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L’éducation est formation et développement. Considérer ainsi l’éducation implique une position normative. Etant donné que la notion de « formation » s’oppose à celle de

« régression », et celle de « développement » à « déformation » ; l’éducation a un sens (Reboul, 1990, p. 746). Il est possible d’éduquer « à mieux » ou de former « à mieux », toutes les éducations ne se valent pas. Alors, quelle orientation l’éducation doit-elle adopter afin d’éduquer « à mieux » ? Cette question concerne principalement la problématique des finalités. Il convient avant tout de choisir de bonnes finalités afin de former et pour éviter de déformer. Le retour au droit naturel classique préconisé par Leo Strauss (1899-1973) permet de reconsidérer la question des finalités dans une perspective normative, en d’autres termes, d’envisager la possibilité d’une amélioration de l’éducation.

Léo Strauss, d’origine allemande, a poursuivi des études en mathématique, physique, science naturelle et philosophie. Il a soutenu sa thèse doctorale sur l’épistémologie de Jacobi. En 1932, il quitte l’Allemagne pour la France, l’Angleterre, puis, en 1938, il s’installe définitivement aux Etats-Unis. Son œuvre comporte une quinzaine de livres et quelques quatre-vingt articles. Elle atteint une maturité en 1952 avec son livre La persécution et l’art d’écrire. Strauss découvre l’art d’écrire ésotérique, c’est-à-dire une écriture entre les lignes, qu’il applique désormais à ses propres œuvres. Ce qui rend d’autant plus difficile la pénétration de ses idées. Notre analyse se base essentiellement sur le livre Droit naturel et histoire de 1954 et sur la retranscription de deux conférences données à la fin des années 1960 par Strauss2. Ces textes se situent précisément à la suite de cette maturation. Dans son livre, Strauss préconise un retour au droit naturel classique. Et les deux textes concernent ses réflexions sur l’éducation.

L’idée de droit naturel dans l’optique de Strauss, c’est-à-dire dans son acceptation classique, nous engagera ainsi dans une réflexion sur les finalités en éducation. Nous discuterons différents éléments tout au long de nos chapitres. D’abord l’importance de la réflexion sur les finalités éducatives sera mise en évidence. Ensuite, le droit naturel, en supposant une fin naturel des êtres semble offrir la possibilité de juger des finalités assignées à l’éducation. Dans ce sens, il peut orienter l’éducation. En proposant un horizon

2 Les textes en question se trouvent, dans leur version française, dans le livre : Strauss (1990). Le libéralisme antique et moderne. Paris : Presses Universitaires de France. Le premier est intitulé Qu’est-ce que l’éducation libérale ?(10 pages) et le second Education libérale et responsabilité (24 pages).

vers lequel l’humain devrait tendre, le droit naturel autorise d’envisager la possibilité de l’amélioration des êtres humains et aussi de l’éducation. Et finalement, l’éducation, dans cette démarche, peut garder une autonomie par rapport aux finalités qui lui sont imposées.

Pour aborder l’idée, voici la définition de base que nous adoptons du droit naturel. Nous définissons le droit naturel comme l’effort de la raison pour approcher « le fondement objectif de la distinction entre le bien et le mal, le juste et l’injuste, le droit et le tordu » (Sériaux, 1993, p. 7). Dans ce sens, le droit naturel peut déboucher sur la possibilité, par le moyen de la raison, de juger des finalités et de déterminer celles qui sont meilleures, plus justes et plus « correctes ». L’idée de droit naturel classique suppose une nature humaine, de laquelle découle une manière de vivre conforme à celle-ci ; dans cette optique, des vies sont considérées « plus bonnes » que d’autres. Il est possible d’approcher de ce qui convient réellement à l’humain. Ainsi, les finalités en éducation peuvent être hiérarchisées.

Notre travail tente une ouverture sur une réflexion pour des finalités autonomes en éducation et la possibilité de leur hiérarchisation, à travers le droit naturel classique straussien.

Or, nous sommes d’emblée confrontés à deux difficultés : la réflexion en termes de finalités est généralement rejetée et l’idée de droit naturel abandonnée. En effet, la manière dont sont pensées les finalités ou les fins en éducation semble aujourd’hui dans une impasse. Un grand nombre d’auteurs soutiennent leur abandon. Ils déclarent l’impossibilité d’une réflexion en termes de finalités en raison de la « mort » des « grands référents » ou des idéologies. C’est pourquoi, après quelques éléments concernant la réflexion sur les finalités en philosophie de l’éducation, nous mettrons en évidence les problèmes qu’engendre le rejet de la réflexion sur les finalités. Pour ce qui est de l’abandon du droit naturel, les crises successives de la modernité relevée par Strauss (1954/1986) déterminent grandement cet état de fait. Nous suivrons Strauss dans son analyse des fondements de la modernité et des conséquences contemporaines de celle-ci dans le but, avant tout, de mieux pénétrer l’idée classique. Précisons encore deux éléments avant d’énoncer notre plan :

Premièrement, dans notre approche d’une partie de l’œuvre de Strauss, notre dessein ne se veut pas être une critique des interprétations des différents auteurs abordés par Strauss. En revanche, nous partons de la manière dont il a compris les époques et les auteurs qu’il aborde, afin de réfléchir sur les finalités assignées à l’éducation.

Deuxièmement, la position de notre travail semble à contre-courant ; dans la période historique actuelle, penser la possibilité d’absolus est vivement critiqué et assimilé à du dogmatisme. Notre travail postule que des absolus existent et que l’humain peut les approcher sans jamais les atteindre totalement. Ainsi, il y a des manières de vivre qui sont meilleures que d’autres, des finalités plus élevées que d’autres ou des humains meilleurs que d’autres. Il ne s’agit pas uniquement d’une question de point de vue. L’idée de droit naturel classique nous donne la possibilité de porter un jugement afin de réfléchir sur des finalités meilleures. De plus, le droit naturel est plutôt exclusivement discuté à l’intérieur du champ juridique et n’a pas, nous semble-t-il, été mis en lien directement avec l’éducation. Là, réside l’originalité de notre travail, mais il s’agit également d’un obstacle dans le sens où cette démarche inaccoutumée risque d’accentuer la réticence de nos lecteurs.

Avant tout, nous débutons notre analyse par situer la question des finalités dans le champ de la philosophie de l’éducation. La problématique des finalités, telle que nous l’envisageons, est liée à l’aspect dit « normatif » de la philosophie de l’éducation. Puis, nous consacrons notre troisième chapitre à analyser la manière dont les finalités éducatives sont abordées par quelques auteurs contemporains. Leur démarche semble refléter les difficultés rencontrées par toute réflexion actuelle en termes de finalités éducatives. Notre quatrième chapitre est consacré au droit naturel. Il s’agit de cadrer ce concept pour approcher la notion de nature et de droit. Dans la cinquième partie, intitulée Le droit naturel straussien, nous exposons la particularité de la conception straussienne du droit naturel, puis nous nous attarderons sur les transformations que l’idée de droit naturel a subies durant la modernité afin de saisir les implications de l’idée de droit naturel classique. Dans la suite de ce chapitre, nous mettrons en lien l’éducation et le droit naturel classique dans le dessein de révéler son importance pour la question des finalités en éducation. Comme le droit naturel classique implique, dans la perspective straussienne, une inégalité naturelle entre les individus débouchant sur un élitisme éducatif, nous terminerons l’analyse par interroger les réflexions straussiennes sur l’éducation afin de questionner cet élitisme.