définition de l’Homme qui réussisse à rallier tout le monde » (p.

180). Nous sommes dans une période d’« effacement des grands référents (premiers ou ultimes) », ce qui rend impossible la détermination des fondements et des finalités en éducation.

L’auteur met en évidence une succession de « moments » historiques dans lesquels un référent commun qui existait, a marqué durablement les discours sur l’éducation, ses fondements et ses finalités jusqu’aux dernières décennies (p. 180). De ces référents communs, des morales ont pu faire « l’objet de large consensus » et des règles de conduites en ont été extraites. Ces dernières « étaient perçues de l’intérieur comme universelles et immuables » (p. 182). Au temps de l’ « Athènes de Socrate, et d’Aristote, ou encore de Périclès », une idée et un idéal de citoyen libre était soutenue et servait de référent pour la cité. Pour l’auteur, la « paideia athénienne était à la fois culture, ou civilisation et éducation » (p. 180). Durant la « chrétienté post-romaine », l’« idéal chrétien

de l’honnête homme » occupait un rôle semblable en servant de référent à l’éducation. Par la suite, des idéaux ont été énoncés par les Lumières, par la science ou encore par la technologie. Différents idéaux se sont suppléés tout au long de l’histoire jusqu’aux dernières décennies. Selon l’auteur, cette succession montre la fragilité et la relativité des référents proposés à chacune de ces périodes. Elle « traduit l’impossibilité des fondements et des finalités entendus comme référents stables, durables, et universellement valables » et révèle également, nous dit l’auteur, l’ « imposture » de ces référents (p. 181). Dans cette optique, les référents sont incapables de guider de « façon certaine » les pratiques. Cet argument que Strauss nommerait d’« historiciste » contre les référents nous paraît insuffisant. En quoi cette succession prouve l’« imposture » des référents et leur relativité ? Doit-on exclure la possibilité que certains fondements et finalités de ces différentes périodes puissent être « plus justes ou meilleurs » que d’autres ? Peut-on juger ou hiérarchiser ces différents fondements et finalités ? Ces questions seront traitées dans notre cinquième chapitre.

Pour Bourgeault, cette succession signifie la « mort des grands référents ». En outre, trois dynamiques actuelles mettent également en cause les conceptions relatives aux fondements et aux finalités de l’éducation et appelle une réflexion en termes de « visées » (p. 184). La première dynamique concerne « l’intrusion de la rationalité technoscientifique dans le processus millénaire de transformation du monde et de la vie par les humains » (p.

184). La science et la technologie nous ont conféré un pouvoir nous incitant à tout

« prévoir, prédire, choisir, et orienter, contrôler ». Or, il a fallu, apprendre à agir avec l’imprévu et l’incertain de l’avenir. C’est pourquoi, il est nécessaire, nous dit l’auteur, que le débat implique les visées et pas uniquement les objectifs et les moyens. Etant donné qu’il n’y a plus de modèle donné (de grand référent), nous ne savons pas quelle humanité nous serons demain. C’est désormais dans l’action même que tout se joue. La deuxième dynamique est liée à la première. Dans un contexte de grande complexité, l’individu est confronté sans cesse à la diversité des idées, des données et des actions. En somme, il est en constante interaction avec l’altérité. C’est pourquoi personne ne peut, dans cette situation, se considérer détenir « la vérité ». Nous sommes contraints, affirme Bourgeault, à discuter de tout et à tout mettre en débat (p. 185). La troisième dynamique est relative au marché mondialisé. Cette dynamique réduit tout à des produits et à des marchandises, elle

« introduit partout à la fois la diversité et l’homogénéité – une diversité qui demeure enfermée du pareil au même » (p. 185). Malgré la fin des mythes déclarée plus haut,

Bourgeault admet que le marché est devenu un référent commun. Dans ce sens, il est possible de parler du « Mythe de la mondialisation ». La régulation par le marché de l’offre et de la demande a été possible par la « victoire » de la raison instrumentale. Le mythe de la mondialisation au service du marché joue un rôle d’idéologie. Nous pouvons considérer que le « mythe de la mondialisation », avec les valeurs et croyance qu’elle véhicule, influence les finalités en éducation.

Ajoutons que ce « mythe de la mondialisation » s’accompagnent, depuis les années 1960, « des nécessités économiques [qui] font de plus en plus la loi » (Hameline, 2008, p.

338). Cette situation représente un nouveau type d’imposition de finalités économiques à l’éducation. Dès lors, les actions humaines et éducatives sont également conçus comme étant susceptibles d’une « planification rationnelle et de projets évaluables en termes d’objectifs ». L’UNESCO, avec la création de l’Institut Internationale de planification de l’éducation, prend part à ce changement et, ainsi, l’investissement dans l’éducation devient une affaire mondiale. Tous les Etats attendent un « retour sur investissement » de l’éducation et se préoccupent par conséquent d’évaluer leur système éducatif. L’évaluation est de plus en plus considérée sous la loupe du « profit ». Cette démarche de planification met en avant une « rationalité d’inspiration économique ». A termes, nous soutenons qu’une rationalité d’inspiration économique impose des finalités économiques. Alors, c’est avant tout « au nom de l’utile » – dans une perspective de productivité économique – que le contenu des enseignements est susceptibles d’être choisi et hiérarchisé.

Nous constatons également cette « intrusion » de l’économie dans le champ éducatif à travers le discours de l’apprentissage par compétences qui est aujourd’hui dominant dans l’enseignement en général. Sévérac (2012) met en évidence deux dates qui ont contribuées à imposer l’idée de compétences dans les systèmes éducatifs7. La Loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école de 2005 qui définit le « Socle commun de connaissances et de compétences » ; et, en 2007, la recommandation de l’Union Européenne Compétences clés pour l’éducation et la formation tout au long de la vie qui met l’accent sur les compétences plutôt que les connaissances. Ce discours sur les compétences relève de la logique de l’adaptation de l’élève au monde économique. Il est présent dans les idées de planification de l’économie de l’éducation ou dans celles qui

7 Ce propos concerne le système politique français.

considèrent le « capital humain » comme source d’une grande compétitivité (p. 3). La logique économique impose ses propres finalités à l’éducation, dans le sens où l’Ecole doit tendre à façonner des individus employables. Précisons qu’en soulevant la perspective

« morale ou éthique » de cette approche, l’auteur souligne que le paradigme de compétences ne signifie pas uniquement former un sujet compétitif. Parler de compétences renvoie également à la préoccupation de ce que l’élève apprend, comprend et de ce qu’il en fait. Toutefois, cet aspect des compétences ne nous occupera pas ici.

Pour revenir à Bourgeault, ayant traité de la mondialisation, il met en évidence les attentes envers l’éducation et la formation, en tant qu’entreprise de socialisation, pour qu’elles contribuent à faire émerger une « conscience planétaire ». Ce devoir est assigné à l’éducation à travers différents discours. Celui des économistes, qui est dominant, exige une grande compétitivité de la part des entreprises, raison pour laquelle il faut assurer des conditions favorables pour une abondante productivité. Cela nécessite une éducation et une formation « sur mesure ». L’Ecole devient, par conséquent, le lieu et l’instrument pour la préparation et l’adaptation de la main-d’œuvre aux exigences du marché du travail mondialisé (p. 187). Un autre discours, celui des technologies de l’information et de communications (TIC) considère que tous les aspects de la vie sont placés sous le signe de l’information. Pour ce faire, l’éducation doit assurer l’appropriation des technologies.

Cette « intrusion » des visées économiques et des TIC, en ce qui concerne les finalités éducatives, peut être considérée, si l’on se réfère au tableau de Gingell et Winch, comme des finalités instrumentales et à vocation professionnelle. Elles s’opposent aux finalités intrinsèques et libérales, dans le sens où elles sont considérées en fonction des besoins économiques.

Selon l’auteur, « les morales ne sont plus possibles » en raison de la grande diversité engendrée par la mondialisation. Elles sont dépouillées de « référents supérieurs » tels que Dieu, l’Homme ou la Raison. Les référents étant morts, plus aucune finalité ne peut être prescrite « d’emblée ou a priori » à nos actions. Dès lors, « il n’est plus de finalité inscrite dans la nature des choses » pouvant décider à l’avance, c’est pourquoi il s’agit de garder une place à l’incertitude et ainsi de discuter et débattre des « visées de nos projets et de nos actions » (p. 182). Les morales n’étant plus concevables, désormais, les visées remplacent les finalités.

Pour aller plus loin, l’auteur souligne deux conceptions opposées de l’éthique.

Dans la première, « la vision d’un ordre du monde préétabli et immuable impose à la conscience comme aux conduites humaines la rigueur de sa loi énoncée une fois pour toutes » (p. 182). Toute la vie est régie par une morale de la loi divine ou naturelle d’orientation téléologique, relative aux fins dernières. Dans la seconde conception par contre, tout « se construit et déconstruit, se négocie et renégocie » à travers une expérience de vie au cours de laquelle « se fait l’énonciation ». Dans cette conception, la vie est comprise comme « élan de vie » et visée, qu’il convient sans cesse de revoir et préciser.

Nous rétorquons que cette première conception de l’éthique, selon laquelle un ordre du monde immuable et préétabli existe, peut également accepter l’idée d’une morale conçue dans l’énonciation et non uniquement comme quelque chose d’énoncée et fixée une fois pour toute. Nous ajoutons, que l’être humain, dans cette position, peut également garder la possibilité de construire et reconstruire sans cesse, et cela, en cherchant tout de même à approcher de cette perfection du monde préétabli. Cela ouvre la possibilité de juger du comportement des humains et également des finalités poursuivies. Adopter une posture de quête de la nature de l’humain en partant du postulat que la nature est transcendante, n’engendre pas l’impossibilité de maintenir la discussion des fondements et des finalités ouverte. Le droit naturel straussien nous sera utile pour une telle démarche. Bourgeault conclut que la mort des grands référents anciens débouche sur la possibilité d’un « débat neuf » sur les visées de l’éducation et de la formation. Il ajoute que la définition des fondements et des finalités a toujours été affaire de pouvoir. Au contraire, nous soutenons que c’est en s’éloignant de la réflexion en termes de finalités dans le domaine éducatif, que l’Ecole encoure le risque que la définition de ses finalités devienne affaire de pouvoir.

Ci-dessous, nous allons poursuivre avec Hetier et Soëtard (2003). Ces auteurs rejettent également la réflexion en termes de finalités. Puis, nous verrons que leur alternative non plus, ne « protège » pas l’éducation des finalités imposées.