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En guise de conclusion, nous soulevons trois points essentiels et deux limites à notre analyse.

- Rejeter la réflexion en termes de finalités n’est pas soutenable. Nous nous sommes efforcés de mettre en évidence que tout acte éducatif implique des finalités ; on

« éduque toujours pour quelque chose ». Ce rejet fragilise l’éducation, elle est désorientée et d’autant plus vulnérable aux finalisations par des intérêts partiaux. Strauss (1968/1990) mettait déjà en garde l’ensemble des sciences, mais, contre les dérives de la masse cette fois :

« Dans la mesure où la science est par conséquent incapable de justifier les fins dont elle recherche les moyens, elle est en pratique contrainte de satisfaire les fins poursuivies par ses clients, par la société à laquelle appartient le spécialiste des sciences sociales individuel et par conséquent en de nombreux cas par les masses » (p. 42)

Il en est de même pour les sciences de l’éducation. Les finalités étant inéluctables, l’éducation ne peut se soustraire aux finalités. Alors il convient de choisir consciemment et sérieusement les finalités, les meilleures possibles. Sinon, l’orientation que prend la société dépend principalement de cette entité indéterminée qu’est la masse. Seulement, si nous affirmons que quelque chose de meilleur qu’une autre chose existe, nous nous plaçons dans une posture selon laquelle « le meilleur » existe, c’est-à-dire dans une position qui accepte les « absolus ». Dès lors, comment envisager la possibilité d’absolus tout en se préservant des idéologies. C’est dans cette optique que le retour au droit naturel classique préconisé par Strauss nous a été utile.

- L’idée de droit naturel classique nous a tout d’abord permis de confirmer l’importance de la réflexion en terme de finalités dans le domaine éducatif. Mais également de tenter d’investir le domaine des absolus sans forcément tomber dans du dogmatisme aveugle. Nous avons vu que ce sont les fins naturelles d’un être qui donnent à voir sa nature ; d’où l’importance de la réflexion sur les fins. Strauss a relevé qu’une hiérarchie des fins universellement valable est possible, sans qu’une hiérarchie des conduites universellement valables ne soit possible. Cette particularité précisément protège des risques du dogmatisme. Aucune conduite déduite des fins naturelles ne peut être applicable universellement. Pour ce qui est de l’éducation, la réflexion sur les fins est

d’autant plus importantes, puisque ce domaine particulier implique directement la conception consciente ou non, réfléchie ou non, que nous avons de la nature humaine. Ce travail souligne la nécessité d’une conception consciente et réfléchie de la nature humaine, afin de guider à mieux la société et également l’éducation. Le droit naturel classique renoue la réflexion sur l’humain à sa fin. La fin de l’être humain et ainsi celle de la société et celle de l’éducation est, pour les classiques straussiennes, une vie bonne et d’excellence.

Nous avons ainsi posé l’excellence comme un horizon vers lequel l’humain, la société et l’éducation devraient tendre. Si l’éducation n’assume pas consciemment cette fin, alors des fins « contre-nature » s’imposent et la guide sans qu’elle ne puisse avoir aucune prise sur celles-ci.

- Malgré cette importance, il est stipulé de tous côtés que le droit naturel ne peut exister en raison des conceptions différentes de la justice ou encore du Bien. En raison de ce type de critiques et préjugés modernes, il nous a fallu faire un détour par la pensée moderne, l’historicisme et les principes de la neutralité axiologique de Weber. L’objectif de ce chapitre était de « neutraliser » nos préjugés issus de la modernité afin de pénétrer de manière « authentique » l’idée de droit naturel classique.

- Bien que notre analyse soit parvenue à mettre en évidence l’importance de la réflexion en termes de finalités en éducation, pour ce qui était de montrer la capacité du droit naturel classique à servir d’orientation à l’éducation, deux difficultés quant aux buts de notre analyse demeurent. D’abord, les différences essentielles entre la société moderne et la société des classiques nous empêchent d’appréhender pleinement le droit naturel classique en tant que guide. Strauss (1946/2004) prévient pertinemment que l’enseignement des classiques « ne peut pas être immédiatement applicable à la société moderne, il faut donc faire en sorte qu’il lui soit applicable, en d’autres termes, on doit le moderniser ou le défigurer » (p. 19). Dans ce sens, l’enseignement des classiques ne peut directement être envisagé comme la solution aux problèmes contemporains. Il nous semble que Strauss n’a peut-être pas suffisamment « défigurée » l’idée d’une inégalité naturelle entre les individus. L’inégalité naturelle a débouché sur un élitisme éducatif qu’il nous a été difficile de dépasser. Cette remarque concerne la critique essentielle à la pensée de Strauss que nous avons tenté de mettre en évidence. Strauss prend comme base les fondements de Platon sans les remettre en question ; ce qui fragilise sa pensée.

- Aussi, nous avons vu que le rejet du droit naturel classique signifiait également l’impossibilité de la philosophie dans son sens traditionnelle. La philosophie classique en tant que recherche des principes premiers présupposait la possibilité d’atteindre ces principes premiers ou vérités éternelles. Par conséquent, pour que le droit naturel classique puisse réellement émerger et servir à orienter l’éducation, il convient avant tout de renouer avec la philosophie traditionnelle. La possibilité des universaux classiques est un prérequis à ce que le droit naturel puisse servir à orienter l’éducation. Mais comment, dans un contexte où les universaux sont rejetés, envisager un retour à la philosophie traditionnelle qui rende possible l’acceptation du droit naturel classique ?

Terminons par soulever que l’excellence ne peut se transmettre dogmatiquement, mais seulement dans le respect de la liberté. L’un des principes fondateurs de l’éducation est : « l’affirmation de la liberté du sujet », sinon toute action éducative se trouve réduite à néant (Plaisance E. et Vergnaud G., cité par Mbombo, p. 38). Dans ce sens, le défi de l’éducation à l’excellence, est de réussir à respecter la liberté de l’individu tout en l’orientant quand même vers l’excellence. Chaque génération doit faire l’effort de découvrir à nouveau les problèmes de la philosophie première, c’est-à-dire les questions fondamentales, pour qu’un jour chacun parvienne -comme Lessing l’a si joliment formulé dans notre citation de départ- « à découvrir dans l’essence même du bien les véritables récompenses qui sont inhérentes à sa nature ». Ce jour, l’aristocratie se sera étendue pour devenir universelle.