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Le rôle de la dextérité fine et de la gnosie digitale dans le développement des compétences numériques

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Academic year: 2022

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Thesis

Reference

Le rôle de la dextérité fine et de la gnosie digitale dans le développement des compétences numériques

GUEDIN-COUDRAY, Nolwenn

Abstract

Les doigts sont d'une importance cruciale pour le développement des compétences numériques. Leur influence serait présente dès le traitement non-symbolique des quantités analogiques du fait de l'intrication neuro-anatomique des aires responsables des habiletés digitales et du « sens du nombre ». Les doigts sont ensuite concrètement impliqués dans les premiers apprentissages sensori-moteurs l'enfant relie peu à peu les numérosités manipulées à leurs désignations. Enfin, des relations entre la dextérité et la gnosie digitale avec les compétences numériques symboliques témoignent du lien pérenne entre doigts et nombres au-delà de leur utilisation concrète. Cependant, quelle est la nature exacte du rôle de ces habiletés digitales ? Est-il contraint uniquement par le recouvrement neuronal ou est-il davantage influencé par les manipulations fonctionnelles ? Pour répondre à ces questions, nous avons étudié les performances d'enfants et adolescents avec troubles moteurs de naissance, en comparaison avec celles d'un groupe contrôle.

GUEDIN-COUDRAY, Nolwenn. Le rôle de la dextérité fine et de la gnosie digitale dans le développement des compétences numériques. Thèse de doctorat : Univ. Genève, 2018, no. FPSE 707

DOI : 10.13097/archive-ouverte/unige:113585 URN : urn:nbn:ch:unige-1135850

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:113585

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Sous la direction de Catherine THEVENOT et la co-direction de Joel FLUSS & Pierre BARROUILLET

Le rôle de la dextérité fine et de la gnosie digitale dans le développement des compétences numériques

THÈSE

Présentée à la

Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Éducation de l’Université de Genève

en vue de l’obtention du grade de Docteur en Psychologie

Soutenue publiquement par Nolwenn GUEDIN à Genève, le 2 Juillet 2018

Membres du Jury

Pierre BARROUILLET, professeur à l’UNIGE de Genève Michel FAYOL, professeur émérite à l’Université de Clermont-Ferrand

Joel FLUSS, neuropédiatre aux Hôpitaux Universitaires de Genève Marie-Pascale NOËL, professeure à l’Université Catholique de Louvain

Olivier RENAUD, professeur à l’UNIGE de Genève Catherine THEVENOT, professeure à l’UNIL de Lausanne

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M

erci à toute l’équipe qui m’a soutenue tout au long de mon aventure doctorale.

Catherine, merci à ton exigence à la hauteur de ton expertise et à tes précieux conseils.

Nos échanges variés m’ont permis remises en question et améliorations toujours bénéfiques.

Joel, merci pour ton regard clinique aiguisé dans le domaine de la paralysie cérébrale.

Pierre, merci pour vos idées toujours lumineuses partagées avec nous.

Caroline, merci pour ton dynamisme pétillant et ton efficacité à toute épreuve.

Michel, merci de m’avoir insufflé l’envie de reprendre le chemin universitaire

et de m’avoir accompagnée pendant toute la rédaction du premier article.

E

nsemble... pour le meilleur et pour le pire...

c’est à toi David, mon cher et tendre époux, que j’adresse mes plus intenses remerciements.

Tu sais combien ces années auront bousculé notre vie et nos enfants, Amaryllis et Ambrym...

R

estée vivre à Dijon, où j’ai mené les évaluations auprès de mes anciens élèves,

j’adresse aux familles et aux participants de Dijon et Genève mes chaleureux remerciements pour leur implication dans l’étude et leur assiduité aux trois évaluations annuelles.

C

’est aussi avec le soutien de ma famille et mes amis de toujours

que j’ai réussi à mener mon travail doctoral sans délaisser baskets et invitations.

I

ci, s’accomplit une étape importante. Ma thèse m’aura bien occupée.

J’ai adoré ces quatre années de « paren-thèse » dans ma vie professionnelle enseignante.

Au-delà du travail de recherche, ce fut l’expérience * de colloques dans le monde entier

* d’actions de communication au grand public (Nuit des Chercheurs, B-D, Expérimentarium)

* d’encadrements d’étudiants * de sollicitations pour des formations adultes variées...

Aujourd’hui, j’ai l’envie de concilier toutes ses découvertes avec ma voie d’enseignante.

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!

PARTIE THÉORIQUE

!

INTRODUCTION ... 1

CHAPITRE I COMPÉTENCES NUMÉRIQUES DANS LE DÉVELOPPEMENT ORDINAIRE ... 7

1. ACTIVITÉS NUMÉRIQUES NON-SYMBOLIQUES ... 9

1.1. Le subitizing ... 10

1.2. L’estimation ... 11

1.3. Les petites transformations additives ... 12

1.4. Lien entre compétences non-symboliques et compétences ultérieures ... 12

1.5. Rôle des doigts dans les compétences non-symboliques ... 15

1.6. Conclusion sur les compétences numériques non-symboliques ... 16

2. ACTIVITÉS NUMÉRIQUES À COMPOSANTES SENSORI-MOTRICES ... 17

2.1. Les configuration digitales pour communiquer une quantité ... 18

2.2. Les configuration digitales pour reconnaître une quantité ... 19

2.3. Le dénombrement pour déterminer le cardinal d’une collection ... 21

2.4. Le dénombrement pour donner du sens aux noms des nombres ... 24

2.5 Conclusion sur les compétences numériques à composantes sensori-motrices ... 27

3. ACTIVITÉS NUMÉRIQUES SYMBOLIQUES ... 28

3.1. Sens exact des nombres symboliques ... 29

3.2. Les calculs additifs grâce aux doigts ... 31

3.3. Les calculs additifs de façon mentalisée ... 33

3.4. Liens entre gnosie digitale et calculs additifs mentalisés ... 36

3.5. Liens entre dextérité fine et calculs additifs mentalisés ... 40

3.6. Conclusion sur les compétences numériques symboliques ... 42

4. LA NATURE DU RÔLE DES DOIGTS ... 42

4.1. Explication neuro-anatomique du lien doigts et nombres ... 44

4.2. Explication fonctionnelle du lien doigts et nombres ... 45

4.3. Explication du lien doigts et nombres par recyclage neuronal ... 47

4.4. Rôle des doigts nuancé dans la cognition numérique ... 49

4.5. Conclusion sur la nature du rôle des doigts ... 51

5. CONCLUSION DU CHAPITRE I ... 52

(5)

CHAPITRE II

COMPÉTENCES NUMÉRIQUES DANS LA PARALYSIE CÉRÉBRALE ... 54

1. ACTIVITÉS NUMÉRIQUES NON-SYMBOLIQUES ... 57

1.1. Le subitizing ... 57

1.2. L’estimation ... 59

2. ACTIVITÉS NUMÉRIQUES SEMI-SYMBOLIQUES ... 59

2.1. Le dénombrement manuel ... 60

2.2. Le dénombrement visuel ... 60

2.3. La reconnaissance de configurations digitales ... 61

2.4. Le comptage sur les doigts ... 61

3. ACTIVITÉS NUMÉRIQUES SYMBOLIQUES ... 62

3.1. La comparaison de nombres ... 62

3.2. L’addition de nombres ... 63

4. CONCLUSION DU CHAPITRE II ... 64

CHAPITRE III PROBLÉMATIQUE ... 66

! ! PARTIE EMPIRIQUE ! CHAPITRE I PARTICIPANTS ET PROTOCOLE ... 71

! A - RECRUTEMENT DES PARTICIPANTS ... 72

! B - DESCRIPTIF DES ÉPREUVES ... 73

! 1. ÉVALUATIONS SENSORI-MOTRICES ... 74

1.1. Dextérité fine ... 74

1.2. Gnosie digitale ... 75

! 2. ÉVALUATIONS COGNITIVES ... 76

2.1. Raisonnement verbal ... 76

2.2. Mémoire à court terme ... 76

2.3. Mémoire de travail ... 77

2.4. Habiletés visuo-spatiales ... 77

2.5. Délai de dénomination ... 78

! C - PROCÉDURES ... 78

! D - CARACTÉRISTIQUES DES PARTICIPANTS ... 79

(6)

!

CHAPITRE II

LE DÉVELOPPEMENT DES COMPÉTENCES NUMÉRIQUES NON-SYMBOLIQUES

EN CAS DE TROUBLES SENSORI-MOTEURS ... 83

! A - HYPOTHÈSES ... 84

! B - DESCRIPTIF DES ÉPREUVES ... 86

! 1. SUBITIZING ... 86

! 2. COMPARAISON APPROXIMATIVE ... 86

! C - RÉSULTATS ... 88

! 1. SUBITIZING ... 88

1.1. Pourcentages de réussite ... 88

1.2. Temps de réponse ... 89

! 2. COMPARAISON APPROXIMATIVE ... 90

2.1. Pourcentages de réussite ... 90

2.2. Temps de réponse ... 91

2.3. Temps de réponse aux comparaisons de matériel continu ... 92

! D - DISCUSSION ... 93!

! ! CHAPITRE III LE DÉVELOPPEMENT DES COMPÉTENCES NUMÉRIQUES SEMI-SYMBOLIQUES EN CAS DE TROUBLES SENSORI-MOTEURS ... 99

! A - HYPOTHÈSES ... 100

! B - DESCRIPTIF DES ÉPREUVES ... 100

! 1. QUANTIFICATION DE DOIGTS LEVÉS ... 100

! 2. DÉNOMBREMENT DE POINTS ... 101

! 3. COMPTAGE SUR LES DOIGTS ... 101

! C - RÉSULTATS ... 102

! 1. QUANTIFICATION DE DOIGTS LEVÉS ... 102

1.1. Pourcentages de réussite ... 102

1.2. Temps de réponse ... 103

! 2. DÉNOMBREMENT DE POINTS ... 106

2.1. Pourcentages de réussite ... 106

2.2. Temps de réponse ... 106

!

(7)

3. COMPTAGE SUR LES DOIGTS ... 108

3.1. Utilisation spontanée des doigts. ... 108

3.2. Pourcentages de réussite ... 108

3.3. Types de stratégies manuelles ... 110

3.4. Types d’erreurs observées ... 110

! D - DISCUSSION ... 111

! ! CHAPITRE IV LE DÉVELOPPEMENT DES COMPÉTENCES NUMÉRIQUES SYMBOLIQUES EN CAS DE TROUBLES SENSORI-MOTEURS ... 116

! A - HYPOTHÈSES ... 117

! B - DESCRIPTIF DES ÉPREUVES ... 117

! 1. COMPARAISON DE NOMBRES À UN CHIFFRE ... 117

! 2. ADDITION DE DEUX NOMBRES À UN CHIFFRE ... 117

! C - RÉSULTATS ... 118

! 1. COMPARAISON DE NOMBRES À UN CHIFFRE ... 118

1.1. Pourcentages de réussite ... 118

1.2. Temps de réponse ... 118

! 2. ADDITION DE DEUX NOMBRES À UN CHIFFRE ... 120

2.1. Pourcentages de réussite ... 120

2.2. Temps de réponse ... 120

! D - DISCUSSION ... 122

CHAPITRE V CORRÉLATIONS ENTRE HABILETÉS SENSORI-MOTRICES ET COMPÉTENCES NUMÉRIQUES ... 124

! A - HYPOTHÈSES ... 125

! B - RÉSULTATS ... 128

! C - DISCUSSION ... 131

! 1. Corrélations entre habiletés sensori-motrices et compétences non-symboliques ... 131

2. Corrélations entre habiletés sensori-motrices et compétences semi-symboliques ... 132

3. Corrélations entre habiletés sensori-motrices et compétences symboliques ... 135

!

!

!

!

(8)

!

CHAPITRE VI

PROFILS PARTICULIERS DANS LE GROUPE CLINIQUE ... 138

! A - HYPOTHÈSES ... 139

! 1. Profils particuliers en analyse longitudinale ... 139

2. Profils particuliers en analyse transversale ... 140

! A - R2SULTATS ... 141

! 1. Profils particuliers en analyse longitudinale ... 141

2. Profils particuliers en analyse transversale ... 142

! C - DISCUSSION ... 143

! 1. Profils particuliers au niveau des compétences non-symboliques ... 143

2. Profils particuliers au niveau des compétences semi-symboliques ... 144

3. Profils particuliers au niveau des compétences symboliques ... 145

! DISCUSSION GÉNÉRALE ... 146

! 1. INFORMATIONS APPORTÉES PAR LES COMPÉTENCES NON-SYMBOLIQUES ... 149

! 2. INFORMATIONS APPORTÉES PAR LES COMPÉTENCES SEMI-SYMBOLIQUES ... 150

! 3. INFORMATIONS APPORTÉES PAR LES COMPÉTENCES SYMBOLIQUES ... 151

! ! CONCLUSION GÉNÉRALE ... 154 à 162 ! ! ! RÉFÉRENCES BILBLIOGRAPHIQUES...163

! LISTE DES FIGURES...187

! LISTE DES TABLEAUX...193

! ANNEXES...197$

ANNEXE I : Consignes des épreuves ...198

ANNEXE II : Graphiques des mesures individuelles obtenues aux épreuves numériques...202

ANNEXE III : Tableaux des moyennes et écarts-types des épreuves numériques...213

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PARTIE THÉORIQUE

!

Introduction

!

(10)

! ! ! !76!

Dix doigts pour explorer le monde.

Dix unités pour organiser notre numération décimale.

Nul besoin de statistiques pour percevoir la relation entre notre anatomie digitale et la construction symbolique des nombres. Certains de nos concepts cognitifs seraient ainsi façonnés en lien avec nos expériences corporelles. Cependant, les doigts peuvent parfois être difficilement mobilisables en cas de troubles de la dextérité fine et même être mal distingués les uns des autres en cas de troubles de la gnosie digitale. Comment se construit alors le nombre lorsque ces dix doigts ne sont pas correctement sollicités lors des premières activités numériques de l’enfant ? C’est tout l’objet de ce travail de recherche que de déterminer les conséquences de troubles sensori-moteurs dans les apprentissages mathématiques. Selon le courant de la cognition incarnée, notre compréhension du monde et sa conceptualisation repose en effet en grande partie sur les expériences corporelles que nous engageons avec lui (Barsalou, 1999). Comme en témoignent des gravures sur des bas-reliefs égyptiens, l’Homme utilisait déjà ses doigts dans l’Antiquité pour communiquer, retenir ou manier des quantités.

De façon phylogénique, les chercheurs estiment que les quantités semblent d’abord avoir été perçues dans leur globalité par les hommes préhistoriques, sans organisation particulière (Bideaud, Lehalle, & Villette, 2004). Selon Ifrah (1981), les premiers hommes ne devaient pas être capables de conceptualiser précisément les quantités au-delà de 3. Cependant, leur compétence numérique approximative sur les grandes quantités pouvait déjà certainement être très utile pour la survie de l’espèce, pour estimer par exemple des quantités de nourriture ou la taille de groupes de prédateurs, comme le suppose aussi Ansari (2008). Puis, lorsque l’Homme a eu besoin de davantage de précision numérique, par exemple dans la surveillance du nombre de bêtes dans ses troupeaux, la quantité fut appréhendée de façon exacte par la manipulation d’entités matérielles unitaires plus ou moins organisées, comme des cailloux ou des coquillages, ou encore ses propres doigts. L’Homme a ensuite eu recours à des entités matérielles symboliques représentant des valeurs différentes. Ce sont par exemple, en Mésopotamie, des billes d’argile façonnées sous des formes distinctes qui ont permis une première symbolisation matérielle de bases différentes (Ifrah, 1981). Les formes d’argiles ont alors été appelées « calculi » par mimétisme avec les cailloux utilisés lors des premiers comptages. C’est ce terme qui donnera le mot actuel de « calcul ». Progressivement, les divers matériels employés ont été remplacés par des représentations graphiques. D’abord unitaires,

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comme des encoches sur tablettes de pierre ou d’argile, les entités physiques ont enfin été symbolisées par des signes davantage arbitraires permettant des regroupements d’unités. Là encore, l’influence des doigts est visible. Pour exemple, le hiéroglyphe des scribes égyptiens qui représente la dizaine de mille est un doigt dressé (Ifrah, 1981). Ou encore, les romains désignaient parfois gestuellement la quantité 5 en relevant les seuls deux doigts extrêmes, le pouce et le petit doigt, évoquant ainsi la forme du V de leur chiffre romain (Moréri, 1674).

Enfin, les symboles ultimes ayant permis de représenter les nombres sont les chiffres indo- arabes actuellement universellement utilisés. Tout comme les représentations chiffrées, les dénominations orales des quantités sont des désignations arbitraires dans la majorité des cas.

Elles n’ont que peu de lien apparent avec les doigts, mais on peut tout de même souligner que le mot « five » utilisé aujourd’hui en anglais proviendrait justement du terme « fist » désignant le poing, précisément doté de ses cinq doigts (Menninger, 1969). De même, l’adjectif « digital » pouvant désigner l’aspect chiffré de certaines quantités, comme l’heure, dérive du mot anglais « digit » signifiant également « doigt ». Nous désignerons ainsi par sollicitation « digitale », toute situation où les doigts se trouvent impliqués, que cela soit sur le plan de la dextérité fine ou de leur discrimination tactile.

Ainsi, à l’échelle de l’Histoire de l’humanité, le nombre s’est construit en lien étroit avec l’usage des doigts. Nous verrons que la formule stipulant que « l’ontogenèse récapitule la phylogenèse » (Haeckel, 1866) s’applique également pour la genèse des mathématiques, puisque le développement historique décrit ici et la mise en place des compétences numériques d’un enfant suivent les mêmes évolutions. À l’échelle individuelle, le lien entre doigts et nombres trouverait son origine dans l’intrication anatomique des zones cérébrales responsables des habiletés digitales avec celles dédiées aux premières habiletés numériques présentes avant l’arrivée du langage de l’enfant. Cette explication structurelle du rôle des doigts dans la cognition numérique est assortie d’une hypothèse fonctionnelle, selon laquelle les connaissances et compétences numériques ne trouveraient pas exclusivement leur origine dans des dispositions innées mais aussi dans les premières expériences sensori-motrices de l’enfant lors d’apprentissages plus formels. Les extensions neuronales des zones pariétales observées dans le cerveau de l’homo sapiens lors des premiers traitements de la numérosité seraient justement en lien avec une meilleure intégration multimodale des informations visuo- spatiales et sensori-motrices (Coolidge & Overmann, 2012). Nous montrerons que des évidences provenant de cas cliniques, d’études expérimentales et d’imageries cérébrales étayent les deux explications, neuro-anatomique et fonctionnelle, à la fois dans les

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!

apprentissages de l’enfant et aussi dans la cognition adulte. Étonnamment, des traces de l’ancrage digital de la cognition numérique sont en effet encore visibles dans le fonctionnement de l’adulte. Une troisième théorie, dite hypothèse du redéploiement, concilie les deux visions structurelle et fonctionnelle. Elle envisage que les zones neuronales responsables à l’origine des habiletés digitales aient également été utilisées par la suite pour les traitements numériques parce que, au cours de la phylogenèse, les doigts ont justement été utiles fonctionnellement pour manipuler des quantités (Anderson, 2010 ; Penner-Wilger &

Anderson, 2013). Comprendre si l’intrication entre doigts et nombres reste aujourd'hui de nature strictement anatomique ou est davantage de nature fonctionnelle a des implications cruciales, tant sur le plan de la recherche fondamentale que sur le plan pédagogique ou rééducatif. En effet, si l’apprentissage des mathématiques est structurellement contraint par l’intégrité des structures cérébrales dédiées aux doigts, peu de stratégies compensatoires sont envisageables dans le cas d’enfants avec des troubles avérés des habiletés digitales. En revanche, dans l’hypothèse d’une mise en place fonctionnelle du nombre, les enfants pourraient davantage tirer bénéfice de certains apprentissages procéduraux et d’éventuels protocoles d’entraînement sensori-moteurs.

Les deux approches, neuro-anatomique ou fonctionnelle, ont ainsi longtemps présenté les doigts comme un passage obligatoire dans la cognition numérique (Rusconi, Walsh, &

Butterworth, 2005). Récemment pourtant, des études ont nuancé le caractère absolument nécessaire de la sollicitation des doigts dans la mise en place des compétences mathématiques. Que cela soit dans le développement ordinaire (Lafay, Thevenot, Castel, &

Fayol, 2013), dans le cas de la déficience visuelle (Crollen, Mahe, Collignon, & Seron, 2011) ou de la déficience motrice (Thevenot et al., 2014), il apparaît que des enfants peuvent aussi accéder des réussites mathématiques sans recourir à leurs doigts de façon usuelle. De tels chemins vers des compétences numériques préservées malgré un usage restreint des doigts questionnent autant l’explication neuro-anatomique que l’hypothèse fonctionnelle. Car, même si l’intrication des zones des compétences numériques innées et des habiletés digitales est une réalité anatomique, leur fonctionnement cérébral n’est peut-être pas systématiquement contraint à un recrutement conjoint. En examinant le devenir des compétences d’enfants qui n’ont pas la possibilité d’utiliser correctement leurs doigts à cause d’une déficience motrice de naissance, nous pourrons déterminer si l’installation de toutes les compétences mathématiques est structurellement affectée par une telle atteinte digitale ou si les répercussions sont uniquement d’origine fonctionnelle. Dans ce dernier cas, seules seraient

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impactées les compétences mathématiques qui se mettent en place grâce à l’usage concret des doigts lors des premiers apprentissages, comme le pointage digital d’items lors d’activités de dénombrement ou comme le comptage sur les doigts lors de calculs. Il est donc indispensable de distinguer les compétences qui dépendent de telles stratégies digitales de celles qui sont présentes dans l’équipement cérébral initial d’un enfant à un niveau de traitement non- symbolique et qui n’auraient aucune raison d’être atteintes dans l’hypothèse fonctionnelle.

L’enjeu de notre travail doctoral est donc de comprendre quelles sont les répercussions d’un usage déficitaire des doigts dans la cognition mathématique. Pour cette investigation, nous avons mené une étude longitudinale auprès d’enfants et adolescents avec paralysie cérébrale, une déficience motrice causée par une lésion survenue sur cerveau immature en période périnatale. Chaque année, et cela à trois occasions, nous avons évalué leurs niveaux de réussite obtenus à des épreuves issues de différents domaines mathématiques, en comparaison à des enfants et adolescents d’un groupe contrôle. Les habiletés sensori-motrices et certaines compétences cognitives ont également été mesurées. Pour bien appréhender les résultats de notre étude, nous exposerons dans la partie théorique les fondements conceptuels qui sous-tendent notre démarche scientifique. Nous présenterons en chapitre I les compétences attendues chez des enfants au développement ordinaire dans différents domaines numériques, en soulignant tout particulièrement le rôle des doigts à chaque étape. Nous y dresserons également un état des lieux de la littérature scientifique concernant les hypothèses anatomique, fonctionnelle et de redéploiement à propos du lien entre doigts et nombres. Le chapitre II exposera les compétences numériques préservées et déficitaires chez les enfants atteints de paralysie cérébrale, tout en soulignant les aspects équivoques ou encore non abordés dans la littérature scientifique à ce sujet, sur lesquels notre étude souhaitera apporter un éclairage. Le chapitre III de la partie théorique permettra de présenter les problématiques dégagées à partir des apports de la littérature scientifique. La partie empirique commencera par un premier chapitre présentant la population étudiée ainsi que les aspects méthodologiques des procédures retenues. Les chapitres suivants consisteront en la présentation de l’analyse des données expérimentales. À chaque fois, nous formulerons au préalable des hypothèses de travail en regard des résultats des études déjà rapportés dans la littérature. Ainsi, en chapitres II à IV, les résultats obtenus en première et dernière évaluations par les enfants avec paralysie cérébrale seront comparés à ceux recueillis auprès du groupe contrôle. Cela nous permettra de distinguer les compétences bien mises en place de celles restées déficitaires dans la population clinique en fonction du type d’activités numériques

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!

menées. Puisque les enfants retenus pour l’analyse des résultats de notre étude étaient déjà âgés de 9 à 15 ans lors de la première évaluation, nos résultats mettront ainsi en évidence les conséquences d’un apprentissage sans avoir pu recourir aisément aux doigts lors des premières activités numériques menées en classe. Toujours dans la partie empirique, nous examinerons en chapitre V quelles sont les corrélations entre habiletés digitales et compétences numériques au niveau groupal. Enfin, en chapitre VI, nous présenterons le suivi individuel de certaines trajectoires particulières d’enfants selon leur niveau obtenu dans les tâches numériques symboliques, ce qui est tout l’intérêt d’une étude longitudinale. La dernière partie Discussion fera l’objet d’une interprétation globale des résultats expérimentaux. Sur le plan de la recherche fondamentale, nous tenterons de montrer en quoi la nature du lien entre doigts et nombres ne peut finalement pas être définie de façon universelle. Sur le plan des interventions rééducatives et pédagogiques, des pistes pourront être proposées. Nous terminerons ce travail doctoral par des pistes de recherches complémentaires pour élucider les questions restées en suspens.

(15)

PARTIE THÉORIQUE

!

Chapitre I

Compétences numériques dans le développement ordinaire

!

!

(16)

! ! ! !76!

Sur le plan ontologique, il existe différents types de compétences numériques chez un enfant qui ne reposent pas sur les mêmes processus cognitifs. Nous distinguerons ainsi les premières compétences qui seraient innées et donc présentes chez le bébé avant toute manipulation avec les doigts, de celles qui sollicitent directement des habiletés sensori- motrices et de celles qui reposent sur des systèmes symbolisés culturellement déterminés.

Nous verrons également quelles sont les implications des doigts à ces différents niveaux. Les premières compétences innées sont dites non-symboliques car elles permettent de considérer des quantités concrètement présentes sans recourir à aucun symbole oral ou écrit. Selon des auteurs, elles seraient cependant neuro-anatomiquement liées avec les habilités digitales (Dehaene, Molko, & Wilson, 2004 ; Pesenti, Thioux, Seron, & De Volder, 2000 ; Pinel, Piazza, Le Bihan, & Dehaene, 2004 ; Simon, Mangin, Cohen, Le Bihan, & Dehaene, 2002 ; Rusconi et al., 2005). Les compétences symboliques, même si elles font forcément plus ou moins consciemment appel à des quantités concrètes, traitent directement des nombres abstraits désignés par leurs codes oraux ou écrits. La plupart des modèles théoriques décrivent la cognition numérique telle qu’elle est organisée chez un adulte. Même si la représentation de l’évolution d’un individu par étapes a ses limites, la proposition de Von Aster et Shalev (2007) a l’avantage de proposer une vision claire du développement numérique de l’enfant.

Le modèle associe substrats neuronaux et systèmes cognitifs selon leur niveau de symbolisme, eux-mêmes associés aux compétences réellement observées chez les enfants au fil des âges (Figure 1). Selon ces auteurs, la réussite symbolique dépendrait très étroitement des compétences non-symboliques. Pour d’autres auteurs, la mise en place réussie des compétences symboliques serait conditionnée par le bon développement préalable de compétences numériques sensori-motrices, tels que le dénombrement par pointage manuel (Bartelet, Vaessen, Blomert, & Ansari, 2014 ; Long et al., 2016). Cette composante est pourtant complètement absente du modèle de Von Aster et Shalev (2007). Après avoir détaillé les activités numériques de nature non-symbolique et innée dans une première partie, nous exposerons dans une deuxième partie les premiers apprentissages numériques où sont concrètement impliqués les doigts. Enfin, dans une troisième partie, seront présentées les activités mettant en jeu les compétences numériques symboliques. Une dernière et quatrième partie fera l’objet de l’examen des thèses neuro-anatomique, fonctionnelle et de redéploiement pour expliquer le lien entre doigts et nombres.

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Figure 1. Modèle de la cognition numérique développementale en quatre étapes (d’après Von Aster et Shalev, 2007).

1. ACTIVITÉS NUMÉRIQUES NON-SYMBOLIQUES

!

Par définition, les activités numériques non-symboliques permettent de traiter des quantités matériellement présentes sans faire appel à des symboles verbaux ou écrits. Dans le modèle du triple code de Dehaene construit à partir de la cognition numérique adulte (Dehaene & Cohen, 1995 ; figure 2), c’est le code analogique qui renvoie aux dimensions numériques non-symboliques. De telles quantités rendent directement compte de la numérosité, c’est à dire de la taille de la collection traitée, de façon exacte ou approximative selon le nombre d’entités présentes. On distingue ainsi deux sous-systèmes, l’un appelé le subitzing selon sa dénomination anglo-saxonne (Kaufman, Lord, Reese, & Volkmann, 1949) pour le traitement des toutes petites quantités et l’autre correspondant à l’estimation des grandes quantités (Feigenson, Dehaene, & Spelke, 2004). Nous verrons que ces activités non- symboliques sont accessibles aux jeunes enfants dès leur naissance. Elles sont également présentes chez des populations dénuées de vocabulaire numérique précis (Piazza, Pica, Izard, Spelke, & Dehaene, 2013 ; Gordon, 2004 ; Pica, Lemer, Izard, & Dehaene, 2004). Sur le plan phylogénique, l’hypothèse a été émise que le subitzing précéderait les capactités approximatives comme en témoigne également l’évolution des systèmes langagiers où la phase du « un, deux, beaucoup » précède la phase de l’apparition des mots désignant des

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!

paquets de l’ordre des dizaines ou centaines (Menninger, 1969). Nous exposerons ici trois sortes de traitements non-symboliques présents chez les bébés grâce à leur équipement neurologique inné : le subitizing, l’estimation et la capacité à faire des petites transformations additives. Nous discuterons enfin de l’importance de ces compétences dans la réussite mathématique ultérieure (Sasanguie, Göbel, Moll, Smets, & Reynvoet, 2013) et de leur lien éventuel avec les doigts.

Figure 2. Modèle schématique de l’architecture du système de traitement du nombre (d’après Dehaene & Cohen, 1995).

1.1. Le subitizing

Dès les années 80, il a été montré que les bébés de 4 mois étaient capables de discriminer précisément de petites quantités dans une limite de 3 ou 4 entités (Starkey &

Cooper, 1980). Cette capacité à déterminer la numérosité d’une petite collection sans avoir besoin de compter une à une ses entités est appelée le subitizing. Ce résultat a été répliqué chez des nourrissons de 1 à 6 jours pendant de courtes phases d’éveil (Antell et Keating, 1983). Cette compétence innée semble être partagée avec d’autres espèces animales, notamment des rats, des dauphins ou encore des singes (pour une revue, Camos, 2011). Elle est également accessible dans des modalités différentes, visuelles ou auditives (Izard, Sann, Spelke, & Streri, 2009 ; Starkey, Spelke, & Gelman, 1990) grâce au système numérique non- symbolique précis qui serait ainsi amodal. La compétence de subitizing s’affine avec l’âge et reste présente chez l’adulte. Elle se caractérise, spécifiquement pour les quantités jusqu’à 4, par une absence d’erreurs dans les processus de quantification rapide et par une stabilité du temps nécessaire pour identifier les quantités 1, 2 ou 3 (Chi & Klahr, 1975). Plusieurs

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modèles théoriques tentent d’expliquer les mécanismes cérébraux du subitzing. Certains auteurs décrivent un système visuel de reconnaissance de configurations (Mandler & Shebo, 1982). D’autres suggèrent qu’il s’agit d’un système de comptage accéléré (Gallistel et Gelman, 1991) ou encore un système de perception pré-attentionnelle d’un petit nombre d’objets de nature spatio-temporelle (Trick & Pylyshyn, 1994). Dans ces trois cas, les mécanismes cérébraux du subitizing seraient différents de ceux qui sous-tendent les traitements approximatifs de grandes quantités (Cutini, Scatturin, Moro, & Zorzi, 2014). Ces modèles s’opposent ainsi à l’explication numérique selon laquelle un accumulateur unique transforme les quantités discrètes en dimensions continues, quel que soit le nombre d’entités traitées (Meck & Church, 1983 ; Dehaene 1997), expliquant ainsi à la fois la précision obtenue pour les toutes petites quantités et l’accumulation d’erreurs dans les tâches d’estimation de plus grandes quantités.

1.2. L’estimation

Les bébés ont aussi la capacité innée de traiter des grandes quantités de façon approximative, notamment dans des tâches de comparaison de deux collections. Cette capacité trouverait son ancrage cérébral dans un réseau neuronal spécialisé dans le « sens du nombre » et opérationnel dès la naissance, situé dans un sillon intra-pariétal (Dehaene &

Cohen, 1997 ; Dehaene, Piazza, Pinel, & Cohen, 2003). La discrimination approximative est possible si la distance entre les deux quantités à traiter reste suffisamment grande. Ainsi, des bébés de 6 mois, préalablement habitués à des nuages de 8 ou 16 points, distinguent bien 8 points de 16, 16 de 32, mais ne réussissent pas à distinguer 16 de 24 (Xu & Spelke, 2000). On retrouve la même limite de ratio chez les animaux. Nous sommes cependant peu à peu capables de distinguer des collections de plus en plus proches numériquement grâce à l’affinement progressif de notre système numérique approximatif. De plus, un effet de taille est présent, témoignant d’une plus grande facilité à comparer des petites collections que des grandes pour un écart numérique identique. Combiner l’effet de distance et l’effet de taille permet de déterminer un indice d’acuité du système approximatif. Chez l’homme, la maturation et l’expérience permettraient d’affiner les traitements approximatifs (Piazza et al., 2013) et conduisent à un indice d’acuité plus petit, suivant la loi de Weber-Fechner en passant ainsi progressivement de 1 à la naissance à 0,108 au-delà de 20 ans (Halberda & Feigenson, 2008).

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1.3. Les petites transformations additives

Dans la limite numérique des capacités de subitizing, les bébés savent également anticiper le résultat d’une réunion ou d’un retrait de un ou deux éléments avec un total maximum de trois objets. En ayant recours à la méthode de réaction aux événements impossibles, Wynn (1992) a en effet montré que des bébés de 5 mois acceptent par exemple comme propositions justes les événements mettant en scène deux Mickey rejoints par un autre Mickey ayant pour résultante trois Mickey réunis. Dans cette mise en scène, les bébés s’étonnent cependant d’une résultante incorrecte de deux Mickey. Suite à de tels résultats, avec des réussites sur des situations additives et soustractives variées, les auteurs en ont conclu que les bébés étaient capables d’effectuer des opérations arithmétiques. Des études ultérieures ont cependant montré que les enfants réagissent en fait davantage aux qualités physiques continues des objets, c’est à dire à l’espace occupé ou encore au périmètre du contour des objets présentés, plutôt qu’aux caractéristiques numériques discontinues de la collection (Clearfield & Mix, 1999 ; Feigensen, Carey, & Spelke, 2002 ; Mix, Huttenlocher,

& Levine, 2002 ; Noël & Palmers, 2003). La distinction quantitative est pertinente seulement lors de la présentation d’objets d’aspects physiques différentes à traiter (Feigensen, Carey, &

Spelke, 2002). En d’autres termes, les bébés des expériences de Wynn (1992) réagiraient davantage à la surface occupée des Mickey qu’à leur nombre. Tandis qu’en cas de présentation d’objets tous différents, l’information numérique traitée redeviendrait une variable pertinente et indépendante des dimensions perceptives continues (Feigensen et al., 2002). Toujours est-il que l’expérience proposée par Wynn (1992) à des bébés ne relève pas vraiment d’« opérations arithmétiques » selon l’acception mathématique classique puisque ces termes sont habituellement réservés aux manipulations numériques sur des nombres sous leurs formes exclusivement symboliques.

1.4. Lien entre compétences non-symboliques et compétences ultérieures

Que cela soit lors de tâches de subitizing, de comparaison approximative de grandes quantités ou d’évaluation de toutes petites transformations additives, nous avons vu que l’équipement cérébral inné du bébé lui permet donc de traiter des données numériques dans des conditions bien déterminées. Certains auteurs accordent une place marginale à ces compétences présentes dès la naissance, les qualifiant alors de méthodes « proto- numériques » Feigenson et ses collaborateurs (2002). Dans cette lignée, il est même envisagé que les compétences non-symboliques et symboliques soient plus ou moins indépendantes les une des autres (Lyons & Ansari, 2015). D’autres auteurs considèrent au contraire les

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compétences non-symboliques comme primordiales pour le bon déploiement des acquisitions mathématiques ultérieures et les désignent comme garantes du « sens du nombre » (Dehaene et al., 2004). En témoignent les nombreuses études qui rapportent des corrélations entre le niveau de précision du système numérique approximatif et le niveau de réussite symbolique (Dehaene & Cohen, 2007 ; Hyde, Khanum, & Spelke, 2014 ; Libertus, Feigenson, &

Halberda, 2011). Des études rapportent même un pouvoir prédicteur des habiletés non- symboliques d’enfants d’âge préscolaire. Plus les enfants sont capables de détecter de petits écarts au sein de grandes collections, par exemple savoir différencier 100 de 108, mieux ils réussissent en mathématiques ultérieurement (Halberda & Feigenson, 2008 ; Mazzocco, Feigenson, & Halberda, 2011). Ces corrélations peuvent notamment être expliquées par une vision évolutionniste des circuits cérébraux. Selon cette hypothèse de redéploiement neuronal, encore appelé recyclage neuronal, des auteurs suggèrent que les anciens réseaux neuronaux responsables du système d’estimation numérique seraient aujourd'hui également utilisés pour implanter les symboles numériques, récents sur le plan culturel, et ainsi soutenir des processus mathématiques bien plus sophistiqués que des comparaisons approximatives (Dehaene &

Cohen, 2007). Au contraire de Feigenson et collaborateurs (2004) et Piazza (2010) qui attribuent un rôle primordial au système approximatif dans la réussite numérique, Carey (2001, 2004) perçoit le subitizing comme le fondement de la construction du concept de nombre exact. Il a ainsi été aussi montré que les performances en subitizing corrèlent significativement avec l’efficience en calcul et la réussite mathématique ultérieure (Reigosa- Crespo et al., 2013). C’est notamment la composante de subitzing présente dans les épreuves de dénombrement qui leur confèrerait un pouvoir prédicteur à long terme (Major, Paul, &

Reeve, 2017).

Par ailleurs, un faible niveau en comparaisons approximatives se révèle être un marqueur de dyscalculie (Piazza et al., 2010 ; Mazzocco et al., 2011), ce qui souligne encore l’importance des capacités à estimer des numérosités dans le développement des compétences en calcul. Comme déjà précisé, des études d’imagerie cérébrale ont montré que les compétences non-symboliques auraient un enracinement cérébral au sein du sillon intra- pariétal (Dehaene & Cohen, 1997; Dehaene et al., 2003). En fait, cette zone semble s’activer dès que des quantités sont en jeu dans des activités menées par l’homme. Cette sollicitation cérébrale est visible, que les numérosités soient directement appréhendées dans leur dimension analogique grâce aux systèmes de subitizing et de comparaison approximative, ou qu’elles soient représentées par des codes numériques symboliques. En effet, malgré le

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caractère arbitraire de ces désignations, nous verrons dans un paragraphe ultérieur que la sollicitation de nombres oraux ou chiffrés active également la zone cérébrale du « sens du nombre ».

Malgré tous les indices en faveur d’un rôle central des compétences numériques non- symboliques dans la réussite mathématique, son pouvoir précurseur a pourtant récemment été questionné. Par exemple, Fuhs et McNeil (2013) ont trouvé que, lorsque les facultés de contrôle inhibiteur sont prises en compte, l’acuité du système numérique approximatif ne prédit plus les compétences mathématiques, telles que dénombrer, connaître les faits arithmétiques ou calculer. Le manque de pouvoir prédicteur du système numérique d’approximation envers la réussite arithmétique est également souligné dans une étude longitudinale récente (Göbel, Watson, Lervåg, & Hulme, 2014). Le sens causal est donc discuté dans les corrélations avérées entre estimations non-symboliques et réussite symbolique. Les derniers articles sur ce sujet montrent que ce serait en fait davantage la bonne connaissance du système symbolique qui permettrait d’affiner progressivement les traitements approximatifs de quantités, privilégiant ainsi une perspective d’un retour des connaissances culturelles vers les capacités non-symboliques (Göbel et al., 2014 ;!Lyons, Bugden, Zheng, De Jesus, & Ansari, 2018 ; Matejko & Ansari, 2016). Pour exemple, Piazza et ses collaborateurs (2013) ont montré que, au sein d’un peuple dépourvu de langage numérique précis, ce sont justement les individus qui ont bénéficié d’une scolarisation avec la mise en place d’un système numérique symbolique qui atteignent un indice d’acuité plus fin pour mieux comparer approximativement des quantités non-symboliques. Il a même été montré que ce seraient finalement les compétences symboliques qui prédisent la qualité du système numérique approximatif (Mussolin, Nys, Content, & Leybaert, 2014). Tout comme pour expliquer la dyscalculie, plutôt que d’incriminer un système numérique approximatif trop faible, ce serait davantage la mise en lien entre symboles et quantités analogiques qui serait difficilement établie chez les enfants en difficulté en mathématiques (Rousselle & Noël, 2007). Et même, les difficultés observées dans le système numérique approximatif en cas de dyscalculie pourrait être dues à un processus de raffinement moins efficace suite aux difficultés symboliques qui rejaillissent négativement sur la maturation des compétences numériques innées (Noël, Rousselle, & De Visscher, 2013). Ainsi le développement ontologique des compétences non-symboliques et symboliques, c’est à dire à l’échelle d’un individu, ne suivrait peut-être pas le développement phylogénique implicite qui a longtemps été défendu (pour une revue, voir Mussolin, Nys, Leybaert, & Content, 2016).

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1.5. Rôle des doigts dans les compétences non-symboliques

Comme nous venons de l’expliquer, l’acquisition du sens numérique des nombres symboliques a jusqu’alors été conçue comme trouvant son origine dans le système de traitement permettant des évaluations approximatives des grandeurs et quantités, système qui soutiendrait alors le « sens du nombre ». Des études d’imagerie cérébrale ont montré que les tâches de comparaison numérique, faisant justement appel au « sens du nombre », activent certes le sillon intra-pariétal en lien avec le traitement de l’analogique, mais aussi la partie du cerveau qui est précisément impliquée dans les mouvements de la main, le gyrus gauche précentral (Pinel et al., 2004 ; Simon et al., 2002). De plus, le substrat neuronal de la gnosie digitale est justement localisé de façon bilatérale dans les régions pariétales (Rusconi et al., 2014). En lien avec ces résultats anatomiques, la stimulation du gyrus angulaire gauche provoque des difficultés transitoires de reconnaissance des doigts et empêche des tâches de jugement numérique faisant également mentalement appel à la magnitude, mais ne gêne pas la tâche de parité numérique, activité purement symbolique (Rusconi et al., 2005). Selon ces recherches, l’être humain serait doté dès la naissance d’un organe cérébral sensible à la magnitude (Dehaene et al., 2004), en lien direct avec l’aire neuronale responsable des habiletés digitales.

Pourtant, des résultats plus récents semblent nuancer ces conclusions. Costa et ses collaborateurs (2011) ont en effet étudié les relations entre le système numérique approximatif et la gnosie digitale. Cette habileté sensorielle est la capacité à bien reconnaitre ses doigts, en indiquant lequel a été touché par une tierce personne, sans contrôle visuel lors de la stimulation tactile. L’étude voulait notamment déterminer si les performances en gnosie digitale étaient corrélées avec les performances aux discriminations approximatives de quantités sous forme d’épreuves de comparaisons de collections. Deux groupes d’enfants de 8 à 11 ans, l’un sans trouble du développement, l’autre présentant des troubles du calcul, appariés en âge et quotient intellectuel, ont effectué des tâches de gnosies digitales, de discrimination de quantités et d’arithmétique. Les résultats montrent que les deux groupes diffèrent quant aux gnosies digitales et au traitement des opérations nécessitant un comptage.

Les deux groupes ne diffèrent cependant pas aux épreuves de discrimination de quantités et l’indice d’acuité de discrimination approximative ne corrèle pas avec le score de gnosie digitale. Ainsi, les auteurs concluent que les performances de gnosie digitale seraient indépendantes des performances de discrimination approximative de quantités. La mise en lumière d’une double dissociation entre capacités en gnosie digitale et performances en

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comparaison approximative pourrait confirmer l’indépendance des deux fonctions cérébrales responsables du « sens des doigts » et du « sens du nombre ».

Pour expliquer ces résultats en apparence contradictoires concernant l’activation du gyrus angulaire gauche en situation numérique, on peut émettre l’hypothèse que l’aire sensitive des doigts soit en lien avec la magnitude des nombres uniquement quand ceux-ci sont traités sous leur forme symbolique (Rusconi et al., 2005 ; Pesenti et al., 2000). Quand la magnitude est directement traitée sous sa forme analogique, il semblerait finalement que le fonctionnement du système numérique approximatif ne soit pas couplé à la gnosie digitale.

Dans ce cas, ce serait certainement uniquement le sillon intra-pariétal qui serait activé par les quantités dans leur format analogique (Piazza, Izard, Pinel, Le Bihan, & Dehaene, 2004). Le sillon intrapariétal, sollicité en présence de quantités réelles via les mécanismes de subitizing ou d’estimation, pourrait aussi mener à la formation des concepts du nombre en stimulant lui- même le gyrus angulaire (Coolidge & Overmann, 2012). Celui-ci contribuerait à supporter le traitement explicite des magnitudes numériques (Göbel, Walsh, & Rushworth, 2001; Rusconi et al. 2005), en lien avec la gnosie digitale (Gerstmann, 1940 ; Roux, Boetto, Sacko, Chollet,

& Trémoulet, 2003). Pourtant, et de façon inattendue pour les auteurs, une corrélation significative a récemment été trouvée entre la gnosie digitale et la comparaison non- symbolique grâce à une étude menée sur près de 200 enfants (Long et al., 2016). Les auteurs considèrent qu’il est difficilement concevable que les gnosies digitales puissent jouer un rôle fonctionnel dans une habileté installée dès la naissance. Ce lien est alors expliqué par la proximité neuro-anatomique des aires responsables de l’encodage de la numérosité et du contrôle sensori-moteur des doigts, tout en soulignant également que ce résultat mérite d’être répliqué. On peut notamment noter que leurs mesures des compétences non-symboliques se sont basées sur des scores de réussite et non pas sur des temps de réponse, comme c’est habituellement le cas dans les autres études. Toutefois, à la lumière de ces données encore contradictoires, on ne peut que constater que le rôle des doigts dans les compétences non- symboliques reste mal défini dans la littérature scientifique et que des travaux supplémentaires sont nécessaires pour mieux caractériser le lien entre « sens du nombre » et

« sens digital ».

1.6. Conclusion sur les compétences numériques non-symboliques

Les compétences numériques non-symboliques sont décrites comme responsables du

« sens du nombre » permettant dans un premier temps d’attribuer une valeur numérique approximative aux quantités analogiques. Ce « sens du nombre » étant également sollicité par

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la suite dans le traitement de la magnitude portée par les nombres oraux ou écrits, il sera donc essentiel pour l’enfant de réussir à relier peu à peu ses toutes premières intuitions sur les quantités analogiques à sa compréhension progressive des usages symboliques. Pour cette raison, les compétences numériques qui font le lien entre quantités matériellement présentes et quantités codées semblent cruciales dans le développement numérique de l’enfant et elles seront détaillées avec précision dans le paragraphe suivant. Sur le plan sensori-moteur, il est indéniable que les compétences numériques non-symboliques ne font pas intervenir de gestes visibles. Cependant, et étonnamment, la revue de la littérature scientifique nous permet de constater que les doigts semblent déjà s’immiscer dans le système non-symbolique. En effet, un recouvrement des aires neuronales responsables des habiletés digitales et de celles garantes du traitement des magnitudes pourrait expliquer le lien entre bonnes représentations digitales et « sens du nombre », particulièrement visible dans les tâches de jugement numérique. Quant aux apprentissages ultérieurs qui vont permettre d’accéder à la notion de nombres exacts, nous verrons qu’ils sollicitent quant à eux directement et activement de nombreuses habiletés sensori-motrices.

2. ACTIVITÉS NUMÉRIQUES À COMPOSANTES SENSORI-MOTRICES

!

Lors des activités non-symboliques décrites précédemment, l’enfant traite les informations numériques qu’il perçoit visuellement sans avoir à les manier activement. En grandissant, l’enfant interagit davantage avec son environnement (Baroody & Wilkins, 1999) et devient ainsi peu à peu capable d’explorer des quantités matériellement présentes en les manipulant à bon escient. Ces explorations sensori-motrices, associées à la mise en place de la comptine numérique verbale, sont primordiales. Plusieurs auteurs avancent qu’il y a de bonnes raisons de penser que les habiletés de dénombrement d’items soient une base cruciale au développement des compétences arithmétiques ultérieures (Bartelet et al., 2014 ; Long et al., 2016 ; Göbel et al., 2014). Les performances en tâches de dénombrement évaluées à 5 et 6 ans, où les doigts servent encore à pointer les items, sont mêmes prédictrices de la réussite ultérieure à l’âge de 12 ans (Hannula-Sormunen, Lehtinen, & Räsänen, 2015). Ou, au contraire, les faiblesses en tâches de dénombrement sont des marqueurs de risques de troubles du calcul (Desoete, Ceulemans, Roeyers, & Huylebroeck, 2009). Les activités numériques à composantes sensori-motrices permettent en effet à l’enfant de mettre en place des procédures fiables et d’y associer des invariants numériques notionnels, reliant ainsi compétences

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procédurales et connaissances conceptuelles (LeFevre et al., 2006). Même si les auteurs qui ont décrit les cinq principes fondateurs du dénombrement défendent leur primauté sur la mise en place des procédures de comptage elles-mêmes (Gelman & Gallistel, 1978), il est aujourd’hui admis que ce sont davantage les expériences répétées de dénombrement, d’abord dénuées de sens conceptuel pour l’enfant, qui donnent naissance aux principes, tout en s’enrichissant mutuellement (Fuson, Secada, & Hall, 1983 ; Briars & Siegler, 1984). Nous nous intéresserons ici alors à l’accès aux quantités exactes dans l’utilisation des configurations digitales et dans le dénombrement par pointage où le langage intervient en complément des doigts. Concernant le recours aux configurations digitales, nous distinguerons leur usage pour montrer des quantités, encore appelé la monstration, de celui qui permet de reconnaître des quantités communiquées par autrui, c’est à dire l’identification de configurations digitales. Concernant le dénombrement, nous détaillerons d’une part son intérêt pour déterminer un cardinal et d’autre part son rôle pour donner du sens aux noms des nombres. Sans envisager une chronologie précise dans leur mise en place chez les enfants, savoirs et savoir-faire s’enrichiront mutuellement au cours du développement progressif de ces quatre compétences impliquant nettement les doigts.

2.1. Les configurations digitales pour communiquer une quantité

Les investigations concernant l’utilisation des doigts ont rapporté que ceux-ci jouent un rôle très tôt chez l’enfant, notamment pour communiquer des quantités à autrui, en montrant le nombre approprié de doigts levés. Dès deux ans par exemple, un enfant peut ainsi dire quel âge il a, sans avoir recours au langage verbal, en montrant directement deux de ses doigts levés. Ce lien opérationnel entre doigts et magnitude est attesté dès 3 ans par Fuson (1988). Le recours à la monstration ne signifie cependant pas que l’accès à la quantité soit efficace dans tous les contextes numériques. Contrairement à ce qui a été réalisé pour le langage, très peu de travaux, à l’exception de ceux de Goldin-Meadow (2009), concernent le code gestuel et l’usage qui en est fait dans les environnements immédiats des enfants.

Vraisemblablement, la fréquence d’utilisation des doigts et de leurs configurations dans l’entourage d’un enfant est plus faible que celle des noms de nombres. Peu d’études ont évalué l’influence des emplois des doigts par les parents ou la fratrie sur les apprentissages de l’enfant (Benavides-Varela et al., 2016 ; Skwarchuk & LeFevre, 2015). On sait cependant que les procédures de monstration sont plus flexibles que lors du comptage sur les doigts (Wasner, Moeller, Fischer, & Nuerk, 2014), même si elles sont relativement conventionnelles en France (Sato & Lalain, 2008). Il est donc encore difficile de statuer sur l’ordre d’apparition des

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représentations digitales ou des dénominations numériques dans le développement de l’enfant (Goldin-Meadow, Levine, & Jacobs, 2014). Il a toutefois été montré que les performances des enfants débutant dans l’acquisition des nombres sont meilleures avec les gestes qu’avec les mots (Gunderson, Spaepen, Gibson, Goldin-Meadow, & Levine 2015). Cette supériorité des gestes de monstration des quantités est particulièrement présente chez les enfants n’ayant pas encore compris le principe de cardinalité. Elle s’atténue ensuite pour les « n-knowers », c’est- à-dire pour les enfants capables de donner n entités de manière exacte, n désignant une quantité de un à quatre objets. À partir d’une bonne connaissance de la cardinalité 4, les mots deviendraient alors plus efficaces que le recours aux doigts. L’enfant a en effet de moins en moins besoin de communiquer des quantités sur ses propres doigts puisqu’il sait le faire avec des mots. Il continue cependant de rencontrer des situations où il faut savoir reconnaître des quantités montrées sur les doigts d’une personne extérieure.

2.2. Les configurations digitales pour reconnaître une quantité

Dès 2 ou 3 ans, les enfants sont également capables de reconnaître une petite quantité à partir d’un nombre de doigts levés (Nicoladis, Pika, & Marentette, 2010). À ces âges, la condition visuelle serait équivalente à la condition où les quantités sont communiquées oralement par le nom des nombres. Cependant, les enfants âgés de 4 ou 5 ans réussissent davantage dans la condition orale que dans la condition visuelle, témoignant vraisemblablement d’un progrès cognitif où les dénominations verbales remplacent efficacement le recours aux doigts. L’accès aux quantités de doigts levés a été évalué en détail chez des enfants de 6 ans (Noël, 2005b). L’épreuve consistait à déterminer le nombre de doigts levés sur des photos de une ou deux mains. Sans surprise, les résultats ont montré que la détermination de petites quantités, où des doigts sont levés sur une seule main, est mieux réussie et plus rapide que l’accès aux grandes quantités nécessitant deux mains. De plus, Noël montre que les configurations habituelles, encore appelées canoniques, sont mieux reconnues et plus rapidement que les configurations de doigts levés de façon incongrue. Il a également été découvert que même des enfants gênés dans leur motricité fine peuvent mémoriser facilement les configurations digitales classiquement utilisées par leurs proches ou en classe.

Dans une étude auprès d’enfants âgés de 7 à 11 ans, qu’ils présentent ou non une hémiplégie, les configurations digitales canoniques sont ainsi mieux reconnues que les dispositions qui ne le sont pas (Thevenot et al., 2014). De façon très intéressante, lors du dénombrement du nombre de doigts sur des images de mains, les zones motrices responsables des doigts sont davantage activées pour des enfants que pour des adultes (Kaufmann et al., 2008), montrant

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ainsi pour la première fois que le lien neuronal entre doigts et nombre pourrait en fait déprendre de l’âge des participants.

Chez des adultes, Di Luca, Granà, Semenza, Seron, et Pesenti (2006) ont montré, dans une épreuve de mise en correspondance entre chiffres arabes et configurations digitales, que moins d’erreurs sont commises lorsque l’appariement respecte leurs configurations personnelles, suggérant un impact de leurs habitudes de comptage. Cela montre que, comme chez les enfants, les configurations habituelles de doigts permettent une reconnaissance plus exacte et plus rapide des quantités que les représentations digitales non-canoniques. Dans le premier cas, la sémantique de la quantité est automatiquement reconnue, tandis que le traitement des configurations non-canoniques nécessite une élaboration consciente pour accéder à la magnitude de cette quantité (Di Luca & Pesenti, 2008). Par ailleurs, les performances de reconnaissance de configurations digitales canoniques, que la quantité 5 soit représentée sur la main gauche ou droite, ne sont pas influencées par la première main de comptage (Pika, Nicoladis, & Marentette, 2008 ; Sixtus, Fischer, & Lindemann, 2017 ; Wasner et al., 2014). Cette adaptabilité peut s’expliquer par le fait que chacun est habitué à observer des présentations visuelles différentes sur autrui. Crucialement, il a même été montré que les dispositions canoniques de doigts sont traitées par l’adulte comme de véritables codes numériques (Di Luca, Lefèvre, & Pesenti, 2010). Il a été demandé aux participants de nommer un chiffre arabe, ou sa forme verbale écrite, le plus vite possible, juste après la présentation d’une configuration numérique digitale. Cette amorce était soit canonique, c’est à dire avec des doigts levés selon les habitudes culturelles de la population testée, soit non- canonique, avec des doigts levés de manière incongrue. Concernant l’amorçage par configurations non-canoniques, un effet de facilitation similaire a été observé pour les chiffres à dénommer qui désignaient un nombre égal ou inférieur à la quantité de doigts levés dans l’amorce préalable. Concernant les chiffres correspondant à des quantités supérieures à l’amorce, un effet de distance a été observé témoignant d’une moindre activation quand les cibles augmentaient. Ce résultat est expliqué ici par un phénomène de sommation, dans lequel le participant a certainement dû ajouter chacune des unités traitées pour aboutir à la quantification de doigts levés dans l’amorce digitale. Ainsi, toutes les valeurs inférieures à la cible chiffrée ont été nécessairement traitées, tandis que les valeurs au-delà de la cible n’avaient pas besoin d’être considérées. En revanche, le traitement des configurations canoniques a facilité la lecture des chiffres correspondant aux valeurs voisines de la cible qu’elles soient inférieures ou supérieures à celle-ci. Dans les deux cas, un fort effet de

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distance a été observé dans les effets d’amorçage lorsque les quantités s’éloignaient peu à peu de la cible. Ce résultat est interprété en faveur d’un codage par place, comme les chiffres arabes positionnés sur une ligne mentale sur laquelle l’activation d’une valeur se propage aussi aux proches voisins numériques à gauche et à droite. C’est dans cette condition canonique que les quantités de doigts ont un véritable statut de code numérique sémantique, c’est à dire où la cardinalité est perçue automatiquement dans sa globalité. Les auteurs concluent que, au cours du développement de la cognition numérique, la représentation des quantités doit donc passer d’une représentation par sommation d’entités à une représentation par place. De façon cruciale, ce sont justement les doigts qui constitueraient l’outil idéal pour permettre cette transition. Nous retrouvons justement le premier processus de sommation dans les activités de dénombrement un à un par pointage digital pour progressivement donner du sens aux quantités. Grâce à ces activités, les quantités pourront peu à peu être traitées par un processus de codage par place où les nombres seront en soi porteurs d’une véritable sémantique numérique.

2.3. Le dénombrement pour déterminer le cardinal d’une collection

Le dénombrement est présenté dans de nombreuses études comme une compétence cruciale pour la suite des apprentissages numériques (Bartelet et al., 2014 ; Fuson, 1988 ; Gelman & Gallistel, 1978 ; Long et al., 2016). C’est un moyen pour l’enfant d’accéder au concept de nombre exact et d’appréhender les quantités comme l’adjonction d’entités distinctes, aboutissant à un cardinal unique. Des difficultés dans les apprentissages du dénombrement sont d’ailleurs prédominantes chez les enfants avec troubles du calcul (Geary, Bow-Thomas, & Yao, 1992 ; Gersten, Jordan, & Flojo, 2005 ; Moll, Göbel, & Snowling, 2015). Pour quantifier exactement une collection par dénombrement, l’enfant doit maîtriser plusieurs compétences. Premièrement, il doit d’abord être capable de maitriser la chaîne numérique verbale, comme un enchaînement de mots précis à retenir par cœur, particulièrement dans les langues occidentales. Deuxièmement, il doit être capable de pointer correctement les entités à dénombrer. Et troisièmement, l’enfant doit aussi apprendre à coordonner simultanément les deux premières compétences. Contrairement à ce qu’il avait été envisagé pour toute double-tâche, la coordination des deux composantes ne présente pas une charge cognitive supplémentaire pour l’enfant (Camos, Barrouillet, Fayol, 2001). Au contraire, l’ajout de la dimension verbale s’avère par exemple être une aide qui transforme la double tâche en une procédure unique et qui améliore même les performances d’enfants en difficulté motrice (Camos, Fayol, Lacert, Bardi, & Laquière, 1998).

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