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4. METHODOLOGIE DE RECHERCHE

4.2 Les détails du dispositif

4.2.4 Appendice : Quelques « lectures » thématiques du récit dans la tradition des

Comme le livre d’« Alice au pays des merveilles» est extrêmement connu, de nombreux auteurs l’ont analysé à leur manière. De ces multiples analyses je compte exposer quelques extraits ci-dessous pour offrir un aperçu des différentes interprétations existantes en rapport avec les trois extraits qui ont été sélectionnés pour la séquence. Il est important de souligner que la chaine de textes écrits autour de l’œuvre de Carroll constitue le contexte du livre

« Alice ».

Le thème de la taille

Le thème de la taille est très présent dans ce livre et il est donc logique que les auteurs s’y soient attardés. Inglin-Routisseau (2006) note que le changement de taille d’Alice provoque des évènements plutôt négatifs en règle générale, comme par exemple quand Alice manque de se noyer dans ses propres larmes, ou lorsqu’elle se retrouve coincée dans la maison du lapin blanc. Pour Inglin-Routisseau (2006), les changements de taille d’Alice ainsi que son instabilité concernant son identité sont un parallèle avec Lewis Carroll qui était, comme expliqué précédemment, très fermé et peu sûr de lui. Ainsi Carroll attribue à Alice ses propres angoisses. Finalement ces changements de tailles ne vont pas amener Alice à trouver son identité mais à la brouiller. Pour Laporte (1973), ces changements de taille sont une torture pour Alice qui est prisonnière de son corps quelle que soit sa taille. Comme elle ne contrôle pas ses métamorphoses, elle se demande qui elle est. De plus, Laporte (1973) souligne le fait que ce dédoublement du corps en deux générations, à la fois petite et grande (donc enfant et adulte), est présent dans l’esprit d’Alice. D’ailleurs, cette dernière « aimait beaucoup faire semblant d’être deux personnes » (Carroll, 1865/1961, p.26). C’est la métamorphose qui va donner son identité à Alice et non la confrontation avec les repères du monde « réel » qui n’ont plus de sens au pays des merveilles.

Le thème de la nourriture

Le thème de la nourriture est également très présent dans le texte d’« Alice». Inglin-Routisseau (2006) explique qu’elle est magique (elle permet de grandir et rapetisser) et que c’est d’ailleurs un des seuls éléments à être décrits en détail, contrairement aux personnages ou au paysage. Voici par exemple une description de la première potion que boit Alice : « (elle) avait, en fait, un goût de tarte à la cerise, mêlé à des saveurs de crème à la vanille, d’ananas, de dinde braisée, de caramel et de rôties au beurre » (Carroll, p.24, 1961).

A propos des thèmes exposés ci-dessus, c’est-à-dire celui du changement de taille et celui de la nourriture, la Chenille est un personnage clé car c’est elle qui va aider Alice à maitriser ses métamorphoses. Elle va également expliquer à Alice que malgré ses métamorphoses elle (Alice) reste elle-même Et que la métamorphose est le propre de l’être (Laporte 1973).

La nourriture occupant une place très importante dans le récit. Alice est souvent tentée par de nombreux aliments. Et même si elle vérifie sur le premier flacon (où il est écrit « bois-moi ») si il comporte une inscription « poison » elle ne s’y attarde pas et boit le produit. On peut dire que malgré les conséquences souvent désastreuses de cette nourriture, Alice a tendance à manger et à boire tout ce qui lui tombe sous la main dans le pays des merveilles. Jousni (2005 cité par Marret, Gasquet et Renaud-Grosbras, 2005) attribue cet aspect au fameux stade oral faisant partie des théories freudiennes.

La scène du thé et ses personnages

La scène du thé est un passage fourmillant de divers dialogues insensés et où les personnages sont toujours en action. Plusieurs auteurs comme Lecercle (1998) ou Inglin-Routisseau (2006) nous font remarquer que la scène du thé est une parodie de la cérémonie victorienne du thé.

Cette cérémonie était réglée d’une manière très précise que Carroll jugeait ridicule. Dans cette scène, les personnages agissent comme bon leur semble et en arrivent à tremper une montre dans une tasse de thé pour la réparer ou à essayer d’introduire le Loir dans une théière. Inglin-Routisseau (2006), quant à elle, souligne que, si cette scène est si drôle, c’est à cause de la singularité de la tonalité du texte carrollien : « Il procède toujours d’un double mouvement de construction et de déconstruction : à la proposition succède la dénégation de la proposition » (p.95-96). Comme, par exemple, lorsque le Lièvre de Mars propose du vin à Alice alors qu’il n’y en a pas ou lorsque le Chapelier pose une devinette sans connaitre la réponse. L’effet est déconcertant car le récit parait sensé mais le texte s’échappe et la métaphore en est encore plus cachée. De plus, l’élément central de la discussion est le temps. Par le discours du Chapelier, Carroll introduit un fantasme enfantin, celui d’arrêter le temps : puisqu’il passe, pourquoi ne pourrait-on pas l’arrêter ?

Laporte (1973) tient à différencier la folie du Chapelier de celle du Lièvre de Mars. L’auteur explique que la folie du Chapelier fait allusion aux effets nocifs du mercure que les chapeliers utilisaient pour curer le feutre des chapeaux. L’absorption du mercure provoquait un tremblement des yeux et des membres de la victime et rendait également son langage incompréhensible. On appelait ces symptômes la maladie du chapelier. La folie du Lièvre de

Mars, elle, prend ses sources dans les cabrioles effrénées que le lièvre mâle fait à la saison des amours. Laporte explique que ce personnage est relié au désir, car Alice décide d’aller le voir, avec un peu d’appréhension, plutôt que de rendre visite au Chapelier. La fonction des personnages de cette scène a un rapport très fort avec le temps. D’ailleurs, la vision du pays des merveilles pour Laporte (1973) est clairement celle d’un faux Eden, où l’on repeint les roses et où le Chapelier est un Adam condamné à vivre avec son péché car il a massacré le temps.

La Reine de Cœur

La Reine de Cœur est un personnage très fort du roman d’« Alice au pays des merveilles».

Wulschläger (1997) explique que si Carroll s’identifie au Chapelier, au Chat et surtout au Griffon, il est totalement à l’opposé de la Reine de Cœur : « À mes yeux la Reine de Cœur représente la passion incontrôlable : c’est une sorte de furie aveugle dont la rage est sans objet » (Carroll, 1887 cité par Wullschläger, 1997, p. 64). Le terme de castratrice est l’adjectif qui revient le plus souvent chez les différents auteurs pour qualifier la Reine de Cœur. Pour Inglin-Routisseau (2006), on peut reconnaitre dans la Reine de Cœur le terrible Henry VIII qui condamna deux de ses épouses à l’échafaud et divorça de celles qu’il n’avait pu répudier, et qui fut également un des modèles de « Barbe-Bleue ». On retrouve chez la Reine ce mélange de colère, de passion et de mort. On aurait pu imaginer que le Roi de Cœur incarne ce personnage colérique, mais il n’en n’est rien. Du coup, celui-ci est un personnage insignifiant et falot. Ce Roi fait contraste avec cette Reine castratrice. Inglin-Routisseau (2006) ajoute que la figure maternelle est totalement absente de ce personnage et que, bien qu’elle soit Reine de Cœur, elle en est dépourvue. La réplique associée à la Reine est « Qu’on lui coupe la tête ! », ce à quoi tous les habitants répondent avec une absurdité propre au livre.

L’idée est que la mort par tête tranchée porte en elle la promesse d’une libération : « Pareille à une bulle évaporée, la tête sans corps célèbre l’avènement d’une imagination débridée » (Inglin-Routisseau, 2006, p. 223-224). Cela renvoie à l’expression « perdre la tête ».

Le Chat de Chester et les autres personnages

Le Chat de Chester apparait également dans la scène de la partie de croquet. Pour Inglin-Routisseau (2006), le Chat, qui disparait et apparait par parties et comme bon lui semble, est une métaphore des souvenirs du rêve dans la conscience. Pour elle, le Chat dénonce la folie (« nous sommes tous fous ici » Carroll, p.90, 1961) mais l’incarne également, sachant qu’au 19ème siècle l’alliance de la folie et du rêve est très présente. Cette auteure compare également

le Chat au Sphinx car il est le seul qui rend compte de la folie des habitants du pays des merveilles. De plus il est inatteignable (il parait et apparait à sa guise) ce qui lui confère un rang supérieur. Lors de la partie de croquet, la tête du Chat apparait seule, et il s’ensuit une dispute à propos de décapitation. Inglin-Routisseau (2006) remarque avec justesse le rapport entre cette scène et l’expression « perdre la tête » en lien avec cette folie si présente dans le livre. Le Chat de Chester est également humanisé par son sourire. Au niveau métaphorique, elle le place du côté lunaire et nocturne en rapport avec la rêverie carrollienne. D’ailleurs, lorsqu’il disparait, seul son sourire reste, comme un croissant de lune. Mais pour l’auteur, il est surtout une métaphore de l’imaginaire poétique. Laporte (1973), quant à lui, souligne l’absurdité de ce personnage. En effet, le Chat distribue les critères. Les personnes du pays des merveilles étant folles, il devrait donc être au-dessus de cette catégorie. Or, il affirme être tout aussi fou et le « prouve » par un raisonnement basé sur des syllogismes. Le Chat de Chester incarne deux paradoxes donc deux transgressions des lois de la logique : « Comme fou distribuant la folie, il fait partie des sous-ensembles qu’il détermine ; comme tête sans corps devant être décapitée, il divise l’ensemble qu’il présuppose. Dans ce dernier cas il force les autres à faire de même » (p.47). Le chat parait au-dessus de tous les personnages du pays des merveilles car il dépasse grâce à son discours ses définitions. C’est aussi le Chat qui va tenter de faire saisir à Alice les mécanismes de la loi et qui va l’encourager à libérer ses instincts. C’est d’ailleurs grâce à la libération de ses instincts qu’Alice va se réveiller. Mais, comme le souligne Laporte (1973) : « Dans ce retour à la taille normale et au monde réel, il n’y a de libération que pour ceux chez qui la norme et le quotidien sont synonyme de bonheur » (p.77).

Le reste des personnages, comme le Lapin Blanc, la Souris, le Dodo ou le Lézard, sont plus passifs. Le Lapin Blanc, figure emblématique du livre, pourrait selon Inglin-Routisseau (2006) être le guide d’Alice s’il était moins hésitant et tremblant.