• Aucun résultat trouvé

6. RESULTATS

6.2 Réponses aux trois items des questionnaires

6.2.2 Analyse du texte par les élèves

Les élèves sont très vite entrés dans les questions qui demandaient des analyses, ils ont particulièrement bien développé ces dernières lors des discussions en groupe, en trouvant des arguments pertinents et originaux.

Dans le premier questionnaire il était question de la Chenille et d’Alice. Les élèves ont, pour la majorité, remarqué qu’Alice était de la même taille que la Chenille mais qu’elle n’était pas de la même espèce (Alice est une petite fille). Si la Chenille ne l’écoute pas, c’est entièrement de la faute d’Alice, d’après les élèves. C’est parce qu’Alice fait trop sa maligne ou c’est parce que la Chenille veut voir comment Alice arrive à s’exprimer, ou encore parce que ce que dit Alice est insensé ou parce qu’Alice s’exprime mal car elle ne sait plus qui elle est, ou encore parce que la Chenille a toujours été petite contrairement à Alice, ou parce qu’elles sont différentes. Bref, pour les élèves, le manque de communication est attribué à Alice, alors

qu’en réalité, la Chenille ne s’exprime pas forcément clairement non plus. Si l’on reprend les termes de Lecercle (1998) affirmant qu’Alice est un personnage tout à fait ambivalent, à la fois une petite fille innocente, comme l’ont décrite les élèves, mais également « une petite fille coquette, prude, égocentrique et snob, n’hésitant pas à contredire ou à remettre à leur place les autres personnages » (p.17) on peut déduire que c’est cette seconde partie de la personnalité d’Alice qui a fait réagir les élèves qui la trouvent malpolie face à la Chenille.

Dans le second questionnaire, les questions concernaient le Chapelier, le Lièvre de Mars et le Loir. Une première question demandait quel personnage était le plus malpoli. Le Chapelier était généralement nommé car il parlait tout le temps, demandait à Alice si elle voulait du thé mais ne lui en servait pas, et posait des devinettes sans en connaitre la réponse. Toutefois les autres personnages étaient également ressentis comme peu polis : le Lièvre de Mars car il parle également beaucoup et dit à Alice de se taire, le Loir car il dort tout le temps, et même Alice, qui s’assied à la table alors qu’elle n’est pas invitée.

Une autre question pour laquelle les réponses étaient très intéressantes est celle concernant le poème. À un moment le Chapelier récite un poème assez étrange. Lewis Carroll s’est inspiré d’un poème très connu en Angleterre et l’a remanié. Le récit est d’ailleurs plein de ce genre de textes modifiés car Lewis Carroll se moquait des méthodes pédagogiques qui consistaient à apprendre des comptines et des poèmes par cœur. Les deux poèmes étaient présents aux élèves, et il leur était demandé d’expliquer pourquoi le Chapelier récitait le poème de cette manière. Les réponses ont été multiples : c’est parce que le Chapelier ne connait pas les paroles, parce qu’il ne connait pas les paroles par cœur donc il improvise. Ou alors pouvoir placer le mot thé. Ou encore pour des raisons de plagiat : il n’a pas le droit de s’attribuer un poème qu’il n’a pas composé. Certains élèves ont noté « parce qu’il est bête et fou et qu’il mélange tout », et aussi « parce qu’il a bu trop de thé ». Les élèves n’ayant aucune idée du but de Lewis Carroll ont proposé des réponses tout à fait sensées et justifiées. Le fait qu’elles soient aussi variées montre que les élèves ont compris qui était le personnage du Chapelier et que les raisons pouvaient être absurdes mais que cela était accepté si elles avaient un lien avec ce personnage. Pour terminer il y avait une question leur demandant si le temps était un personnage (il en est question dans l’extrait). La majorité des élèves ont répondu que oui puisque le Chapelier avait rencontré le temps (« Ah! Ça explique tout. Le Temps ne supporte pas d'être battu. Si tu étais en bons termes avec lui, il ferait presque tout ce que tu voudrais de la pendule. » Lewis Caroll, 1961, p.98). On voit que les élèves adhèrent à l’absurdité du texte.

Seul un élève a expliqué que le temps n’était pas un personnage mais une montre. Il faut dire

qu’il est également question de la montre du Lapin Blanc dans cet extrait. Cet élève a donc symbolisé le temps par un objet en lien avec le temps : une montre. Il a refusé de justifier sa réponse par un argument absurde contrairement à la majorité des élèves. Un dernier point à souligner à propos de cette scène est que les élèves n’ont pas abordé le texte avec le même mécanisme de compréhension que celui de l’époque où le texte a été écrit. Comme expliqué précédemment, cette scène se moque de cérémonie victorienne du thé. Bien que les élèves ne connaissent pas cette raison, cela ne les a pas empêché de comprendre et d’analyser voire d’apprécier le texte. Si l’on reprend l’idée de Dufays (1994), on peut affirmer que les stéréotypes utilisés par les élèves n’ont pas été construits de la même manière que ceux des auteurs qui ont analysé la scène du thé en connaissant le contexte qui entoure la création du livre. De plus, il est logique que les élèves n’aient pas le même registre de textes que les auteurs, dans lequel ils pourraient puiser de quoi alimenter leurs stéréotypes.

Dans le troisième questionnaire, il était question de la Reine et du Roi de Cœur ainsi que du Chat de Chester. La question la plus intéressante concernait un extrait dans lequel le Roi se dispute avec le Bourreau. Le Roi veut couper la tête du Chat mais seulement la tête du Chat est présente, flottant dans le ciel. Le Bourreau explique qu’il ne peut pas couper la tête du Chat sans corps alors que le Roi dit que tout ce qui a une tête peut être décapité. La question était la suivante : entre le Roi et le Bourreau, qui a raison ? Certains élèves ont alors proposé une réponse très intéressante. Selon eux, le Roi avait raison parce qu’on pouvait couper la tête du Chat à la verticale ou à l’horizontale au niveau des yeux du Chat. Cet argument tout à fait fondé a été une résolution très originale du débat. Cet épisode montre que malgré l’absurdité du livre les élèves trouvent des arguments logiques face à une situation absurde. Pour ce qui est des personnages du Roi et de la Reine de Cœur, beaucoup d’élèves ont perçu le contraste entre les deux. Un élève affirme même lors d’une discussion en groupe que le Roi « est le chouchou à la Rei-reine » (séance 4 groupe A), ce qui repend l’idée d’Inglin-Routisseau (2006) qui qualifie le Roi de falot. Par contre, certains élèves ont perçu un équilibre de forces inverse. Il est vrai que dans le livre, le Roi est moins timide que dans le livre et s’impose beaucoup plus. La lecture de l’extrait et la visualisation du dessin animé ont conduit à des analyses très différentes chez les élèves suivant à quel médias ils se référaient.

Il était également demandé aux élèves de qualifier le monde des merveilles de rêve ou de cauchemar. Pour la majorité, le pays des merveilles comportait les deux aspects. Dans un premier temps c’était un rêve puis cela virait au cauchemar, surtout au moment de la rencontre d’Alice avec le Chapelier et le Lièvre de Mars. Très peu d’élèves avaient un avis

tranché, contrairement à plusieurs auteurs comme Inglin-Routisseau (2006) (ou les personnes adultes avec qui j’ai discuté) pour qui le livre est un parfait cauchemar. Il faut souligner qu’une grande majorité des élèves a aimé le livre et/ou l’un des films, avec une ou plusieurs parties préférées. Cela a pu influencer les élèves à ne pas voir le pays des merveilles uniquement comme un cauchemar. Et même si Alice fait des drôles de rencontres, tous les personnages ne sont pas fous selon les élèves. La Chenille, le Chat et le Loir échappent à cette qualification car beaucoup d’élèves ne voient rien pour justifier leur folie. Contrairement aux autres personnages, ils ne s’agitent pas dans tous les sens, ils ne font pas que parler, et ils tiennent un discours plutôt logique. On retrouve d’ailleurs cette exclusion du Chat dans les analyses des auteurs qui le placent au-dessus des autres personnages. Toutefois certains élèves ont assuré que tous les personnages étaient fous : le Loir car il dormait tout le temps et le Chat car il souriait tout le temps ce qui n’était pas normal, la Chenille car elle fumait un narguilé ce qui pouvait être associé à de la drogue, donc à la folie et le Lapin Blanc car il disait tout le temps « Je suis en retard » (séance 4 groupe C). Il est donc intéressant de voir que certains élèves associent à la folie uniquement des signes qui sont présents dans le monde réel qu les entoure (gesticulation, discours illogiques). Ces élèves voient la Chenille, le Chat et le Loir comme étranges, ce qui est normal pour les habitants du pays des merveilles, mais pas pour autant comme fous. Cette séparation peut être due au fait que ceux-ci sont plus passifs.

D’autres élèves ont jugé tous les personnages du pays des merveilles fous car le monde des merveilles est lui-même fou. Le Chat de Chester affirme d’ailleurs que tous sont fous dans ce pays (Alice y compris). Ils ont donc cherché des détails pouvant être associés à quelque chose

« d’anormal » chez chaque personnage pour argumenter leur jugement.

En conclusion on peut voir que les élèves trouvent à la fois des arguments absurdes et logiques pour argumenter leurs réponses. Ils savent très bien jouer avec l’absurdité du texte et ne sont pas déconcertés par celle-ci. La majorité de leurs arguments sont originaux et recherchés. Comme ils ne connaissent pas le contexte de l’ouvrage, leur approche est tout à fait novatrice.

Il est étonnant de remarquer que les analyses des élèves ont souvent des points communs avec les analyses des auteurs exposées plus haut. Les explications sont parfois semblables et les justifications sont souvent très proches, ce qui est très intéressant, car les élèves n’ont pas du tout la même approche que les différents auteurs. Il existe bien évidement une grande différence dans le degré d’analyse et le cadre de référence, mais il est troublant de voir certains éléments, comme ceux rattachés au Chat de Chester, resurgir chez les auteurs et les

élèves. On peut donc voir que même si les lecteurs proviennent de milieux différents leurs analyses peuvent avoir de nombreux points communs. Il s’agit là d’un point très positif pour les élèves, car de tels liens montrent qu’ils ont de bons arguments. Cela démontre que le savoir est herméneutique. Les élèves n’ont pas besoin de lire ou d’entendre des explications de textes qui ne sont pas les leurs pour analyser le texte d’Alice. Le fait de ne pas donner de contexte ou de texte traitant du sujet a été volontaire afin de voir dans quel contexte les élèves puisent leurs sources pour argumenter leurs propos.