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ARTheque - STEF - ENS Cachan | Questionnement et ignorance dans les milieux de recherche

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Academic year: 2021

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A. GIORDAN, J.-L. MARTINAND et D. RAICHVARG, Actes JIES XXV, 2003

QUESTIONNEMENT ET IGNORANCE

DANS LES MILIEUX DE LA RECHERCHE

Noël BARBICHON, CNRS

MOTS-CLÉS : DIDACTIQUE – DOCTORANT – FORMATION PERMANENTE – MANAGEMENT DE LA RECHERCHE

RÉSUMÉ : L’activité de recherche entretient une relation permanente avec l’ignorance, le questionnement et le savoir. Nous analysons les interactions entre ces trois composantes au sein du laboratoire, dans les réunions scientifiques et dans les Écoles d’Été. Par exemple, pour intégrer son questionnement personnel dans le questionnement propre à sa communauté scientifique, le chercheur doit disposer d’informations spécifiques et si nécessaire approfondir ses connaissances. Nous examinons les modalités d’accès à de telles connaissances.

ABSTRACT : The research’s activities are constantly related to ignorance, questioning and knowledge. We analyse the interplay of these three components in the laboratory, in scientific colloquies and at summer schools. In order, for example, to integrate his individual questioning with that of this specific scientific field the researcher must have access to scientific information and, where necessary, widen his own knowledge. We explore the means of acquiring such information.

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1. INTRODUCTION

Questions, ignorance, savoir : l’activité de recherche s’articule en permanence entre ces trois composantes. Joanna Kubar, chercheur CNRS, décrit en quelques mots leur mode d’interaction : « Le métier de chercheur consiste à formuler des questions inédites et à imaginer des réponses inattendues. Une des spécificités du chercheur est de s’attaquer à ce qu’il ne comprend pas. » (La Recherche n° 371 page 110). Le désir de comprendre n’est spécifique au chercheur que dans la mesure où son domaine d’investigation relève du « non-connu » et plus précisément du savoir en cours de constitution. La capacité de formuler des questions inédites suppose avoir eu connaissance de l’état de ce savoir. La formation à la recherche doit en principe permettre aux doctorants d’acquérir cette capacité. Mais le caractère inédit du questionnement du chercheur exige de celui-ci de s’informer en permanence de l’évolution de la recherche. Cela s’avère parfois difficile.

Pour remédier à cette situation, le CNRS a développé depuis 1972, sous l’égide de la Formation Permanente, des Écoles d’Été spécifiques (actuellement dénommées Écoles Thématiques).

Après avoir examiné la genèse des projets d’écoles, leurs objectifs et les modalités d’élaboration des programmes, nous identifierons leurs caractéristiques par rapport aux trois composantes : savoir, ignorance et questions.

2. LES LIEUX D’IMPLICATION DU CHERCHEUR DANS LE CHAMP DE LA CONNAISSANCE 2.1 Le chercheur au laboratoire

L’activité au laboratoire est centrée sur les montages expérimentaux, la collecte et l’exploitation des données. Le choix du thème de recherche a été déterminé par les questions que le chercheur se posait (ou que son directeur de laboratoire se posait) après avoir examiné l’état du savoir dans un domaine précis. C’est en imaginant des réponses à ces questions que le système de collecte de données est alors conçu. Ces interactions entre savoir, questions, réponses restent peu visibles – sinon cachées (pudeur, risque de concurrence) – pour un observateur extérieur ou même pour le personnel du laboratoire indirectement impliqué dans la recherche.

En revanche, d’autres types d’interactions apparaissent en permanence dans la vie quotidienne au laboratoire, en particulier dans le domaine technique. Fréquemment, elles s’établissent entre les différentes catégories de personnel, notamment pour la conception, le montage et éventuellement la conduite des expériences. La complémentarité des compétences équilibrent alors les ignorances des

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uns aux savoirs techniques des autres. Si cette répartition des compétences s’inscrit souvent dans un climat de coopération conviviale, on ne peut nier les différences d’ordre culturel et statutaire entre les partenaires. Cela engendre des situations conflictuelles : au droit d’ignorer des uns s’affronte l’obligation de savoir des autres, alors que le technicien doit souvent lui aussi imaginer des réponses à des questions techniques inédites, mais avec la contrainte de l’obligation de résultat. 2.2 Le chercheur au sein de la communauté scientifique

L’exercice du métier de chercheur implique divers modes d’interaction au sein de la communauté scientifique : le chercheur explore l’état du questionnement de la communauté non seulement au moment du choix de son thème de recherche, mais aussi en permanence soit pour surveiller la concurrence, soit pour repérer les possibilités de coopération. À fin d’identification et en conséquence d’insertion dans la communauté scientifique, le chercheur publie les résultats de ses travaux et intervient dans les congrès. Faute de connaître l’état du questionnement de la communauté scientifique, ce processus d’insertion peut être paralysé. Cette méconnaissance peut, pour un chercheur, avoir un effet de sclérose ou de léthargie.

3. LES ÉCOLES THÉMATIQUES, UN REMÈDE AUX CRISES 3.1 Caractéristiques des crises

Nous avons identifié deux types de crises : celle propre à la communauté scientifique, à un domaine, à une discipline et celle concernant la population d’une communauté.

Dans le premier cas, nous caractérisons chacune des crises en fonction de l’état du questionnement propre à une discipline :

– aucun investissement dans un domaine de recherche correspondant à une absence de questionnement ;

– crise d’identité d’une discipline correspondant à l’extinction du questionnement ;

– domaine sous-développé correspondant à une résistance à suivre l’évolution du questionnement ; – nécessité impérieuse de recyclage des spécialistes d’un domaine en raison de l’avènement brutal d’une théorie nouvelle ou d’un nouvel instrument susceptible d’engendrer un nouveau questionnement. Dans le second cas, nous considérons le niveau d’information de chercheurs, ou de collectifs de chercheurs, sur l’état du questionnement propre à une discipline ou à un domaine, sans pour autant que celui-ci soit en crise :

– méconnaissance du champ d’investigation propre à un domaine ne permettant pas aux chercheurs de se positionner dans la communauté scientifique ;

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– contradiction entre le souhait d’initier un nouveau domaine de recherche et une méconnaissance des théories et concepts qui lui sont spécifiques ;

– auto-censure dans l’utilisation d’un instrument faute d’en connaître l’intérêt et les modalités de son emploi ;

– difficultés rencontrées par les chercheurs d’une discipline pour s’insérer dans la problématique d’une autre discipline faute d’en connaître les enjeux et d’en maîtriser les concepts.

3.2 Caractéristiques des Écoles – Modalités de leur organisation

Les Écoles Thématiques se différencient des stages de formation continue par plusieurs aspects : la genèse des projets, leur mode d’élaboration et, fréquemment, la structure du programme. Un projet a pour origine une initiative d’un directeur de recherche, d’un leader, ou d’un collectif spécifique. Les initiateurs d’un projet d’École constituent un comité dont la mission est de définir les grandes orientations. Ultérieurement, le comité de projet définit la structure du programme en inventoriant les connaissances et savoir-faire à acquérir qui permettraient de stimuler le questionnement des chercheurs. Cet inventaire étant établi, il reste à détecter les multiples intervenants à solliciter, chacun d’eux ne détenant en général que les connaissances relatives à une petite partie du programme. Le comité a la charge de veiller à la cohérence de chacune de ces interventions par rapport à l’objectif général assigné à l’École. À cette fin, une réunion de l’ensemble des intervenants facilite cette mise au point et permet d’éviter certaines dérives. En effet, la tendance naturelle des chercheurs (intervenants et même les membres du comité) est de s’inspirer des modes habituels de communication scientifique propres aux colloques et congrès, pour les appliquer aux Écoles. Or le but de celles-ci n’est pas de faire identifier les intervenants par les auditeurs, mais de permettre à ceux-ci, en disposant de toutes les informations utiles, d’orienter, le moment venu, leur investissement dans la recherche. Pour cela, les chercheurs ont à connaître l’état de la question, l’état des concepts et des théories, les enjeux, les controverses pour le domaine de recherche qui les concerne. Pour rendre ces informations exploitables ultérieurement, les chercheurs doivent disposer de toutes les références leur permettant de se piloter au sein de la structure des connaissances présentée à l’École.

À ce contenu strictement informatif – ce qui n’exclut pas pour l’auditoire des interactions entre ces informations et ses acquis antérieurs – peuvent être apportés des compléments sous forme de mini-cours improvisés sur place (certaines grilles horaires prévoient des blancs pour permettre l’improvisation). Ces mini-cours ont pour objet des ressourcements en connaissances de base et des apprentissages de savoir-faire.

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4. LE CHERCHEUR EN SITUATION DE FORMATION

4.1 Pour les chercheurs, le terme « formation » paraît souvent incongru même lorsqu’ils se réfèrent à la formation des doctorants, laquelle se limite à un apprentissage sur le tas. (Il faut noter une évolution récente des Écoles Doctorales.) De nombreux arguments peuvent être invoqués pour justifier ce mode de formation initiale à la recherche :

• L’art de chercher ne serait pas transmissible et exigerait plus qu’une somme de connaissances et de savoir-faire.

• Le concept de compétences appliqué à la recherche est d’apparition récente (bilan de compétences des doctorants : initiative de l’association Bernard Grégory).

• La pratique permanente du raisonnement, l’exigence de la preuve, la fréquentation constante des différents champs de la connaissance caractérisent aussi bien l’activité de recherche que celle d’un étudiant.

Ces arguments peuvent s’appliquer aussi à la formation permanente des chercheurs, ce qui peut expliquer quelques réticences à assimiler les Écoles à de banales actions de formation.

4.2 La variété des profils

Face à la situation pédagogique innovante d’une École Thématique, chacun des membres de l’auditoire se positionne en fonction de son profil. Nous avons identifié différentes attitudes :

• l’attitude studieuse, conforme au modèle traditionnel de l’enseignement magistral. Il s’agit d’enregistrer des messages pour un éventuel usage au laboratoire. L’exploration des messages mémorisés sera alors mise en action selon un mode séquentiel ;

• l’attitude d’autocensure pour se conformer au modèle traditionnel. Il s’agit pour cela de neutraliser provisoirement son questionnement afin de limiter les pertes des messages émis par le conférencier ;

• l’attitude constructiviste : n’hésitant pas à interrompre le conférencier par les questions qu’il pose à tout instant, le chercheur tente d’inscrire les réponses qu’il attend dans sa problématique de recherche ;

• l’attitude de remise en question : proche de l’attitude précédente, elle s’en différencie de plusieurs façons :

– par une prise de recul, par le chercheur, de sa problématique de recherche, – par une acceptation d’une déconstruction de son questionnement,

– par une acceptation d’attendre, pour entreprendre la réorganisation de sa problématique de recherche, d’avoir reformulé la structure conceptuelle qui la sous-tend.

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5. CONCLUSION

À tout moment, le chercheur doit se positionner dans le savoir, le questionnement et l’ignorance, pour choisir son sujet de recherche, pour concevoir et conduire ses expériences et interpréter ses résultats, pour se former. L’analyse des mouvements entre ces trois composantes, établie sur la base de nos observations, nous a servi de jalons pendant une vingtaine d’années dans la mise en œuvre des Écoles Thématiques. Nous souhaitons que les spécialistes de la didactique se saisissent de cette problématique, en particulier pour explorer les points suivants :

• la différenciation entre quatre pratiques : celle de l’apprenant, celle du chercheur, celle de l’apprenant pour devenir chercheur, celle du chercheur contraint d’apprendre ;

• la transférabilité des pratiques s’inscrivant dans le savoir en cours de constitution (le non-connu) à celle s’inscrivant dans le savoir constitué ;

• les conséquences de l’évolution dans la conception du métier de chercheur sur les modes de formation à la recherche.

Mais est-ce que la discipline didactique décèlera en son sein des chercheurs en mesure d’aborder ce questionnement ?

BIBLIOGRAPHIE

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GIORDAN A. (2002) Apprendre : un véritable défi. Lettre des Sciences chimiques, CNRS, 78, 28-31.

Références

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