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Article pp.133-140 du Vol.2 n°1 (2004)

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Réponses et commentaires à la critique de Daniel Georges Apollon à propos de l’ouvrage de Jacques Perriault L’accès au savoir en ligne

Merci à la rédaction de Distances et savoirs de m’avoir invité à réagir à la recension par Daniel Apollon dans son n° 3 de 2003 de mon livre L’accès au savoir en ligne. Je reconnais en cet auteur quelqu’un qui ne s’en laisse pas compter par les mirages technologiques et qui a étudié sans complaisance les pratiques d’ordinateur par des étudiants, notamment dans le cadre du programme Humanities. Tout en étant fort louangeuse, son analyse n’en pose pas moins de vrais problèmes qui appellent réponse de ma part. Quatre questions principales ressortent de cette recension : 1) l’historique de la technologie de l’éducation telle que je l’expose est-il propre à la France et différent ailleurs ? 2) la notion d’accès au savoir en ligne, posée ici comme générique des formes actuelles, diversifiées et évolutives, d’acquisition et de constructions de connaissances, est-elle pertinente ? 3) l’appareil analytique que nous a laissé Pierre Bourdieu en ce qui concerne la construction des pratiques et la transmission n’aurait-il pas pu servir davantage ? 4) l’analyse des politiques publiques n’aurait-elle pas bénéficié d’une meilleure exploitation des travaux d’Ulrich Beck et d’Anthony Giddens sur le risque et l’incertitude ? Mais que le lecteur me permette au préalable de revenir sur le qualificatif d’anthroponaute que Daniel Apollon m’attribue.

Profil d’un anthroponaute

On doit sans doute ce terme à la vaste culture linguistique de Daniel Apollon. Je le comprends comme désignant quelqu’un dont le métier est de naviguer parmi les Hommes. La forme /x-naute/ suggère un rapprochement avec « internaute » tout en manifestant la différence : « inter » focalise sur la technologie, « anthropo » sur l’Homme. L’anthroponautique – si j’ose m’exprimer ainsi – étudierait donc par observation participante sur le terrain, le fonctionnement des groupes humains reliés par des câbles, leur imaginaire, leurs rites et leurs pratiques symboliques. J’accepte le qualificatif car il correspond à ma posture intellectuelle qui privilégie l’Homme par rapport à la machine, même si de subtiles alliances stratégiques peuvent se nouer entre l’un et l’autre (Bruno Latour). Je reconnais de plus en plus une parenté entre mes travaux et ceux qualifiés d’ethno-cognitivistes, qui explorent la façon dont les

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cultures formatent les structures de pensée et vice-versa1. La longue collaboration avec le laboratoire de psychologie de Neuchâtel et de l’équipe d’Anne Nelly Perret- Clermont m’a conduit à donner plus de corps à la partie cognitive du terme ethno- cognitif2. Pour comprendre l’émergence d’un usage dans un groupe ou dans une société et la logique qui la sous-tend, il faut d’une part, en appréhender le terrain dans sa globalité et, d’autre part, examiner à la loupe les rapports sociocognitifs qui s’y produisent entre les utilisateurs et les machines. Les deux approches, ethno (globale) et psycho (locale) sont liées, ne serait-ce que par la fonction de légitimation intervenant dans la représentation (Godelier3) et dans la « norme sociale d’usage » (Bourdieu) au sein de la société d’appartenance. Voilà pour la composante ethno. En ce qui concerne la composante cognitive, elle aide à mieux comprendre la façon de se servir d’un instrument, le projet dans lequel il s’inscrit, l’évaluation qui en est faite et ce qu’il en advient par la suite. Les outils informatiques sollicitent de nombreuses fonctions cognitives, d’où la place que je leur ai accordée dans mon livre.

Un historique hexagonal ?

Plusieurs fois dans son texte, Daniel Apollon, me reproche d’être trop hexagonal.

Cela me surprend car je pratique peu cette géométrie politique. Par exemple, je n’ai pas omis à propos des politiques publiques dans mon ouvrage d’examiner notamment celles des Etats-Unis, de l’Italie et de l’Union européenne. L’auteur emploie aussi cet argument à l’égard de mon approche historique.

Ma posture intellectuelle, proche de l’anthropologie culturelle, m’a conduit à retrouver dans les projections lumineuses et leurs usages au 17e siècle une genèse

« européenne » de ce qu’on appellerait aujourd’hui technologie de l’éducation.

« Européenne » renvoie ici à l’Europe des savants du 17e siècle. Le jésuite Athanase Kircher, qui codifie la lanterne magique en 1671, est allemand (de Fulda). Il s’inspire des travaux de Ibn Al Haytam, de Descartes, de Huyghens, correspond avec le Père Mersenne, et construit pour la Compagnie de Jésus un projet,

1. Rodd Myers, Creating Understanding : ethnocognitivism, problem-solving and community development, November 1997, http/www.idsnet.or/Papers/Community/PROBSOLV.HTM, consulté le 30/05/03 ; aussi Barbara Rogoff, Apprenticeship in Thinking, Cognitive Development in Social Context, New York, Oxford University Press, 1990 ; aussi Anne-Nelly Perret-Clermont, « Thinking Spaces of the Young », in A.N. Perret-Clermont, C. Pontecorvo, L.B. Resnick, T. Zitoun, B. Burge (Editors), Joining Society, Social Interaction and Leraning in Adolescence and Youth, New York, Cambridge University Press, 2004.

2. Jacques Perriault, « Young People’s Use of Information and Communication Abilities. The Role of Sociocultural Abilities », in A.N. Perret-Clermont, C. Pontecorvo, L.B. Resnick, T.

Zitoun, B. Burge (Editors), Joining Society, Social Interaction and Leraning in Adolescence and Youth, New York, ibidem.

3. Maurice Godelier, L’idéel et le matériel, Paris, Fayard, 1984.

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international dans sa genèse, de propagation de la Foi avec cet appareil qui montrera des apparitions dans les lieux de culte. (Le dispositif sera employé jusqu’en Inde).

Au 18e siècle, apparaissent des usages populaires de cet appareil en Hollande, en Allemagne, en Angleterre et en France. Ces usages prendront clairement un tour pédagogique au 19e siècle.

Je n’ai raconté dans Mémoires de l’Ombre et du Son4 que l’évolution en France de cette technique et de ses usages. D’autres suites, notamment anglaise et allemande, ont été décrites ailleurs. Elles procèdent toutes d’une croyance partagée dès le 18e siècle par certains esprits innovateurs en la faculté dont serait dotée la lanterne à projections lumineuses, à côté de l’imprimerie, de transmettre du savoir.

Dans les pays de Réforme, d’autres protocoles apparaissent, influencés par le tour démocratique qu’a pris la religion. Les histoires culturelles de ces médias pour l’instruction restent à construire, puis à rassembler, vaste projet éditorial qui devrait intéresser les organisations internationales. Ce n’est point là la tâche d’un seul chercheur ou d’une seule équipe. (Au passage, je serais content de connaître la genèse du e-learning en Norvège comme le suggère Daniel Apollon).

Mais, à supposer que ce rassemblement soit fait, qu’un tronc commun ait été détecté, ce n’est pas pour autant qu’une histoire totale des médias éducatifs aura été construite. Les identités culturelles des grandes régions du monde se précisent de plus en plus dans le processus de mondialisation en cours. Dans cette évolution, l’Occident risque de ne devenir qu’un espace culturel parmi d’autres. Rappelons- nous la phrase de Zao Thingyang, professeur à l’académie des sciences humaines de Pékin : « Je pense qu’un Universalisme pourrait devenir un Fondamentalisme, peut- être un Fondamentalisme de bonne volonté, si les peuples de l’Occident ne tenaient pas compte des grammaires philosophiques alternatives dans les autres cultures.5 » Lors d’une réunion, à laquelle je participais, organisée à la Commission européenne à Bruxelles en 2002 sous la présidence de Romano Prodi avec le mouvement Transcultura, la délégation chinoise présenta à l’assemblée un film sur l’apprentissage de masse de l’anglais. On y voyait un professeur faire répéter des phrases anglaises, gestes à l’appui, à cinquante personnes, puis à plusieurs centaines, puis, pour finir à tout un stade où se trouvaient au bas mot deux ou trois mille apprenants ! Cet enseignement de masse là n’a rien à voir avec nos pratiques et a fait sentir à l’assemblée les profondes différences possibles entre les projets éducatifs et culturels à venir.

4. Jacques Perriault, Mémoires de l’ombre et du son, une archéologie de l’audiovisuel, Préface de Bertrand Gille, Paris, Flammarion, 1981.

5. Zao Thingyang, Understanding and Acceptance, Alain Le Pichon (sous la direction de), Les assises de la connaissance réciproque, Préface d’Umberto Eco, Paris, Editions Le Robert, 2003.

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La notion d’accès au savoir en ligne

L’auteur de la recension regrette que je n’ai pas consacré un développement suffisant à la notion d’accès et aurait souhaité que je démontre pourquoi ce concept possède la faculté d’en organiser d’autres (connaissances, transactions, pratiques symboliques, réciprocités, etc.).

L’accès ne possède pas selon moi a priori une capacité intégrative. Ce sont les utilisations, stabilisées en usages, qui devront en préciser progressivement les formes et les modalités. Le choix de cette notion ne dessert pas mes desseins, bien au contraire, car elle définit un programme de travail. La terminologie pour décrire les procédés actuels recourant à internet pour recueillir des informations et construire du savoir est des plus floues. Des termes tels que e-learning, blended training, apprentissage en ligne, formation à distance ont aujourd’hui les extensions et les compréhensions les plus diverses. L’International Standards Organization a lancé un travail de normalisation du vocabulaire auquel participe l’AFNOR, mais la tâche est loin d’être achevée. De plus, tous ces termes renvoient aux notions de formation et d’apprentissage structuré selon une progression organisée à l’avance.

Or cela ne suffit pas : je pense, comme, par exemple, Gary Shank, que les réseaux numériques favorisent le développement d’auto apprentissages non organisés, sinon par celui qui les décide, l’utilisateur et de savoirs hybrides. Il paraît alors aventureux d’écarter du champ d’analyse tous les autres dispositifs en ligne par lesquels on construit du savoir : bases de données statistiques, bases documentaires, sites personnels, musées virtuels, revues en ligne, pour les instances à caractère culturel, etc. Ainsi, nous travaillons dans notre section du laboratoire CRIS, la section de recherche sur les industries électroniques du savoir (CRIS/Series), sur la coordination dans une même base de données de fonctions documentaires et de fonctions d’apprentissage, pour l’instant dissociées dans beaucoup d’applications.

A côté de ces sources culturelles par destination, il y a toutes les autres, de toutes sortes et de toutes natures, dont font leur fruit ceux qui veulent apprendre. C’est ce phénomène de grande ampleur que je caractérise par le terme d’accès au savoir en ligne. S’il fallait un antécédent historique, je citerais volontiers, à l’échelle de la France, la loi de Louis Philippe sur la liberté de la presse, qui a permis à un public beaucoup plus vaste d’accéder à toutes sortes de connaissances qui lui étaient auparavant interdites. Quant à la critique de ne pas avoir montré comment ce concept organise « connaissance, transactions, pratiques symboliques, réciprocité », je l’accepte tout à fait. J’ai indiqué ces constituants, mais il faudra encore beaucoup de travaux empiriques sectoriels et de synthèses provisoires pour avoir une idée de la consistance et du rôle de ce processus. Deviendra-t-il une fonction essentielle dans la société, dans une perspective durkheimienne, un support de l’intelligence collective (Pierre Lévy), je reconnais ne rien en savoir, d’autant que nul ne me semble capable de lire aujourd’hui dans cette boule de cristal enfumée qu’est la planète.

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J’ai omis de citer Jeremy Rifkin, j’aurais dû. La maîtrise des moyens d’accès décrite dans son livre L’âge de l’accès6 caractérise, au niveau du fantasme, les espoirs que le capitalisme fondait alors sur le e-learning. Mais le projet ne s’est pas réalisé. Est-il pour autant sans objet ? Il est très difficile de fournir des éléments de réponse à cette question. Pour la formation institutionnelle initiale, les chances du mouvement de marchandisation me semblent faibles. J’emprunterai ici à Charles Crook et David Barrowcliff l’argument suivant : pour introduire utilement les TICE en milieu d’enseignement, il faut beaucoup mieux connaître le fonctionnement actuel de celui-ci7. Pour la formation tout au long de la vie, l’évolution actuelle montre qu’on a abandonné les projets pharaoniques au profit de systèmes d’information et de formation à la mesure des organisations. Ce n’est donc pas de côté-là qu’il faut rechercher, me semble-t-il, des ouvertures à la marchandisation.

Par contre les travaux de l’OCDE, d’ISO sur la validation en ligne des compétences méritent d’être suivis de près pour que ne soit pas décidés en dehors du débat public des moyens de contrôle ayant de grandes incidences sur le sort des individus.

Sur l’apport de Pierre Bourdieu

Daniel Apollon situe mon travail par rapport à celui de Pierre Bourdieu et regrette que je n’en ai pas suffisamment exploité les apports. J’aurais pu exposer, par exemple, les nouveaux habitus de domination et de soumission dans le monde de la nouvelle vulgate d’internet.

Ma réponse est que faire cela serait aujourd’hui présomptueux. Un habitus ne se constitue pas en quelques années d’utilisation, d’autant que les croyances, les manières de faire, les pratiques et les protocoles techniques sont ici en constante évolution8. Je suis trop conscient de mes limites par rapport à l’auteur de La distinction pour me poser en Bourdieu des nouvelles technologies, comme le suggère Daniel Apollon. Mais je dois à Pierre Bourdieu les encouragements qu’il m’a prodigués. Je lui avais envoyé La logique de l’usage et il m’avait répondu : « Je vous remercie de m’avoir envoyé votre Logique de l’usage. Je l’ai lu aussitôt avec beaucoup d’intérêt. Vous introduisez à une pensée – si indispensable – de la machine. C’est très important.9 ». Pour bâtir le concept de logique d’usage, j’ai puisé explicitement dans son appareil analytique10. J’ai repris sa « norme sociale

6. Jeremy Rifkin, L’âge de l’accès, Paris, La Découverte, 2000.

7. Charles Crook, David Barrowcliff, « La formation en ligne mieux que l’enseignement classique... Un pari hasardeux », in Virginie Paul, Jacques Perriault (sous la direction de), Critiques de la raison numérique, Hermès n° 39 (sous presse).

8. Le numéro 39 de la revue Hermès (cf. note 8) constitue un recueil important d’études de pratiques du numérique.

9. Pierre Bourdieu, lettre personnelle, 1989.

10. Jacques Perriault, La logique de l’usage, Essai sur les machines à communiquer, Préface de Pierre Schaeffer, Paris, Flammarion, 1989.

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d’usage », qui décrit un mode d’utilisation effectivement stabilisé dans un milieu social et à une époque déterminés ainsi que son « aire du photographiable » qu’il définit dans Un art moyen. La photographie11 généralisable en aire d’usage. J’ai tenté avec le concept de logique d’usage de modéliser la conduite d’un sujet qui se sert d’un instrument en vue d’un objectif déterminé, modélisation qui entrelace l’ethno et le cognitif dont j’ai parlé plus haut. Si je ne parle pas d’habitus dans L’accès au savoir en ligne, le concept est en toile de fond, par la référence aux milieux, à leurs croyances, à leurs représentations et à leurs pratiques. Ici aussi, des études empiriques de pratiques, datées, comme l’a suggéré Bourdieu, sous-tendues par cette problématique nous feront progressivement percevoir les linéaments d’une évolution qu’une impatience bien suspecte nous conduit à généraliser prématurément par des discours à caractère universel.

Quant à la transmission par l’institution scolaire des modes d’accès au savoir numérisé en ligne ou non, elle ne fonctionne – en France – que sporadiquement. Elle opère horizontalement, les maîtres enseignent l’usage de l’ordinateur aux élèves.

Longitudinalement par contre, elle ne se propage que peu encore d’une génération d’enseignants à la suivante. On a commencé à utiliser l’informatique dans les collèges depuis 1971, certes beaucoup moins qu’aujourd’hui, mais il n’y a eu pendant longtemps ni accumulation de savoir-faire ni création d’une culture scolaire de l’ordinateur.

Les politiques publiques

Daniel Apollon me reproche de ne pas avoir procédé au décryptage et à l’interprétation critique des politiques publiques relatives à l’accès au savoir en ligne et, notamment, de ne pas avoir exploité les notions de modernité tardive, de modernité réflexive, de recontextualisation (Giddens).

Depuis la publication de l’ouvrage, j’ai concentré mon attention sur la réflexivité et la procéduralisation12, notions directement accessibles depuis mon champ d’expérience. Relisons Giddens en ce qui concerne la première « Le concept de modernisation réflexive n’implique pas seulement la réflexion, mais aussi une confrontation avec soi-même qu’engendre la dynamique de la modernisation. Cette réflexivité est créée par les conditions de la société contemporaine dans laquelle les flux d’information constamment renouvelés, constitutifs de cette société, remettent en même temps en question la modernité de celle-ci. Cette transition constitue le processus de modernisation réflexive13. » (traduction libre). Comment cette

11. Pierre Bourdieu (direction), Un art moyen. La photographie, Paris, Editions de Minuit, 1969.

12. Jacques Perriault, « Le numérique : une question politique », in Hermès, n° 38, 2004.

13. Anthony Giddens, http://www.lse.ac.uk/Giddens/FAQs.htm#Reflexivity&RM, vérifié le 10/07/04.

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définition s’applique-t-elle ici ? L’utilisation des réseaux numériques renforce l’exigence de formalisation requise par l’informatique. Une plate-forme d’apprentissage en ligne tout comme un moteur de recherche documentaire suppose de modéliser avec finesse les comportements des utilisateurs dans leur grande diversité. Cette exigence omniprésente renforce la confrontation avec soi-même (self confrontation) et suscite la réflexivité qui va de pair avec la modernisation. Un objectif culturel d’une politique publique est alors de favoriser ce mouvement de réflexivité, la dynamique et la redistribution. Depuis quelques années, l’Union européenne et plusieurs états membres ont impulsé de telles politiques.

En ce qui concerne la procéduralisation, je me suis tourné vers Jacques Lenoble, qui la définit comme suit : « l’établissement de partages clairs de compétence entre les Etats de droit et les organisations régionales qui les représentent, d’une part, et les dispositifs de gouvernance, d’autre part14 ». Philosophie du droit et sciences politiques accordent aujourd’hui beaucoup d’attention à « l’hypothèse que le mode optimal de création du lien social, dans nos sociétés pluralistes contemporaines requiert nécessairement une attention soutenue à l’égard des limitations inhérentes aux contextes d’élaboration et d’application des normes15 », écrit-il aussi à propos de la procéduralisation. Cette hypothèse qui concerne la norme en général, vise la crise que traversent les institutions politiques et s’interroge sur la possibilité du lien social dans une société complexe vaut en particulier pour l’instauration de règles du jeu négociées à propos des réseaux numériques. Mon terrain est en l’espèce l’ISO dans le domaine des normes et standards pour les technologies de l’information en ligne applicables à l’éducation, à la formation et à l’apprentissage. L’activité de normalisation consiste principalement à mettre au point et à se mettre d’accord sur des procédures qui régissent les conditions d’échange et d’interopérabilité des

« objets » porteurs de savoir, accessibles en ligne. Ces conditions sont notamment des formats et des métadonnées à respecter. Une question en débat est, par exemple, le point de vue depuis lequel on caractérise la procédure : celui du concepteur ou bien celui des utilisateurs ? Ici entrent en ligne de compte les facteurs culturels et sociétaux évoqués plus haut. Le souci pour une politique publique est de spécifier les conditions d’établissement de telles procédures et notamment les contextes de référence. Une autre question, fondamentale, est de préciser la relation entre les Etats de droit et des institutions à gouvernance faible telles que l’ISO, afin d’éviter que ne se télescopent les réglementations. Un tel risque existe aujourd’hui, par exemple, en matière de validation en ligne des compétences, car il n’y a pas d’homologie forcée entre les travaux des commissions de l’ISO et ceux des parlements nationaux qui légifèrent sur la validation des acquis professionnels.

Je terminerai cette réponse en évoquant l’accès au savoir en ligne dans une société de l’incertitude, où l’on n’est même plus capable d’énumérer les risques que

14. Jacques Lenoble, Théorie de la norme et régulation démocratique, Université de Louvain, http://www.belspo.be/belspo/fedra/proj.asp?l=fr&COD=P4/35, consulté le 10/07/04.

15. Jacques Lenoble, ibidem.

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l’on encourt, qu’ils soient d’origine naturelle ou humaine (Beck, Giddens). Le paradigme d’incertitude appliqué aux trois termes : accès, savoir et « en ligne », constitutifs du titre font surgir de nouveaux espaces de problèmes. Accès : en situation d’urgence, qui penserait aujourd’hui à recourir à des ressources numérisées pour résoudre des problèmes non prévus à l’avance ? Savoir : quels savoirs numérisés sont nécessaires en cas d’épizootie (vache folle), d’inondation, de grippe aviaire ou de prévention du sida ? En ligne : comment accéder à internet ou même au réseau GSM dans un site atteint par un séisme ou tout simplement manquant d’infrastructure ou d’électricité ?

En fin de compte, le titre L’accès au savoir en ligne désigne en creux une coquille capable d’accueillir des techniques et des pratiques qui vont se métisser (Michel Serres) dans les années à venir. Mais, au travers du prisme de l’incertitude, les termes qui le composent suggèrent de nouvelles problématiques.

Jacques Perriault Université Paris 10 jacques.perriault@u-paris10.fr

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