UNIVERSITE PIERRE ET MARIE CURIE
(PARIS 6)
FACULTE DE MEDECINE PIERRE ET MARIE CURIE
ANNEE
2010 THESE N° 2010PA06G055
DOCTORAT EN MEDECINE
SPECIALITE : Médecine Générale
PRESENTEE ET SOUTENUE PUBLIQUEMENT LE 6 JANVIER 2011
PAR : Stéfan PAU-MONTERO
NE LE 22/12/1982 à Fontenay-sous-Bois
______________
LES PERSONNES AGEES EN AUTO-NEGLIGENCE : UN DES DEFIS DE LA MEDECINE AMBULATOIRE
Analyse de l’expérience du réseau de gériatrie AGEP (Association de Gériatrie de l’Est Parisien) et de la littérature médicale
DIRECTEUR DE THESE : Dr Albert SERVADIO
JURY
Président du jury : Pr Jean CABANE Membres du Jury :
Dr Anne-Sophie Grancher,
Dr Pierre Lévy,
Pr Richard Lévy,
Pr Anne-Marie Magnier.
2
A mes grands-parents,
Josep, Concepció,
Cayetano, Sofia.
3
Remerciements
Je tiens à remercier tout particulièrement le Dr Albert Servadio. J’espère par ce travail rendre hommage à votre créativité, votre enthousiasme et votre abnégation. Au-delà de cette thèse, je vous remercie de m’avoir fait découvrir comme l’exercice de la médecine générale était propice à l’innovation en matière d’amélioration de l’accès aux soins.
Je remercie toute l’équipe du réseau AGEP et notamment les Dr Jean-Luc Mamou et Annouck Foison qui ont contribué avec le Dr Servadio à la collecte des données exploitées dans cette thèse.
Je remercie tout particulièrement le Dr Pierre Lévy qui avec passion, inventivité et confiance m’aura aidé à donner un corps scientifique à mes intuitions cliniques.
Je remercie tous les membres du jury d’avoir accepté de juger ce travail.
Au-delà du travail de cette thèse je tiens à remercier les médecins qui par leur exemplarité, leur motivation et leurs encouragements ont été déterminants durant ce long parcours qui mène à devenir docteur en médicine : Pr Olivier Benveniste (interniste), Dr Gérald Castanedo (médecin généraliste), Dr Ramon Ciurana (médecin de famille à Barcelone), Pr Catherine Lubetzki (neurologue), Dr Angèle Consoli (pédo-psychiatre), Dr Catherine Phlippoteau (urgentiste), Dr Jacques Naturel (gériatre), Dr Jean-François Renard (médecin généraliste), Dr Gabriel Rothan (médecin généraliste).
Je remercie mes relecteurs attentifs et critiques : mon épouse Iris Duprey, ma sœur Sonia Debono, mon frère Serge Pau-Montero, et mon amie Chloé Tarnaud.
Je remercie mes parents pour leur soutien.
4
La liste exhaustive des médecins PU-PH et MCU-PH des facultés de médecine Pitié-
Salpêtrière-Saint-Antoine est consultable à la fin de la version papier de cette thèse.
5
Table des matières
Remerciements ... 3
Table des matières... 5
Introduction 9 Contexte socio-démographique ... 11
Présentation de l’AGEP ... 13
A) ETUDE DESCRIPTIVE DES PATIENTS EN « SITUATION COMPLEXE » DE L’AGEP 18
A.1- Matériel et méthodes de l’étude descriptive ... 19A.1a - Recrutement des patients en « situation complexe » ... 19
A.1b - Déroulement des visites de « situations complexes » ... 19
A.1c - Recueil d’informations au cours des visites de « situations complexes »... 20
A.1d - Recueil et stockage des données pour l’étude statistique ... 21
A.1e – Définition des variables. ... 21
A.2 - Résultats de l’étude descriptive ... 22
A.2a - Age à la première visite et sexe de la population d’étude ... 22
A.2b - Mobilisation des professionnels ... 25
A.2c - Répartition par arrondissement... 26
A.2d - Origine du signalement et présence du signalant ... 27
A.2e - Statut civil, solitude ... 29
A.2f - Suivi par un médecin traitant ... 30
A.2g - Etat du logement ... 31
A.2h - Les problèmes constatés ... 32
A.2i - Refus d’assistance par le patient ... 34
A.2j - Actions préconisées ... 35
A.3 - Discussion sur l’étude descriptive ... 36
A.3a - Limites de l’étude ... 36
A.3b - L’origine sociale des signalements ... 38
A.3c - Le signe du frigo ... 38
6
A.3d - Le refus de soins ... 39
A.4 - Conclusions de l’étude descriptive ... 42
B) AUTO-NEGLIGENCE : ANALYSE DE LA BIBLIOGRAPHIE INTERNATIONALE ... 46
B.1 -Incurie, Diogène, auto-négligence… une nosologie naissante. ... 46
B.1a - Historiographie brève de la littérature socio-médicale, étude diachronique ... 48
B.1b - Vers une définition de l’auto-négligence, étude synchronique ... 49
B.1c - Le choix du terme « Auto-négligence » ... 53
B.2 - De qui parle-t-on ? ... 56
B.2a - Epidémiologie ... 57
B.2b - Auto-négligence et concept de fragilité ... 61
B.2c - Auto-négligence et pathologies mentales ... 62
B.2d - Auto-négligence et déclin fonctionnel ... 64
B.2e - Syllogomanie. ... 65
B.2f - Un même syndrome pour des profils différents ... 66
B.3 - L’auto-négligence est-elle un syndrome gériatrique ? ... 68
B.4 - Les auto-négligents existent-ils ? ... 69
C) ETUDE ANALYTIQUE DES PATIENTS DE L’AGEP ... 72
C.1 - Matériel et méthodes de l’étude analytique ... 73
C.1a - Recrutement des patients et gestion de l’information ... 75
C.1b - Analyses univariées ... 75
C.1c - Régressions logistiques ... 77
C.1d - Recueil des données d’état civil ... 78
C.1e - Création de la variable « auto-négligence » et de ses degrés de sévérité ... 80
C.2f - Comparaison du taux de mortalité des personnes signalées à l’AGEP à celui de la population parisienne de même âge. ... 80
C.2 - Résultats de l’étude analytique ... 81
C.2a - Analyse univariée selon la variable « signalement à l’AGEP par un travailleur social» ... 81
C.2b - Analyse univariée selon la variable « absence de médecin traitant » ... 84 C.2c - Régression logistique avec la variable « absence de médecin traitant » comme variable dépendante . 87
7
C.2d - Création d’une variable composite pour identifier les auto-négligents ... 88
C.2e - Sexe, âge et statut civil des personnes en auto-négligence ... 91
C.2f - Analyse univariée selon la variable « auto-négligence » ... 92
C.2g - Régression logistique avec « l’auto-négligence » comme variable dépendante ... 94
C.2h - Création de degrés de sévérité d’auto-négligence. ... 95
C.2i - Application du modèle de régression logistique aux différents degrés d’auto-négligence ... 97
C.2j - Calcul des taux de mortalité en fonction du niveau d’auto-négligence. ... 98
C.2k - Calcul des taux de mortalité à un an ... 100
C.2l - Régression logistique en prenant comme variable dépendante le « décès dans l’année qui suit la visite du médecin de l’AGEP » ... 101
C.3 - Discussions sur l’étude analytique ... 102
C.3a - Une étude « exploratrice » ... 102
C.3b - Les apports de l’étude à la considération de l’auto-négligence en France... 103
C.3c - Remise en question du parcours de soins de premier recours « classique » ... 104
C.4 - Conclusions de l’étude analytique ... 107
D) LA PRISE EN CHARGE DE L’AUTO-NEGLIGENCE DES PERSONNES AGEES ... 110
Les enjeux 110 D.1 - L’éthique d’intervenir ou de ne pas intervenir ... 112
D.2 - Le dépistage ... 114
D.2a - L’expérience catalane ... 115
D.2b - Améliorer le dépistage en France ... 116
D.3 - Les propositions de Prise En Charge ... 118
D.3a - La visite au et du domicile ... 118
D.3b - Equipes multidisciplinaires ambulatoires ... 119
D.3c - L’expérience de l’AGEP ... 121
D.4 - Pistes de recherche ... 123
CONCLUSION ... 126
BIBLIOGRAPHIE ... 128
ANNEXES 134
8
Dossier de situation complexe de l’AGEP ... 136 Tableau 1 Résultats de l’analyse univariée selon la variable « signalement par un travailleur social »
effectif
(% dans le
groupe) effectif
(% dans le groupe)
degré de signification p
Total 53 172
Caractéristiques sociales
Sexe Masculin 19 (36) 65 (38)
Personne Vivant Seule 31 (61) 138 (81) <0,05
Absence d'Entourage 6 (13) 34 (22) <0,20
Désocialisation 8 (17) 82 (50) <0,05
Mauvaise Hygiène Corporelle 8 (17) 82 (50) <0,05
Domicile Insalubre 6 (14) 64 (43) <0,05
Compliance
Visite Impossible 3 (10) 16 (7)
Refus Complet d'aide 7 (14) 40 (24) <0,20
Assume Sa Condition 7 (15) 43 (29) <0,05
Accès aux soins
Absence de Médecin Traitant 9 (18) 102 (65) <0,05
Manque de Soins Sanitaires 15 (31) 110 (74) <0,05
Problèmes constatés
Troubles Cognitifs 35 (76) 114 (74)
Alcoolisation Chronique 0 (0) 14 (9) <0,05
Malnutrition 8 (17) 64 (43) <0,05
Hospitalisations Multiples 0 (0) 9 (6) <0,20
Problèmes Financiers 3 (6) 43 (27) <0,05
Maltraitance 7 (14) 19 (12)
Syndrome de Diogène 3 (6) 21 (14) <0,20
Etat Extrême 3 (6) 39 (25) <0,05
personnes signalées à l'AGEP par une autre personne qu'un travailleur social
personnes signalées à l'AGEP par un travailleur social
140
Tableaux initiaux des différentes régressions logistiques ... 143 Photographie du domicile d’une personne auto-négligente ... 146 Extrait du poème, « les âmes mortes » de Nicolas Gogol (25) ... 147
Lexique 148
Retours sur la communication des données de cette thèse ... 149
Résumé 150
9
Introduction
Depuis 2001, le réseau de gériatrie AGEP (Association de Gériatrie de l’Est Parisien) a pour but d’améliorer les soins délivrés aux personnes âgées de l’est parisien. L’association s’est notamment vue sollicitée par les professionnels socio-sanitaires pour évaluer des personnes âgées à leur domicile. Cette activité a été nommée « situations complexes ». En assistant à certaines de ces visites j’étais surpris de leur complexité médico-psycho-sociale et de la détresse dans laquelle se trouvaient nombre de patients. Ces personnes étaient souvent très isolées, sales, dans des logements insalubres et sans suivi médical. Ce sont les données collectées lors de ces « visites de situations complexes » qui font l’objet de cette thèse.
Ainsi 225 situations, de septembre 2003 à octobre 2008, ont été retenues pour une étude descriptive puis analytique.
L’évolution de cette thèse aura longtemps été embarrassée de la difficulté à identifier la problématique présentée par les personnes visitées par l’AGEP.
Au premier abord la bibliographie internationale ne levait pas l’obstacle car différents termes cohabitaient sans qu’aucun n’eusse de définition figée. Le concept de plus grande diffusion et de plus grande pertinence clinique s’est révélé être celui de l’auto-négligence.
De laborieuses analyses statistiques éclairées par l’ingéniosité du Dr Pierre Lévy m’auront
conforté dans la validité d’aborder cette masse de patients sous l’angle de l’auto-négligence.
10 Nous espérons par ce travail attirer l’attention sur cette frange de la population âgée n’ayant pas accès aux soins médicaux dans un parcours de soins traditionnel. Plus que
« simplement fragiles », ces personnes sont « fragiles et exclues de l’offre de soins ».
Cette situation est constatée dans de nombreux pays. Les prospectives de vieillissement de la population mondiale, notamment dans les pays émergents, feront certainement de l’auto-négligence de la personne âgée une préoccupation majeure de santé publique.
Nous décrirons les personnes visitées par l’AGEP puis analyserons la bibliographie
médicale internationale avant d’étudier la population d’étude sous l’angle du concept
d’auto-négligence et de résumer les modalités de leur prise en charge.
11
Contexte socio-démographique
Comme dans tous les travaux relatifs aux personnes les plus âgées on ne peut échapper à un rappel démographique sur le « vieillissement » des sociétés occidentales. La proportion des personnes les plus âgées augmente d’année en année. Cela tient à une augmentation de la durée de vie grâce aux progrès de la médecine et de la société, ainsi qu’à la stabilisation de la natalité à un niveau plus faible que par le passé.
La part des personnes de plus de 60 ans résidant en ville s’accroît parallèlement. Ainsi à Paris la population de plus de 60 ans devrait représenter 21,4% de la population totale en 2025 contre 18.8% en 2005 (1)
*.
A cela s’est ajoutée une modification de l’entourage proche des personnes âgées. A Paris en 1999, 40% des plus de 65 ans et 60% des plus de 85 ans vivaient seuls à leur domicile.
Il est souvent allégué une diminution des solidarités familiales. Il est évoqué une diminution du nombre et de la capacité d’assistance des aidants familiaux du fait de leur propre vieillissement (2) et d’une moindre capacité d’adaptation à la paupérisation dans une société où beaucoup de services ont été mercantilisés.
Ces constats présentés dans les pays dits développés ne sont que les prémisses de ce qui va se passer au niveau mondial. L’OMS estime qu’à l’échelle mondiale, la proportion des plus de 60 ans augmente plus rapidement que n’importe quelle autre tranche d’âge avec une hausse de 223% de 1970 à 2025 (3). En 2025,75% des personnes de plus de 60 ans devraient se trouver dans les pays les moins développés.
* Tous les chiffres entre parenthèses réfèrent à la bibliographie qui se trouve en p.133
12 Quoique ce rappel démographique puisse paraître maussade il ne se veut pas empreint de jeunisme. Statistiquement plus une classe d’âge présente un grand effectif plus on constate un grand effectif de cas extrêmes et d’états pathologiques. Cependant cela ne doit pas faire oublier que l’effectif de personnes âgées en bonne santé augmente lui aussi.
L’allongement de la durée de vie s’est accompagné d’une augmentation de la durée de vie
sans co-morbidités. Je me permettrai de rappeler brièvement l’intérêt social de l’élévation
de l’espérance de vie. L’augmentation de la part relative des personnes les plus âgées offre
la possibilité d’échanges « intergénérationnels », promeut la mémoire collective, donne
matière à l’histoire contemporaine et assagit certainement les sociétés…
13
Présentation de l’AGEP
L’Association Gériatrique de l’Est Parisien (AGEP) est un réseau de santé gériatrique ayant le statut d’association loi 1901. Il a été créé en 2001 par le Dr Albert Servadio du fait des constatations suivantes :
– L’augmentation de la demande de soins envers les personnes âgées ; – La diminution du nombre de professionnels ;
– La complexité des situations médico-sociales ;
– La nécessité de la prise en charge multidisciplinaire des personnes âgées à domicile (raisons philosophiques / organisationnelles / financières).
L’AGEP intervient majoritairement dans les 11
e, 12
e, 19
eet 20
earrondissements de Paris ainsi que dans les villes de la petite couronne à proximité de ces quartiers. Le réseau est constitué de professionnels salariés (1 gériatre, 2 médecins chargés de mission chutes et nutrition, 1 ergothérapeute, 1 psychologue, 2 conseillers en économie sociale et familiale, 1 dentiste, 1 secrétaire, 1 responsable de communication) et met en relation des professionnels de santé libéraux du quartier (90 médecins, 45 infirmières, 29 orthophonistes, 18 kinésithérapeutes, 14 psychologues, 5 podologues, 3 diététiciennes).
L’AGEP a pour mission de fournir, aux patients âgés et aux professionnels qui les prennent en charge, des aides concernant les problématiques suivantes :
– Troubles cognitifs ;
– Dénutrition ou risque de dénutrition ; – Maltraitance avérée ou suspectée ; – Chutes ou risque de chute ;
– Syndrome d’immobilisation ;
14 – Précarité médico-psycho-sociale.
Pour cela les membres de l’AGEP mènent les actions suivantes : Information
– Renseignements et conseils téléphoniques du grand public.
– Bulletin d’information gériatrique AGEP-ACTU.
– Relais d’information vers les institutionnels.
Coordination
– Aide à la sortie d’hospitalisation.
– Aide à l’évaluation gérontologique régulière des patients.
– Facilitation du parcours des patients dans la filière gériatrique hospitalière (Hospitalisations programmées, Unités de Gériatrie Aigues, Hôpital de Jour, Service d’Accueil des Urgences) ou en accueil de jour.
– Gestion de cas (Case management en anglais).
– Participation à des projets gérontologiques locaux régionaux et nationaux.
– Groupes de travail professionnels et interprofessionnels.
Formation
– Formations multidisciplinaires des professionnels du réseau, Séminaires, congrès…
– Terrain de stage pour étudiants : travailleurs sociaux, ergothérapeutes,
psychologues, internes en médecine, secrétaires, master en management des
structures médico-sociales.
15 Recherche en gériatrie ambulatoire
– Thèses de docteur en médecine générale, mémoires de capacité ou DES de gériatrie.
Soin
– Intervention dans le cadre des « situations complexes ».
– Mise à disposition gratuite (et si besoin à domicile) pour les patients des professionnels libéraux membres du réseau :
-de l’ergothérapeute : évaluation du logement et conseils d’adaptation, atelier de prévention des chutes.
-de travailleurs sociaux : mise en place du plan d’aides humaines, administratives et financières.
-de la psychologue : évaluation cognitive, ateliers « mémoire », soutien, et soutien des aidants.
-de diététiciennes : évaluation et conseils alimentaires en cas de dénutrition.
-du dentiste : en cas de dénutrition ou de risque de dénutrition.
-du gériatre : évaluation gériatrique, visites conjointes.
16 A titre d’exemple, en 2009 :
– 390 patients ont été régulièrement évalués par leur médecin traitant, – 266 patients ont bénéficié de visites des ergothérapeutes,
– 119 patients ont été évalués par la psychologue,
– 169 patients ont été suivis par le médecin chargé de la mission nutrition, – 57 patients ont bénéficié des diététiciennes,
– 40 patients ont bénéficié du dentiste,
– 169 patients ont été pris en charge par les travailleurs sociaux, – 94 patients ont été évalués dans le cadre de situations complexes.
C’est la population rencontrée dans le cadre des dîtes « situations complexes » qui est le
sujet d’étude de cette thèse.
17
18
A) Etude descriptive des patients en
« situation complexe » de l’AGEP
A l’origine de l’AGEP, le Dr Servadio a informé tous les professionnels socio-sanitaires de la zone d’activité de l’AGEP qu’ils pouvaient signaler au réseau toute personne âgée en difficulté médico-psycho-sociale. De bouche à oreille ces signalements se sont multipliés.
Cette thèse a pour but d’exploiter les données concernant les 225 premiers patients visités par les médecins de l’AGEP dans le cadre de ces signalements de dîtes « situations complexes » soit de septembre 2003 à octobre 2008.
L’analyse des informations de l’AGEP est décomposée en deux parties. L’étude descriptive
est séparée de l’étude analytique par une synthèse de la bibliographie internationale.
19
A.1- Matériel et méthodes de l’étude descriptive
A.1a - Recrutement des patients en « situation complexe »
Tout un chacun a la possibilité de signaler à l’AGEP une personne âgée en difficulté lui semblant relever d’une « situation complexe ». Le terme de « situation complexe » ne fait appel a aucun critère objectif et est laissé à la discrétion de la personne signalant. Le seul critère inclusif est que la personne signalée se trouve dans le bassin d’activité du réseau.
Le signalement se fait par écrit sur un formulaire dit de signalement de cas complexe. Ce formulaire a évolué au fur et à mesure mais a toujours été constitué d’informations pratiques d’état civil concernant le signalant et le signalé ainsi qu’un exposé bref des difficultés rencontrées (cf un exemplaire p.135).
A.1b - Déroulement des visites de « situations complexes »
Suite au signalement un rendez-vous est pris dans la semaine entre un des médecins
de l’AGEP, le patient et, le plus souvent, la personne qui a signalé la situation. De préférence,
ce rendez-vous a lieu au domicile de la personne signalée. Une fois au domicile, le médecin
de l’AGEP évalue la situation médico-psycho-sociale du patient et propose des actions à
mettre en place.
20
A.1c - Recueil d’informations au cours des visites de « situations complexes »
Le médecin de l’AGEP reporte les informations nécessaires dans un formulaire qui fait office de dossier médical. Ce formulaire a évolué au fil des visites mais les données concernant les problèmes présentés par les patients sont restées globalement identiques (cf un exemplaire en ANNEXE p.136). Les données ont été recueillies dans un but opérationnel et non de recherche.
Il existe plusieurs groupes de données : l’état civil du patient, les conditions de la visite (date, lieu, personnes présentes, durée), l’évaluation du patient, l’évaluation de son environnement, les propositions d’actions.
Ce formulaire est principalement constitué de cases à cocher.
Trois médecins de l’AGEP ont pratiqué ces évaluations. Ces médecins sont des médecins généralistes titulaires d’une « capacité de gériatrie » et sont expérimentés en médecine gériatrique ambulatoire.
Les items du formulaire ne font pas référence à des critères objectifs d’évaluation bien qu’ils aient pu être utilisés par les médecins évaluateurs pour déterminer le statut du patient. Par exemple le fait que la case « troubles cognitifs » soit cochée n’implique pas qu’il y ait eu réalisation d’un Mini-Mental-Status de Folstein mais le médecin évaluateur a pu se fier à l’anamnèse et à son examen clinique (dont parfois le MMS) pour conclure à la positivité de l’item.
Le fait qu’il s’agisse de cases à cocher dans le cadre d’un relevé d’informations dans un but
opérationnel expose à des oublis de cochage.
21
A.1d - Recueil et stockage des données pour l’étude statistique
J’ai relu les dossiers de tous les patients et en ai constitué une base de données dans le logiciel « Access® 2007 » de Microsoft Office. Cette relecture a permis de corriger des erreurs ou oublis de cochage en me basant sur les commentaires libres de l’évaluateur. Cela a également été le moyen de renseigner des items absents des formulaires remplis au domicile du patient (syllogomanie
*, état du frigo, mise en danger, manque de soins sanitaires, intentionnalité, état extrême).
En cas de case non cochée et de doute (par rapport aux autres données du dossier) sur le fait que l’item ait été effectivement renseigné celui-ci a été enregistré dans la base de données comme « donnée manquante ». Le nombre de données manquantes s’explique par la multitude d’items et la méthode de recueil des données.
La base de données a ensuite été exportée dans le logiciel Statview® (version 5.0) pour analyse statistique. Les résultats ont ensuite été exportés au format « Excel® 2007 » pour leur mise en forme.
La création des nouvelles variables et l’incrémentation de la base de données ont été finalisées avant le début de l’analyse bibliographique.
A.1e – Définition des variables.
Les variables seront définies au moment de leur première apparition dans les résultats.
* Cf définition en lexique p.157
22
A.2 - Résultats de l’étude descriptive
Du premier septembre 2003 (premier signalement) au 27 octobre 2008 (date de clôture de la base de données), 236 patients ont été signalés à l’AGEP. N’ont pas été analysées les données concernant 5 patients de moins de 60 ans, et 6 patients non visités (3 pour décès et 3 pour hospitalisation).
L’étude comprend donc 225 patients.
A.2a - Age à la première visite et sexe de la population d’étude
63% F 37% H
Femmes Hommes
0 10 20 30 40 50
10
22 18 47
35 36 32
13 1
effectifs par tranches d'âge
effectifs par tranches d'âge
23 Dans la population d’étude, la moyenne d’âge est de 80,9 ans ; la médiane est de 81 ans et les valeurs extrêmes sont 60 ans et 100 ans.
La moyenne d’âge des hommes est statistiquement moins élevée que celle des femmes.
global femmes hommes
effectif 214 133 81
données manquantes 11 8 3
Moyenne (en années) 80,90 82,46 78,33 p=0,0017 (loi normale)
Médiane (en années) 81 82 77
écart type 9,40 8,88 9,73
24 Ce Graphique permet d’évaluer visuellement la disparité de répartition d’âge qu’il existe entre la population d’étude et la population française de plus de 60 ans.
L’échelle a été choisie de telle manière que les colonnes de la tranche d’âge « 75-79 ans » soient de même hauteur.
Comme on pouvait s’y attendre, un patient a d’autant plus de probabilité d’être signalé à l’AGEP pour « situation complexe » que son âge est élevé.
0 10 20 30 40 50 60 70 80
Comparaison à la population française
effectifs observés par tranche d'âge des patients signalés à l'AGEP
Pyramide des âges
population française
rapportée à l'échelle
1/48059 (INSEE 2010)
25
A.2b - Mobilisation des professionnels
269 évaluations ont été réalisées avec en moyenne 1,25 évaluation par patient.
Le domicile a pu être visité par les médecins de l’AGEP pour 191 patients (19 visites impossibles, 15 données manquantes). Les patients qui refusaient la visite de leur appartement ont été rencontrés dans les bureaux des différents partenaires, chez des voisins, dans des cafés…
Le plus souvent l’évaluation se fait en présence du signalant.
0 100 200
1 2 3 4
176
24 11 3
Nombre de patients
Nombre d'évaluations
nombre d'évaluations par personne
(données manquantes pour 11 patients)
0 200
1 2 3 4 5 6
21 141
52 7 1 1
Nombre de professionels par évaluation
nombre de professionnels présents à la 1e
évaluation (dont celui de l'AGEP)
26 Le mode statistique du « temps passé lors de la première visite » est de 30 à 60 minutes.
A.2c - Répartition par arrondissement
Age :
11 données manquantes
Moyenne : 80.89 ans (de 60 à 100 ans)
L’AGEP a principalement été sollicitée pour des personnes vivant dans les 11
eet 20
earrondissements de Paris. Cette information ne peut donner lieu à aucune interprétation étant donné qu’il n’y a pas d’obligation de signalement et que les ressources en équipes gériatriques sont variables d’un arrondissement à un autre.
12
81
9
0 1
103
0 25 50 75 100 125
Effectifs
Temps passé pour la première évaluation
Zone géographique Effectifs Pourcentage
11
e88 39%
12
e7 3%
19
e28 12%
20
e98 44%
département 94 4 2%
total 225 100%
11e
19e 12e 20e
dpt94
Effectifs de patients signalés par zone géographique
11e 12e 19e 20e
département 94
27
A.2d - Origine du signalement et présence du signalant
76% des signalements proviennent de travailleurs sociaux (cf p.148 pour la définition).
7% des signalements ont été conjoints (principalement en associant l’entourage propre du patient à un travailleur social).
Un travailleur social est présent dans 90% des cas lorsqu’il est à l’origine du signalement et dans 24% des cas lorsqu’il n’est pas à l’origine du signalement.
Parmi les patients ayant un médecin traitant celui-ci est présent dans 51% des cas lorsqu’il est à l’origine du signalement et dans 9% des cas lorsqu’il n’est pas à l’origine du signalement.
76%
18% 9%
1%
Travailleurs sociaux
Medecin traitant Voisin/Famille autres professionnels
sanitaires
Identité du signalant
28 CASVP : Centre d’Action Sociale de la Ville de Paris.
PPE : Points Paris Emeraude.
CSG : Centre Social Gérontologique.
ASTUT : différentes Association de tutelles et curatelles.
DASES : direction de l’Action Sociale, de l’Enfance et de la Santé.
Agep Eval’ : association chargée de réaliser des évaluations de GIR pour la CNAV.
AMSAD : Aide-Ménagère et Service à Domicile.
GADVIM : association d’aides à domicile.
ADIAM : association d’aides à domicile.
UDAF : Union Départementale des Associations familiales.
46%
16% 15%
11%
8%
5%
2% 2% 1% 1%
CASVP PPE CSG ASTUT DASES Agep Eval' AMSAD GADVIM ADIAM UDAF
structures sociales signalantes
29
A.2e - Statut civil, solitude
21% des personnes signalées sont célibataires, 25% sont veuves.
75% des personnes signalées vivent seules à leur domicile. Cette proportion est plus importante pour les femmes que pour les hommes.
A titre de comparaison, une étude de la DREES trouvait un taux de personnes vivant seules de 40 % pour les plus de 65 ans et de 60% pour les plus de 85 ans, en 1999, à Paris (1).
données manquantes
30%
célibataire séparé 21%
7%
veuf 25%
marié 15%
concubinage 2%
Statut civil
0 20 40 60 80 100
%femmes %hommes
données manquantes ne vit pas seul vit seul
pourcentage de personnes vivant seules
30 Il a toujours été considéré l’entourage non-professionnel (famille, voisins, amis, gardien) de meilleure qualité pour déterminer ce critère. Cette évaluation se base sur la capacité de l’entourage à aider le patient et à faire appel aux ressources nécessaires en cas de besoin.
L’entourage est jugé efficace pour 26% des patients signalés. Au moins 47% des patients signalés ont un entourage jugé inexistant, lointain ou défaillant.
A.2f - Suivi par un médecin traitant
Seulement 42% des patients signalés dans le cadre des « situations complexes » ont un médecin traitant.
15%
inexistant
16%
lointain 16%
défaillant 26%
normal 26%
données manquantes
Qualité de l'entourage
8%
42% 49%
existence d'un MT
données manquantes non
oui
31
A.2g - Etat du logement
Ont été jugés :
— Insalubres, les logements présentant un des critères suivant :
-manque en une ressource primaire (eau, électricité, chauffage, sanitaires)
-saleté extrême (à ne pas oser poser ses affaires ou s’asseoir sur un siège)
-présence d’excréments
-présence d’aliments en putréfaction.
– Normaux, les logements propres ne présentant pas de manque en une ressource primaire.
— Moyens, les logements ne répondant ni aux critères des logements insalubres ni à ceux des « normaux ».
Avec ces critères 31% ont été côtés « insalubres », 25% « moyens » et 29% « normaux » 15%
données
manquantes
31%
insalubre 25%
moyen 29%
normal
état du logement
32
A.2h - Les problèmes constatés
Plus que des diagnostiques il s’agit d’entités médico-psycho-sociales qui influent sur l’état de santé de la personne signalée.
Le taux de renseignement est très variable d’un item à l’autre. Il convient d’être prudent dans l’interprétation de ces données à l’échelle de la population d’étude.
Les prévalences observées correspondent au minimum de population présentant cet item parmi la population de l’étude. En effet les « données manquantes » ont été conservées pour ce calcul. Ceci se perçoit bien sur l’histogramme qui précède.
Le « manque de soins sanitaires » correspond à un manque manifeste d’un besoin sanitaire.
Bien qu’il y ait une forte corrélation, cet item est indépendant de l’existence d’un médecin
0 50 100 150 200 250
Problèmes constatés
Données manquantes NON OUI
33 traitant suivant le patient. En effet des patients n’avaient pas de médecin traitant sans pour autant manquer des soins nécessaires. D’autres bien qu’ayant un médecin traitant étaient en carence de soins.
L’item « sans-gêne de la condition » correspond à une absence de gêne du patient vis-à-vis de sa situation médico-psycho-sociale. Il est présent chez 49 patients parmi les 120 pour lesquels l’item a pu être renseigné.
Le terme « syllogomanie » est un néologisme (venant du grec : syl signifiant avec et logê signifiant Assemblement) utilisé pour décrire un comportement qui conduit à amasser ou à ne pas jeter un grand nombre d’objets inutiles même si leur accumulation cause des inconforts majeurs (4).
Le critère « mauvaise hygiène » a été jugé positif en cas de saleté corporelle importante avec par exemple : couche de crasse, cheveux gras et emmêlés, odeur pestilentielle, ongles de main ou d’orteils faisant le tour du doigt, des plaies surinfectées non traitées...
L’item « problèmes financiers » fait référence à divers problèmes de trésorerie possible : -pauvreté monétaire,
-impayés, -dettes,
-menace d’expulsion ou de coupure de besoins élémentaires (eau, électricité, chauffage) pour impayés sans forcément de pauvreté monétaire.
L’utilisation polémique du terme « syndrome de Diogène » sera analysée à la lumière de
l’étude bibliographique dans le chapitre sur la « syllogomanie » en p.65.
34
A.2i - Refus d’assistance par le patient
Au moins 41% des personnes qui refusaient initialement l’assistance l’ont acceptée après l’intervention du médecin de l’AGEP.
Parmi les patients refusant complètement l’assistance proposée seulement 30% ont nécessité une protection juridique (contre 40% parmi les autres) et la prévalence de troubles cognitifs n’était pas significativement différente entre les deux groupes.
0 50 100 150 200 250
refus initial refus complet
79 47
77 171
69
7
Refus d'assistance par le patient
données manquantes
non oui
pas de refus refus
35
A.2j - Actions préconisées
12 patients n’ont pas eu de mesures proposées : -dont 5 pour cause de refus complet d’aide
La mise sous protection juridique a été demandée pour 36% des personnes signalées.
Répartition des lieux d’hospitalisation
H° en Urgence 26
HDT (Hospitalisation à la
Demande d’un Tiers) 5
H° de Jour (HDJ) 2
H° programmée 2
total 35
Parmi les 35 patients nécessitant une hospitalisation 26 ont dû être hospitalisés en urgence (en gériatrie ou via les urgences), 5 en HDT, 2 en HDJ pour bilan, 2 en hospitalisation programmée de gériatrie.
0 50 100 150 200 250