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Licence enqc sg accordée le 17 octobre 2011 à Archambault.ca

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RÉFLEXIONS SUR LA FIN DE VIE

Et si mourir

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Serge Daneault

RÉFLEXIONS SUR LA FIN DE VIE

Et si mourir

s’apprivoisait...

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Daneault, Serge, 1955-

Et si mourir s’apprivoisait-- : réflexions sur la fin de vie ISBN 978-2-89705-001-6

1. Mort - Aspect psychologique. 2. Malades en phase terminale - Psychologie.

I. Titre.

BF789.D4D36 2011 155.9’37 C2011-941862-2 Directrice de l’édition : Martine Pelletier Éditeur délégué : Yves Bellefleur

Conception de la couverture : Cyclone Design Communications Mise en page : Cyclone Design Communications

Révision : Michèle Jean

L’éditeur bénéficie du soutien de la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC) pour son programme d’édition et pour ses activités de promotion.

L’éditeur remercie le gouvernement du Québec de l’aide financière accordée à l’édition de cet ouvrage par l’entremise du Programme d’impôt

pour l’édition de livres, administré par la SODEC.

Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par

l’entremise du Programme d’aide au développement de l’industrie de l’édition (PADIÉ) pour nos activités d’édition.

© Les Éditions La Presse TOUS DROITS RÉSERVÉS Dépôt légal – 3e trimestre 2011 ISBN 978-2-89705-001-6 Imprimé et relié au Canada

Présidente Caroline Jamet Les Éditions La Presse 7, rue Saint-Jacques Montréal (Québec) H2Y 1K9

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À Mathieu-Jacques Marie-Claire Laurence Jean-Gabriel et Émile

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Lorsque l’homme commence à décliner après avoir atteint le faîte de son existence, il se débat ainsi contre la mort, les flétrissures de l’âge, contre le froid de l’univers qui s’insinue en lui, contre le froid qui pénètre son propre sang. Avec une ardeur renouvelée, il se laisse envahir pas les petits jeux, par les sonori- tés de l’existence, par les mille beautés gracieuses qui

ornent sa surface, par les douces ondées de couleur, les ombres fugitives des nuages. Il s’accroche, à la fois souriant et craintif, à ce qu’il y a de plus éphémère, tourne son regard vers la mort qui lui inspire an- goisse, qui lui inspire réconfort, et apprend ainsi avec

effroi l’art de savoir mourir.1

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AVANT - PROPOS

Le 31 décembre au soir, comme c’est la coutume, je me trouvais avec des amis en train de fêter l’arrivée de l’année nouvelle. Puisque j’ai moi-même franchi l’âge vénérable de la demie d’un siècle, il n’était pas surprenant que les gens qui m’entouraient alors se trouvent eux aussi à ne plus être dans ce que nous appelons la jeunesse. Tous bien installés, plutôt bien nantis que mal, nous voguions allègrement d’un sujet à l’autre non sans arroser d’un rouge tout à fait respectable l’excellent repas que nous avions préparé ensemble, relents d’une jeunesse communautaire des années soixante-dix obligent. Or, pour la première fois de notre vie et de nos agapes joyeuses, voilà qu’un sujet tombe dans la discussion sans crier gare : la mort. La mort en général, certes, mais surtout notre propre mort !

Nous pensions que nous avions tout appris : nos métiers, l’amour, l’argent, l’amitié, la fréquentation d’une certaine culture, une participation plus ou moins grande à la cité. Pourtant, quelle ne fut pas notre surprise de découvrir que nous éprouvions un certain affolement devant la mort et qu’aucun de nous ne savait véritable- ment comment mourir.

Nous sommes nés dans l’abondance de l’après-guerre et avons vécu dans la mystification de la médecine occidentale qui veut que toute maladie se conclue, grâce à la recherche omnipuissante, par la découverte d’un traitement et par la guérison. Pendant des années,

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voire des décennies, les plus chanceux d’entre nous n’ont vu mourir personne de leur entourage. À présent, puisque nos parents octogé- naires commencent à être décimés sérieusement, nous ressentons, avec une sorte d’angoisse, que nous sommes désormais la prochaine génération qui va se terminer et que nous devrons plus ou moins bientôt laisser la place aux autres qui viennent justement de com- mencer à faire des enfants.

Nous ne nourrissons plus cette impétueuse révolte face à la mort qui nous tordait le ventre quand nous étions plus jeunes. Nous commençons certes à accepter l’inéluctable et à entrevoir le dernier acte. Mais, autour de la table, chacun a protesté que nous ne savions pas comment faire, que nous ne savions pas comment mourir.

J’utilise le « nous » car je veux être bon joueur devant mes amis. Je dois dire aussi que je me vois comme faisant partie de ceux qui ne savent pas comment mourir. Toutefois, ceux qui m’entouraient ont vite fait de me demander comment ça se passe quand ça va bien et comment ça se passe quand ça va mal. C’est que, depuis près de vingt ans, je pratique la médecine auprès de personnes qui vont mou- rir, la médecine dite palliative. Je m’occupe en effet de personnes atteintes de maladies terminales à leur domicile comme à l’hôpital.

En y réfléchissant un peu, j’estime avoir eu le privilège d’avoir été le témoin de la dernière étape de la vie de quelques milliers de per- sonnes. C’est à cause de cela que mes amis m’ont dit que je devais bien savoir mieux qu’eux-mêmes comment mourir et comment se préparer.

Au départ, je suis resté un peu bouche bée. J’essaie de ne pas exporter dans ma vie privée ce qui se passe dans ma vie pro- fessionnelle. Mais, à force d’y penser, j’ai fini par me souvenir d’une conférence que j’avais donnée dans le cadre d’un congrès du Réseau québécois de soins palliatifs. J’y dépeignais quelques-unes des tra- jectoires de fin de vie qui m’avaient le plus marqué. J’ai pensé que certaines de ces fins de vie étaient tout à fait réussies alors que d’autres s’étaient littéralement terminées en catastrophe.

Alors, d’abord pour mes amis, puis pour tout lecteur éventuel et enfin pour moi-même, j’ai décidé de m’inspirer, puis d’enrichir certaines parties de ce texte pour qu’il soit utile à ceux qui, faisant

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AVANT-PROPOS

preuve de lucidité, sont disposés à réfléchir sur leur fin dans ce monde.

En fait, je réalise maintenant que les personnes mourantes recèlent une sagesse qu’on a tort de ne point fréquenter. Elles sont en quelque sorte nos guides dans cette vie qui est parfois complexe et éclatée. Elles nous recentrent sur l’essentiel. Donc, ce livre veut simplement rendre accessible au lecteur cette sagesse dont j’ai été le témoin émerveillé au cours des ans.

En collaboration avec mes amies Véronique Lussier et Suzanne Mongeau, j’ai publié à l’automne 2006 un livre intitulé Souffrance et médecine. Ce livre porte sur les travaux de recherche que je pour- suis depuis plusieurs années sur le sujet de la souffrance des grands malades dans notre système de santé. On sait bien que ce sujet est toujours implicitement ou explicitement présent dans tout ce qui touche la maladie grave et certainement dans ce qui a trait à la dernière étape de la vie. Toutefois, dans ces travaux de recherche, nous nous sommes aperçus que la souffrance variait d’un individu à l’autre, certains d’entre eux arrivant même à affirmer, en face de la mort inévitable qui allait survenir dans les quelques jours leur restant à vivre, qu’ils étaient heureux. Quelle est la nature de cette mystérieuse sérénité qui n’est pas donnée à tous ? Pour les proches, les moments ultimes des uns constituent d’heureux souvenirs pen- dant que d’autres, hélas, ont laissé des images de cauchemar que les survivants n’arrivent pas à oublier en même temps qu’ils sont saisis d’effroi en pensant que cette manière de mourir pourrait bien être la leur.

Par contre, il faut mentionner que je ne veux pas convain- cre de quoi que ce soit. Je veux simplement que, par le truchement mystérieux de ce livre, nous ayons un simple et vivifiant échange qui pourra par la suite constituer quelque chose d’utile lorsque le moment viendra. C’est ce qui est important pour moi maintenant.

Il faut prévenir que les éléments de réflexion qui pourraient éventuellement être utiles à ceux qui se préoccupent de bien pré- parer leur propre mort seront subtilement présents au milieu des expériences racontées. Alors, ceux qui prendront la peine d’analyser ces propos trouveront ce qu’ils cherchent. Et les autres, ceux qui

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veulent simplement se faire porter dans une sorte de voyage virtuel, une exploration en ma compagnie, ceux-là donc pourront lire ce récit sans se casser la tête en laissant l’émotion surgir et une sorte de solidarité se manifester. Qu’est-ce qui nous dit que l’émotion et la solidarité sont des sentiments inutiles ? Il se pourrait très bien qu’ils nous servent infiniment plus que toutes les savantes théories qu’une certaine intelligentsia, dont je me sens loin, aime à nous gaver.

Enfin, la préparation de ce livre représente pour moi une oc- casion unique d’effectuer un bilan de ma vie professionnelle. Il n’est pas donné à tous d’avoir cette chance en or de revoir ce à quoi on a consacré sa vie durant des années et d’en tirer un certain nombre de leçons et d’enseignements capables d’aider autrui à se positionner face à l’un des plus grands projets qui soit donné à tout être humain : bien vivre le dernier acte de son existence.

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Vingt ans de présence auprès des personnes en fin de vie et auprès de leurs proches ont imprimé en moi une multitude d’images, de pensées, de visages, de situations et de réflexions de tout ordre. Ce livre constitue un condensé de toutes ces impressions. Les vingt ré- cits qui suivent ne représentent évidemment pas l’histoire singulière d’une personne en particulier, ce qui serait contraire aux règles du secret professionnel auxquelles ma profession m’engage, mais ils constituent des narrations qui ont tous les attributs de la vraisem- blance. Ceci dit, le lecteur doit impérativement prendre note que toute ressemblance de ces récits avec les événements de la vie d’une personne vivante ou décédée serait une pure coïncidence.

AVERTISSEMENT

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Mourir et être heureux

LE MÉDECIN : Avez-vous peur de quelque chose ? LA MALADE : De quelque chose ?

LE MÉDECIN : Oui.

LA MALADE : Vous voulez dire comme quoi, de la mort ? LE MÉDECIN : Ou d’autres choses ?

LA MALADE : Ben, la seule affaire que j’ai peur un peu, c’est que je trouve que je ne marche pas beaucoup. C’est de ça que j’ai le plus peur : de marcher en chaise roulante tout le temps. Mais… j’aime tellement ça sortir et... parce que même si je ne vais pas à plein de places, même si je m’en vais juste m’asseoir chez ma sœur... quand je suis avec elle, avec une de mes sœurs, c’est déjà bien. C’est déjà du bonheur. Parce que je n’ai pas oublié le temps où je marchais sans problème, j’en ai fait mon deuil. Des fois, je peux aller voir un film, je peux aller faire des petites choses comme ça, mais c’est sûr que je ne peux pas faire n’importe quoi là.

LE MÉDECIN : Et ça, vous en avez fait votre deuil ?

LA MALADE : Oui. Parce que ça donne rien de se repenser sur soi-même parce que ça va te donner quoi, tu vas pleurer et c’est tout. Et les larmes, ça apporte rien. Ça fait que j’aime mieux me dire : « Bon ben, t’as eu ça comme bonheur, ben c’est ça qui est bien. »

LE MÉDECIN : Est-ce que vous êtes heureuse ? LA MALADE : Tu sais, je suis heureuse, oui.1

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J’ai entendu ce témoignage alors que je complétais une en- trevue pour une recherche menée au début des années 2000. Il m’a laissé quelque chose d’insaisissable. Cette femme, visitée dans sa chambre d’hôpital seulement six jours avant son décès, était d’une sérénité exceptionnelle. Âgée d’à peine quarante-cinq ans, elle avait travaillé toute sa vie comme secrétaire et elle jugeait elle-même que sa vie avait été sans histoire. Elle n’avait pas eu d’enfant et elle avait partagé les dernières années de sa vie avec un homme plus âgé qu’elle adorait et avec qui elle faisait chaque hiver un voyage dans le sud au cours duquel elle et lui se promenaient des heures sur la plage.

Son visage s’est illuminé lorsqu’elle a évoqué ses pieds nus sur le sa- ble chaud de la plage au coucher du soleil. Quand elle et son homme s’arrêtaient pour se reposer, elle aimait frotter ses pieds contre les siens. « Je trouve cela si sensuel ! » m’a-t-elle dit en baissant les yeux et en esquissant un petit sourire pudique.

Elle était minuscule dans son grand lit blanc. Elle me parlait à voix basse et elle devait sans cesse se reposer pour reprendre son souffle. Parfois, elle semblait vaciller tant sa vie était faible, son âme sur le point de s’envoler. Je contemplai avec un infini respect cette vie sur le point de s’éteindre. Infini respect et sorte de gêne, gêne qui ne m’a jamais quitté devant cet espace de temps si étrange et si plein des derniers jours de la vie. Mais elle, que nous avions appelée Mylène pour les besoins de la recherche, me racontait qu’elle souffrait de ne plus pouvoir se maquiller comme avant et qu’elle éprouvait de la difficulté à enfiler ses bas de nylon. Je n’avais pas remarqué qu’elle était maquillée. Elle ne portait pas de bas de nylon. Tout à coup, j’ai oublié qu’elle était mourante. Elle s’était redressée dans son lit et les lunettes d’oxygène se sont détachées de sa figure. Elle s’est mise à me parler du bonheur, du simple bonheur d’être en présence de sa sœur qu’elle aimait visiblement beaucoup. Oh, elle et sa sœur s’étaient en fait beaucoup chamaillées dans la vie. « Ma sœur est une Germaine », m’expliqua-t-elle. « Mais je l’aime. Je l’ai toujours aimée. J’ai tou- jours su que je ne pourrais pas la changer. Alors, quand elle me dit quoi faire, je l’écoute sans la contredire et après, je fais à ma tête ! » Mylène a probablement réussi ce que certains appellent la

« progressive simplification de l’être » qui caractérise la fin de vie

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MOURIR ET ÊTRE HEUREUX

de personnes qui laissent un souvenir aussi précieux qu’impérissa- ble de leur passage sur cette terre. À mon avis, c’est Ira Byock2 qui a le premier parlé de cette progressive simplification de l’être des derniers moments de la vie. Il me semble me souvenir qu’il com- pare la fin de la vie à une sorte de préparation à l’entrée dans une dimension où l’individualité se dissout. J’ai rencontré le docteur Byock lors d’un de ses passages à Montréal et je suis parfaitement sûr qu’il n’a gardé aucun souvenir de notre rencontre. Cela ne me cause d’ailleurs aucun problème, sauf que ça explique que je ne suis pas en mesure de dire s’il faisait référence à une quelconque conception religieuse de l’au-delà. Mais je trouve les matérialistes purs et durs bien ennuyeux quand ils soutiennent que nous sommes venus d’un peu de carbone et d’azote dont le mélange a constitué l’un des plus grands hasards que le cosmos ait connus de toute éternité. Cela étant dit, je suis obligé d’avouer que je n’ai gardé ab- solument aucun souvenir d’où j’étais avant d’être dans cette vie. Je ne suis sûr de rien, mais il me semble que lorsque notre vie biolo- gique s’achève, le soi tel que nous le connaissons se disloque pour entrer dans une dimension infiniment plus grande qui l’englobe alors et dans laquelle il disparaît. L’entrée dans cette réalité réclame une progressive simplification de l’être, car on ne peut y accéder avec ses factures d’épicerie en tête, les problèmes conjugaux que nous avons traversés ou les antagonismes que nous avons nourris à l’égard de certains collègues de travail. Certains réussissent cette simplification, ils y sont attirés en quelque sorte, alors que d’autres piétinent péniblement dans les complications au soir de leur vie.

Pour en revenir à Mylène, on doit dire que la seule difficulté qu’elle vivait alors était la tristesse de quitter ceux qu’elle aimait.

Pourtant, l’histoire médicale de cette personne atteinte de cancer n’était pas sans tache. Ayant vécu plus d’une année avec la maladie, elle a affirmé que ses douleurs sévères causées par la progression de son cancer dans les os n’avaient jamais été soulagées, sauf quand elle a enfin bénéficié de soins palliatifs de qualité. Mais, cette malade ne gardait pas rancune de cette apparente injustice. Elle ne cherchait pas de coupable, préférant célébrer le soulagement qu’elle expéri- mentait depuis deux semaines.

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Qu’est-ce qui fait que certaines personnes acceptent la mort alors que d’autres la refusent de façon véhémente ? Qu’est-ce qui fait que certaines personnes acceptent la mort alors que d’autres en ont une peur incoercible ? Cette capacité d’acceptation ne semble pas reliée à l’âge comme on pourrait le penser. J’ai connu certains patients très jeunes qui étaient sereins face à leur fatale destinée.

Curieusement, la satisfaction face à la vie que l’on termine ne se mesure pas aux réussites qu’on a accumulées au fil des ans. Au contraire ! Pensons à cette autre femme que, pour les besoins de la cause, je nommerai Louise.

Louise habitait un HLM qui domine le jardin communautaire où je cultive mes tomates. Elle avait eu de la chance, disait-elle, de tomber sur ce petit une pièce et demie avec une porte patio qui don- nait sur le coucher de soleil. C’est ma Grèce à moi, se réjouissait-elle, en nous montrant son petit balcon plein de fleurs. Les fleurs, c’est plus difficile, se plaignait-elle cependant, car la Ville n’en donne pas tout le temps. Son petit appartement était rempli des toiles qu’elle produisait à une vitesse prodigieuse. C’étaient des œuvres particulières, beaucoup de natures mortes et puis des toiles un peu surréalistes où on voyait des édifices en hauteur tout croches, des cordes à linge remplies de couleurs et une multitude de personnes.

Ces toiles-là, à les regarder, on avait l’impression qu’elles bougeaient tant elles étaient étincelantes de vie. Quand elle peignait des fleurs, Louise laissait libre cours à son côté adolescente : ses fleurs avaient la grâce des fleurs marines et là encore, c’est le mouvement qui dominait. Mais Louise n’a jamais fait d’exposition. Elle nous disait qu’elle avait bien le temps. Quand il y avait des expositions extérieu- res durant l’été, elle les fréquentait avec le sérieux d’une critique professionnelle.

À la voir vivre, on n’aurait jamais pensé qu’elle passait ses jours accompagnée d’un cancer du sein depuis vingt ans. Elle avait donc tout connu de cette maladie : la tumorectomie, la mastectomie totale, les chimiothérapies, les radiothérapies, le lymphoedème3. Elle avait réussi à traverser sa maladie en continuant à se sentir femme.

Bien avant l’heure, elle s’était fait faire un piercing du sourcil et elle insistait pour qu’on la prévienne avant de la visiter afin d’avoir

3 Lymphoedème : terme médical signifiant l’enflure d’une partie du corps, comme le bras, résultant du blocage des canaux lymphatiques.

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MOURIR ET ÊTRE HEUREUX

le temps de se maquiller et de se coiffer convenablement. Jamais Louise ne s’en faisait. Elle riait tout le temps, toujours occupée de mille courses, de mille rencontres et des cours de peinture qu’elle donnait à ses voisines. Sa seule préoccupation négative concernait ces jeunes femmes qu’elle regardait flâner sur le trottoir. Je me de- mande, questionnait-elle, pourquoi elles tournent inlassablement sur elle-même cette même mèche de cheveux qu’elles ont toujours entre les doigts en même temps qu’elles mâchent leur gomme à la manière des bovidés. Cette indolence la heurtait car elle était passionnée par tout. Louise était intensément vivante.

Pourtant, Louise n’avait pas eu la vie facile. Ses deux enfants avaient vécu l’enfer de la toxicomanie, ce qui lui avait fourni son lot de problèmes. Il faut dire que malgré sa pauvreté, elle était parvenue à leur donner des montants d’argent astronomiques. Son fils allait souvent au « collège » comme elle le disait en souriant et en jetant un regard oblique. Il faut savoir que le « collège », pour Louise, c’était sa façon à elle d’appeler, sans la nommer, la prison de Bordeaux. Mais elle n’était pas rancunière ou revancharde. Elle déclarait simplement qu’elle ne comprenait pas que quelqu’un ait besoin de prendre des substances alors que la vie est si belle sans ça. Elle recevait de temps en temps l’un et l’autre dans son minuscule appartement. On ne laisse pas un chien coucher dehors ! disait-elle à la blague. Jamais ne lui était venue à la tête l’idée d’abandonner ses enfants à leur sort. Elle portait sa maternité aussi totalement qu’elle portait sa vie, sans ostentation, sans mélo, mais avec un cœur grand comme le monde, dans le silence.

J’ai eu la très grande chance de suivre Louise pendant deux ans et à Noël, elle m’offrait des petites toiles avec une carte où elle écrivait Merci docteur de me garder en vie ! Il faut rappeler que Louise savait que je ne lui offrais aucun traitement curatif et que mes interventions étaient strictement palliatives, mais je ne sais pas pourquoi, elle percevait quand même que je la gardais en vie.

La maladie de Louise a progressé jusqu’au squelette farci de cancer.

Sa scintigraphie osseuse indiquait hors de tout doute la présence de multiples métastases. À trois reprises, elle aura des compressions de la moelle osseuse qui vont se résorber grâce à des radiothérapies et qui ne se compliqueront donc pas de paraplégie. Chaque fois que j’ai

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dû lui annoncer une complication, Louise gardait son calme. Après quelques minutes de réflexion, elle passait au mode solution et me demandait ce que je lui suggérais. Elle suivait alors rigoureusement mes recommandations et elle a eu la fortune que les traitements donnés soient toujours couronnés de succès.

Louise a refusé de voir l’accompagnatrice spirituelle que le CLSC lui offrait. Elle n’avait pas besoin de cela. Depuis vingt ans, elle pratiquait le bouddhisme. Était-ce sa pratique du bouddhisme ou une propension naturelle qui expliquait son calme face à la vie ? Je ne sais pas, mais je peux dire qu’elle était quand même capable de regarder les choses en face. Si elle affirmait qu’il ne se pouvait pas que ce petit quelque chose qui aime, qui s’émeut, qui a peur et qui admire la beauté disparaisse dans la mort, elle se demandait néanmoins comment tout cela allait se passer. Elle croyait en l’immortalité de l’âme sans oser prétendre quoi que ce soit sur ce qui allait nécessairement arriver. Elle ne le savait tout simplement pas.

Lorsque toutes les chimiothérapies seront terminées, on of- frira à Louise un protocole expérimental (d’un programme de com- passion) qu’elle acceptera avec enthousiasme. « Vous comprenez, docteur », me dit-elle, « moi, je ne suis pas prête à mourir ! » Ce traitement lui provoquera une hépatite4 toxique fulminante qui se soldera par sa mort en l’espace de quatante-huit heures chez elle, en compagnie de ses proches. Au moment du décès, ses proches nous sont arrivés avec un flacon de comprimés de morphine. Or, le flacon était plein, car Louise n’en avait jamais pris un seul. Cette prescription datait de deux ans et elle était périmée. Elle n’en avait visiblement jamais eu besoin malgré cette maladie extensive et tou- tes ces métastases osseuses.

Cette femme a défait certaines de mes croyances et a ouvert de nouvelles zones de doute dans mon esprit au sujet de l’analgésie.

En observant son histoire, j’ai d’abord commencé à croire que la douleur n’était pas toujours au rendez-vous des personnes aussi durement touchées par le cancer. J’ai aussi commencé à me deman- der si d’autres phénomènes, non physiologiques, non pathologiques pouvaient jouer un rôle dans la genèse de la douleur et, par voie de

4 Maladie du foie qui, en certains cas, peut être mortelle.

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MOURIR ET ÊTRE HEUREUX

conséquence, dans le soulagement de la douleur. J’ai commencé à me demander si la morphine, le dilaudid, la méthadone ou le fentanyl pouvaient ne constituer qu’une partie du traitement de la douleur.

J’ai même pensé que ces médicaments pourraient représenter un traitement optionnel dans certains cas, ce qui est, il me faut bien l’avouer, une hérésie dans mon domaine. Tout cela pour dire que cette femme a changé ma façon de pratiquer la médecine palliative.

Elle a bouleversé mes croyances et, surtout, elle m’a appris qu’il était possible de vivre pour de vrai à plein jusqu’à la toute fin de l’exis- tence. D’ailleurs, le poète nous le dit :

Je crois tellement fort à la vérité de l’artiste – l’artiste n’est pas plus futile que le physicien.

L’un et l’autre recoupent des vérités mais celle de l’artiste est plus urgente car il s’agit de sa propre

conscience.5

Louise est, plus que toute réflexion théorique, une réponse tangible aux nombreuses questions que nous nous posons face à la fin de la vie. Pour elle, la vie était nécessaire. Sa vie était néces- saire. Or, comme elle était, à mon humble avis (je ne suis pas un connaisseur), l’un des meilleurs artistes que j’ai connus, je propose que l’on érige quelque part à Montréal, à la différence d’un monument destiné à nous rappeler la guerre, un monument sur lequel on écrira : Dédié à l’artiste inconnu. Ces artistes inconnus, nous les croisons et les soignons à cœur de journée : cette couturière, ce cordonnier, cette faiseuse de bijoux de pacotille, ce grand-père qui raconte des histoires aux enfants, cet autre qui prend un soin méticuleux de son potager. Ces artistes sont partout. Nous les reconnaissons. Dans leur générosité sans borne, ils nous nourrissent. Jusqu’à la fin, ils nous aident à vivre. Et n’est-ce pas pour cela, avouons-le-nous, que nous leur faisons une place de choix dans notre entourage ?

L’art, cet art-là, pas celui des grands musées et des salles de spectacles, mais l’art de la rue, l’art de l’homme et de la femme de la rue, serait-il la seule réponse valable à la souffrance ? La seule répon- se et le seul remède. Je n’ai pas la prétention d’un connaisseur mais je m’autorise à dire que l’art, sous toutes ses formes, crée la beauté.

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Quand nous souffrons dans notre corps, dans notre tête, dans notre cœur, dans notre amour pour les autres, que faire d’autre, si l’on choisit de continuer à vivre, que de se livrer à la beauté ? La beauté que Louise cultivait autour d’elle-même était simple et vigoureuse.

Louise inventait cette beauté et cette beauté la faisait vivre comme dans un étrange va-et-vient. Cette ouverture à la beauté, que Louise aurait pu refuser, produisait des fruits quotidiens dans sa vie et dans celle de ceux qui la fréquentaient. Je dis qu’elle aurait pu refuser cette beauté car elle aurait pu se « repenser sur elle-même », comme le disait Mylène. Elle aurait pu ne pas accepter sa maladie, son sein mutilé, sa prothèse mammaire défraîchie parce qu’elle n’avait pas d’argent pour s’en acheter une neuve, son mariage raté, ses enfants difficiles, son petit HLM parfois assailli par la vermine, les harcè- lements de l’aide sociale et tout ce qui est laid dans le monde. Non, Louise ne se butait pas contre la laideur. Elle passait littéralement par-dessus pour accéder à la beauté.

Juste avant son hépatite toxique qui lui a donné la mort, j’ai accepté une petite toile que Louise venait de peindre spécialement pour moi. Cette toile représentait quatre grosses poires de couleur bourgogne. Comme tout ce qu’elle avait peint, cette toile était trou- blante et vraie. Or, Louise avait peint au pourtour de la toile un cadre noir. C’était la première fois qu’elle utilisait le noir dans ses tableaux.

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Vivre et mourir sans amour

J

e pense maintenant à Nicole qui était affligée, comme la moitié de mes malades, d’un cancer du poumon. Vous n’avez pas besoin de poser une seule question pour faire le diagnostic, car, juste en entrant dans son appartement, vous avez de la peine à trouver la patiente tant la fumée de cigarette est épaisse. Sa voix rauque ne parvient pas à couvrir les aboiements frénétiques de ce minuscule chien chinois qui veut vous faire croire qu’il est un tigre prêt à vous dévorer. Au fond de la pièce se tient, affalé de travers dans un fau- teuil, un homme, plus jeune qu’elle, qui termine nonchalamment son joint en ne faisant même pas l’effort de lever les yeux pour vous saluer. Nicole est complètement révoltée. Les yeux exorbités, grillant une clope après l’autre, elle vous explique qu’à quarante-trois ans, pour la première fois de sa vie, elle a enfin trouvé le grand amour, que ce n’était vraiment pas le temps de lui diagnostiquer un cancer.

Et, pour comble de malheur, la chimio qu’on lui a offerte a dû être interrompue quand elle a fait une nécrose de l’intestin qui lui a laissé un joli petit sac à merde sur le côté qui va, jusqu’à la fin, l’empêcher de faire l’amour à l’amour de sa vie. « Chienne de vie! » répète-t-elle.

C’est qu’elle a raison. Sa vie n’a pas été facile. La mère de Nicole savait que sa petite fille de cinq ans était abusée par l’homme de la maison qui avait remplacé le père dès que celui-ci avait sacré son camp. Nicole a laissé l’école trop tôt. Nicole a travaillé comme

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serveuse dans un resto plutôt bas de gamme où le patron lui pinçait les fesses et lui volait la moitié de ses pourboires. Elle a fait de la coke, ce qui l’a amenée à voler sa sœur afin de se payer sa drogue, ce qui a rompu irrémédiablement toutes ses relations familiales. Et les hommes ! vous explique-t-elle en soupirant, avant lui, tous des abuseurs !

Sa souffrance m’émeut et me préoccupe jusque dans mes soirées et mes fins de semaine. Elle réclame un fauteuil roulant motorisé pour aller se promener au parc Lafontaine parce qu’elle sait très bien que c’est son dernier été et qu’elle n’a plus la force ni le souffle de marcher jusque-là. Mais, ce n’est pas possible. Le CLSC ne peut pas fournir cela parce qu’il n’a pas les budgets nécessaires. Ce n’est pas dans le « panier de services », m’a expliqué la responsable.

Maudit système de santé ! que je me dis. On est toujours obligé de quêter pour les choses essentielles. Je suis d’ailleurs devenu aller- gique à cette expression de « panier de services ». C’est comme si notre système fonctionnait de la même façon qu’une épicerie ! C’est dire comment on est devenu cinglé dans cette machine.

Après toutes ces années de travail acharné, Nicole n’est pas riche mais pas pauvre non plus. Elle a cessé depuis longtemps de consommer grâce à NA (Narcotiques Anonymes), nous confie-t- elle. Elle est fière de son abstinence. Combien de filles avec qui elle s’emplissait le nez sont six pieds sous terre à l’heure qu’il est ? C’est malade cette cochonnerie ! s’exclame-t-elle. Au prix que ça coûtait, m’explique-t-elle, ça n’a pas été long qu’elle a amassé un petit magot. « Je suis travaillante, vous savez ! » C’est évident quand vous voyez la propreté et l’ordre qui règnent dans son petit condo qu’elle a pu s’acheter juste avant que les prix se mettent à monter.

C’est peut-être en raison de la fierté qu’elle a d’être parvenue à ne plus prendre de coke et de s’acheter son condo qu’elle veut mourir à domicile, si elle doit mourir. C’est ce qu’elle désire par-dessus tout.

Son Jules, qu’elle a connu trois mois avant de tomber malade, lui a justement promis qu’il s’occuperait d’elle jusqu’à la fin. D’ailleurs, ils ont décidé de se marier la semaine prochaine.

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VIVRE ET MOURIR SANS AMOUR

Puis, voilà que lors d’une visite subséquente, Nicole ne va pas bien. Elle « jongle », comme elle dit : elle est préoccupée parce que le seul frère avec qui elle avait gardé contact est très en colère contre elle. Celui-ci est en maudit parce qu’elle s’est mariée à ce vaurien à qui elle lèguera sans doute le condo. Même si Jules ne travaille pas pour le moment, on ne peut pas dire que c’est un « vaurien ». Il sort les vidanges deux fois par semaine, il fait un peu d’épicerie quand il va s’acheter de la bière. Et puis, « ce vaurien, c’est le premier homme qui m’aime et je l’aime ! » me répète-t-elle...

Lui, il l’écoute et se tait. Même quand c’est lui qui m’ouvre la porte, il se retourne et lui crie C’est ton médecin ! avant de dispa- raître. Pas de bonjour, évidemment, pas de Vous prendriez bien un café, docteur ? comme je l’entends dans bien des maisons que je visite. J’en suis venu à me dire qu’il me trouve antipathique. Je ne trouve pas cela trop grave pourvu qu’il me laisse voir sa blonde.

Je ne sais pas si c’était un signe annonciateur de quelque chose, mais un bon jeudi nous avons appris que Nicole avait ex- primé à son nouveau mari qu’elle se sentait bizarre. « Tout se bous- cule dans ma tête », lui aurait-elle expliqué. Le temps passe et son état se détériore durant toute la fin de semaine. Elle est incapable de dormir, de manger, de fumer même. Étant donné que, dans son lit, elle ne cesse de bouger, son Jules prend la décision de dormir sur le sofa.

Lors de la visite de la travailleuse sociale le lundi, la patiente est complètement détraquée. La TS, comme on appelle la travailleuse sociale, réalise qu’il n’y a même pas eu d’appel au service de garde du- rant la fin de semaine, ce qui pourtant aurait pu sonner l’alarme. Elle me téléphone pour me demander quoi faire. « Attends, je suis là dans moins d’une heure », que je lui réponds. Je ne sais pas ce qui me pousse à dire toujours cette phrase lorsqu’on m’appelle pour me raconter ce genre d’événement. Je dois donc annuler la réunion prévue cet après- midi-là. Mes collègues ne seront pas contents. Par contre, c’est drôle, mais il me semble que moins on a d’argent, plus on a de réunions. Ces réunions servent à décider ce qu’on va faire ou, plutôt, ce qu’on va ne pas faire avec le peu d’argent qui nous reste. En tous les cas, ils s’ar- rangeront sans moi pour aujourd’hui. Moi, je vais voir Nicole.

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Je me souviens que c’est un après-midi de fin d’automne où il pleut à verse. Quand j’entre dans l’appartement, le chien ne jappe pas, ce qui m’étonne. C’est l’homme au joint qui m’a ouvert. Il me fait en signe vers la chambre en me disant : « Elle est là. »

La chambre est sombre parce que les rideaux sont tirés. Dans l’obscurité, je vois ses yeux qui s’agitent. Je sais qu’elle se demande qui je suis et qu’elle a peur. « Ne vous inquiétez pas Nicole. C’est moi, c’est le médecin. » Elle semble se relâcher un peu. « Je peux allumer la lumière ? » Elle ne répond pas tout en continuant à me fixer du re- gard. J’ouvre la lumière de sa table de chevet. Elle me regarde à nou- veau, affolée. « Nicole, c’est moi, le médecin. N’ayez pas peur. Voilà, je sors mon stéthoscope. » Elle semble rassurée. « Regardez, je vais écouter votre cœur, vos poumons. » Elle me laisse faire. L’homme au joint a disparu. Les bruits dans ses poumons ne sont pas rassurants.

Et puis, son cœur bat à tout rompre.

— Nicole, dites-moi, vous me reconnaissez ?

— Oui, oui… esquisse-t-elle.

— Alors, dites-moi quel mois nous sommes ?

— Euh, je ne sais pas, juillet peut-être ?

— OK, et cette chambre où nous sommes, elle est située où ?

— À l’hôpital ?

— Non, pas tout à fait. Mais si elle était à l’hôpital, est-ce que vous seriez contente ?

— Non… oui… Je ne sais pas. Ça m’est égal.

Dans ces moments-là, il faut penser vite et bien. On doit pren- dre une décision rapide car la moindre hésitation peut précipiter la malade et son entourage dans une vive détresse. Dans ce cas-ci, je ne sais pas si l’entourage peut être précipité dans une quelconque détresse. Son conjoint m’a l’air tellement gelé. Et puis, il faut penser bien, il faut trouver la meilleure des solutions. Quelque chose en moi me dit que Nicole, qui me semble être à la toute fin de sa vie, ne pourra pas être soignée par l’homme au joint. Et à part cet homme, il n’y a personne qui vient la voir. En même temps, je sais qu’avec les médicaments appropriés, Nicole a toutes les chances de recouvrer ses facultés intellectuelles. Alors, à ce moment-là, lorsqu’elle va réaliser qu’elle est à l’hôpital, comment va-t-elle réagir ? Va-t-elle être en colère ? Bon, peu importe, je prends la décision d’appeler

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VIVRE ET MOURIR SANS AMOUR

l’ambulance. J’ai la conviction que c’est le mieux à faire pour ma patiente qui n’est absolument plus en mesure de prendre des déci- sions. J’appelle :

— Jules, Jules, peux-tu venir ici dans la chambre ? Pas de réponse. Je répète.

J’entends alors son pas traînant. Je le vois apparaître dans l’embrasure de la porte.

— Qu’est-ce qu’il y a ?

— Eh bien, Nicole va plutôt mal ! Dans ses poumons, j’entends ce qui me fait penser à une pneumonie. Et son cerveau ne fonctionne plus. Je pense qu’il va falloir l’amener à l’hôpital.

Il me dévisage. Je vois que quelques neurones se mettent à fonctionner. Il hésite, puis déclare :

— Bof ! Faites donc ce que vous voulez ! J’observe Nicole :

— Tu as compris Nicole. On va devoir t’amener à l’urgence.

Je vois qu’une soudaine éclaircie se fait dans le cerveau de ma patiente :

— Docteur, pour combien de temps ?

Je la regarde, elle me regarde. Dans ces moments précis, on parle avec les yeux et on dit beaucoup de choses.

— Je ne sais pas Nicole. Nous verrons.

Elle laisse échapper un grand sanglot, puis met sa tête dans l’oreiller. L’homme au joint n’est déjà plus là. J’appelle l’ambulance qui ne mettra pas vingt minutes à arriver. C’est donc une journée calme à Montréal, car les patients comme Nicole passent habituel- lement en dernier. C’est naturel, on va d’abord au secours de cas urgents. Pour Nicole, l’urgence, c’était avant, bien avant. Il n’y a plus d’urgence.

Les ambulanciers, un homme et une femme jeunes, sont d’une gentillesse extraordinaire. Nicole a les lèvres un peu bleutées. Ils lui offrent de l’oxygène. Quand ils soulèvent son corps du lit, on en voit l’empreinte sur le matelas qui semble de pierre. Ils l’enveloppent de couvertures de flanelle, serrent les courroies, relèvent la tête de la civière, puis ils l’emmènent hors de son condo. Au moment où elle quitte la maison, voilà qu’elle se retourne une dernière fois. Qu’y a-t-il dans ce regard ? De la peine ? De la satisfaction ? Je ne sais pas, mais

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je sais qu’elle sait qu’elle ne reverra jamais plus ces lieux qu’elle a tant voulu posséder, où elle a tant voulu aimer, où elle a tant désiré être heureuse. Elle sait.

Elle doit passer par l’urgence. C’est le début de la saison de la grippe et l’urgence est bondée, comme d’habitude. Le personnel est courtois mais terriblement occupé. Les gens courent dans le corri- dor. Ils se crient entre eux des ordres brefs : « Un préposé dans le 22 ! J’ai des prises de sang à apporter au labo ! Tu prends ton souper à 5 ou à 6 ? » Les malades qui le peuvent se regardent l’air étrange, sur- pris, comme s’ils étaient de trop dans cette foire. Nicole vite s’énerve.

Elle veut descendre de la civière, arracher ses draps, ses vêtements.

C’est un comportement qui heureusement attire l’attention. Une in- firmière vient, lui dit de se tenir tranquille, part puis revient avec une injection. Quelques minutes après, Nicole glisse lentement dans une léthargie bienheureuse, puis dans un sommeil profond duquel elle ne va être réveillée que pour faire face au médecin qui va la questionner rapidement – elle va mieux à ce moment – puis lui annoncer qu’il a une chambre pour elle à l’unité des soins palliatifs.

« Déjà ! » qu’elle laisse aller. Puis elle ferme les yeux.

Quelques heures après son admission à l’unité de soins pallia- tifs, elle confie à l’infirmière qui s’occupe d’elle qu’elle vient de réa- liser que Jules l’a roulée sur toute la ligne parce qu’elle constate que depuis qu’elle est à l’hôpital, il n’a pas passé plus de trente minutes avec elle. Elle meurt seule le lendemain de son admission.

L’amour n’est pas toujours au rendez-vous dans la vie des gens. Que l’on soit riche ou pauvre, plusieurs d’entre nous resterons toute notre vie en carence de relations affectives enrichissantes, significatives et vraies. Certaines personnes semblent allergiques à des relations amoureuses ou amicales véritables. Elles errent in- définiment dans l’existence en quête de l’âme sœur qu’elles restent impuissantes à trouver. Ou comme dans l’histoire de Nicole, elles ferment les yeux sur le non-amour qui se présente ordinairement comme une relation utilitaire ou intéressée de laquelle l’amour est finalement absent. Certains invoquent la malchance pour expliquer leur état. Peu s’avouent leur manque de générosité et de fidélité du

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cœur. Peu acceptent d’admettre qu’ils étaient porteurs d’une anoma- lie congénitale incompatible avec l’amour.

Cette histoire ainsi que quelques autres m’ont fait réaliser un constat qui peut avoir l’air un peu difficile dans un livre sur le mourir.

Pour mourir à domicile, il existe une condition essentielle mais non suffisante : ça prend de l’amour autour de soi. Sans amour, ce n’est pas possible. Quels que soient les services disponibles, sans l’amour, dès le premier pet de travers, vous pouvez être sûrs que vous allez vous retrouver à l’urgence. Or, ce n’est pas parce que des gens vivent ensemble depuis quarante ans qu’il y a de l’amour. Il existe toutes sortes de raisons d’habiter ensemble. Nous en sommes venus à croire que, lorsqu’il y a de l’amour autour d’un malade, nos services auront peut-être une chance de pouvoir maintenir à domicile une personne en fin de vie.

Depuis que je travaille auprès des personnes mourantes, j’ai rencontré beaucoup de couples s’aimant de façon exemplaire et tel- lement réconfortante pour nous qui les accompagnons. Leur passage dans notre vie nous laisse un souvenir indélébile et bon auquel nous nous accrochons nous-mêmes lorsque nous traversons l’orage. Tiens, je pense à cette femme affligée d’une sclérose latérale amyotrophique qui, à la fin de sa vie, n’avait plus que les yeux de vivant mais qui avec ses yeux regardait son conjoint avec un tel amour et une telle ten- dresse que nous en avions les larmes aux yeux. Et son conjoint le lui rendait bien et remplissait auprès d’elle son rôle protecteur de façon impeccable. Je pense à ce jeune homme atteint à quarante ans d’un cancer intestinal et qui avait à ses côtés un compagnon qui a voulu continuer de vivre après la mort de l’être aimé, précisément à cause de cet amour. Je pense enfin – je ne peux pas rapporter toutes ces expériences de l’amour vrai dont j’ai été témoin – à cette autre femme, affreusement mutilée par les complications de son cancer du sein en raison desquelles on avait dû lui installer une tige de métal le long de la colonne vertébrale, qui s’est mariée avec son ami de toujours pour réaliser son rêve de voir le Klondike une fois avant de mourir.

Ces exemples sont là pour illustrer que des relations vraies sont possibles et que si elles sont présentes, cela facilite drôlement

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cette expérience de devoir quitter la vie en même temps que cela rend la séparation plus difficile. Pour ceux qui n’ont pas de relations significatives, amoureuses ou amicales, cela pose la nécessité de trouver pourquoi les choses sont ainsi afin d’y remédier. Pour ceux qui ont le privilège de connaître un véritable amour, cette nécessité de mourir entouré peut leur servir de guide lorsque des questions triviales viennent menacer leur union. Enfin, pour ceux dont les amours et les amitiés sont moches et toujours sources de déceptions, ne faut-il pas regarder la situation en face et ne pas perdre son temps pour passer à autre chose de plus vrai et de plus porteur de sens?

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Mourir pauvre

J’

ai choisi de travailler dans un quartier pauvre, juste au-dessous du pont Jacques-Cartier. Ce quartier de Montréal a été long- temps reconnu comme l’un des plus défavorisés au Canada. La pau- vreté chronique frappe ce quartier de génération en génération. Dans toutes les villes, grandes ou petites, existent ces quartiers pauvres.

Parfois, ils sont cachés. Parfois, non. Dans ces milieux se trouvent toutes sortes de gens, de la sainte au bandit. En fait, dans ces mi- lieux, le monde interlope ne porte pas de cravate et il se nourrit de Kraft Dinner. Donc, on vous demande d’aller chez des gens qui ont connu le vol, la prostitution et sans doute aussi le meurtre. J’aurais plusieurs histoires à vous raconter car ces fins de vie me marquent beaucoup. Je ne sais si c’est l’air qu’on respire dans ces maisons, mais on peut dire que ces suivis-là nous stimulent énormément.

Je pense d’abord à cet immigrant homosexuel qui vendait de la drogue. On l’appellera Karl. Un jour, à la réunion d’équipe, on s’est demandé combien de gens étaient passés à la maison au cours de nos visites de la semaine précédente. Sur deux visites d’infirmières, trois d’auxiliaires et une de médecin, on comptait soixante-quatorze personnes différentes ! On comprend bien pourquoi cet homme qui, comme le disait une des filles de l’équipe, avait un visage d’ange et un sourire perpétuel refusait obstinément d’aller finir ses jours à l’hôpital. Il avait un « business » à faire fonctionner et il entendait bien le faire jusqu’à la fin… Mais, il était normal que certains d’entre

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nous s’inquiètent pour leur sécurité, surtout quand il fallait se rendre dans cet appartement le soir. Nous avons donc fait une « réunion de famille » dans laquelle nous avons insisté pour que le « parrain » du groupe soit présent. Le « parrain », lui, n’avait pas vraiment un visage d’ange, c’était le chum de l’ange et on savait tout de suite en le rencontrant qu’il n’était pas directement versé dans la blague. L’air dur, le visage balafré, il n’offrait absolument aucune comparaison avec les homosexuels des pièces de Michel Tremblay. C’était clair qu’il fallait qu’il soit présent à cette « réunion de famille » car c’était lui qui prenait les décisions dans ce milieu.

Alors, on se présente là en fin d’après-midi, l’infirmière, la travailleuse sociale, deux auxiliaires et moi-même. J’avais demandé au parrain d’avertir les multiples passants de s’abstenir de nous vi- siter durant l’heure prévue, ce qui fut obtenu sans problème. « Vous comprenez, lui avais-je dit, on ne peut pas discuter de Karl devant plein de monde qui ne le connaît même pas ! » La réunion commence avec Karl, le parrain et deux amis fidèles. Karl sourit et ne semble pas s’intéresser à nos discussions, ses amis ont l’air nerveux et le parrain surveille la porte en nous écoutant gravement. Dès le début, nous avons précisé que nous n’étions pas de la police, ce qui a eu l’effet de détendre un peu l’atmosphère. Et puis, il a fallu mettre cartes sur table : Karl n’allait pas bien du tout même s’il avait gardé son corps d’Apollon. Une maladie rare dans son cerveau allait le conduire ra- pidement à son dernier repos.

— Ce n’est pas grave, a répondu Karl, je le savais. Mais, j’aime- rais bien pouvoir téléphoner à ma mère dans son pays.

— Bien sûr, il faudrait que tu leur parles, que quelqu’un a répondu, mais on a besoin de savoir si tu veux vraiment rester ici jusqu’à la fin.

Ça a été tout de suite très clair qu’il voulait absolument finir ses jours à la maison. Bon, une bonne chose de faite, me suis-je dit.

Alors attaquons le plus difficile. Sarah, c’est l’infirmière, une belle Gaspésienne qui allait encore aller pêcher en haute mer par chez elle. Elle prend la parole en regardant le plancher : « Tu sais Karl, j’aime beaucoup m’occuper de toi, t’es ben fin. » Le parrain la regarde. « Toi aussi, t’es ben fin », ajoute-t-elle à son égard. Le parrain respire lourdement.

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MOURIR PAUVRE

— Mais, je suis obligée de vous dire, poursuit-elle, que des fois j’ai peur en venant ici. Surtout le soir. On rencontre tellement de gens différents qu’on n’a jamais vus.

— Puis, ai-je ajouté, avec tout ce monde-là qu’on ne connaît pas, je me demande parfois si les médicaments que je prescris vont effectivement à Karl.

La réponse du parrain fut catégorique :

— Premièrement, en ce qui concerne ces quelques milligram- mes de morphine que vous donnez à Karl, ne vous inquiétez pas, on peut en fournir à toute la ville de Montréal. Et deuxièmement, pour la sécurité, ne vous inquiétez pas non plus : je veillerai personnelle- ment à ce que rien n’arrive à votre personnel. Fiez-vous à ma parole ! Compris ?

Je ne sais pas si on peut l’imaginer mais quand le parrain parlait, personne ne discutait ce qu’il avait dit. Alors, effectivement, personne d’entre nous n’a été incommodé de quelque manière que ce soit, le jour comme la nuit. Nous entrions là comme dans une église. Les multiples personnes que nous croisions dans l’escalier nous saluaient poliment avant de disparaître dans le noir. Et puis, le temps a passé rapidement. Quelques jours après, un beau soir, Karl a saigné dans sa tête. Il a eu mal à la tête à peine cinq minutes, nous a confirmé le parrain, il se mordait les joues pour ne pas crier, puis il s’est endormi pour ne plus jamais se réveiller. La veille, il avait téléphoné à sa mère. Comme un enfant, il avait pleuré au téléphone en répétant dans une langue étrangère : « Je t’aime, maman ! Dieu nous réunira. » Après le téléphone, il a paru soulagé. Il a demandé des dattes et on les lui a trouvées. On aurait volé des banques pour qu’il en ait.

De ce monde parallèle, je me souviens aussi de Jeannine qui est décédée chez elle, il y a peu de temps. Ce n’était plus une jeune femme, mais elle était encore très belle avec son regard d’un bleu clair très séducteur. Elle aimait rire et ne s’en empêchait jamais même lorsqu’il était question de sa propre condition. Elle savait ce qui allait arriver. Deux ans auparavant, elle avait accompagné son conjoint dans la mort. Et puis, elle n’avait absolument aucune honte à nous dire le travail qu’elle avait fait toute sa vie durant : « J’étais

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effeuilleuse ! » se vantait-elle. Ses enfants, qui étaient des enfants d’effeuilleuse, s’occupaient d’elle avec un amour, une délicatesse et une tendresse infinis. C’étaient deux petites dames un peu boulottes qui vivaient en banlieue et qui se relayaient auprès de leur mère sans jamais faire défaut.

Quand on frappait à la porte, un vigoureux aboiement se faisait entendre. Jeannine vivait avec son immense berger allemand du type mangeur d’hommes. Mais un berger allemand, c’est plus intelligent qu’une police ! Quand sa maîtresse criait « Entrez ! », vous pouviez ouvrir la porte sans avancer. La maîtresse disait : « Avancez, il n’est pas malin. » Là, tu avançais pendant que le chien te regardait.

Il s’approchait, te sentait. Quand il agitait la queue, le tour était joué.

Ce chien, malgré son imposant volume, était âgé d’à peine 18 mois. Il fourrait son nez dans mon sac, mangeait mes dossiers et montait sur mes genoux pour me lécher le visage. Je le trouvais à vrai dire un peu intrusif mais c’était le chien de Jeannine, donc il ne fallait rien dire.

Tout le monde dans la maison appelait Jeannine « Mamichou », ce que nous trouvions très touchant. Cette maison sombre au pla- fond bas était un havre de tendresse comme on n’en voit pas souvent.

Une bouilloire de café était perpétuellement en cours de fabrication et il y avait ces petits biscuits sucrés que je n’avais pas le droit de refuser, mais qui me donnaient invariablement un bon mal de cœur pour le reste de la journée. Je ne sais pas pourquoi mais quelqu’un chantait toujours dans cette maison. La patiente elle-même avait une très belle voix. J’imagine que ça peut servir quand on est effeuilleuse.

Ses filles aussi chantaient des chansons inconnues, marmonnées comme des incantations arabes qu’elles modifiaient au gré du temps qu’il faisait et qui étaient toujours appropriées.

Un jour, comme ça arrive souvent, le cerveau de Jeannine s’est mis à mal fonctionner. Elle s’est mise à oublier des choses im- portantes comme la date de son mariage avec Méo ou l’âge de ses filles. Mais elle nous reconnaissait, ses filles et moi, et elle continuait de nous accueillir avec le même sourire et les mêmes biscuits. Le temps était venu de discuter des vraies choses. Pour être sûr que Jeannine comprenait bien la nature palliative des traitements que je lui donnais, il fallait parler de la réanimation. Voudrait-elle, si son cœur arrêtait, être réanimée, « pompée par les ambulanciers »,

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comme je lui ai expliqué, et amenée à l’hôpital ?

— Es-tu fou ? Jamais de la vie ! Quand ça sera fini, on tire la plogue. Tu comprends, là, docteur ?

Il fallait donc signer un ordre de non-réanimation afin que les ambulanciers aient le droit de ne pas la « pomper », comme je disais, et ses filles se sont cachées dans la salle de bains pour pleu- rer lorsque nous en avons parlé. Mais tout le monde a fini par signer sans fla-fla et je suis reparti avec un genre de tristesse au cœur. Ce moment de la signature de l’ordre de non-réanimation est comme le premier adieu, celui qui précède l’adieu définitif, et ça me fait tou- jours quelque chose.

Même si son cerveau se ramollissait doucement, son petit-fils, qui venait à peine de sortir de prison, était toujours là et l’accompa- gnait, d’abord au casino, puis à la taverne du coin où se trouvaient des machines à sous qu’elle continuait d’adorer compulsivement.

Dans ces périodes de jeu, de moins en moins compulsif faudrait-il dire, c’était comme si son cerveau, qui ne fonctionnait plus beau- coup, s’allumait de tous ses feux pour faire oublier, l’instant d’un gain dérisoire, qu’elle allait bientôt mourir. Ce qu’elle fit peu de temps après une dernière escapade accompagnée de son petit-fils, tout doucement, comme un oiseau qui quitte la branche. Justement, ce petit-fils – qui n’avait de petit que le nom (il mesurait 6 pieds 2 et pesait dans les deux cents livres) –, le jour où Mamichou est morte, pour se consoler et reprendre son air de petit toffe, s’est mis à nous raconter, quelques minutes après le décès de Jeannine, qu’il était en réhabilitation. En effet, sorti de prison à la suite de plusieurs crimes violents très sévères, il était en train d’apprendre son nouveau métier de… dynamiteur !

Après avoir soigné Jeannine, j’ai fait la connaissance, presque voisine de chez elle, de Mère Courage. Manon vivait de peine et de misère, car, malgré l’aide des Autochtones, elle avait de la difficulté à payer ses cigarettes. Quand le chèque entrait, elle se précipitait chez Maxi pour acheter une dinde qu’elle faisait cuire amoureuse- ment afin d’en confectionner de succulents petits repas pour ses deux chiennes trônant dans le salon comme des reines. Pour cinq dollars, Manon louait de temps en temps la chambre du fond aux

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filles qui ramenaient des clients et qui gémissaient trois fois avant de déguerpir.

— Pourvu qu’elles ne se piquent pas, nous disait-elle, moi, je ne peux pas endurer ça. Et puis, c’est dangereux !

Il m’est arrivé à trois ou quatre reprises de croiser les filles, pas très bien fagotées, je dois dire, et vraiment trop maquillées. On avait l’impression, malgré leur trentaine malmenée, d’être en face de petites filles qui avaient trop joué avec le maquillage de leur mère.

Elles aussi étaient d’une politesse exemplaire et elles redescendaient dans la rue sans se retourner.

Manon ne se plaignait jamais. Pourtant, elle avait un cancer qui lui avait complètement dévoré l’entre-jambes. Jour après jour, elle faisait sans regimber ses pansements « pour rester propre », comme elle le disait. Et quand je demandais à voir pour changer les crèmes et les onguents, elle exigeait du temps pour se nettoyer avant que je l’examine. Elle avait sa fierté.

Un lundi que je la visitais, elle me dit qu’elle avait passé une mauvaise fin de semaine. Elle avait eu mal. Je lui demande : « Manon, avez-vous pris de la coke ? » « Oui, est-ce que ça peut nuire ? » « Tout à fait Manon, moi ça ne me dérange pas que tu prennes ce que tu veux, mais la coke, ça empire ton mal. » Elle n’en a jamais repris.

Elle a fait montre d’une égale franchise quand je lui ai de- mandé si elle avait eu des enfants.

— J’ai d’abord retrouvé ma fille que j’ai eue à quinze ans, m’a-t-elle confié. En fait, c’est plutôt elle qui m’a retrouvée. Une grande madame, élevée à Repentigny, je crois. Elle, elle a retrouvé son frère que j’ai eu l’année d’après, une police !

— Mais, les voyez-vous encore ? lui ai-je demandé.

— Non, a-t-elle répondu avec un air déçu mais résigné, ils n’ont pas pu accepter que j’aie été danseuse. Ah ! je n’étais pas nue, j’avais des pastilles au bout des seins. Mais ils ne l’ont pas pris. Je n’en ai jamais eu de nouvelles.

— Voulez-vous que je demande à la travailleuse sociale de vous aider à les retrouver ? Peut-être que vous auriez quelque chose à leur dire ?

— Non, non, ce n’est pas nécessaire.

Un jour, je ne sais pas comment, voilà qu’elle a reçu deux

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photos avec de jeunes enfants bien habillés : trois adorables petites filles sur l’une et un garçon et une fille sur l’autre. Elle a épinglé les photos sur le mur, puis elle s’est couchée dans son lit pour ne plus en ressortir. Quelques jours ont passé. Nous y allions plusieurs fois par jour. Elle refusait d’avoir du monde avec elle durant la nuit mais elle avait pris soin de nous prêter une clé, au cas où…

Elle affichait un petit sourire sur son visage figé et froid quand on l’a découverte inanimée. C’était déjà décembre et il faisait gris.

L’auxiliaire n’a pas pu s’empêcher de laver son cadavre même si ce n’est pas prévu dans sa description de tâches. Manon était si fière, s’est-elle dit, qu’on n’était pas pour la laisser s’en aller sans qu’elle soit propre. Voilà.

Mais, une question se dresse dans mon esprit. Se pourrait-il que les personnes vivant leur vie dans ces mondes parallèles soient moins influencées par les valeurs dominantes de notre société qui rendent l’approche du mourir plus difficile et que, par conséquent, cela soit plus facile, plus naturel pour elles de mourir ? En tout cas, moi, ces gens-là, je les aime et j’ai un respect infini pour leurs vies, pour leurs corps, pour leurs histoires avec la vie. D’ailleurs, en pen- sant à la mort de Karl, Jeannine, Manon et de tous les gens comme elle, je pense à la très belle description de l’agonie que nous a fournie de Saint-Exupéry :

Mais celui-là que la mort a choisi, occupé de vomir son sang ou de retenir ses entrailles, découvre seul la vérité, à savoir qu’il n’est point d’horreur de la mort. Son propre corps lui apparaît comme un instrument désormais vain et qui a fini de servir et qu’il rejette. Un corps démantelé qui se montre dans son usure. Et s’il a soif, ce corps, le mourant n’y reconnaît plus qu’une occasion de soif, dont il serait bon d’être délivré. Et tous les biens deviennent inutiles qui servaient à parer, à nourrir, à fêter cette chair à demi étrangère, qui n’est plus que propriété domestique, comme l’âne attaché à son pieu. Alors commence l’agonie qui n’est plus que balancement d’une conscience tour à tour vidée puis remplie par les marées de la mémoire. Elles vont et viennent comme le flux et le reflux, rapportant, comme elles les avaient emportés toutes les

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provisions d’images, tous les coquillages du souvenir, toutes les conques de toutes les voies entendues. Elles remontent, elles bai- gnent à nouveau les algues du cœur et voilà toutes les tendresses ranimées. Mais l’équinoxe prépare son reflux décisif, le cœur se vide, la marée et ses provisions rentrent en Dieu. Certes, j’ai vu des hommes fuir la mort, saisis d’avance par la confrontation. Mais ce- lui-là qui meurt, détrompez-vous, je ne l’ai jamais vu s’épouvanter.1

1 Antoine de Saint-Exupéry, Citadelle, 1948.

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Vivre et mourir dans la richesse et le contrôle

U

ne grande ville comme Montréal est terre de contrastes. Le territoire du CLSC où je travaille aussi, particulièrement avec le boom immobilier que nous connaissons depuis quelque temps.

Année après année, les condos luxueux remplacent petit à petit les maisons de chambres et les triplex négligés, ce qui donne au quartier des allures bigarrées pouvant créer un certain charme. Mais, ces habitations haut de gamme coûtent cher et ce sont des gens néces- sairement riches qui les possèdent. Je parle de personnes qui possè- dent une certaine richesse, qu’elle soit économique ou intellectuelle.

Donc, il peut être intéressant de voir comment les gens riches, d’une façon ou d’une autre, vivent la fin de leur vie.

Denise constitue le prototype de cette catégorie de gens. Vous accédez à sa résidence après avoir garé votre voiture à dix coins de rue de chez elle parce qu’il n’y a pas de stationnement disponible.

Pourquoi des stationnements ? Tout le monde ici a un ou deux sta- tionnements à l’intérieur de l’immeuble. Avant de frapper chez elle, vous avez franchi trois portes verrouillées et surveillées par des gardiens de sécurité qui semblent tout à fait incapables de s’imaginer qu’avec cette vieille veste en cuir élimé et ces couvre-chaussures en caoutchouc, vous pouvez être médecin.

Elle vous reçoit, vêtue comme une réclame de mode et coiffée d’une perruque qui est si naturelle que vous vous faites prendre au jeu et ne pensez même pas que ça ne puisse pas être ses vrais cheveux.

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Elle a sans doute décidé ce matin-là d’avoir l’air d’une Chinoise des dynasties anciennes car elle porte une magnifique robe rouge clair à motifs asiatiques et ses cheveux sont du noir le plus noir. Elle est maquillée avec soin de sorte que la couleur de ses joues respire une juvénile santé. Pas trop d’ombre à paupières, ça pourrait accentuer les cernes de ses yeux qu’elle a soigneusement tenté de dissimuler.

Après vous avoir examiné des pieds à la tête, elle finit par vous faire pénétrer dans son condo valant bien plus d’un million de dollars et offrant une vue superbe sur le centre-ville en même temps que sur le fleuve. « Vous savez, m’explique-t-elle, nous avions décidé de le vendre mais avec la récession (et la maladie, ajoute-t-elle tout bas en se cachant la bouche), nous avons décidé de surseoir. »

Elle sait recevoir et elle vous offre l’apéro, se prend une eau minérale importée des Alpes italiennes et ferme le téléviseur qui coûte, tant il est immense, à peu près votre salaire annuel. Elle vous fait subtilement remarquer que vous êtes un peu en retard sur l’heure convenue quand vous l’avez appelée en sortant de chez Jeannine. Comme elle doit bientôt partir pour passer le week-end à sa maison de campagne, elle vous invite à passer au plus pressant.

Je lui demande donc de m’indiquer quel est le problème qui la gêne le plus, puisqu’il faut passer au plus pressant. Elle me dit dans une seule phrase au français impeccable et à la syntaxe parfaite qu’elle éprouve une douleur thoracique huit sur dix non soulagée par les entre-doses prescrites par son oncologue, douleur associée à une dyspnée1 sévère l’empêchant de se rendre à l’ascenseur. En outre, elle est assaillie de nausées continuelles, de vomissements occasionnels, de constipation dérangeante, de crampes abdominales, de vertiges et de diaphorèse2.

Dans un cas comme celui-là (qui est fictif, je vous le promets, mais qui pourrait bien exister), je regrette alors vivement de ne pas avoir de résident à qui j’aurais pu refiler le tout. Tout le monde sait que les résidents, ces médecins ayant obtenu leur diplôme de méde- cine mais qui n’ont pas encore le droit de pratiquer sans supervision, font l’ouvrage que leurs patrons ne veulent plus faire. Comme ils n’ont pas le choix, ils obtempèrent tout en se promettant que, quand

1 Dyspnée : terme médical décrivant la sensation d’essoufflement qu’éprouvent certains patients ayant des atteintes pulmonaire, cardiaque ou des muscles de la respiration.

2 Diaphorèse : terme médical qui désigne le phénomène de sudation extrême non néces- sairement associé à l’exercice physique.

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