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Le « cercle des finalités disparues »

3. LA DIFFICULTES DE LA REFLEXION EN TERME DE FINALITES

3.2 REFUS DE LA REFLEXION EN TERMES DE FINALITES

3.2.2 Le « cercle des finalités disparues »

D’après Michel Soëtard (2005), jusqu’à la renaissance et la réforme, le projet d’éducation était lié à une définition de l’homme se référant à une « Nature divine ». A partir de la modernité, c’est dans des idéologies ou grands systèmes philosophiques que la question des finalités s’imbrique. Une crise des valeurs depuis les années 1960 ne permet

plus de telles positions concernant les finalités. Dans une époque appelée désormais

« postmoderne », on parle de « finalités introuvables » et Soëtard et Hetier (2003) utilisent l’expression de « cercle des finalités disparues » (p. 62). C’est en se basant sur l’Emile de Rousseau, que ces auteurs mettent en avant une « re-finalisation de l’éducation dans et par l’éducation ». Ils posent la liberté comme un accomplissement « dans la nature humaine même » plutôt que comme un objectif à atteindre. Par cette démarche, la fin de l’éducation, selon les propos de l’auteur, « ne peut être posée » ni même « dite en mots ».

Toutefois, les auteurs soutiennent que « la singularité de la finalité éducative, c’est qu’elle vise à produire chez les autres autant d’aptitude à se donner une fin » (Soëtard et Hetier, 2003, p. 64).

Pour défendre leur position, ils mettent en évidence un changement : il n’y a plus de grandes idéologies qui imposent une fin. Dans un contexte de crise des grandes fins idéologiques, « on tourne dans le cercle des finalités disparues ».

« C’est dans le même temps le déclin de l’éducation pour autant qu’elle était traditionnellement comprise comme l’instrument par excellence du modelage de la nature humaine selon ces finalités pensées, voulues et dotées d’en haut » (p. 62).

Selon Soëtard et Hetier, un « réalisme pédagogique » se substitue à un « idéalisme éducatif dont la grande erreur fut de noyer les moyens dans la fin » (p. 63). L’individu est libre par nature et il utilise les moyens qui ne sont que des instruments pour se « donner sens en liberté ». Les auteurs incombent à la nature humaine la « liberté », c’est-à-dire, la liberté de se « donner un sens » ; voilà une vie humaine qui se serait réussie. Dans cette optique, toutes les finalités et tous les sens donnés à une vie semblent se valoir. En tout cas, leur hiérarchie ne semble pas exiger de réflexion. Il nous est fondamentalement impossible de juger de l’un de ces sens puisque l’individu étant par nature libre, libre de créer n’importe quel sens, tous ces sens se valent. Or, comment l’éducation peut-elle être guidée par cette finalité minimale – consistant à éduquer pour laisser l’individu se donner librement un sens? Comment hiérarchiser les savoirs ? Et surtout comment l’éducation peut-elle se protéger des intérêts particuliers qui s’imposent sous forme d’idéologie cachée8 ?

8 Par exemple, comme nous l’avons déjà souligné, les préoccupations économiques orientant d’une certaine manière l’éducation se présentent sous forme d’idéologie. On décide par exemple de planifier l’éducation ou on en attend un « retour sur investissement », et tout cela, pour le bonheur de l’humanité, pour simplifier.

Ces démarches ne découlent-elles pas d’une idéologie ?

Rousseau « entreprend de déconstruire le statut de la finalité humaine tel que Platon l’avait philosophiquement établi et tel qu’il avait été conforté par des siècles de christianisme, jusque dans ses reprises laïcisées ». Soëtard et Hetier montrent qu’avec Rousseau, la finalité politique s’épuise et se limite désormais à la formule démocratique du Contrat social : « que chacun s’unissant à tous n’[obéit] pourtant qu’à lui-même et reste aussi libre qu’auparavant » (p. 62). Pour ce qui est de la finalité humaine ultime – historiquement portée selon l’auteur par le christianisme et ses « substituts laïcs » c’est-à-dire l’ « humanisme sous toutes ses formes » –, elle a terminé son chemin en montrant qu’elle était incapable d’ « assurer à l’homme une vie pleinement réussie ». Les grands systèmes philosophiques ont tenté d’énoncer le sens et se sont perdus dans des contradictions. Tout sens a perdu sens et on en est venu jusqu’à se demander :

« l’Homme existe-t-il, ou est-il plus qu’un carrefour de phénomènes ? » (p. 63).

Pour Hetier et Soëtard, c’est la liberté qui désormais porte la question des finalités.

Rousseau traite cette question dans l’éducation et ferait de l’Emile « la clef de voûte de son système » (p. 63). Le philosophe genevois entreprend une « re-finalisation de la nature humaine dans et par l’éducation » (p. 64). La liberté n’est pas conçue comme un objectif à atteindre mais se réalise dans la « matière humaine elle-même ».

« Il s’agit moins de former un citoyen ou un homme, comme on modèlerait la glaise selon une idée préconçue, que de faire produire à la matière humaine sa forme en liberté, sa forme qui est la liberté » (p. 64).

Sa forme étant liberté, elle ne peut ni être établie ni formulée. La finalité informulable de l’éducation est « essentiellement agie dans l’Emile », elle tend à « produire chez les autres autant d’aptitudes à se donner une fin » (p. 64). Dans cette perspective, soulignent les auteurs, la question de la finalité ne « doit cesser d’être pensée sous l’égide de la liberté ».

Précisons que Soëtard et Hetier définissent la nature humaine comme la liberté de se donner une fin. Celle-ci serait en quelque sorte une « ontologie de référence » qui détermine ensuite la finalité assignée à l’éducation. Ainsi, la nature humaine « appelée à la liberté par l’éducation » ne doit pas, de ce point de vue, être sacrifiée à un nouveau finalisme issu d’une quelconque idéologie. Or, penser la finalité de l’éducation sous l’égide de la liberté pour « produire chez les autres autant d’aptitudes à se donner une fin », n’ouvre-t-il pas la porte à une finalisation de l’éducation par des entités extérieures à l’éducation, comme par le monde de l’économie par exemple ? Là, se situe le centre de

notre préoccupation. Nous soutenons que la finalité « minimale » proposée par ces auteurs ne permet pas à l’éducation de se protéger des finalités imposées. De plus, en quoi cette finalité minimale serait-elle plus légitime qu’une finalité instrumentale d’ordre économique ? Les auteurs ne développent pas d’argument susceptible de soutenir leur finalité minimale.

Dans cette même logique, des auteurs comme Gaston Milaret (2011) déterminent le rôle des sciences de l’éducation dans la formation des éducateurs. Les sciences de l’éducation remplacent les opinions par un savoir scientifique en donnant la possibilité à l’éducateur de prendre conscience de son action et des limites de celle-ci. A partir des résultats scientifiques, celui-ci peut choisir lui-même, et cela en connaissance de cause, des finalités et des modèles d’action en éducation (p. 110). Tout éducateur se réfère immanquablement à un modèle, que celui-ci soit explicite ou non. C’est pourquoi, une des parties les plus importantes de sa formation, souligne Milaret, est de lui faire prendre conscience de cela afin de l’amener à l’élaboration ou au choix d’un modèle de référence.

Dans ce sens, la finalité de sa formation est également de fournir à l’éduqué une aptitude à donner une fin à son action (d’éduquer), et cela rejoint la position de Hetier et Soëtard. Les sciences de l’éducation ne sont pas aptes, selon ces auteurs, à décider du modèle idéal.

Elles ne peuvent alors se positionner pour telle ou telle autre finalité analysée comme

« meilleure », car elles omettraient leur devoir de « neutralité axiologique » établie par Weber. Nous verrons dans la cinquième partie que Léo Strauss n’est pas de cet avis.

Pour Hetier et Soëtard, seul le « pédagogue » est en mesure de mettre en œuvre la fin de l’éducation et ces auteurs posent les bases de ce qu’ils appellent une « anthropologie pédagogique ». La nature de l’homme, qui serait déduite d’une quelconque « réduction scientifique ou philosophique », ne peut assurer au pédagogue le sens de son action (p. 65).

L’être humain n’est pas déterminé par de tels fondements. Cependant il « garde [plutôt] le pouvoir d’agir sur [eux] pour orienter dans le sens de ce qui est le meilleur pour lui ». Et cela se trouve être le fondement de l’éducation.

«La question du sens de l’éducation se pose ainsi, en dernières analyse, en référence à l’action pédagogique. Elle trouve sa réponse pour autant que le pédagogue, partant de ce qui est, sollicite ce qui doit être, humainement parlant, et puise dans la réalité environnante les moyens de son action. Le sens n’est en vérité que ce qu’il en fait » (p. 65).

Si le sens de l’éducation n’est que ce que le pédagogue en fait, tous les sens se valent et une fois de plus, pourquoi ne pas opter pour un sens uniquement instrumental d’ordre économique ?

En fin de compte, pour Hetier et Soëtard, les pédagogies idéologiques ont tenté de faire « transparaître l’Idée à travers les moyens », ce à quoi ils ne sont jamais parvenus. La liberté n’ayant pas de fin, c’est une erreur que de vouloir réinstaller à tout prix une finalité et d’enfermer les moyens dans les fins (p. 65). Pour ces auteurs, l’homme étant libre par nature, on ne peut lui imposer de fin et l’éducation ne peut donc avoir de finalité. Elle doit se limiter « à produire chez les autres autant d’aptitude à se donner une fin » (p. 64). Cette finalité minimale nous semble que peu suffisante à « protéger » l’Ecole de finalisations qui lui échapperaient. Ajoutons que cet article concerne l’une des questions fondamentales de la philosophie de l’éducation, c’est-à-dire :

« (...) de savoir si le caractère éducable de l’homme le conduit à recouvrer ou à réaliser une essence ou une nature, ou bien, au contraire, à faire de son existence (son action, son histoire) le point de départ d’une construction d’une nouvelle essence humaine (individuelle, sociale, morale) » (Mbombo, 2011, p. 31).

Hetier et Soëtard se positionnent clairement dans la seconde posture tandis que notre analyse se trouve dans la première.

A travers ces différents auteurs, nous avons constaté que le rejet des finalités s’accompagne de finalités imposées par différentes entités, notamment par le monde économique. Pour en revenir au tableau de Gingell et Winch (1999), nous remarquons que les finalités sociales, instrumentales et à vocation professionnelle sont dominantes et sont dénoncées par ces auteurs. La réduction de la réflexion en termes de finalité à une question de « visées » ou de recherche pour « produire chez les autres autant d’aptitude à se donner une fin » ne nous paraît pas suffisamment solide pour soutenir l’éducation et l’orienter.

Bernard Jolibert (2009) relève également que certaines finalités sont imposées à l’éducation. Afin de contrer cette situation, il déduit un « devoir de résistance » à partir des réflexions du biologiste Jean Rostand (1984-1977).

3.3 « DEVOIR DE RESISTANCE »9

Bernard Jolibert (2009) propose un « devoir de résistance » pour contrer les finalités imposées par les politiques à l’éducation10. Il débute par se référer à la loi d’orientation de 1989 (en France) pour mettre en évidence les « trois fonctions pressantes » ou les courants que l’institution scolaire se doit d’assumer. Ces courants orientent l’éducation vers certaines finalités. Ces dernières se contredisent et s’opposent parfois. L’auteur en vient à se demander s’il est possible d’hiérarchiser ces finalités multiples assignées à l’Ecole. Pour y répondre, il soulève la « fonction biologique » de l’Ecole et son « devoir de résistance ». Parcourons d’abord ces trois courants afin d’être en mesure de saisir le devoir de résistance qu’il propose.

Le premier courant concerne le domaine de l’économie. L’éducation doit être au service de la production et former des individus en fonction de ces préoccupations. Cette orientation est soutenue par des instances internationales telles que l’Union Européenne ou le Bureau International de l’Education, comme nous l’avons vu avec Hameline (2008) et Bourgeault (2002). L’institution scolaire est considérée sous l’angle du libéralisme économique dominant. De cette façon, les savoirs et compétences sont analysés en fonction de l’offre et de la demande ainsi que des coûts et des bénéfices. Une tendance à penser l’Ecole en termes consuméristes est à l’œuvre, que ce soit dans les discours ministériels ou de la part des personnes en charge de l’administration de l’institution. Cette analyse en termes de « coûts-bénéfices » trouve son origine dans le modèle américain des années trente, impose un vocabulaire et conduit les écoles, collèges ou universités à parler de « rationalisation des dépenses », de « rentabilité scolaire », ou encore de « ciblage financier ». Cette démarche productiviste impose de plus en plus un certain modèle à l’Ecole (Jolibert, 2009, p. 21). Ainsi, l’adéquation entre l’état de l’offre (éducative) et de la demande (de la part de la production économique) devient une préoccupation essentielle.

Le système trouve un optimum lorsque « la fabrication du produit scolaire répond à la demande » (p. 22).

9 Expression que Bernard Jolibert (2009) emprunte à Neil Postman (1981) dans Enseigner c’est résister.

10 Jolibert utilise les termes d’éducation, Ecole, ou champs éducatif sans réellement les distinguer.

Jolibert se demande s’il est fondamentalement légitime de transférer une logique mercantile à une logique d’apprentissage. L’idée de rentabilité peut difficilement être délimitée dans le champ éducatif et les savoirs comparés à des produits marchands. Or, les calculs en termes de coûts-bénéfices comportent cette exigence. Sur quelle base, pourrions-nous juger de la légitimité ou de l’illégitimité de la logique mercantiliste ? Selon l’auteur, ce modèle perd de sa légitimité au nom d’une certaine « culture véritable » à transmettre aux nouvelles générations (p. 26). La culture concerne « l’effort de formation intellectuelle, esthétique, physique, et morale par lequel chacun doit mettre en valeur ces choses de l’esprit qui font de lui un homme (...) » (p. 26). Jolibert met ici en évidence l’illégitimité de la logique mercantile en raison de la « culture véritable », mais d’où puise cette dernière sa légitimité ? Pourquoi la transmission de la « culture véritable » serait plus légitime que la transmission de savoirs calqués sur la demande de main-d’œuvre ? D’où pourrait puiser sa légitimité la « culture véritable » ? Et comment déterminer la « culture véritable » ? Jolibert ne répond pas à ces questions, cependant, l’analyse du droit naturel classique de Strauss nous fera avancer ce débat.

Le deuxième courant qui traverse l’Ecole à tous les niveaux concerne l’« épanouissement de la personne » (p. 26). La finalité éducative serait de conduire au bonheur de l’élève par l’échange et l’ouverture à autrui. L’Ecole « doit donc devenir le cadre du libre épanouissement où le bonheur apparaît à la fois comme la fin individualiste de l’éducation et son outil pédagogique » (p. 26). Ce courant est visible à travers différents phénomènes. La dévaluation constante de l’instruction au bénéfice de la « chaleur spontanée » en est un exemple prégnant selon Jolibert. Les savoirs abstraits sont dévalués et l’« autorité de l’exemple » remplacée par la « communion égalitaire et spontanée ».

Dans cette Ecole, désormais lieu de vie chaleureux et rassurant, le relationnel l’emporte sur le cognitif. Dans cette situation, le « bon maître » ne se doit pas d’être au service des savoirs ni du transfert d’un modèle morale de la société, mais l’amour des enfants dans un climat chaleureux et de bonheur devient sa mission première. Le dévouement du maître prime sur ses compétences théoriques ou techniques. Acceptant la participation spontanée, le « bon maître » sait éviter les conflits sans faire appel à son autorité. D’après Jolibert, ces éléments se sont propagés comme des évidences dans l’idéologie scolaire et sont perceptibles à travers certains choix pédagogiques. Par exemple, la préoccupation du rythme de chacun s’oppose à l’idée de programme scolaire, la formation se limite à informer, les examens sont dévalorisés au bénéfice « d’échange égalitaire

communicationnel » ou le cours et l’exercice sont également dévalorisés au profit de modules immédiatement assimilables. La culture est ici comprise comme « simple acquisition de traits de civilisation et se transmet idéalement par lien fusionnel immédiat » (p. 28). Pour Jolibert, ce modèle affectif répond à une crise particulière de la famille en ce début de XXIe siècle. L’enfant nécessite un premier milieu d’échange réglé où trouver chaleur et bienveillance, pour une structuration de sa personnalité et pour son épanouissement personnel (p. 30). Ce milieu premier est traditionnellement la famille, mais celle-ci étant en décomposition, l’enfant ne dispose plus de ce premier milieu d’amour, de tendresse et de stabilité affective. C’est pourquoi l’Ecole est sollicitée pour combler les carences du milieu immédiat de l’enfant (p. 31). Dans cette même tendance, Dubreucq (2006), par exemple, propose que la dimension de l’amour soit relayée par le modèle maternel de l’instituteur. L’instituteur se doit « d’apprendre à sentir comme une mère » (p. 96). Pour y parvenir, il doit consulter en lui-même un cœur maternel et reproduire la mère aux yeux des enfants. L’amour est considéré comme la base absolue du développement de l’enfant (p. 97).

Jolibert (2009) se demande si l’institution scolaire a les moyens d’assurer le rôle affectif des anciennes structures en faillite. Les élèves n’ont-ils pas davantage besoin de rigueur et de constance plutôt que d’une illusoire sympathie (p. 31) ? Le caractère sélectif de l’amour et de la tendresse nous questionne sur ce rôle attribué à l’enseignant. L’amour des uns risque d’être perçu comme désamour par d’autres (p. 32). En établissant l’amour comme priorité, « l’école du bonheur » passe à côté d’un fondement de l’autorité scolaire :

« l’ascendant du maître est nécessaire à l’efficacité de la relation éducative, de même le respect envers l’élève » (p. 32). L’auteur souligne à juste titre qu’

« on n’apprend rien de ce que l’on ne respecte ni n’admire d’une manière ou d’une autre ; on n’enseigne rien à ceux dont on n’attend plus rien sinon quelques bons sentiments. Doivent se conserver dans toute relation éducative une distance salutaire et un respect mutuel. » (p. 32)

Précisons que l’auteur soutient une conception de la liberté opposée à celle de Hetier et Soëtard (2005). Tandis que chez le premier la liberté signifie se maîtriser, agir par la raison et faire son devoir, chez les seconds il s’agissait d’un état permettant à l’individu de s’attribuer une fin. C’est pourquoi dans le raisonnement de Jolibert, la liberté ne pourrait s’opposer à l’autorité. Pour être capable de liberté, l’enfant doit être habitué à

reconnaître l’autorité de la raison et du devoir – dont l’autorité du maître en est un aspect – pour ensuite être en mesure « de la retrouver dans sa conscience et s’y référer » (Durkheim, 1922, cité par Jolibert, 2009, p. 68). Finalement, comme le souligne Jolibert :

« on ne construit peut-être pas sa personnalité dans l’assistance affective institutionnalisée, mais dans la victoire sur soi que permet seule l’épreuve surmontée » (p. 33).

La fonction d’intégration et d’égalité assignée à l’Ecole est le troisième courant que soulève Jolibert. L’Ecole est ainsi conviée à résoudre en priorité les problèmes politiques de désintégration citoyenne et d’inégalité sociale. Dans cette fonction socio-politique, on demande à l’Ecole de régler la question de la « fracture sociale », d’amener plus de cohésion sociale à travers un sentiment communautaire. Jolibert souligne que l’unité sociopolitique est aujourd’hui à la limite de l’éclatement et l’Ecole représente le ciment nécessaire à cette unité menacée (p. 34). Elle doit être citoyenne, une Ecole de la réussite et aussi celle du respect de la différence. Cependant cette triple ambition apparaît comme conflictuelle. D’un côté, on demande à ce que l’Ecole – à travers une pédagogie différenciée ou de respect des rythmes individuels – occasionne une égalité de compétences et de savoirs. De l’autre, la concurrence du monde du travail légitime une sélection et ainsi un élitisme. On ne peut à la fois chercher une égalité des savoirs, des savoir-faire et une référence morale commune, qui renforcerait la cohésion sociale, tout en différenciant à travers une concurrence individuelle. La concurrence accentue les clivages, alors que « l’égalité par homogénéisation des produits » sortant de l’Ecole comporte plusieurs risques. La dévaluation des savoirs abstraits au profit des représentations professionnalisantes plus concrètes ou, encore, la réduction des apprentissages afin de permettre à tous de réussir représentent notamment des menaces. L’auteur souligne qu’il est illusoire d’attendre de l’Ecole qu’elle règle des problèmes qui la dépassent ainsi que

La fonction d’intégration et d’égalité assignée à l’Ecole est le troisième courant que soulève Jolibert. L’Ecole est ainsi conviée à résoudre en priorité les problèmes politiques de désintégration citoyenne et d’inégalité sociale. Dans cette fonction socio-politique, on demande à l’Ecole de régler la question de la « fracture sociale », d’amener plus de cohésion sociale à travers un sentiment communautaire. Jolibert souligne que l’unité sociopolitique est aujourd’hui à la limite de l’éclatement et l’Ecole représente le ciment nécessaire à cette unité menacée (p. 34). Elle doit être citoyenne, une Ecole de la réussite et aussi celle du respect de la différence. Cependant cette triple ambition apparaît comme conflictuelle. D’un côté, on demande à ce que l’Ecole – à travers une pédagogie différenciée ou de respect des rythmes individuels – occasionne une égalité de compétences et de savoirs. De l’autre, la concurrence du monde du travail légitime une sélection et ainsi un élitisme. On ne peut à la fois chercher une égalité des savoirs, des savoir-faire et une référence morale commune, qui renforcerait la cohésion sociale, tout en différenciant à travers une concurrence individuelle. La concurrence accentue les clivages, alors que « l’égalité par homogénéisation des produits » sortant de l’Ecole comporte plusieurs risques. La dévaluation des savoirs abstraits au profit des représentations professionnalisantes plus concrètes ou, encore, la réduction des apprentissages afin de permettre à tous de réussir représentent notamment des menaces. L’auteur souligne qu’il est illusoire d’attendre de l’Ecole qu’elle règle des problèmes qui la dépassent ainsi que