N° 29 1998
RECHERCHE
FORtâmiON
pour les professions de l'éducation
Les sciences humaines et sociales dans la formation
des ingénieurs
INSTITUT NATIONAL
tf tSïïttyD
DE RECHERCHEPEDAGOGIQUE
llilyH l\l
Département "Politiques,pratiques et acteursdel'éducation"N° 29 1998
RECHERCHE
FORtâmiON
pour les professions de l'éducation
Les sciences humaines et sociales dans la formation
des ingénieurs
INSTITUT NATIONAL
tf tSïïttyD
DE RECHERCHEPEDAGOGIQUE
llilyH l\l
Département "Politiques,pratiques et acteursdel'éducation"RECHERCHE ETFORMATION
TROIS NUMÉROS PAR AN
NUMEROS AVENIR
THEMESRETENUS
N°
N°
N°
50 51 52
GérerUs compétencesdts personneIsdtl'ÉducATioN Innovation etFormatjon
LesMAFPEN
Vouspouvezécrire dansRechercheet Formation.Envoyez-nous vos articles. Ceux-ci ne pourrontdépasser 12 pages (3500signes par page). Veuillezjoindreunedisquetteetunrésuméde 10 lignes. Les
faire parvenirà : '
RechercheetFormation Àl'attentiondeRaymond BOURDONCLE INRP
-
29, rued'Ulm-
75230Pariscedex05 Pour tousrenseignementscomplémentaires: 01.46.34.91.40Vouspouvez consulterlessommaires etles résumésdela revue sur le siteInternetdel'INRP
http:/'www.inrp.fr
Composition PAO:N.PeIUeui-01600767 21 Couvertureetmaouette:Agence"7ICI" -016947 17 77
Impression:BîaLecSA,NANcy
© INRP,1998 ISSN:0988-1824 ISBN:2-7Ï42-06Ï7-4
RECHERCHEet FORMATION N°29 - 1998
RECHERCHE ETFORMATION
TROIS NUMÉROS PAR AN
NUMEROS AVENIR
THEMESRETENUS
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50 51 52
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RechercheetFormation Àl'attentiondeRaymond BOURDONCLE INRP
-
29, rued'Ulm-
75230Pariscedex05 Pour tousrenseignementscomplémentaires: 01.46.34.91.40Vouspouvez consulterlessommaires etles résumésdela revue sur le siteInternetdel'INRP
http:/'www.inrp.fr
Composition PAO:N.PeIUeui-01600767 21 Couvertureetmaouette:Agence"7ICI" -016947 17 77
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RECHERCHEet FORMATION N°29 - 1998
SOMMAIRE
IN°29
LES
SCIENCES HUMAINES
ETSOCIALES DANS LA FORMATION DES INGÉNIEURS
(O. Bardel-Denonain etM.-L. Chaix, rédacteurs en chef invités)
Editorial
5Autour
du mot « Ingénieur» : « L'identitéde"l'ingénieur"
:quelques repères historiques » de Hélène VÉRIN 11
1 . Les SHSdans lesformations d'ingénieurs
une approche multiréférenciée
Odette Bardel-Denonain, ChrisYounès : Rapprocher les Sciences humaines etsociales des hommes etde la société :
unenjeu transdisciplinairede recherche et de formation
....
21 Denis LemaÎTRE : Rôle, place etsignification des enseignementsdésignés sous l'appellation de « formation humaine »
dans les écoles d'ingénieurs 41
Marie-LaureCHAIX : Formeraux « Humanités » ouformer
auxSciences humaines et sociales? 51
2.
Constituer,
àpartir
des SHS, des savoirs utilesauxingénieurs dans l'exercice deleur
profession etconstruire
desparcours
de formation entre école et entreprise
Table ronde organisée par M.-L. Chaix et
O.
Bardel-Denonain....
73 5. Élaborer, àpartir
des SHS, desdispositifs
deformation
adaptésAUX processus de professionnalisation des ingénieurs Michel VlLLETTE : Le stage enentreprise peut-il devenir
un programme d'apprentissagefort?
95
AndréSauvage : Desvertus didactiques du projet 1
09
Bernard Fraysse : Professionnalisationet représentation socioprofessionnelle 1
27
*
* *
RECHERCHEet FORMATION N°29 - 1998
SOMMAIRE
IN°29
LES
SCIENCES HUMAINES
ETSOCIALES DANS LA FORMATION DES INGÉNIEURS
(O. Bardel-Denonain etM.-L. Chaix, rédacteurs en chef invités)
Editorial
5Autour
du mot « Ingénieur» : « L'identitéde"l'ingénieur"
:quelques repères historiques » de Hélène VÉRIN 11
1 . Les SHSdans lesformations d'ingénieurs
une approche multiréférenciée
Odette Bardel-Denonain, ChrisYounès : Rapprocher les Sciences humaines etsociales des hommes etde la société :
unenjeu transdisciplinairede recherche et de formation
....
21 Denis LemaÎTRE : Rôle, place etsignification des enseignementsdésignés sous l'appellation de « formation humaine »
dans les écoles d'ingénieurs 41
Marie-LaureCHAIX : Formeraux « Humanités » ouformer
auxSciences humaines et sociales? 51
2.
Constituer,
àpartir
des SHS, des savoirs utilesauxingénieurs dans l'exercice deleur
profession etconstruire
desparcours
de formation entre école et entreprise
Table ronde organisée par M.-L. Chaix et
O.
Bardel-Denonain....
73 5. Élaborer, àpartir
des SHS, desdispositifs
deformation
adaptésAUX processus de professionnalisation des ingénieurs Michel VlLLETTE : Le stage enentreprise peut-il devenir
un programme d'apprentissagefort?
95
AndréSauvage : Desvertus didactiques du projet 1
09
Bernard Fraysse : Professionnalisationet représentation socioprofessionnelle 1
27
*
* *
RECHERCHEet FORMATION N°29 - 1998
Sommaire
Waldeck
CARNEIRO DA SiLVA : Conceptions de l'instituteur et de son processus de formation chez les professeursd'université à Rio-de-Janeiro (Brésil) 1
43
LaurentMUCCHIELLI : La pédagogie universitaire en question :le pointde vue d'étudiants de premier cycleen psychologie . 161 Lectures
1. Notes cRmouES 1
'7
BarbierJ.-M., Galatanu
O.
(1998).-
Action, affects etformation de soi (Annette Gonnin-Bolo)Blanchard-Laville
Cl.,
Fablet D.-
Analyser lespratiques professionnelles collectives (AlbertMoyne)Bouvier
A.,
ObinJ.-P.(1998). -
La formation des enseignants (RaymondBourdoncle)TERRALH. (1
998). -
ies savoirsdu maître. EnseignerdeGuizot à Ferry ()ean-PaulMartin)7. NousAVONS REÇU 189
Actualités
1 . Rencontres etcoLIooues 191
Du colloque « Histoiresde vie etdynamique langagières »
à un programme de rechercheet formation (Christian Leray)
2. Prochaines rencontres 1
95
-
3e Congrès international de l'AECSE, du 28 au30
juin 1999
à Bordeaux.
-
23e congrès international de l'AFEC du 8 au 10 juillet 1999 à Strasbourg.-
24e congrès annuel de l'ATEE du30
aoûtau 5 septembre 1999
à Leipzig (Allemagne).
-
ColloqueADMEE : L'évaluation des politiques d'éducation, les 15, 16, 17septembre 1999 à Dijon.-
ECER99,
conférence européenne du 22 au 25 septembre 1999
à Lahti (Finlande).
-
Éducation etformation pour le XXIesiècle : visions, modèles, efficacité, du29
septembre au 2 octobre 1999
à Neufchâtel (Suisse).-
Coopération internationale, professionnalisation des enseignants et multiculturalité, en octobre 1999
en Haute-Alsace.RECHERCHEelFORMATION N°29 - 1998 Sommaire
Waldeck
CARNEIRO DA SiLVA : Conceptions de l'instituteur et de son processus de formation chez les professeursd'université à Rio-de-Janeiro (Brésil) 1
43
LaurentMUCCHIELLI : La pédagogie universitaire en question :le pointde vue d'étudiants de premier cycleen psychologie . 161 Lectures
1. Notes cRmouES 1
'7
BarbierJ.-M., Galatanu
O.
(1998).-
Action, affects etformation de soi (Annette Gonnin-Bolo)Blanchard-Laville
Cl.,
Fablet D.-
Analyser lespratiques professionnelles collectives (AlbertMoyne)Bouvier
A.,
ObinJ.-P.(1998). -
La formation des enseignants (RaymondBourdoncle)TERRALH. (1
998). -
ies savoirsdu maître. EnseignerdeGuizot à Ferry ()ean-PaulMartin)7. NousAVONS REÇU 189
Actualités
1 . Rencontres etcoLIooues 191
Du colloque « Histoiresde vie etdynamique langagières »
à un programme de rechercheet formation (Christian Leray)
2. Prochaines rencontres 1
95
-
3e Congrès international de l'AECSE, du 28 au30
juin 1999
à Bordeaux.
-
23e congrès international de l'AFEC du 8 au 10 juillet 1999 à Strasbourg.-
24e congrès annuel de l'ATEE du30
aoûtau 5 septembre 1999
à Leipzig (Allemagne).
-
ColloqueADMEE : L'évaluation des politiques d'éducation, les 15, 16, 17septembre 1999 à Dijon.-
ECER99,
conférence européenne du 22 au 25 septembre 1999
à Lahti (Finlande).
-
Éducation etformation pour le XXIesiècle : visions, modèles, efficacité, du29
septembre au 2 octobre 1999
à Neufchâtel (Suisse).-
Coopération internationale, professionnalisation des enseignants et multiculturalité, en octobre 1999
en Haute-Alsace.RECHERCHEelFORMATION N°29 - 1998
EDITORIAL
Pourquoi un numéro de RechercheetFormation, revuedédiée aux professions de l'éducation et de laformation, surlesScienceshumainesetsocialesdans la forma¬
tiondes ingénieurs, alorsquece thèmesemblen'intéresserqu'unecatégorie defor¬
mateurs?
Parceque,nousallonslevoir,cetenseignementestrévélateur de laplace et durôle desSHSdans laformationde professionnelspourlesquels ladimensionhumaine et socialeestconsidéréecommeessentielleà leur activité. C'estprécisément lecasde la profession d'ingénieur commec'est le cas également de la profession d'ensei¬
gnantou de formateur. Eneffet, même sion atendance à l'oublier« lechamp de responsabilités(desingénieurs)nepeutêtrelimitéà latechnologie: ilsdoiventélar¬
gir leurspréoccupationsà de multiplesaspects humains,sociaux,politiques etéco¬
nomiques » (1), avecdes polarités différentes suivant le rôlespécifique de l'ingé¬
nieur : expertise, management, ingénierie... Les ingénieurs soulignent d'ailleurs qu'ilsdoivent actuellement être capables deconduire« l'étudeglobale d'un projet industriel soustoussesaspectstechniques,économiques,financiers,sociaux».
Or,enformation d'ingénieur,lesSciencesdel'hommeetdelasociété (SHS)sontpla¬
céesdans unesituation àla fois inconfortableetparadoxale.
Trèsvalorisésdans l'affichagedesformationsde type scientifique et technique, ces enseignementspeuvent êtremaltraitésdans lefonctionnement institutionneleffectif:
ilssontsouventconsidéréscommedes«prestataires de service»plutôt que comme desenseignementsàpartentière,enconcurrence aveclesdisciplines scientifiques et techniquesquandilsprétendentdirequelquechosesur la professionnalitédes ingé¬
nieurs etsurleurrôle dans lesprocessusde professionnalisation.
1 - «Humanitéspourl'ingénieur»,documentjoint à laconférenceplénière prononcéepar M.Camus,Directeur del'enseignement supérieurdestélécommunications,Présidentducomité d'organisation du colloque delaConférencedesGrandesÉcoles,nov. 1996,Lyon.
Pages5-10 RECHERCHEet FORMATION N° 29 - 1998
EDITORIAL
Pourquoi un numéro de RechercheetFormation, revuedédiée aux professions de l'éducation et de laformation, surlesScienceshumainesetsocialesdans la forma¬
tiondes ingénieurs, alorsquece thèmesemblen'intéresserqu'unecatégorie defor¬
mateurs?
Parceque,nousallonslevoir,cetenseignementestrévélateur de laplace et durôle desSHSdans laformationde professionnelspourlesquels ladimensionhumaine et socialeestconsidéréecommeessentielleà leur activité. C'estprécisément lecasde la profession d'ingénieur commec'est le cas également de la profession d'ensei¬
gnantou de formateur. Eneffet, même sion atendance à l'oublier« lechamp de responsabilités(desingénieurs)nepeutêtrelimitéà latechnologie: ilsdoiventélar¬
gir leurspréoccupationsà de multiplesaspects humains,sociaux,politiques etéco¬
nomiques » (1), avecdes polarités différentes suivant le rôlespécifique de l'ingé¬
nieur : expertise, management, ingénierie... Les ingénieurs soulignent d'ailleurs qu'ilsdoivent actuellement être capables deconduire« l'étudeglobale d'un projet industriel soustoussesaspectstechniques,économiques,financiers,sociaux».
Or,enformation d'ingénieur,lesSciencesdel'hommeetdelasociété (SHS)sontpla¬
céesdans unesituation àla fois inconfortableetparadoxale.
Trèsvalorisésdans l'affichagedesformationsde type scientifique et technique, ces enseignementspeuvent êtremaltraitésdans lefonctionnement institutionneleffectif:
ilssontsouventconsidéréscommedes«prestataires de service»plutôt que comme desenseignementsàpartentière,enconcurrence aveclesdisciplines scientifiques et techniquesquandilsprétendentdirequelquechosesur la professionnalitédes ingé¬
nieurs etsurleurrôle dans lesprocessusde professionnalisation.
1 - «Humanitéspourl'ingénieur»,documentjoint à laconférenceplénière prononcéepar M.Camus,Directeur del'enseignement supérieurdestélécommunications,Présidentducomité d'organisation du colloque delaConférencedesGrandesÉcoles,nov. 1996,Lyon.
Pages5-10 RECHERCHEet FORMATION N° 29 - 1998
Editorial
LesSciencesdel'hommeetde lasociétésontaussiconfrontéesàunecontradiction: d'unepart, unendettementdisciplinaire renforcéparlefonctionnement institutionnel qui nereconnaît comme légitimes que les savoirs produits dans lecadred'unedis¬
cipline, ce quisuppose, pour lesenseignants, uneappartenanceet des travaux de rechercherelevantd'un cnamp disciplinaireidentifié; d'autrepart,uneconfrontation à dessituations d'action qui ne peuventêtreappréhendéesque de manière trans¬
disciplinaire(2).
Pourtant, commeon peutle lire dansle textefondateur de « l'Atelierpermanent » (3) : « Parcequel'ingénieur(...)agitdeplusen plusdirectementsurl'ordresocial, ilest indispensable deformercetingénieuren lesensibilisantàuneperceptionarti¬
culéedesonrôleetdelaportée desesactionsdansle tissusocial.»Aussibien, avec les membresdece réseaude réflexion etde recherchesur« lessciences humaines etles métiersde l'ingénieur»,nous estimonsqu'ilest« légitimed'affirmerquel'en¬
semble ducursusdoitêtrestructurésurla based'une exposition raisonnée de l'in¬
teraction technologie-société-sujet », réaffirmant ainsi que les SHS ont une place dansles formationsd'ingénieurs.
Decefait,lesSHSsontrenvoyéesàplusieursinterrogations, interrogationsquiinté¬
ressentd'autres champs disciplinaires confrontésaussi auxquestions de la profes¬
sionnalisation. Ellesconcernent:
Les contenusqualifiantsqui sont au fondement de leur intervention dans lafor¬
mationdesingénieurs. Eneffet, les SHSn'ont pas pour objectif de formerdes socio¬
logues, des psychologues, des psychosociologues, etc., mais des hommes et des femmes agissant dans uncontexte professionneldéterminé. Ces enseignementsont donc à se situerà la fois par rapport aux différentes disciplines constitutives du champ des Sciencesde l'homme etde la société, pour intégrerleurs apports res¬
pectifs, efpar rapportà la réalité professionnelledesingénieurs.
La finalitédeces formations : l'action, l'intervention. En tant qu'agentactifde professionnalisation, l'enseignement relevant desSHSdanslesécolesd'ingénieurest confronté àuneforme de désorientation liéeà l'éclatement delaprofessiond'ingé¬
nieur et,par suite,à la nécessitéde construirede nouveauxrepères afin de mieux aborderlesmétiersactuelsde l'ingénieur. Ainsi, lesSHSsontdetoutes lesactivités
« terrain », elles aident les élèves-ingénieurs
-
et les ingénieurs-
à construire le contexte de leur activité, à situer leurintervention, à se positionner dans l'action.2 - TermeforgéparI.Stangers etdontrendcompteF. Dossedans sonouvrage L'empiredu sens, 1995,pp. 387-388 : « Latransdisciplinaritéimpliquela réunion deplusieurs spécia¬
listesautour delatentativede résolution d'unproblèmecommun.»
3 - Atelier permanent:réseaud'enseignants,d'ingénieursetdechercheurspourl'enseigne¬
mentdes scienceshumaines en écolesd'ingénieurs.
RECHERCHEet FORMATION N° 29 - 1998 Editorial
LesSciencesdel'hommeetde lasociétésontaussiconfrontéesàunecontradiction: d'unepart, unendettementdisciplinaire renforcéparlefonctionnement institutionnel qui nereconnaît comme légitimes que les savoirs produits dans lecadred'unedis¬
cipline, ce quisuppose, pour lesenseignants, uneappartenanceet des travaux de rechercherelevantd'un cnamp disciplinaireidentifié; d'autrepart,uneconfrontation à dessituations d'action qui ne peuventêtreappréhendéesque de manière trans¬
disciplinaire(2).
Pourtant, commeon peutle lire dansle textefondateur de « l'Atelierpermanent » (3) : « Parcequel'ingénieur(...)agitdeplusen plusdirectementsurl'ordresocial, ilest indispensable deformercetingénieuren lesensibilisantàuneperceptionarti¬
culéedesonrôleetdelaportée desesactionsdansle tissusocial.»Aussibien, avec les membresdece réseaude réflexion etde recherchesur« lessciences humaines etles métiersde l'ingénieur»,nous estimonsqu'ilest« légitimed'affirmerquel'en¬
semble ducursusdoitêtrestructurésurla based'une exposition raisonnée de l'in¬
teraction technologie-société-sujet », réaffirmant ainsi que les SHS ont une place dansles formationsd'ingénieurs.
Decefait,lesSHSsontrenvoyéesàplusieursinterrogations, interrogationsquiinté¬
ressentd'autres champs disciplinaires confrontésaussi auxquestions de la profes¬
sionnalisation. Ellesconcernent:
Les contenusqualifiantsqui sont au fondement de leur intervention dans lafor¬
mationdesingénieurs. Eneffet, les SHSn'ont pas pour objectif de formerdes socio¬
logues, des psychologues, des psychosociologues, etc., mais des hommes et des femmes agissant dans uncontexte professionneldéterminé. Ces enseignementsont donc à se situerà la fois par rapport aux différentes disciplines constitutives du champ des Sciencesde l'homme etde la société, pour intégrerleurs apports res¬
pectifs, efpar rapportà la réalité professionnelledesingénieurs.
La finalitédeces formations : l'action, l'intervention. En tant qu'agentactifde professionnalisation, l'enseignement relevant desSHSdanslesécolesd'ingénieurest confronté àuneforme de désorientation liéeà l'éclatement delaprofessiond'ingé¬
nieur et,par suite,à la nécessitéde construirede nouveauxrepères afin de mieux aborderlesmétiersactuelsde l'ingénieur. Ainsi, lesSHSsontdetoutes lesactivités
« terrain », elles aident les élèves-ingénieurs
-
et les ingénieurs-
à construire le contexte de leur activité, à situer leurintervention, à se positionner dans l'action.2 - TermeforgéparI.Stangers etdontrendcompteF. Dossedans sonouvrage L'empiredu sens, 1995,pp. 387-388 : « Latransdisciplinaritéimpliquela réunion deplusieurs spécia¬
listesautour delatentativede résolution d'unproblèmecommun.»
3 - Atelier permanent:réseaud'enseignants,d'ingénieursetdechercheurspourl'enseigne¬
mentdes scienceshumaines en écolesd'ingénieurs.
RECHERCHEet FORMATION N° 29 - 1998
Editorial
Ellesinduisent uneréflexion surlesprocessusd'élaborationdesidentitésprofession¬
nelles,comme sur laconstructiondescompétencesetdessavoirs« utiles»pourdes professionnels qui, en raison de leurs activitésde management, sontamenés à se poserdesquestionsdepouvoir,d'autorité, de responsabilité...
Leur contribution à l'épistémologiedes sciences. En particulier par la relation savoir/actionqui, commelerappelleR.Prost,estàattaquer surleplan épistémolo¬
gique car«la questiondel'opératoirenerelèvepasdu modèledessciencesappli¬
quées,maisdela transformationentre desconceptions dumonde etdesobjets ».
Cesquestionsvalentd'êtreposéesdanslamesure où « lesdisciplinesdes Sciences del'homme etdelasociétéont leurmotàdire,dessavoirs etdessavoir-faireàdis¬
penser,à faire valoir, précisémentcommefondement de toute compétence, en ins¬
crivantl'action danslechamp social, dans lerapportàautrui,c'est-à-dire dans la finalitédes finalités, forcément politique, à savoir l'actualisation quotidienne et en acte de la sociétéglobale. »(4)
Rapport à l'action, aux autres disciplines scientifiques et techniques, à leur propre champ de constitution, autant de préoccupations qui font que les Sciences de l'hommeetde lasociétésontà la mêmecroiséeproblématique quelesSciencesde l'éducation. Accueillir une réflexion sur les SHS dans la formation des ingénieurs constitueainsi un intérêtsupplémentairepourla revue RechercheetFormation.
LesSciencesde l'éducation,en effet,depar leur structurepluridisciplinaire,ont dû inventerdes modesdedialogueentrelesdisciplines relevantde leurdomaine,mais aussiaveclesautresdisciplines scientifiques et techniques. Ellesontence sens voca¬
tionàintervenirpour favoriser l'instauration de dialogues entre différents domaines disciplinaires intervenant danslesformationsd'ingénieur.Deparlesobjetsauxquels elles sont confrontées, elles sont obligées d'élaborer une réflexion sur la façon d'aborderlesquestionsdeterrain(projets, stages, études deterrain),questionsqui sont centralesdans laformation desingénieurs. Ellessontégalement attentivesaux dispositifs de formation permettant de construire des interfaces entre disciplines commeentreformationetentreprise. Leursexigencesconcernantlesprocessusd'ap¬
prentissageleur permettent deconduireuneinterrogation tantpourconstituer,àpar¬
tirdes Sciencesdel'homme etdela société, des savoirsutilesà cesprofessionnels quesontlesingénieurs, quepourconstruiredesparcours deformation entre école etentrepriseassociantdimension cognitive et dimensionshumaine et sociale.
4 - Architecte,Ingénieur, desmétiersetdesprofessions,Paris,Éd.delaVillette,1997,Actes duséminaire del'AssociationSHS-TEST(Temps,Espace, Société,Territoire), 22 mars 1996, INSA,Lyon.
RECHERCHEet FORMATION N°29 - 1998 Editorial
Ellesinduisent uneréflexion surlesprocessusd'élaborationdesidentitésprofession¬
nelles,comme sur laconstructiondescompétencesetdessavoirs« utiles»pourdes professionnels qui, en raison de leurs activitésde management, sontamenés à se poserdesquestionsdepouvoir,d'autorité, de responsabilité...
Leur contribution à l'épistémologiedes sciences. En particulier par la relation savoir/actionqui, commelerappelleR.Prost,estàattaquer surleplan épistémolo¬
gique car«la questiondel'opératoirenerelèvepasdu modèledessciencesappli¬
quées,maisdela transformationentre desconceptions dumonde etdesobjets ».
Cesquestionsvalentd'êtreposéesdanslamesure où « lesdisciplinesdes Sciences del'homme etdelasociétéont leurmotàdire,dessavoirs etdessavoir-faireàdis¬
penser,à faire valoir, précisémentcommefondement de toute compétence, en ins¬
crivantl'action danslechamp social, dans lerapportàautrui,c'est-à-dire dans la finalitédes finalités, forcément politique, à savoir l'actualisation quotidienne et en acte de la sociétéglobale. »(4)
Rapport à l'action, aux autres disciplines scientifiques et techniques, à leur propre champ de constitution, autant de préoccupations qui font que les Sciences de l'hommeetde lasociétésontà la mêmecroiséeproblématique quelesSciencesde l'éducation. Accueillir une réflexion sur les SHS dans la formation des ingénieurs constitueainsi un intérêtsupplémentairepourla revue RechercheetFormation.
LesSciencesde l'éducation,en effet,depar leur structurepluridisciplinaire,ont dû inventerdes modesdedialogueentrelesdisciplines relevantde leurdomaine,mais aussiaveclesautresdisciplines scientifiques et techniques. Ellesontence sens voca¬
tionàintervenirpour favoriser l'instauration de dialogues entre différents domaines disciplinaires intervenant danslesformationsd'ingénieur.Deparlesobjetsauxquels elles sont confrontées, elles sont obligées d'élaborer une réflexion sur la façon d'aborderlesquestionsdeterrain(projets, stages, études deterrain),questionsqui sont centralesdans laformation desingénieurs. Ellessontégalement attentivesaux dispositifs de formation permettant de construire des interfaces entre disciplines commeentreformationetentreprise. Leursexigencesconcernantlesprocessusd'ap¬
prentissageleur permettent deconduireuneinterrogation tantpourconstituer,àpar¬
tirdes Sciencesdel'homme etdela société, des savoirsutilesà cesprofessionnels quesontlesingénieurs, quepourconstruiredesparcours deformation entre école etentrepriseassociantdimension cognitive et dimensionshumaine et sociale.
4 - Architecte,Ingénieur, desmétiersetdesprofessions,Paris,Éd.delaVillette,1997,Actes duséminaire del'AssociationSHS-TEST(Temps,Espace, Société,Territoire), 22 mars 1996, INSA,Lyon.
RECHERCHEet FORMATION N°29 - 1998
Editorial
Dansce numéro, c'estdonc bien à partirdes interrogationsdes Sciencesdel'édu¬
cation quelesSHSserontquestionnées sur leurs contributions à laprofessionnalisa¬
tion desingénieurs,sanspour autantêtresoumises à laquestion;interrogationsqui concernent finalement, au-delàdesseuls enseignantsdeSHS en formation d'ingé¬
nieurs, l'ensembledesprofessionsdel'éducationetde laformation.
Cette réflexionà partirdenosexpériencesd'enseignantes et dechercheursen for¬
mationd'ingénieurnousaconduitsàorganisercenuméroautour de troisaxescor¬
respondant aux modes d'intervention majeurs des Sciences de l'homme etde la sociétédanscesformations :
1. lesSHSdanslesformationsd'ingénieurs: uneapproche multiréférencée; 2. constituer,à partirdesSHS,dessavoirs utilesaux ingénieurs dans l'exercice de leur professionetconstruiredescompétences ;
3. élaborer, à partirdes SHS, des dispositifs etdes parcours de formation entre école etentreprise adaptésauxprocessus deprofessionnalisationdesingénieurs.
Lestrois premiers articlesdecenuméroontpourfonction demettredel'ordredans la confusion ambiante: comment nommer lesformationsqui, danslesécoles d'ar¬
chitectesoud'ingénieurs,nerelèventpas desdisciplines scientifiquesettechniques?
Formation humaine? Humanités? Sciences humaines et sociales? Peut-on dire, d'ailleurs,quecesont desdisciplinesaumêmetitre quecellescitéesprécédemment?
Les deux premiers articles dece groupe empruntent, à ce propos,des démarches opposées : Odette Bardel-Denonain et Chris Younès se situent clairement dans le champ des SHS;elles proposentunedémarche multiréférencée,transdisciplinaire, qui participe à redéfinir les SHS en intégrant de nouveaux paradigmes, et à les orientervers la compréhensiondes situations d'action. Denis Lemaître, à l'inverse, prenant acte de la « nébuleuse disciplinaire » deceque l'on appelle« formation humaine»danslesécolesd'ingénieurs, cherche àmettre enplaceune«matricedis¬
ciplinaire» propreàenrendrecompte.
Dans letroisièmearticle,Marie-Laure Chaix montre, àpartirdel'examendesdiffé¬
rentsenjeux portésparlesgroupesseréférant soitaux Humanitéset àlaformafion humaine, soit aux SHS, queces appellations sont révélatrices du rapport que les écolesentretiennent avec lessituationsprofessionnellesréelles et laconstruction des professionnalités.
Sur ledeuxièmeaxe, la table rondeet ledébatontéfépréférés à l'entretien habi¬
tuel.Ils'agissaitd'accumulerdespropositionspourpenseretpour faire laformafion et d'amorcer un débat à partir de différentes positions. Un exercice pratique de transdisciplinarité,enquelquesorte. Ydominentlesquestionsdu rapportdes SHSà l'actionetaux techniques ainsi que l'importancedutravaildes SHSsurl'expérience etlecoursdel'action.
RECHERCHEetFORMATION N° 29 - 1998 Editorial
Dansce numéro, c'estdonc bien à partirdes interrogationsdes Sciencesdel'édu¬
cation quelesSHSserontquestionnées sur leurs contributions à laprofessionnalisa¬
tion desingénieurs,sanspour autantêtresoumises à laquestion;interrogationsqui concernent finalement, au-delàdesseuls enseignantsdeSHS en formation d'ingé¬
nieurs, l'ensembledesprofessionsdel'éducationetde laformation.
Cette réflexionà partirdenosexpériencesd'enseignantes et dechercheursen for¬
mationd'ingénieurnousaconduitsàorganisercenuméroautour de troisaxescor¬
respondant aux modes d'intervention majeurs des Sciences de l'homme etde la sociétédanscesformations :
1. lesSHSdanslesformationsd'ingénieurs: uneapproche multiréférencée; 2. constituer,à partirdesSHS,dessavoirs utilesaux ingénieurs dans l'exercice de leur professionetconstruiredescompétences ;
3. élaborer, à partirdes SHS, des dispositifs etdes parcours de formation entre école etentreprise adaptésauxprocessus deprofessionnalisationdesingénieurs.
Lestrois premiers articlesdecenuméroontpourfonction demettredel'ordredans la confusion ambiante: comment nommer lesformationsqui, danslesécoles d'ar¬
chitectesoud'ingénieurs,nerelèventpas desdisciplines scientifiquesettechniques?
Formation humaine? Humanités? Sciences humaines et sociales? Peut-on dire, d'ailleurs,quecesont desdisciplinesaumêmetitre quecellescitéesprécédemment?
Les deux premiers articles dece groupe empruntent, à ce propos,des démarches opposées : Odette Bardel-Denonain et Chris Younès se situent clairement dans le champ des SHS;elles proposentunedémarche multiréférencée,transdisciplinaire, qui participe à redéfinir les SHS en intégrant de nouveaux paradigmes, et à les orientervers la compréhensiondes situations d'action. Denis Lemaître, à l'inverse, prenant acte de la « nébuleuse disciplinaire » deceque l'on appelle« formation humaine»danslesécolesd'ingénieurs, cherche àmettre enplaceune«matricedis¬
ciplinaire» propreàenrendrecompte.
Dans letroisièmearticle,Marie-Laure Chaix montre, àpartirdel'examendesdiffé¬
rentsenjeux portésparlesgroupesseréférant soitaux Humanitéset àlaformafion humaine, soit aux SHS, queces appellations sont révélatrices du rapport que les écolesentretiennent avec lessituationsprofessionnellesréelles et laconstruction des professionnalités.
Sur ledeuxièmeaxe, la table rondeet ledébatontéfépréférés à l'entretien habi¬
tuel.Ils'agissaitd'accumulerdespropositionspourpenseretpour faire laformafion et d'amorcer un débat à partir de différentes positions. Un exercice pratique de transdisciplinarité,enquelquesorte. Ydominentlesquestionsdu rapportdes SHSà l'actionetaux techniques ainsi que l'importancedutravaildes SHSsurl'expérience etlecoursdel'action.
RECHERCHEetFORMATION N° 29 - 1998
Editorial
Sur letroisièmeaxe, deux situationsdeformationsont présentéesqui sont caracté¬
ristiques desformationsd'architecteefd'ingénieur :lestage et leprojet.
Faisant unsortaux pratiques habituelles dansce domaine, Michel Villettepropose quelestagesoituntempsfortdelaformation et,pourcefaire,de mettreen
uvre
une démarche intellectuelle inspiréede la traditionsociologique de l'école deChi¬
cago,del'enquêteethnologique etde larecherchecliniqueengestion. Ilréhabilite, ainsi, le rôledes enseignantsdans la conduitedes stages et la réalisation de rap¬
portsdestagerigoureux,« une mined'informationsdepremière main »utilisables pourlesrecherches. Ildéfinit, dans lemêmetemps, pour l'étudiant, une position de stagiaire impliquéeetdistancéequiviseàlui donneruneautonomiede penséeet, donc, deregardsur cequisepasseenentreprise.
AndréSauvage,quantà lui, nousengage sur leprojetd'architecte. D'où il ressort que ce projet-là est assezdifférent du projet d'ingénieurtel que nous pouvons le connaître.L'unedesdifférencesprincipalestient-elle aufaitqueleprojet d'architecte
sefaitdansl'atelierdel'école etleprojetd'ingénieurdans celui del'entreprise ou, toutau moins, enproximité aveclespréoccupations del'entreprise?Lerapport aux enseignants n'est pas non plus le même : en architecture, parce que le projet se construit dans le cadre scolaire, l'enseignant doit cumuler le rôle de « maître », capabledu
chef-d'
et celui de« compagnon », capable de partager sonsavoir. Dans leprojet d'ingénieur,cesrôlessontdévolusaututeurd'entreprise. Cette contribution est l'occasion d'entrer dans cetespace très particulier de l'atelier et d'exploreravecl'auteurleschemins de lacréation.
EnfinBernard Frayssemontrequelesreprésentations quelesingénieurs en forma¬
tion sefontde leur futur métier conditionnent leurinvestissementdans laformation tandis que,selon un mouvementinverse, lecontact avecde nouveaux savoirs etde nouveauxtypesdeformation transforme la représentationdufuturmétier.C'estainsi quel'on peutcomprendre leprocessus deprofessionnalisation encoursde forma¬
tion etla place que tiennentles SHSdansla dynamique de transformation deces représentations.
Afinque les enseignants et lesformateurs, principaux lecteurs decette revue, per¬
çoivent mieuxce qu'est un « ingénieur », la rubrique« Autourdesmots » lui est consacrée. Cetterubrique aétéconfiéeàHélèneVérin, auteur deLagloiredes ingé¬
nieurs (5), parce que les repères historiques qu'elle nous propose aident à com¬
prendre pourquoi et comment se pose, aujourd'hui, la question de l'identité de
5 - HélèneVérin,Lagloiredesingénieurs.L'intelligence techniqueduXVIeauXVIIIesiècle, Paris,Albin-Michel, 1993.
Editorial
Sur letroisièmeaxe, deux situationsdeformationsont présentéesqui sont caracté¬
ristiques desformationsd'architecteefd'ingénieur :lestage et leprojet.
Faisant unsortaux pratiques habituelles dansce domaine, Michel Villettepropose quelestagesoituntempsfortdelaformation et,pourcefaire,de mettreen
uvre
une démarche intellectuelle inspiréede la traditionsociologique de l'école deChi¬
cago,del'enquêteethnologique etde larecherchecliniqueengestion. Ilréhabilite, ainsi, le rôledes enseignantsdans la conduitedes stages et la réalisation de rap¬
portsdestagerigoureux,« une mined'informationsdepremière main »utilisables pourlesrecherches. Ildéfinit, dans lemêmetemps, pour l'étudiant, une position de stagiaire impliquéeetdistancéequiviseàlui donneruneautonomiede penséeet, donc, deregardsur cequisepasseenentreprise.
AndréSauvage,quantà lui, nousengage sur leprojetd'architecte. D'où il ressort que ce projet-là est assezdifférent du projet d'ingénieurtel que nous pouvons le connaître.L'unedesdifférencesprincipalestient-elle aufaitqueleprojet d'architecte
sefaitdansl'atelierdel'école etleprojetd'ingénieurdans celui del'entreprise ou, toutau moins, enproximité aveclespréoccupations del'entreprise?Lerapport aux enseignants n'est pas non plus le même : en architecture, parce que le projet se construit dans le cadre scolaire, l'enseignant doit cumuler le rôle de « maître », capabledu
chef-d'
et celui de« compagnon », capable de partager sonsavoir. Dans leprojet d'ingénieur,cesrôlessontdévolusaututeurd'entreprise. Cette contribution est l'occasion d'entrer dans cetespace très particulier de l'atelier et d'exploreravecl'auteurleschemins de lacréation.
EnfinBernard Frayssemontrequelesreprésentations quelesingénieurs en forma¬
tion sefontde leur futur métier conditionnent leurinvestissementdans laformation tandis que,selon un mouvementinverse, lecontact avecde nouveaux savoirs etde nouveauxtypesdeformation transforme la représentationdufuturmétier.C'estainsi quel'on peutcomprendre leprocessus deprofessionnalisation encoursde forma¬
tion etla place que tiennentles SHSdansla dynamique de transformation deces représentations.
Afinque les enseignants et lesformateurs, principaux lecteurs decette revue, per¬
çoivent mieuxce qu'est un « ingénieur », la rubrique« Autourdesmots » lui est consacrée. Cetterubrique aétéconfiéeàHélèneVérin, auteur deLagloiredes ingé¬
nieurs (5), parce que les repères historiques qu'elle nous propose aident à com¬
prendre pourquoi et comment se pose, aujourd'hui, la question de l'identité de
5 - HélèneVérin,Lagloiredesingénieurs.L'intelligence techniqueduXVIeauXVIIIesiècle, Paris,Albin-Michel, 1993.
10
Editorial
l'ingénieur. Reprenant les quatre critères d'identification des ingénieurs « invaria¬
blement convoqués»
-
soit, lessavoirs,laformation,lescompétences, laplace dans la hiérarchie sociale-,
elleexamine commentcescritèresont permisd'identifierce qu'est un ingénieurà trois momentscritiques deson histoire : la démocratieathé¬nienne, la Renaissance du XVIe siècle, l'apparition de l'ingénieur moderne au XIXesiècle. Elle nousoffre, decettefaçon,unguidede lecturepourlesarticlesdece numéro.
Interroger, aujourd'hui lerôleetla placedesSciences humainesetsocialesdans la formationdesingénieurs,cen'estpas,seulement, s'interrogersurleurutilité sociale à travers la capacitéde ces sciences à prendre en charge la dimension humaine requise dansdenombreuses professions,c'estaussi s'interrogersur leurcapacité à éclairerdeleur expertiseproprecet acteéminemment socialqu'estlaformation de tout professionnel,etcontribuer,ainsi,à lerendreplusefficace.
Odette BARDEL-DENONAIN CUST,UniversitéBiaisePascal,Clermont-Ferrand Marie-Laure CHAIX ENESAD (dép. FormationetCommunication), Dijon
RECHERCHE etFORMATION N° 29 - 1998
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Editorial
l'ingénieur. Reprenant les quatre critères d'identification des ingénieurs « invaria¬
blement convoqués»
-
soit, lessavoirs,laformation,lescompétences, laplace dans la hiérarchie sociale-,
elleexamine commentcescritèresont permisd'identifierce qu'est un ingénieurà trois momentscritiques deson histoire : la démocratieathé¬nienne, la Renaissance du XVIe siècle, l'apparition de l'ingénieur moderne au XIXesiècle. Elle nousoffre, decettefaçon,unguidede lecturepourlesarticlesdece numéro.
Interroger, aujourd'hui lerôleetla placedesSciences humainesetsocialesdans la formationdesingénieurs,cen'estpas,seulement, s'interrogersurleurutilité sociale à travers la capacitéde ces sciences à prendre en charge la dimension humaine requise dansdenombreuses professions,c'estaussi s'interrogersur leurcapacité à éclairerdeleur expertiseproprecet acteéminemment socialqu'estlaformation de tout professionnel,etcontribuer,ainsi,à lerendreplusefficace.
Odette BARDEL-DENONAIN CUST,UniversitéBiaisePascal,Clermont-Ferrand Marie-Laure CHAIX ENESAD (dép. FormationetCommunication), Dijon
RECHERCHE etFORMATION N° 29 - 1998
p AUTOUR DU MOT
«INGÉNIEUR
»||
L'IDENTITÉ DE « L'INGÉNIEUR »*|
QUELQUES REPÈRES HISTORIQUES,^S Cette «u'>»'<'1'£ p*oposEautourd'uNouàt oueIquesmoisune IiaIie pEnsivEÀTRAVERSu»
j|j|; choixdE ciTATJONS SiqNiFÎCATivES EMPRUNTÉES ÀdES ÉpooUES,dES IÎEUXETdES HORJZONS
^à diFFÉRENTS.
L'identité de l'ingénieur estdevenue problématique. Pour certains, la question est critique, symptôme d'une crise qui appelle des mesures. Pour dresser ce constat, quatre critères d'identification sont invariablement convoqués : les savoirs, la for¬
mation, lescompétences,laplacedans lahiérarchie sociale.
L'identification del'ingénieurparsondomainedesavoirpropre :technique,science appliquée, science industrielle..., prend appui sur l'organisation positiviste des connaissances. Cetteorganisationsecaractérise par deux grands clivages hiérar¬
chiques: entresciencespures etsciencesappliquées et entresciences physiques et sciences humaines. Cesclivages et ces hiérarchies, décisifspour l'identification de l'ingénieur,sont remis encause,enparticulierparl'émergencedessciences cogni¬
tives et de l'intelligence artificielle, également, des sciences de la gestion, de la communicafion,del'information...
Quantà l'identificationdel'ingénieurselon ledomaine d'exercice de la profession, elle estévoquéeaujourd'hui en termesd'« éclatement »descompétences étendues au-delà de laproduction de biensmatériels àcelledeservices,liéeauxdéveloppe¬
mentsdu secteurtertiaire. Cequi conduità dresser un «constatd'hétérogénéité» tel, qu'« il semblerait que le terme ingénieur désigne désormais davantage un genre qu'une espèce, unecertaine gamme d'emplois possibles qu'une profession bien déterminée ».On s'interrogesur lapersistancedeson identité (Picon, 1997b, p. 390).
Un aufre moded'identification del'ingénieurestcelui qui s'attache à considérer la formed'esprit particulière ou la formationparticulière que la profession exige.Ilest notable que, depuisqu'il existe
-
dansnotretradition, depuisl'antiquitégrecque-
l'ingénieur estdéfini par sa capacité intellectuelle à résoudredes problèmes pra¬
tiques, à inventerdessolutionstechniques. Lagrandedifférence tient précisément à
Pages11-20 RECHERCHEet FORMATION N°29 - 1998
11
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«INGÉNIEUR
»||
L'IDENTITÉ DE « L'INGÉNIEUR »*|
QUELQUES REPÈRES HISTORIQUES,^S Cette «u'>»'<'1'£ p*oposEautourd'uNouàt oueIquesmoisune IiaIie pEnsivEÀTRAVERSu»
j|j|; choixdE ciTATJONS SiqNiFÎCATivES EMPRUNTÉES ÀdES ÉpooUES,dES IÎEUXETdES HORJZONS
^à diFFÉRENTS.
L'identité de l'ingénieur estdevenue problématique. Pour certains, la question est critique, symptôme d'une crise qui appelle des mesures. Pour dresser ce constat, quatre critères d'identification sont invariablement convoqués : les savoirs, la for¬
mation, lescompétences,laplacedans lahiérarchie sociale.
L'identification del'ingénieurparsondomainedesavoirpropre :technique,science appliquée, science industrielle..., prend appui sur l'organisation positiviste des connaissances. Cetteorganisationsecaractérise par deux grands clivages hiérar¬
chiques: entresciencespures etsciencesappliquées et entresciences physiques et sciences humaines. Cesclivages et ces hiérarchies, décisifspour l'identification de l'ingénieur,sont remis encause,enparticulierparl'émergencedessciences cogni¬
tives et de l'intelligence artificielle, également, des sciences de la gestion, de la communicafion,del'information...
Quantà l'identificationdel'ingénieurselon ledomaine d'exercice de la profession, elle estévoquéeaujourd'hui en termesd'« éclatement »descompétences étendues au-delà de laproduction de biensmatériels àcelledeservices,liéeauxdéveloppe¬
mentsdu secteurtertiaire. Cequi conduità dresser un «constatd'hétérogénéité» tel, qu'« il semblerait que le terme ingénieur désigne désormais davantage un genre qu'une espèce, unecertaine gamme d'emplois possibles qu'une profession bien déterminée ».On s'interrogesur lapersistancedeson identité (Picon, 1997b, p. 390).
Un aufre moded'identification del'ingénieurestcelui qui s'attache à considérer la formed'esprit particulière ou la formationparticulière que la profession exige.Ilest notable que, depuisqu'il existe
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dansnotretradition, depuisl'antiquitégrecque-
l'ingénieur estdéfini par sa capacité intellectuelle à résoudredes problèmes pra¬
tiques, à inventerdessolutionstechniques. Lagrandedifférence tient précisément à
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11
Autourdumot
l'acquisition decepouvoirparticulierdel'esprit. Donné longtempscommeessentiel¬
lementinné, c'est-à-direnepouvantpasfairel'objetd'unetransmission parl'école (ingénieur, du latin ingénium, pouvoirinnédel'esprità inventer), ildépendentière¬
mentaujourd'hui desconditions institutionnelles desonacquisition (ingénieur:celui 3uia éféformé dansuneécolehabilitéeà endélivrerletitre) (Vérin, 1984).L'école 'ingénieurestce « moule scolaire»dontA. Picon remarquequ'il « possède une rigiditételle qu'il semblegarantir à tous les ingénieurs une identité commune fon¬
dée sur l'apprentissaged'un certain typede connaissances mathématiqueset phy¬
siques ainsi que sur les réflexes intellectuels qu'elles entraînent (Picon, 1997b, p.390). Cetterigiditéestpeucompatibleavec lesnouveauxmétiers desingénieurs.
Toutefois,cen'estque«deplus en plus »,qu'ilssontappelésàmanipuler,nonseu¬
lementdes choses, maisdes hommes. Ladifficultén'estdonc pas neuve, commeen témoigne l'ampleur des débats sur le rôle social de l'ingénieur entre les deux guerres»(Lamirand, 1932).
Cequi nous conduità l'identification del'ingénieur parla placequ'il occupedans lesystèmesocialdespouvoirs dedécision.
L'analysesociologiquetraditionnelle définitl'ingénieurdans la hiérarchiedes fonc¬
tions sociales: l'ingénieursedistingueà lafois desdétenteursde la légitimitépoli¬
tique et économique etdesautres exécutants etcadres subalternes.
Leschoses sontclaires. La légitimité politique s'exerceenvuedel'intérêt généralau nomdes institutions légales;
la
légitimitééconomique s'exerceenvuedel'intérêtdu capital,au nom desloisdu marché, lalégitimité scientifique del'ingénieur s'exerce envuede laproductivité, au nomdes loisde la nature. Lesdiscordances entreces12 troisordres de légitimité demeurent acceptables tant que règnel'idéologiedu pro¬
grès,aujourd'huisérieusement entamée.
Lacohérence decesquatrecritèresesttelleque leur enumeration vade soipourla définitiondel'ingénieur. Onpropose,dansles pagesqui suivent,d'examinercom¬
mentils ontpermisd'identifiercequ'estun « ingénieur» àtrois momentscritiques deson histoire : celuioù ce systèmed'identification des fonctionssociales s'est mis en place : dansnotretradition, sous ladémocratieathénienne;celui de la Renais¬
sance du XVIe siècle; enfin le moment qui sanctionne l'apparition de l'ingénieur moderne.
La
tradition de l'Antiquité
La difficultéà définir la professiond'ingénieur dans l'antiquité grecque, s'exprime dans la multiplicitédes termes employés pour le décrire, que l'on traduit par ;
« mécaniciens », «constructeurs », «architectes », «professionnels »,« experts »,
« compétents ». Platon souligne leur caractère d'« hommes spéciaux ». Ces
RECHERCHEetFORMATION N° 29 - 1998 Autourdumot
l'acquisition decepouvoirparticulierdel'esprit. Donné longtempscommeessentiel¬
lementinné, c'est-à-direnepouvantpasfairel'objetd'unetransmission parl'école (ingénieur, du latin ingénium, pouvoirinnédel'esprità inventer), ildépendentière¬
mentaujourd'hui desconditions institutionnelles desonacquisition (ingénieur:celui 3uia éféformé dansuneécolehabilitéeà endélivrerletitre) (Vérin, 1984).L'école 'ingénieurestce « moule scolaire»dontA. Picon remarquequ'il « possède une rigiditételle qu'il semblegarantir à tous les ingénieurs une identité commune fon¬
dée sur l'apprentissaged'un certain typede connaissances mathématiqueset phy¬
siques ainsi que sur les réflexes intellectuels qu'elles entraînent (Picon, 1997b, p.390). Cetterigiditéestpeucompatibleavec lesnouveauxmétiers desingénieurs.
Toutefois,cen'estque«deplus en plus »,qu'ilssontappelésàmanipuler,nonseu¬
lementdes choses, maisdes hommes. Ladifficultén'estdonc pas neuve, commeen témoigne l'ampleur des débats sur le rôle social de l'ingénieur entre les deux guerres»(Lamirand, 1932).
Cequi nous conduità l'identification del'ingénieur parla placequ'il occupedans lesystèmesocialdespouvoirs dedécision.
L'analysesociologiquetraditionnelle définitl'ingénieurdans la hiérarchiedes fonc¬
tions sociales: l'ingénieursedistingueà lafois desdétenteursde la légitimitépoli¬
tique et économique etdesautres exécutants etcadres subalternes.
Leschoses sontclaires. La légitimité politique s'exerceenvuedel'intérêt généralau nomdes institutions légales;
la
légitimitééconomique s'exerceenvuedel'intérêtdu capital,au nom desloisdu marché, lalégitimité scientifique del'ingénieur s'exerce envuede laproductivité, au nomdes loisde la nature. Lesdiscordances entreces12 troisordres de légitimité demeurent acceptables tant que règnel'idéologiedu pro¬
grès,aujourd'huisérieusement entamée.
Lacohérence decesquatrecritèresesttelleque leur enumeration vade soipourla définitiondel'ingénieur. Onpropose,dansles pagesqui suivent,d'examinercom¬
mentils ontpermisd'identifiercequ'estun « ingénieur» àtrois momentscritiques deson histoire : celuioù ce systèmed'identification des fonctionssociales s'est mis en place : dansnotretradition, sous ladémocratieathénienne;celui de la Renais¬
sance du XVIe siècle; enfin le moment qui sanctionne l'apparition de l'ingénieur moderne.
La
tradition de l'Antiquité
La difficultéà définir la professiond'ingénieur dans l'antiquité grecque, s'exprime dans la multiplicitédes termes employés pour le décrire, que l'on traduit par ;
« mécaniciens », «constructeurs », «architectes », «professionnels »,« experts »,
« compétents ». Platon souligne leur caractère d'« hommes spéciaux ». Ces
RECHERCHEetFORMATION N° 29 - 1998
Autourdumot
hommesspéciaux doiventsetenirmodestementàleur place(Gorgias,511c) dans la société. Que signifiecetteinjonction?
Lorsque Platon fonde l'Académie, en -387, le rôle des ingénieurs, en particulier danslaguerre,s'estconsidérablement accru. Leursmachinessemultiplient, et il en existedevéritables arsenaux. Nesont-ilspaslesmieux placéspourjuger decequi estbon pour la cité? Si l'on en croit Platon, ils ne manquent pas de l'affirmer bruyamment. Alesécouter, « Vousseriez,ditSocrate, comme ensevelis sous leurs propos qui vous inviteraient à vous faire ingénieurs militaires, attendu qu'il n'y a quecelaqui compte»;et,railleur, il insiste :« C'est que,vois-tu,(l'ingénieur) n'est pas à court de paroles. » (Gorgias, 512bc) Qu'est-ce quece « cela » sur lequel s'appuientles ingénieurs, pouraffirmer que c'estcequidoitcommanderauxdéci¬
sionsdulégislateur?
Notonsd'abord queles ingénieurs, par leurs fonctions militaires, constituaient un groupe de pression. Dansla fortification et la marine, des ingénieurs étaientélus pourassisterdes commissions chargéesdel'administration des projets. Ils avaient la responsabilité des choix techniques, selon des procédures strictement réglemen¬
tées (Glotz, 1968, p. 201). Ils ne manquaientdonc pasd'arguments pour justifier l'importance deleurs raisonsdanslesdécisionsdu Conseil. Toutefois,onpeutnoter aussi ledédain que leur réserve l'élite intellectuelle. Au sophiste Collides, Socrate fait remarquer: « Tuneconsentirais niàdonner à sonfils la main de tafille, ni à prendrepour toi lasienne. » (Gorgias,512c)
La raison premièreestqu'ils sontdes« professionnels» : ils reçoiventsalairepour leurs prestations. Leuractivité salariéeles met sous la dépendance de ceux qui le , paye,ils n'ysontplus des hommes libres.Notons cependant,qu'ilsontété éluspar I 1?
rassembléedu peuple.
Deuxièmeraisondudédaindontilssontvictimes : ilssont des«hommesspéciaux», c'est-à-diredes spécialistes : leur savoirest borné à des questions techniques. Il s'exercedanslamatière, donc dans l'accidentel, lechangeant, l'«illimité»et,à cet égard,estméprisable. Iln'endemeurepasmoinsque, comme« mécanicien », l'in¬
génieurintroduit dans la matièreunordreet des limites,la mesure etlaproportion, à l'aide des propriétés mathématiques de différents instruments et machines. Son savoirparticipe doncdesmathématiques,connaissance universelle.
D'autrepart,lesfonctionsdes ingénieursexigentdescompétencesdedirection, de commandement, d'organisation. Lechampdeleursresponsabilités neseborne pas à l'actionsurleschoses,mais inclut l'action surleshommes. Nous pouvons recon¬
naîtreici leclivage entrelesaspectstechniqueset« humains »descompétencesde l'ingénieur. Cedouble aspectae la fonctiond'ingénieurouvre une question embar¬
rassantepourlesphilosophes quiessaientdepenserlacitépar rapportàunordre politique idéal. Elleest embarrassantepourdes raisons essentielles, concernant le
RECHERCHEet FORMATION N°29 - 1998 Autourdumot
hommesspéciaux doiventsetenirmodestementàleur place(Gorgias,511c) dans la société. Que signifiecetteinjonction?
Lorsque Platon fonde l'Académie, en -387, le rôle des ingénieurs, en particulier danslaguerre,s'estconsidérablement accru. Leursmachinessemultiplient, et il en existedevéritables arsenaux. Nesont-ilspaslesmieux placéspourjuger decequi estbon pour la cité? Si l'on en croit Platon, ils ne manquent pas de l'affirmer bruyamment. Alesécouter, « Vousseriez,ditSocrate, comme ensevelis sous leurs propos qui vous inviteraient à vous faire ingénieurs militaires, attendu qu'il n'y a quecelaqui compte»;et,railleur, il insiste :« C'est que,vois-tu,(l'ingénieur) n'est pas à court de paroles. » (Gorgias, 512bc) Qu'est-ce quece « cela » sur lequel s'appuientles ingénieurs, pouraffirmer que c'estcequidoitcommanderauxdéci¬
sionsdulégislateur?
Notonsd'abord queles ingénieurs, par leurs fonctions militaires, constituaient un groupe de pression. Dansla fortification et la marine, des ingénieurs étaientélus pourassisterdes commissions chargéesdel'administration des projets. Ils avaient la responsabilité des choix techniques, selon des procédures strictement réglemen¬
tées (Glotz, 1968, p. 201). Ils ne manquaientdonc pasd'arguments pour justifier l'importance deleurs raisonsdanslesdécisionsdu Conseil. Toutefois,onpeutnoter aussi ledédain que leur réserve l'élite intellectuelle. Au sophiste Collides, Socrate fait remarquer: « Tuneconsentirais niàdonner à sonfils la main de tafille, ni à prendrepour toi lasienne. » (Gorgias,512c)
La raison premièreestqu'ils sontdes« professionnels» : ils reçoiventsalairepour leurs prestations. Leuractivité salariéeles met sous la dépendance de ceux qui le , paye,ils n'ysontplus des hommes libres.Notons cependant,qu'ilsontété éluspar I 1?
rassembléedu peuple.
Deuxièmeraisondudédaindontilssontvictimes : ilssont des«hommesspéciaux», c'est-à-diredes spécialistes : leur savoirest borné à des questions techniques. Il s'exercedanslamatière, donc dans l'accidentel, lechangeant, l'«illimité»et,à cet égard,estméprisable. Iln'endemeurepasmoinsque, comme« mécanicien », l'in¬
génieurintroduit dans la matièreunordreet des limites,la mesure etlaproportion, à l'aide des propriétés mathématiques de différents instruments et machines. Son savoirparticipe doncdesmathématiques,connaissance universelle.
D'autrepart,lesfonctionsdes ingénieursexigentdescompétencesdedirection, de commandement, d'organisation. Lechampdeleursresponsabilités neseborne pas à l'actionsurleschoses,mais inclut l'action surleshommes. Nous pouvons recon¬
naîtreici leclivage entrelesaspectstechniqueset« humains »descompétencesde l'ingénieur. Cedouble aspectae la fonctiond'ingénieurouvre une question embar¬
rassantepourlesphilosophes quiessaientdepenserlacitépar rapportàunordre politique idéal. Elleest embarrassantepourdes raisons essentielles, concernant le
RECHERCHEet FORMATION N°29 - 1998