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La pluralité interprétative d'un conte fantastique: comparaison de la réception d'« Alice au pays des merveilles » de Lewis Carroll par des élèves de 6P

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Master

Reference

La pluralité interprétative d'un conte fantastique: comparaison de la réception d'« Alice au pays des merveilles » de Lewis Carroll par des

élèves de 6P

NOVERRAZ, Hélène

Abstract

Cette recherche a eu pour but d'observer comment des élèves d'une classe de 6P comprennent et analysent le texte d'« Alice au pays des merveilles ». Le dispositif de cette recherche a été créé sur le modèle de deux dispositifs « esthétiques » celui de Hébert (2004) et celui de Revaz et Thévenaz-Christen (2003). Ce dispositif repose sur trois éléments : 1. le texte travaillé est « résistant », c'est un texte fantastique avec un style absurde propre au non-sens ; 2. les élèves ont travaillé par pairs ; 3. la séquence a débuté par une entrée « par effraction ». Différents médias ont été introduit lors de la séquence, film, dessin animé, enregistrements sonores, illustrations. Ces médias ont eu une grande influence sur les interprétations des élèves. Il ressortit de cette étude que les élèves de cette classe ont un bon niveau d'analyse mais que leurs résultats sont nettement supérieurs lors de travail en groupe plutôt qu'en individuel. Au niveau des modes de lecture, c'est le niveau de l'engagement esthétique, le rapport entre l'élève et les personnages, où les élèves ont [...]

NOVERRAZ, Hélène. La pluralité interprétative d'un conte fantastique: comparaison de la réception d'« Alice au pays des merveilles » de Lewis Carroll par des élèves de 6P. Master : Univ. Genève, 2009

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:3389

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Faculté de Psychologie et des Sciences de l’éducation Section LME

3 juin 2009

Mémoire de licence

Noverraz Hélène

La pluralité interprétative d’un conte fantastique.

Comparaison de la réception d’« Alice au pays des merveilles » de Lewis Carroll par des élèves de 6P.

Jury :

1) Directeur : M. Ronveaux 2) M. Dolz

3) Mme Léopoldof Martin

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Résumé

Cette recherche a eu pour but d'observer comment des élèves d’une classe de 6P comprennent et analysent le texte d’« Alice au pays des merveilles ». Le dispositif de cette recherche a été créé sur le modèle de deux dispositifs « esthétiques » celui de Hébert (2004) et celui de Revaz et Thévenaz-Christen (2003). Ce dispositif repose sur trois éléments : 1. le texte travaillé est

« résistant », c’est un texte fantastique avec un style absurde propre au non-sens ; 2. les élèves ont travaillé par pairs ; 3. la séquence a débuté par une entrée « par effraction ». Différents médias ont été introduit lors de la séquence, film, dessin animé, enregistrements sonores, illustrations. Ces médias ont eu une grande influence sur les interprétations des élèves. Il ressortit de cette étude que les élèves de cette classe ont un bon niveau d’analyse mais que leurs résultats sont nettement supérieurs lors de travail en groupe plutôt qu’en individuel. Au niveau des modes de lecture, c’est le niveau de l’engagement esthétique, le rapport entre l’élève et les personnages, où les élèves ont donné le plus grand nombre d’arguments et c’est le niveau de l’évaluation critique, comparer l’œuvre avec d’autres œuvres, où les élèves ont eu la moyenne d’arguments la plus basse.

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Mes remerciements vont à M. Ronveaux, mon professeur de mémoire, M. Bussien qui m’a accueillie dans sa classe ainsi qu’à ses élèves qui ont participé à l’expérience contre quelques chocolats, Giovanni De Pasquale pour son aide technique, Eva Noverraz pour sa révision ainsi que toute ma famille et tous mes amis qui m’ont soutenue lors de ce travail.

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Table des matières

1. INTRODUCTION... 6

2. CADRE THEORIQUE... 7

2.1 Synthèse des courants et des ouvrages de référence... 7

2.1.1 Théories sur la réception... 7

2.1.2 « Alice au pays des merveilles »... 14

2.1.3 La littérature fantastique... 22

2.1.4 Didactique de la littérature (pratique)... 30

3. PROBLEMATIQUE ET QUESTIONS DE RECHERCHE... 33

3.1 Problématique de recherche :... 33

3.2 Questions de recherche :... 36

3.3 Sous - questions et hypothèses :... 36

3.3.1 Sous - questions n°1... 36

3.3.2 Hypothèse n°1... 36

3.3.3 Sous – questions n°2... 36

3.3.4 Hypothèse n°2... 36

4. METHODOLOGIE DE RECHERCHE... 37

4.1 Analyse a priori du dispositif et des tâches ... 37

4.1.1 Choix des supports... 37

4.1.2 Le dispositif par effraction... 42

4.1.3 Les tâches effectuées sur le texte... 42

4.2 Les détails du dispositif... 43

4.2.1 Niveau macro : la séquence dans son ensemble... 43

4.2.2 Niveau micro : détails de la séquence... 47

4.2.3 Les enregistrements... 51

4.2.4 Appendice : Quelques « lectures » thématiques du récit dans la tradition des commentaires de Lewis Carroll... 52

5. ANALYSE... 56

5.1 Méthodologie de l’analyse ... 56

5.1.1 Synopsis... 56

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5.1.2 Changements à relever entre la séquence prévue et la séquence qui a eu lieu.. 62

5.1.3 Les items des questionnaires et les critères d’analyse... 63

5.1.4 Critères d’analyse selon les tableaux d’Hébert... 64

6. RESULTATS... 66

6.1 Description synoptique ... 66

6.2 Réponses aux trois items des questionnaires ... 67

6.2.1 Perception d’Alice et des personnages et du monde des merveilles... 67

6.2.2 Analyse du texte par les élèves... 75

6.2.3 Motivation, appréciation... 79

6.3 Résultats concrets ... 81

6.3.1 Commentaires à propos des moyennes générales... 82

6.3.2 Commentaires à propos des moyennes après chaque extrait... 85

6.4 Degré d’élaboration... 86

6.4.1 Commentaires à propos du degré d’élaboration... 87

7. DISCUSSION DES RESULTATS... 88

7.1 Réponses aux sous-questions et aux hypothèses ... 88

7.2 Réponse à la question de recherche... 93

7.3 Limites de la recherche ... 94

7.4 Mise en perspective... 95

8. CONCLUSION... 97

8.1 Apports personnels... 97

BIBLIOGRAPHIE... 99

ANNEXES ... 103

Tableau n°1 Hébert (2004) : Les modes et stratégies de la lecture littéraire (issu de l’article « Les cercles de littéraires entre pairs en première secondaire : étude des relations entre modalités de lecture et de collaboration ». Revue des sciences de l’éducation, Vol. XXX, 3, 605-603»)... 103

Tableau n°2 de Hébert (2004) Barème pour évaluer le degré d’élaboration d’un commentaire d’élève de première secondaire (issu de l’article « Les cercles de littéraires entre pairs en première secondaire : étude des relations entre modalités de lecture et de collaboration ». Revue des sciences de l’éducation, Vol. XXX, 3, 605-603»)... 104

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Extraits n°1, 2 et 3 donnés aux élèves... 105

Questionnaires n°1, 2, 3, questionnaire « écoute » n°2 et classification des questions selon les niveaux de Hébert (2004)... 116

Transcriptions des discussions intra groupe et des présentations... 120

Catalogue des illustrations proposées aux élèves... 154

Dessins des élèves illustrant Alice ... 170

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1. Introduction

L’approche de la littérature à l’école est un sujet qui me tient particulièrement à cœur pour une raison toute personnelle : la lecture est un de mes plus grands plaisirs, un plaisir que je souhaiterais bien sûr faire partager avec mes futurs élèves. Le point de départ du sujet de la présente étude, réside dans mes propres impressions ou plus exactement dans l’empreinte que m’ont laissée mes lectures d’enfance, et surtout la constatation qu’un même écrit pouvait dans mon entourage créer une impression toute différente. Ceci était particulièrement le cas pour l’œuvre choisie comme « support » de mon étude, « Alice au pays des merveilles », qui en raison de ses immenses possibilités s’est imposée très rapidement. Je me suis dit que cette œuvre, si connue tout en étant si absurde au premier abord était un excellent point de départ pour une recherche basée sur la réception et non sur le déchiffrage d’un texte. L’histoire d’Alice, son monde fantastique, ses absurdités, son monde ambigu m’ont toujours plu.

Cependant, après en avoir discuté autour de moi, je me suis rendue compte que ce livre n’avait pas du tout eu le même effet sur d’autres personnes. Cette différence m’a donné envie de travailler sur la compréhension de ce texte par les élèves. De nombreux psychanalystes ont analysé cette œuvre et en ont extrait des symboles et des explications très variés. Toutes ces études s’attachent à explorer l’écrit en tant que tel et cherchent à décoder un sens caché que Lewis Carroll aurait introduit dans son texte. Après une étude de ces œuvres, ma démarche a consisté à m’éloigner de celles-ci et à prendre un chemin opposé. Je me suis demandé comment des élèves de primaire qui bien sûr ne connaissent pas ces études, analyseraient et apprécieraient le texte d’« Alice au pays des merveilles»,

L’intérêt et le niveau de lecture des élèves est actuellement le sujet de nombreux débats, en particulier la motivation que les élèves ont pour la littérature en présence de nombreux autres médias. Mon intérêt, en tant que future enseignante de mener cette recherche peut se résumer en deux points : tout d’abord la mise au point d’un outil professionnel qui me permettra d’étudier les différents niveaux de compréhension de lecture d’élèves de 6P, sachant que l’année suivante, ces mêmes élèves seront amenés à interpréter des textes littéraires souvent complexes. Le deuxième point concerne les possibilités de mise en activité de dispositifs de lecturedans mes futures classes. Les résultats de mon étude me donneront de précieux repères sur la manière d’aborder une œuvre littéraire de la façon la plus enrichissante possible, afin d’éveiller la curiosité des élèves et de les encourager à analyser le texte d’une manière personnelle.

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L’idée à la base du projet était de faire travailler la lecture aux élèves d’une manière interprétative, afin qu’ils s’approprient plus le texte et en ressentent un plaisir ou du moins une émotion et un certain intérêt. La lecture ne s’arrête pas au déchiffrage des mots, chaque texte peut être lu d’une manière inférentielle. C’est cette lecture qui permet au lecteur d’avoir du plaisir, alors pourquoi ne pas travailler ce type de lecture dès le primaire ? «Alice au pays des merveilles », qui relève de la littérature fantastique, s’y prêtait puisque, comme le dit Held (1977), la littérature fantastique permet d’entrainer l’enfant à progresser dans son propre maniement du réel et de l’imaginaire.

Cependant, ainsi que le fait remarquer avec justesse Todorov (1978 cité par Bouvet, 2007), l’interprétation n’est pas un acte automatique, il a donc fallu, une fois le choix du texte effectué, mettre en place un dispositif permettant de faire travailler les élèves sur le texte de telle manière qu’ils analysent l’œuvre de façon personnelle, ainsi qu’un système pour récolter et analyser les réponses des élèves.

2. Cadre théorique

2.1 Synthèse des courants et des ouvrages de référence

Ma recherche comporte trois pôles. Le premier concerne les recherches sur la réception. Le second se divise en deux parties : d’une part, les ouvrages ayant un rapport avec l’œuvre

« Alice au pays des merveilles » et son interprétation, d’autre part les recherches sur les textes littéraires fantastiques. Le troisième pôle porte sur des recherches faites dans le domaine de la didactique de la littérature, avec un point de vue plus pratique ciblé sur les systèmes mis en place dans les classes.

2.1.1 Théories sur la réception

Il existe beaucoup d’ouvrages concernant le thème de la compréhension en lecture. Les auteurs s’intéressent à la réception de texte et à la place qu’occupe le lecteur dans une œuvre littéraire. Les ouvrages traitent des différents degrés qu’un lecteur peut développer au niveau de la compréhension et de l’interprétation. Ils s’intéressent également aux différents liens qu’effectue un lecteur expert lors de lecture d’un texte littéraire, ainsi qu’aux habiletés qu’il met en jeu.

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La réception et l’esthétisme

A la base du terme de réception il y a celui d’esthétisme. Ces deux termes ont beaucoup de liens et c’est pourquoi j’aimerais me pencher en premier lieu sur les fondements de l’esthétisme. Dans ce domaine, deux noms sont à retenir : Kant (1724-1804) et Hegel (1770- 1831). Kant peut être vu comme le premier philosophe à avoir refusé de définir le beau naturel par des concepts. Il est donc le précurseur de l’autonomie artistique. Pour lui, la question n’est pas de savoir comment a été fait l’objet. Toutefois il admet « la critique de la faculté de juger, comme un traité sur l’attitude esthétique adopté par un observateur idéal»

(cité par Zima, 1999). Pour lui on ne peut donc pas utiliser le « beau » à des fins politiques ou économiques. Cette théorie a été réfutée par Hegel qui différencie la beauté naturelle

« imparfaite » de celle de l’art. Hegel contrairement à Kant considère le beau du point de vue du producteur et non du spectateur, l’idée étant que chaque œuvre a un contenu conceptuel, c'est-à-dire que les œuvres d’art sont des images conceptuelles qui expriment des positions politiques ou des idéologies. Ces deux théories ont déclenché de nombreuses controverses et débats au XXème siècle entre les adeptes kantiens et hégéliens avec pour question la possibilité ou l’impossibilité de définir une œuvre d’art au niveau conceptuel.

Si l’on se centre à présent sur la conception non pas de l’art en général mais de la lecture, on peut remarquer que celle-ci a beaucoup changé. Mais la transformation la plus évidente est celle du rôle du lecteur au niveau de la compréhension. En effet, auparavant l’idée d’interprétation avait pour but de transposer un sens précis déterminé par l’auteur alors qu’aujourd’hui on conçoit le lecteur comme créateur de sens, se basant sur le texte ainsi que sur ses propres connaissances. Le précurseur de ce changement est Jauss (1978) qui fut un des premiers à lancer la théorie que tous les textes pouvaient être interprétés (et non une certaine élite de livres connus) et que le lecteur jouait un rôle primordial au niveau de la réception et de l’interprétation.

Ainsi pour Jauss (1978) :

L’œuvre littéraire n’est pas un objet existant en soi et qui représenterait en tout temps à tout observateur la même apparence ; un monument qui révèlerait à l’observateur passif son essence intemporelle. Elle est plutôt bien faite, comme une partition. Pour éveiller à chaque lecture une résonance nouvelle qui arrache le texte à la matérialité des mots et actualise son existence. (…) même dans le cas extrême de l’ouverture maximale, celui des textes fictionnels dont le degré d’indétermination est conçu de manière à engager

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l’imagination du lecteur actif à intervenir, on constate que chaque réception nouvelle se développe à partir d’un sens attendu ou préexistant, dont la réalisation ou la non réalisation fait apparaitre la question qu’il implique et déclenche le processus de réinterprétation (…).

Cette opération est rendue possible par la structure ouverte, indéterminée, qui permet des interprétations toujours nouvelles, et celles-ci sont protégées contre un excès d’arbitraire par les limites et les conditions de l’horizon historique et social où s’inscrit la dialectique de la question et de la réponse. (Jauss, 1978 cité par Poslaniec, 2002, p.67).

Sur ce dernier point, à savoir les limites et les conditions de l’horizon historique et social où s’inscrit la dialectique de la question et de la réponse, on voit un écho aux théories de Hegel.

Pour en revenir à Jauss (1978), le sens que le lecteur va créer, qu’il appelle : « l’horizon du texte », est donc personnel à ce dernier. Jauss (1978) fait aussi la différence entre l’effet produit par l’œuvre et la « réception » de celle-ci. L’effet produit dépend de l’œuvre elle- même, alors que la réception est déterminée par le destinataire de l’œuvre autrement dit le lecteur. Tauveron (1999) rejoint les propos de Jauss (1978). Pour lui, tous les textes littéraires supposent une lecture inférentielle. Cependant, certains auteurs comme Bayard (1998) dissocient les récits littéraires, car ces derniers sont particulièrement intéressants. Les récits littéraires, «plus que les autres textes, demandent la coopération cognitive active du lecteur » parce que :

Le monde que produit le texte narratif est un monde incomplet, même si certaines œuvres proposent des mondes plus complets que d’autres. (…) Autrement dit, le texte n’est pas lisible si le lecteur ne lui donne pas sa forme ultime, par exemple en imaginant, consciemment ou inconsciemment, une multitude de détails qui ne lui sont pas fournis. Pour toutes ces raisons, il n’existe pas de texte littéraire indépendamment de la subjectivité de celui qui le lit. (cité par Tauveron, 1999, 10-11)

On peut ajouter que selon Eco, il y a tout de même une limite aux différentes interprétations qui sont en principes infinies : « à la fin elles devront être testées sur la cohérence textuelle, laquelle désapprouvera les conjectures hasardeuses. » (1992 cité par Poslaniec, 2002, p.72). Il faut donc que l’interprétation soit cohérente et fondée à partir d’éléments du texte pour être acceptée.

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Les deux modèles découlant de Jauss

A partir du modèle de Jauss (1978), différents courants concernant la réception de textes littéraires se sont créés. Il existe surtout deux sortes de modèles, l’interactif et le transactionnel.

Le premier modèle est influencé par les théories constructivistes piagétiennes. Le modèle repose sur l’idée que le sujet (lecteur) a un rôle actif et structurant (Tardif, 1992).

Aujourd’hui, tous les courants voient l’acte de lecture comme une « construction » de sens.

Umberto Eco (1992) nomme d’ailleurs cet acte « coopération interprétative ». Giasson (1990) adopte ce modèle en visualisant la compréhension comme le fruit de l’interaction entre trois ensembles : le lecteur, le texte et le contexte.

Dans le second modèle (transactionnel), les théoriciens se centrent d’avantage sur « l’unicité de chaque lecteur » (Hébert, 2004). Ils changent le terme d’« interaction » utilisé dans le modèle interactif, pour celui de « transaction ». Ce terme sous-entend l’idée que chaque variable en jeu est dépendante des autres. On ne peut donc les étudier individuellement. Pour Louise Rosenblatt (1994 citée par Hébert, 2004), qui fait partie des théoriciens de ce modèle, l’idée de transaction suggère une transformation progressive que le terme « interaction » ne sous-entend pas, le concept étant que la lecture littéraire est « une expérience unique et non un produit dont la qualité peut se mesurer de manière quantitative » (Hébert, 2004). De ce fait la lecture littéraire en classe devrait être évaluée en fonction de l’évolution de l’élève dans les différents actes de lecture tels que s’engager, participer, être attentif à sa subjectivité, et non seulement en fonction de ce que l’élève dit ou produit. Toutefois, même si pour Rosenblatt c’est l’attitude du lecteur qui détermine la valeur esthétique du texte, certains auteurs ont reconnu que certaines spécificités du texte entraineraient une éclosion d’une lecture littéraire dans ses dimensions formelles, intertextuelles, imaginaires et culturelles (Canvat 1999 ; Thérien, 1996 cité par Hébert, 2004).

Revaz et Thévenaz-Christen (2003) rejoignent la plupart des propos de ce second modèle ainsi que les idées de Jauss (1978), en expliquant que « la compréhension n’est pas une, mais plurielle » (p.12). De plus, le texte véhicule un contenu thématique, des significations communiquées à travers des indices visuels à des lecteurs potentiels. Ainsi selon Revaz et Thévenaz-Christen (2003) un texte intègre d’autres formes discursives, donc tout texte entre en résonance avec des éléments d’autres textes connus du lecteur, ce qui rend chaque interprétation unique.

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A ces deux modèles on peut en ajouter un troisième qui découle du second. Les théoriciens de ce troisième modèle considèrent la lecture littéraire comme une activité de production de discours. Tel est le cas de Dufays (1994) ou Leenhardt (1980 cité par Hébert. 2004). L’idée est que le lecteur fasse de continuels allers-retours entre diverses modalités de lecture mais qu’il sache également élaborer et justifier ses interprétations par un raisonnement implacable.

Les différents degrés

Passons à présent aux différents degrés que le lecteur peut développer ou rencontrer lors de sa compréhension et de son interprétation. Dufays (1994) imagine trois degrés que le lecteur peut rencontrer dans un texte littéraire. Ces trois degrés sont définis par rapport aux stéréotypes qui sont à la clé de son ouvrage « Stéréotype et lecture. ». Pour comprendre cette idée, il faut noter que Dufays (1994) a construit toute sa théorie autour du stéréotype dans le domaine de la lecture. Cet auteur démontre que le rôle du stéréotype lors d’une interprétation ou d’une compréhension est éminent. Pour Dufays (1994) le stéréotype en lecture « est une forme de répétition interdiscursive : employer un stéréotype, c’est réitérer une parole déjà dite, c’est se placer sous l’autorité d’un discours préexistant. » (p.53). Attention tout de même à ne pas confondre le stéréotype avec le plagiat ou le pastiche. Le stéréotype est le fruit d’une

« fabrication » sur l’ensemble des textes possibles. La stéréotypie a donc des sources non localisables puisqu’elles se diffusent et prennent racine dans toute la production textuelle que le lecteur connait. La notion de stéréotype pour Dufays (1994) est un phénomène que plusieurs critères définissent : « Le stéréotype est susceptible d’affecter tous les niveaux du discours et tous les domaines de l’expression et de la pensée. Il est caractérisé par sa fréquence d’emploi. Il est perçu comme la répétition d’un « pré-texte » qui n’est pas localisé dans une œuvre précise. Il est doté d’une signification abstraite et schématique. Il est porteur d’une valeur rhétorique qui ne produit pas nécessairement sur le récepteur l’effet visé. » (p.57).

Pour Dufays (1994), les différents degrés du stéréotype peuvent être résumés comme suit.

Dans le premier degré, appelé énonciation ordinaire, le stéréotype est utilisé comme une valeur ordinaire, les stéréotypes sont intégrés au discours sans intention critique. Les stéréotypes de second degré sont appelés énonciations distantes. Ces stéréotypes se présentent sous la forme de citation. Ce stéréotype est un signe issu d’un discours préexistant, avec une référence explicite. Ce genre de stéréotype déclenche plusieurs actions, entre autres des opérations transtextuelles, c’est-à-dire que le stéréotype établit une complicité avec le lecteur,

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et stimule une réflexion critique. Enfin les stéréotypes du troisième degré, appelé énonciation mixte, réunissent les deux premiers degrés en présentant le stéréotype tantôt comme un signe ordinaire ou tantôt comme une citation. Ce stéréotype sert soit à faire signifier un discours, soit à éveiller la conscience critique du lecteur. Toutefois Dufays (1994) souligne qu’il existe des traitements complexes des stéréotypes, « des cas où sa valeur apparait comme double ou indifférenciée » (p 217). Pour conclure, il faut savoir que le lecteur qui rencontre un stéréotype est amené à effectuer deux opérations : premièrement identifier le procédé formel d’énonciation et deuxièmement interpréter la valeur que l’auteur attribue au stéréotype (degré un, deux ou trois).

Pour continuer sur l’idée de degrés, mais cette fois au niveau de l’interprétation, on peut se référer à Tauveron (1999) qui en voit deux ou à Hébert (2004) qui en voit plutôt quatre. Pour Tauveron (1999), une interprétation de type un a pour but de donner une représentation globale et cohérente du texte. Lors de sa lecture le lecteur est amené à faire un choix sur le sens de la phrase qu’il lit. Une interprétation de type un l’amène à choisir celle qui lui parait la plus cohérente. Les interprétations de type deux sont plus subtiles. Tauveron (1999) sous- entend que tout texte « appelle une interprétation de type deux, au sens herméneutique du terme, postérieur à la compréhension mais pouvant le modifier. » (p.21). Hébert (2004) reprend cette idée de deux degrés distincts mais développe le deuxième degré en trois groupes (selon son tableau inspiré des travaux de Langer 1990, Dufays 1996, Lebrun 1996 et Canvat 1999). En effet le premier degré de son tableau est appelé compréhension littérale, ce qui nous ramène au premier degré de Tauveron (1999). Les degrés suivants sont appelés « engagement esthétique, « analyse » et « évaluation critique ». Ces trois pôles rentrent dans l’analyse de second degré développée ci-dessus, en développant toutefois plus précisément les différents degrés de recul que le lecteur peut avoir vis-à-vis du texte.

Pour conclure on peut donc voir que pour Dufays (1994) les différents degrés d’interprétation se situent « dans » le texte et c’est au lecteur d’en définir le degré lors de sa lecture, alors que pour Hébert (2004) et Tauveron (1999) les différents degrés sont donnés par les propos du lecteur et non par le texte en lui-même. Cependant tous les auteurs s’accordent pour dire que l’interprétation est dépendante du lecteur quel que soit son degré. Ainsi que pour Eco (1992) :

« tout acte de lecture est une transaction difficile entre la compétence d’un lecteur (la connaissance du monde partagée par le lecteur) et le type de compétence qu’un texte donné postule pour être lu de manière économique » (cité par Poslaniec, 2002, p.72). Ainsi le lecteur peut être décrit en termes de compétences, car le texte contient des instructions de lecture

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demandant certaines compétences au lecteur pour le décrypter. Un lecteur expert aura les compétences requises afin de comprendre les effets programmés du livre alors qu’un apprenti lecteur ne saisira pas forcement le message donné par le texte ; et cela pour plusieurs raisons : le lecteur peut avoir un manque de connaissances de la langue ou de la culture qui entoure le récit, ou encore un manque d’expérience au niveau des interprétations de texte. Ces propos se rapprochent de ceux de Revaz et Thévenaz-Christen (2003), pour qui une compréhension est

« une construction de signification d’éléments, eux-mêmes composés d’espaces de significations socialement construites. »(p.12). Un lecteur expert est donc une personne qui connait l’environnement et les codes sociaux qui entourent le livre, et qui dispose d’une certaine habitude à interpréter des textes.

On peut donc conclure que la majorité de ces auteurs, bien qu’ayant des points de vue différents sur la compréhension en lecture, défendent l’importance de commencer la compréhension en lecture dès le plus jeune âge. C’est-à-dire dès que le lecteur maitrise le déchiffrage et la compréhension dite de premier niveau qui correspond au microprocessus et au processus d’intégration (reconnaissance des mots, lecture par groupes de mots, microsélection, utilisation des référents, utilisations des connecteurs, inférences fondées sur les schémas). Beaucoup, dont Tauveron (1999) et Jauss (1978), s’accordent à souligner l’importance de l’aspect esthétique et à marquer la différence entre la lecture dite utilitaire et la lecture dont on tire un plaisir. Effectivement, selon Tauveron (1999), l’importance de la connivence culturelle et affective est très forte. C’est le fait d’aimer et d’insérer dans sa mémoire un ouvrage de littérature (je connais ce livre, il fait partie de mon savoir). Cette connivence est également appelée « esthétique de la réception » par Jauss (1978). C’est une jouissance réceptive. C’est le plaisir que l’on éprouve à comprendre un texte, à se l’approprier, à l’interpréter.

Cela signifie que le lecteur ne se contente pas de consommer l’œuvre comme un objet déjà achevé ou de la recevoir comme on reçoit un message. (…) Il (le lecteur) construit, élabore une image du monde du texte, au fur et à mesure de sa lecture, en sélectionnant, hiérarchisant les éléments qui lui paraissent pertinents. (Burgos, 1991. citée par Poslaniec, 2002, p.75) ou, selon Hébert (2004) :

Cette posture qu’un lecteur adopte lorsqu’il s’engage dans la lecture afin de vivre une expérience immédiate et imaginaire à travers une création artistique de langage. Ce type d’approche vise l’enrichissement du vécu et de l’imaginaire du lecteur et encourage fortement

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l’expression des réactions personnelles, qui sont considérées comme des indices d’engagement et de compréhension. (p.606)

2.1.2 « Alice au pays des merveilles »

Le deuxième pôle de ma recherche théorique consiste à étudier des ouvrages sur Lewis Carroll ainsi que sur son livre « Alice au pays des merveilles ». J’aborderai successivement les théories sur l’histoire d’« Alice au pays des merveilles », puis plus brièvement celles sur l’auteur, pour terminer avec un bref aperçu des premières illustrations du livre.

Le mythe du personnage d’Alice

Les discussions autour des interprétations des éléments d’« Alice au pays des merveilles » sont très variées et disparates. En France, les premières critiques du livre « Alice au pays des merveilles » ont décrit ce récit comme un « artifice littéraire susceptible de contenir un récit original » (Inglin-Routtisseau, 2006). Par la suite, des critiques comme Sewell (1952 cité par Inglin-Rourtisseau, 2006) se sont intéressés au non-sense (un genre caractérisé par le jeu avec les mots) du livre au détriment du rêve et de son impact dans le livre. Les auteurs comme Lecercle (1998) ont continué sur cette voie et ont repoussé toute explication psychologique de l’œuvre. Marret (2005) vient en 1995 mettre un terme à la séparation entre non-sens et rêve.

« Pour elle, le texte nonsensique décrit l’incompatibilité entre le sujet et la raison, et l’intuition du sujet de l’inconscient. Le non-sens semble plus proche du rêve freudien et devient production de l’inconscient. » (cité par Inglin-Routisseau, 2006, p.29).

L’arrivée de Freud (1899 cité par Inglin-Routisseau, 2006) et de sa théorie du désir balaye la conception symbolique proposée jusque là. Avant, les caractéristiques du rêve étaient l’incohérence et un état comparable à la folie. Freud (1899 cité par Inglin-Routisseau, 2006) écarte ces explications par une théorie selon laquelle le rêve est l’accomplissement d’un désir refoulé. L’incohérence du rêve en dissimule le sens à la conscience, sans quoi le dormeur se réveillerait. La théorie de Freud amène ainsi un tout autre angle d’explication au texte de Carroll, qui répond à certains critères du rêve décrits par Freud, par exemple celui selon lequel le rêve est l’accomplissement d’un désir. Lorsqu’Alice décide de changer de taille elle finit toujours par trouver de quoi satisfaire ses envies. Un autre aspect du rêve selon Freud est que celui-ci est le reliquat d’un désir primitif forgé dans la petite enfance. Dans le cas d’« Alice au pays des merveilles » ce sont les fantasmes de Lewis Carroll qui en sont l’expression, et ils s’expriment sous forme de haine. Selon Greenacre (1955 cité par Inglin-Routisseau, 2006), Lewis Carroll a éprouvé une haine envers ses sœurs qui l’ont séparée de sa mère. Cette haine

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aurait été refoulée et parfaitement contrôlée par Carroll vis-à-vis de son entourage, mais aurait été évacuée d’une manière indirecte, d’où la création des monstres (la Reine etc.) qui viennent peupler le rêve d’« Alice ». Un dernier aspect du rêve selon Freud (1899) est celui de la malice. Le ton du texte d’« Alice au pays des merveilles » est justement très malicieux et certains personnages comme le Chat le sont également. Pour expliquer les différents jeux de mots et tout ce qui tourne autour du langage du livre d’« Alice », Freud (1899) explique que le rêve est soumis à la censure et que cela opère un travail de condensation. « Ce travail est particulièrement sensible lorsque le processus atteint les mots (...). Ces sortes de rêves aboutissent à la création de mots comiques et étranges» (Inglin-Routisseau, 2006, p.96). A souligner que le travail de condensation du rêve ne porte pas seulement sur le signifiant mais peut également résider dans la difficulté du rêveur à identifier ce qu’il rencontre. Car ce qui rend le texte de Carroll si original, c’est sa capacité de trouver le juste milieu entre la raison magique et la raison logique.

Le récit d’« Alice au pays des merveilles » déborde de dualités, qui renforcent l’incohérence onirique. Par exemple, Alice à de la peine à identifier un poisson-laquai, qu’elle identifie finalement comme un laquai car il est en livrée, mais qui à première vue ressemble plus à un poisson. Un autre exemple de cette incohérence propre au rêve est lorsqu’Alice emmène un bébé et qu’il se transforme en cochon. Tous ces phénomènes illustrent bien le travail de transformation effectué lorsque l’on rêve. Selon Inglin-Routisseau (2006), il faut tout de même faire attention à une chose concernant le livre de Carroll : « Nous pouvons admettre que Carroll donne cours, non à des pensées inconscientes mais à des fantasmes issus de pensées préconscientes » (p.106). Ce qui est propre à Carroll ce n’est pas d’exprimer ses fantasmes dans un livre mais d’utiliser certains aspects du rêve pour en faire part.

La structure d’«Alice au pays des merveilles» répond à celle de l’English dream vision, à savoir un prologue où le rêveur est décrit, puis le récit du rêve où le narrateur et le rêveur ne font qu’un. Dans cette partie le lecteur pressent que les différents éléments ont une fonction symbolique. Pour terminer, l’épilogue qui raconte le réveil du dormeur et réaffirme la nature onirique du récit. Il faut également ajouter que si la structure du texte répond à un certain modèle, la structure narrative est quant à elle très originale car elle ne comporte pratiquement pas de descriptions concernant les personnages ou le monde des merveilles.

Le livre sort en 1865 et remporte immédiatement un énorme succès. Beaucoup d’auteurs se sont interrogés sur les raisons de ce succès, qui s’est maintenu jusqu’à aujourd’hui, et ont

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trouvé diverses raisons à ce phénomène. Pour Lecercle (1998) c’est le personnage d’Alice qui est la source de ce succès. En effet elle est tout à fait différente des enfants victoriens représentés dans la littérature datant de l’époque de l’ouvrage de Carroll. Lecercle (1998) n’hésite d’ailleurs pas à qualifier ces enfants de « tête à claques » tant ces personnages sont une caricature et leurs comportements sont irritables. Ainsi Alice est un véritable « ovni » parmi ces récits de l’époque. Tout d’abord l’héroïne est une fille ce qui n’est pas habituel.

Dissard (2005 cité par Lecercle, 1998) affirme que c’est cela qui a poussé Alice au succès. En effet dans les autres romans de cette époque les héroïnes féminines ont toujours des seconds rôles et sont dépendantes d’autres personnages. De plus elle sort du moule imposé par la littérature chrétienne et édifiante qui domine dans l’Angleterre victorienne. Dans cette littérature, l’enfant est perçu comme un objet de correction. Le livre de la comtesse de Ségur :

« Les malheurs de Sophie » (1859) en est un parfait exemple. Dissard (2005 cité par Lecercle, 1998) ajoute même que cette littérature a tendance à sermonner le lecteur dans un premier temps et glisse progressivement vers une jouissance de décrire les châtiments que subissent les enfants. Or, Alice n’est pas un objet de correction mais une héroïne d’aventure, ce qui n’entraine pas de moralisme ou d’intervention pédagogique directe comme c’est le cas dans la majorité des autres ouvrages. Alice est donc résolument moderne, « délivrée des nécessités de la correction et de la conversion, qui peut être ce qu’est encore pour nous aujourd’hui la petite fille : un espace (mythique) de la liberté. » (Lecercle, 1998, p.11). Mais le succès d’« Alice»

ne s’arrête pas là. En effet, le personnage d’Alice a un autre point important : il n’est pas lisse.

On pourrait imaginer une Alice innocente et joyeuse, mais en vérité son personnage est beaucoup plus complexe. Lercercle (1998) la compare à Mr Hyde et Dr Jekyll : d’un côté la petite fille innocente, sage tout droit sorti des récits chrétiens, et de l’autre on trouve une

« jeune fille coquette et prude, égocentrique et snob, n’hésitant pas à contredire où à remettre à leur place les autres personnages du livre » (p.17). Cette Alice vient saboter le pays des merveilles, l’absurdité étant le symbole de l’innocence des personnages. Alice ne cherche pas à se promener dans le pays des merveilles, elle cherche à affirmer son identité. C’est ce qui fait de ce personnage une enfant résolument moderne. Elle possède deux aspects bien distincts: la liberté et l’affirmation de soi, qui s’accompagnent d’une certaine indifférence et séduction. « En résumé, la tradition critique a présenté quatre versions d’Alice : l’innocente, la pimbêche, l’aliénée et celle d’une héroïne dans le désarroi. Toutes ces versions « sont solidaires : répression implique irresponsabilité, qui implique liberté. » (Lecercle, 1998, p.18).

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Le parcours d’Alice, dès sa décision irrationnelle de suivre le Lapin Blanc, est une suite d’actes irréfléchis, de fuites, d’infractions, ce qui nous ramène à cette absence de morale qui a fait le succès du livre. Lecercle (1998) affirme d’ailleurs que c’est l’amoralisme qui est la force mythique du livre de Carroll et qui permet sa persistance.

Pour illustrer cette liberté propre à Alice, on peut voir que tout au long du récit Alice va transgresser les interdictions faites aux enfants, en partant seule et sans permission pour commencer, puis rencontrer toute sorte de personnages auxquels elle parle librement, s’autorisant des gaffes et des bêtises comme lorsqu’elle parle ouvertement de son chat à une souris, et mange ce qu’elle veut, et explore son entourage sans contrainte.

La liberté de langage va être une base à la construction de son identité. Effectivement la construction d’identité d’Alice se fait par le langage, celui –ci a une grande place dans le livre. Les jeux de mot et les parodies de poèmes sont très présents, ce qui a entre autres entrainé des difficultés pour la traduction de cet ouvrage. La liberté de langage va permettre à Alice d’accéder à un statut singulier, celui d’un individu à part entière, celui aussi d’un enfant qui s’inscrit dans l’ordre du langage, chose jusque là inexistante dans la littérature.

L’absence de structure narrative du récit renforce cet effet de liberté d’Alice que seule la curiosité conduit à différents endroits sans liens. Toutes ces libertés amènent à voir en Alice une petite fille impulsive qui agit sans demander conseil à autrui. Alice veut être indépendante et veut se construire une identité. Selon Lecercle (1998), c’est cela qui nous attire vers cette héroïne. Une fois dans le terrier, Alice va perdre son identité et va devoir s’en construire une autre, bien à elle et non imposée par les adultes qui l’entourent.

En France, Alice est devenue l’emblème de beaucoup d’auteurs ou artistes. Breton (1896- 1966 cité par Lecercle, 1998) en fait une idéalisation de l’enfance, détachée de toute inscription sociale, historique et culturelle. Pour lui, elle est une incarnation mythique d’une figure idéale de l’enfance au féminin. Ce qui rejoint les propos de Lecercle (1998) à propos de la liberté d’Alice et de l’aura qui en découle.

Pour Morel (2005 cité par Marret, Gasquet et Renaud-Grosbras, 2005), «Alice au pays des merveilles » aborde un dilemme, celui de savoir si il faut grandir ou non. Alice représente d’après lui un idéal d’une enfance fantasmée et arrêtée, que l’on retrouve dans la plupart des livres datant de l’époque de la parution de l’ouvrage de Carroll, notamment ceux de Dickens (1812-1870). Pour Morel (2005 cité par Marret, Gasquet et Renaud-Grosbras, 2005), Alice est

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innocente et pure. Il la compare à une sorte de Peter Pan en plus innocent, elle est fixée dans son statut d’enfant, alors que pour Kincaid (1993 cité par Lecercle, 1998), elle est plus une Wendy : une enfant qui veut grandir et qui s’intéresse à sa personne avant tout. Elle n’est pas fixée dans son statut d’enfant, on peut même entrevoir la femme qu’elle sera plus tard.

Lecercle (1998) apporte un troisième point de vue, celui d’Alice comme une jeune personne, pas une caricature d’adulte, une personne indépendante.

D’autres auteurs insistent davantage sur la violence associée à l’enfance, due au refoulement de voir la « vraie » nature de l’enfant, à savoir sans pitié et cruelle, remontant ainsi aux théories de Lafontaine (1621-1695 cité par Inglin –Routisseau, 2006) et de Hobbes (1588- 1679 cité par Inglin –Routisseau, 2006 ). Ce refoulement explique le sadisme qui est présent dans le texte et qui met l’enfant à la torture, par exemple lorsqu’Alice se retrouve piégée à l’intérieur de la maison du Lapin Blanc. Cette violence dénonce la cruauté (des adultes) qui entoure l’enfant afin de faire ressortir son innocence. Ainsi la vision de l’enfant comme un être pur et gentil est propre au désir adulte de non-croissance et compose le fondement du mythe de l’innocence enfantine de l’époque victorienne. La vision carrollienne paradoxale, à savoir sadique puisque l’on découvre une enfant tourmentée par un narrateur adulte, n’a pas échappée à Rackin (1976 cité par Marret, Gasquet et Renaud-Grosbras, 2005) qui traduit celle-ci par la complexité de l’âme humaine. Si la littérature est aussi cruelle, c’est soit parce qu’inconsciemment on imagine se débarrasser de ces « petits monstres » Lecercle (1998) soit, selon Vinson (1997 cité par Marret, Gasquet et Renaud-Grosbras, 2005), c’est une façon de satisfaire des tendances sadomasochistes inconscientes. Pour rester du côté de la partie sombre du livre de Carroll (1865) on peut se demander où se situe le côté merveilleux de l’histoire d’« Alice». Inglin-Routisseau (2006) remarque avec justesse que le rêve d’Alice ressemble plus à un cauchemar. Alice a beaucoup de mal à se lier avec les différents personnages. Et le rêve se termine sur une situation critique où Alice se retrouve captive de la terrible Reine coupeuse de tête. Se réveiller au moment le plus critique d’un rêve est typique d’un cauchemar, et c’est exactement ce qu’Alice fait puisqu’elle se réveille au moment où les cartes lui sautent dessus. De plus le livre est très « humide » car Alice y est souvent triste et pleure (jusqu’à presque se noyer).

Pour expliquer les succès d’Alice, Hague (2005 cité par Marret, Gasquet et Renaud-Grosbras, 2005) a une autre une théorie :c’est la sœur d’Alice qui permet à celle-ci de devenir un mythe, puisqu’elle symbolise l’extériorité. Lorsqu’Alice se réveille elle se retrouve dans la réalité et retrouve un autre statut que celui qu’elle avait dans le pays des merveilles. Sa sœur s’imagine

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alors Alice adulte en train de raconter ses aventures à ses enfants. De ce fait, elle pose une nette barrière entre l’Alice du pays des merveilles (le mythe) et celle qui se trouve à ses côtés.

Jousni (2005 cité par Marret, Gasquet et Renaud-Grosbras, 2005) est d’accord avec Hague (2005 cité par Marret, Gasquet et Renaud-Grosbras, 2005) à propos de la mystification d’Alice opérée dans cette fin, lors du réveil d’Alice. Mais il souligne également l’ambiguïté de celle-ci puisqu’elle figure à la fois une victoire d’Alice en termes d’intégration (elle devient un mythe) mais également une défaite de l’imaginaire puisque tout cette aventure se résume à un simple rêve. D’ailleurs la fin du récit d’« Alice au pays des merveilles » déplait fortement à Jousni (2005 cité par Marret, Gasquet et Renaud-Grosbras, 2005), qui la critique fortement. En effet, pour lui cette fin est trop banale et est contradictoire avec l’histoire du livre. D’après lui c’est une concession de Carroll à la morale victorienne à laquelle il se serait plié. Toutefois comme le souligne Wullschläger (1997) «Alice au pays des merveilles» reste une satire sociale des codes de savoir-vivre bourgeois victoriens. Alice s’efforce d’appliquer ces règles alors que les personnages du pays des merveilles les ignorent totalement afin de montrer leur absurdité et leur ridicule.

Lewis Carroll

Beaucoup a été écrit sur Lewis Carroll et sur son œuvre. Nombre de ses biographies établissent le parallèle entre l’homme qu’il a été, et son best-seller. Je ne vais citer que quelques éléments qui me paraissent importants pour compléter la compréhension de certains aspects du livre « Alice au pays des merveilles ».

Charles Ludwig Dodgson dit Lewis Carroll est né en 1832 à Daresbury dans le Lancashire et est mort en 1898. Son père, l’archidiacre Charles Dodgson, était un pasteur dans un petit village (Cheshire ). C’est de lui que Lewis Carroll va hériter du goût pour le non-sens. En effet, son père lui écrivait des lettres en utilisant ce style, et l’on retrouve même des passages de ces dernières dans le livre « Alice au pays des merveilles ». Avant d’être écrivain, Lewis Carroll était professeur de mathématique, métier pour lequel son talent était médiocre. Cela peut paraitre étrange compte tenu de la place que comporte la pédagogie dans son best-seller.

Effectivement le livre de Carroll montre que pour lui la pédagogie passait par le jeu. On a d’ailleurs retrouvé des fiches de jeux de mathématiques logiques que Carroll créait pour ses amies. Toutefois, il faut souligner que si Lewis Carroll n’excellait pas dans l’enseignement, il était un excellent mathématicien, et publia de nombreux ouvrages de mathématiques durant toute sa carrière.

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Le point le plus apte au débat concernant Lewis Carroll est sa relation avec les petites filles.

Lewis Carroll était un être froid et distant mal à l’aise en société, ce qui explique entre autres sa médiocrité en tant que professeur. Toutefois cette froideur et cette timidité cessaient immédiatement lorsqu’il entrait en contact avec des petites filles. Il devenait leur ami très rapidement et les petites filles lui faisaient entièrement confiance. « Alice au pays des merveilles » est né d’une relation de Carroll avec une petite fille nommée Alice Liddell. Il avait raconté cette aventure à Alice un jour pour la distraire et suite au souhait de celle-ci, il la mit par écrit et l’offrit à cette dernière. Ces affinités avec ces enfants ont poussé beaucoup de critiques à traiter Carroll de pédophile, de plus Carroll aimait prendre des photos de ses amies dans des déguisements ou nues, en demandant toutefois toujours la permission aux parents.

Mais comme le souligne Marret (2005), supposer la perversion de Carroll n’est pas nécessaire pour appréhender l’œuvre. Toutefois Lacan (1986 cité par Marret, Gasquet et Renaud- Grosbras, 2005) appuie le fait que cette amitié originale participe à la composition de l’œuvre tout comme son métier de professeur de mathématique. Marret va d’ailleurs souligner toutes les allusions aux mathématique dans le livre de Carroll dans son ouvrage « Lewis Carroll de l’autre côté de la logique » (2005). Ce métier de professeur de mathématiques semble bien étrange lorsque l’on voit l’absurdité du livre « Alice au pays des merveilles ». Cependant, comme le souligne Marret (2005), le livre est truffé de formules mathématiques cachées par l’absurdité et l’irrationalité du texte. Les mathématiques, qui étaient alors toujours tenues à l’écart de la littérature, font pour la première fois leur entrée dans celle–ci sous forme de jeu.

On retrouve ici le professeur qui cherche à faire passer un savoir sous une forme ludique. On peut ajouter que si Carroll persistait à se contrôler à tout moment, on peut voir qu’« Alice » est un vrai « défouloir » où Carroll crée un univers de non-sens où rien n’est maitrisable.

D’après Wullschläger (1997) cette création exprime les propres désirs de Carroll, qui espère vivre dans ce monde étrange afin d’y trouver sa place.

Un autre point intéressant est que Lewis Carroll souffrait de bégaiement alors que le langage et les jeux de mots sont au centre de son ouvrage. La légende veut que son bégaiement cesse lorsqu’il était en présence de ses petites amies.

Timide, Lewis Carroll a toujours essayé de fuir la gloire. Il a toujours essayé de garder secret le lien entre son vrai nom, Charles Ludwig Dodgson, et son nom d’écrivain, bien que tout le monde connaissait ce lien. Il refusait de parler à quiconque (journaliste ou ami) d’« Alice au pays des merveilles » qui était pour lui un sujet tabou.

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Premières illustrations du livre « Alice au pays des merveilles »

Cette partie ne concerne que les premiers illustrateurs du livre « Alice au pays des merveilles». Les autres illustrateurs sélectionnés pour le besoin du troisième questionnaire seront présentés dans la partie « méthodologie ».

Le premier illustrateur des aventures d’« Alice » n’est autre que Lewis Carroll lui-même. Une fois le livre « Alice au pays des merveilles » mis sur papier, à la demande d’Alice Liddell, Lewis Carroll l’illustra lui-même avant de le remettre à cette dernière. Les illustrations de Carroll ne ressemblent pas aux illustrations que l’on trouvait habituellement dans les livres pour enfants de l’époque. Par contre elles ressemblent beaucoup à celle d’Edward Lear (1812- 1888) qui dessinait pour des livres nommés « Books of non-sens » (1846) et qui avait une caricatural très personnelle. On peut voir beaucoup de liens entre Carroll et Lear, toutefois, le non-sens de Lewis Carroll est fondé sur la logique alors que celui de Lear est d’ordre poétique.

Lewis Carroll, “Alice devant la porte du jardin” Edward Lear

Cependant il faut avouer que Carroll n’excellait pas dans le dessin, et surtout ses illustrations ne correspondaient pas aux codes esthétiques en vigueur. C’est donc sur les conseils de ses

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amis et de son éditeur qu’il entreprit une collaboration avec John Tenniel (1820-1914 cité par Inglin-Routisseau, 2006 ; voir annexes illustration n°6) pour illustrer son livre lors de sa première publication. Cette collaboration ne dura que le temps de deux livres (« Alice au pays des merveilles » et « De l’autre côté du miroir») après quoi ni Tenniel ni Carroll ne voulu la renouveler. Il faut dire que Lewis Carroll ne laissait aucune liberté à Tenniel et lui envoyait d’innombrables lettres de recommandations ou de demandes. Toutes les autres collaborations de Carroll avec des illustrateurs, étaient du même genre : Carroll se montrait tatillon à un tel point que l’illustrateur mettait fin à la collaboration après un ou deux ouvrages.

Concernant les représentations d’Alice dans ces premières illustrations, on peut remarquer que chez Carroll et Tenniel, Alice est blonde et porte une robe mi-longue resserrée à la taille.

On peut imaginer que ces illustrations, surtout celles de Tenniel où Alice porte un tablier sur sa robe, ont fortement influencé les illustrations qui sont apparues par la suite, comme celles du dessin animé de Walt Disney (1951).

2.1.3 La littérature fantastique

Le récit fantastique a, par le passé, souvent été vu comme pur divertissement ou même comme un danger. Effectivement, l’imagination enfantine a parfois été mal vue, car on pensait qu’elle séparait l’enfant de la réalité, et l’empêchait de discerner le réel du fictif. Ce temps est heureusement révolu grâce à des auteurs comme Held (1977) qui défend les apports des textes littéraires fantastiques dans son ouvrage « L’imagination au pouvoir ».

Qu’est ce que la littérature fantastique ?

Dans le cadre de ce mémoire le terme de compréhension sous-entend « compréhension de textes littéraires », mais plus spécifiquement compréhension des textes fantastiques. Or, pour ce qui est de la compréhension du fantastique on constate qu’il s’agit d’un domaine encore peu exploré et cela sans doute à cause de la difficulté à définir le genre. Ce n’est que ces dernières années que des auteurs se sont penchés sur la question de la compréhension de ces textes. Rachel Bouvet (2007) en fait partie. Elle a écrit un ouvrage « Etranges récits, étranges lectures » dans lequel elle se demande quel est l’acte de lecture engendré par ce type de textes. D’après elle ce genre de textes est inqualifiable. « On peut se demander (…) si tenter de définir le fantastique en tant que genre littéraire ne revient pas à s’engager dans une perspective erronée, tout simplement parce que le fantastique n’est pas une forme, mais un effet. » (Tousson, 1978, cité par Bouvet, 2007, p.64).  

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L’indétermination : notion clé

Il faut souligner que dans la littérature fantastique, la notion d’indétermination est très présente. Elle est d’ailleurs considérée comme un élément du texte littéraire. Il existe deux modèles théoriques qui se centrent sur cette notion d’indétermination : le premier est celui de Roman Ingarden (1983 cité par Bouvet, 2007) et le second est celui de Wolfgang Iser (1985 cité par Bouvet, 2007). Ce qui oppose Ingarden à Iser, c’est leur manière d’aborder l’étude de l’indétermination. Ingarden se situe dans une perspective ontologique et ne procède jamais à une analyse littéraire alors qu’Iser s’interroge sur l’acte de lecture ou de réception et l’effet esthétique des textes littéraire. Il met en lien le texte avec le lecteur mais garde à l’idée que le texte contiendra toujours une part d’indétermination. « Le texte contient une composante d’indétermination. Ce n’est pas un défaut, mais bien une condition fondamentale de la communication du texte : elle permet la participation du lecteur à l’intention du texte » (Iser, 1985 cité par Bouvet, 2007, p.12).

Les deux auteurs s’entendent ainsi sur le fait que la lecture fantastique va amener « des lieux d’indétermination », terme d’Ingarden (1983 cité par Bouvet, 2007) appelés « blancs » par Iser (1985 cité par Bouvet, 2007). Ce sont des moments du récit où le lecteur est soumis à une discontinuité du texte. Pour donner du sens au texte il va être obligé de se reformuler le texte pour lui-même, afin de combler ces lieux d’indétermination pour que l’histoire lui paraisse cohérente.

Pour Ingarden (1983 cité par Bouvet, 2007) les lieux d’indétermination n’ont qu’un seul niveau alors que pour Iser (1985 cité par Bouvet, 2007), les blancs sont séparés en deux catégories : dans le premier cas le blanc signale une omission du texte, et le lecteur doit utiliser son imagination pour la combler. Dans ce cas là, le blanc stimule l’activité de représentation du lecteur Dans le deuxième cas, le blanc est dû à une omission au niveau du contenu du texte. Le lecteur doit alors compléter le texte et expliciter ce qui est implicite.

Cette négation dite « primaire », introduit une négation dite « secondaire ». Le lecteur face à une négation va tenter de trouver un équilibre entre sa découverte et ses habitudes. Trouver une cohérence du texte lors d’un blanc n’est pas forcément aisé pour le lecteur. Iser souligne d’ailleurs les cas où les blancs ne sont pas résolus. Dans ce cas le lecteur va alors chercher une signification à la présence des ces négations. Face aux textes qui comportent de tels blancs, le lecteur devra prendre conscience de ses propres projections. Pour Bouvet (2007), il faut faire une nette séparation entre les blancs et les négations primaires d’un côté, et les négations secondaires de l’autre. Selon elle il est évident que toute œuvre littéraire contient des blancs et

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des négations primaires. Par contre, il est beaucoup plus rare qu’elles contiennent toutes des négations d’ordre secondaire. « Alice au pays des merveilles », par exemple, est un ouvrage qui contient ces deux types de négations

Une dernière question sur laquelle Ingarden (1983 cité par Bouvet, 2007) et Iser (1985 cité par Bouvet, 2007) s’opposent est de savoir si tous les blancs ou lieux d’indétermination sont comblés par le lecteur. Selon Ingarden les lieux d’indétermination ne peuvent en principe pas tous être complètement éliminés. De plus, pour cet auteur, les lieux d’indétermination ne sont pas remarqués par le lecteur. Ce n’est que lorsque l’on étudie de près l’œuvre que l’on en prend conscience. Iser s’oppose à Ingarden car selon lui tous les blancs sont toujours comblés par le lecteur. Iser est plus intéressé par le « processus de détermination » que par l’indétermination même. Ce qui l’intéresse c’est comment l’indétermination est surmontée grâce à la création d’une signification ou d’une image mentale. Ce n’est donc pas l’indétermination qui est importante mais ce qu’on peut en faire. Vandenlorpe (1992 cité par Bouvet, 2007) pour sa part rejoint quelque peu Ingarden sur le fait de ne pas devoir combler toutes les indéterminations mais il ajoute le facteur de plaisir lors de l’analyse. Plutôt que de qualifier l’indétermination comme une lacune à combler par tous les moyens, on peut la concevoir comme un « espace jeu » :

Ce n’est pas que l’œuvre doive être absolument hermétique ou obscure. Elle doit au minimum faire l’impasse sur ses déterminations et laisser au lecteur un espace « jeu »- à prendre au deux sens du terme- qu’il ne pourra pas épuiser et qui lui laissera toute latitude pour instancier les contextes de compréhension dans lesquels l’œuvre fera plus de sens et contribuera la plus à nourrir son esprit. (Vandenlorpe, 1992 cité pas Bouvet, 2007, 214).

Comme nous venons de le constater, dans le cas d’une réception d’un texte littéraire fantastique les lecteurs sont donc confrontés à la nécessité de combler beaucoup d’indéterminations afin de rendre le texte cohérent. On pourrait qualifier les textes fantastiques de « résistants » selon les termes de Tauveron (1999). La résistance d’un texte ne provient pas seulement des lacunes volontaires du texte. Elle trouve sa source dans l’ensemble des moyens qui sont utilisés, en rupture délibérée avec les lois élémentaires de la communication naturelle, pour ne pas rendre la saisie du message immédiat et laisser ainsi une part de travail au lecteur. (p.19)

Pour décrire le mode de saisie de l’indétermination, Bouvet (2007) relie l’indétermination avec deux types de lecture, qui sont axés sur la tension entre progresser et comprendre. Ces

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deux types de lecture sont : la lecture-en–progression et la lecture-en-compréhension (termes de Gervais (1997). Ces deux termes sont aussi connus sous les noms de lecture heuristique – c'est-à-dire découverte- et lecture herméneutique pour Riffaterre (1979 cité par Bouvet, 2007).

La lecture-en-progression est motivée par l’envie d’aller de l’avant, le lecteur ne produisant que de faibles inférences puisqu’il ne produira que les inférences nécessaires pour la compréhension immédiate du texte. « On se contente d’un « à peu près » (…) Le lecteur va passer au dessus de la difficulté plutôt que de s’y heurter » (Bouvet, 2007, p.38). Pour ce qui est de la lecture-en-compréhension, la lecture s’effectue au ralenti. La lecture est très lente et elle « n’intrigue pas », soit parce que le lecteur devine la suite, soit parce qu’il a déjà lu l’œuvre. À ajouter qu’il existe une « double lecture », où le lecteur est amené à faire une lecture-en-compréhension dès sa première lecture. Cela est le plus souvent visible chez des professeurs de littérature par exemple.

Comme le souligne Bouvet (2007) les indéterminations ne sont pas gérées de la même façon suivant le processus de lecture (lecture-en-compréhension ou lecture-en-progression). « De manière générale, on pourrait dire que la lecture-en-progression du fantastique donne une part plus importante aux processus affectif et argumentatif de la lecture tandis que lors d’une lecture-en-compréhension, c’est le processus symbolique qui prime. » (Bouvet, 2007, p.48).

Bouvet se base sur les recherches de Gilles Thérien (1990 cité par Bouvet, 2007) qui sépare l’acte de lecture en cinq processus : le neurophysiologique, le cognitif, l’affectif, l’argumentatif et le symbolique, et qui insiste sur l’importance du processus affectif car il ne faut pas perdre de vue le fait que la lecture n’est pas seulement une construction intellectuelle, visant à l’élaboration d’une signification : « Le plaisir ou la déception ressenti au cours de la traversée du texte, le rappel de certains souvenirs, de certaines émotions, font de la lecture un acte intime, un lieu où se construit un véritable complexe émotionnel. » (Bouvet, 2007, p.49).

Le processus affectif est donc très présent et important, spécialement lors de lecture fantastique, car ce type de livres est réputé pour les effets émotifs qu’il suscite chez le lecteur (inquiétant, étrangeté…).

Le sentiment de l’étrange

Dans le cadre de la littérature fantastique, le sentiment de l’étrange vient s’ajouter au plaisir de l’indétermination. Selon Lovecraft (1969) « c’est le sentiment de peur ressenti par le lecteur qui permet d’affirmer l’appartenance du récit au genre fantastique » (cité par Bouvet, 2007, p.59). Bouvet (2007) ainsi que certains auteurs tels que Vax (1965 cité par Bouvet,

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2007) soulignent l’importance du refus de résoudre les indéterminations du récit, car ces dernières amènent un plaisir certain. L’effet fantastique suppose « que le lecteur perçoive les indéterminations du texte sans pour autant chercher à les résoudre » (Bouvet, 2007, p. 2). La sensation d’incompréhension que ressent le lecteur est à considérer comme un plaisir de lecture. Ainsi Bouvet (2007) arrive à la supposition que « la lecture d’un récit ne s’appuie pas sur une compréhension textuelle satisfaisante, puisque aucune cohérence ne peut être établie, mais bien sur le plaisir de l’indétermination » (Bouvet, 2007, p.61). L’hypothèse de Bouvet (2007) est la suivante : l’effet du fantastique ne se produit que dans un cas bien précis : lors d’une lecture-en-progression d’un récit fantastique, à savoir que l’effet du fantastique se traduit par le fait de ne pas chercher à résoudre toutes les indéterminations d’un texte afin d’en tirer un plaisir particulier.

L’effet fantastique et l’approche ludique

Le thème de l’effet fantastique est présent dans la théorie de lecture de Riffaterre (1971 cité par Bouvet, 2007). Cet auteur va s’intéresser à l’effet que le style du livre produit sur le lecteur. Il va se baser sur différentes réactions de lecteurs afin d’examiner les éléments du texte qui ont plu ou déplu a ces derniers. Une fois cela fait, il va analyser de manière objective les procédés stylistiques du texte en question. C’est donc l’effet stylistique qui intéresse cet auteur.

Pour comprendre l’effet fantastique, Bouvet (2007) se base sur Riffaterre (1971) en faisant un parallèle entre l’effet stylistique et fantastique. En conclusion à sa recherche sur l’effet fantastique et en réponse à son hypothèse, Bouvet (2007) affirme que « le plaisir de l’indétermination n’est pas l’apanage de la seule lecture axée sur la progression à travers le texte fantastique. Il peut également résulter d’une analyse du texte fantastique, autrement dit être produit par la lecture-en-compréhension. Mais il ne contribue pas dans ce cas à la création d’un effet fantastique, qui exige quant à lui une progression rapide à travers le texte. » (Bouvet, 2007, p.161). Bouvet (2007) sépare donc le plaisir d’indétermination en deux, il peut être soit un plaisir de lecture, soit un plaisir d’analyse.

Bouvet (2007) ajoute également que les indéterminations du discours fantastique ne sont pas gérées de la même manière selon le mode lecture choisi. Pour elle, la lecture d’un texte fantastique dans un premier temps, c’est laisser les indéterminations irrésolues, comprendre le texte tout en sachant qu’une partie nous échappe. Cette première approche de l’indétermination peut alors susciter un deuxième processus visant à élaborer une

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interprétation. Il faut également noter que l’effet fantastique et l’interprétation sont deux points opposés de la lecture. Il y a en effet beaucoup de différence entre lire pour ressentir et lire pour comprendre un texte et en faire une interprétation. Ainsi deux conceptions entrent en scène : celle où la lecture est envisagée comme une expérience esthétique et celle où l’expérience est considérée comme ludique.

L’interprétation du texte fantastique

Mais comment s’enclenche l’interprétation ? Pour Bouvet (2007), la motivation d’interpréter un texte fantastique viendrait de l’incohérence qui résulte de la lecture en progression du texte. L’amorce du processus interprétatif provient tout d’abord du plaisir d’indétermination qui peut susciter le désir de reprendre un passage ou de mener une enquête. En supposant que plus le lecteur est confus plus la résolution est pressante. Pour Calinescu (1993 cité par Bouvet, 2007), l’amorce du processus d’interprétation se situe dans le fait que les interprétations sont en compétition, cette compétition étant considérée comme ludique. Mais il faut souligner que pour ce chercheur, la relecture n’amène pas forcément à une interprétation, (même si c’est au moment de la relecture qu’a lieu l’interprétation). En effet, l’interprétation demande au lecteur de répondre à une question posée par le texte. Le simple plaisir qu’éprouve le lecteur en jouant avec le texte ne l’amènera pas à une interprétation. Ce point de vue est partagé par Todorov (1978 cité par Bouvet, 2007) :

L’interprétation (en tant que distincte de la compréhension) n’est pas (…) un acte automatique : il faut que quelque chose dans le texte ou en dehors de lui, indique que le sens immédiat est insuffisant, qu’il doit être considéré seulement comme un point de départ d’une enquête dont l’aboutissement sera un sens second (cité par Bouvet, 2007, p.166).

Ainsi le lecteur met en place un processus interprétatif afin de réguler les incohérences du texte. Il passera d’une lecture-en-progression à une lecture-en-compréhension. C’est-à-dire d’une lecture pour découvrir le texte, à une lecture où le lecteur tente de comprendre le texte et de le rendre cohérent. A propos de cette incohérence, Fry (1977 cité par Bouvet, 2007) propose un postulat selon lequel, avant même de lire un texte, le lecteur imagine qu’il forme un tout. Lorsqu’il est face à une incohérence il imposera sa propre cohérence. Dans le cas du récit fantastique l’incohérence est résolue lorsqu’elle est expliquée par une interprétation argumentée et cohérente avec le reste du récit. On peut donc affirmer que les indéterminations sont un prétexte à l’interprétation. Bouvet (2007) en conclut que l’amorce du processus interprétatif et le passage de la lecture-en-progression à une lecture-en-compréhension, sont

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