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Le dénombrement pour déterminer le cardinal d’une collection

2. ACTIVITÉS NUMÉRIQUES À COMPOSANTES SENSORI-MOTRICES

2.3. Le dénombrement pour déterminer le cardinal d’une collection

Le dénombrement est présenté dans de nombreuses études comme une compétence cruciale pour la suite des apprentissages numériques (Bartelet et al., 2014 ; Fuson, 1988 ; Gelman & Gallistel, 1978 ; Long et al., 2016). C’est un moyen pour l’enfant d’accéder au concept de nombre exact et d’appréhender les quantités comme l’adjonction d’entités distinctes, aboutissant à un cardinal unique. Des difficultés dans les apprentissages du dénombrement sont d’ailleurs prédominantes chez les enfants avec troubles du calcul (Geary, Bow-Thomas, & Yao, 1992 ; Gersten, Jordan, & Flojo, 2005 ; Moll, Göbel, & Snowling, 2015). Pour quantifier exactement une collection par dénombrement, l’enfant doit maîtriser plusieurs compétences. Premièrement, il doit d’abord être capable de maitriser la chaîne numérique verbale, comme un enchaînement de mots précis à retenir par cœur, particulièrement dans les langues occidentales. Deuxièmement, il doit être capable de pointer correctement les entités à dénombrer. Et troisièmement, l’enfant doit aussi apprendre à coordonner simultanément les deux premières compétences. Contrairement à ce qu’il avait été envisagé pour toute double-tâche, la coordination des deux composantes ne présente pas une charge cognitive supplémentaire pour l’enfant (Camos, Barrouillet, Fayol, 2001). Au contraire, l’ajout de la dimension verbale s’avère par exemple être une aide qui transforme la double tâche en une procédure unique et qui améliore même les performances d’enfants en difficulté motrice (Camos, Fayol, Lacert, Bardi, & Laquière, 1998).

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La connaissance orale de la comptine numérique commence à se mettre en place à l’âge pré-scolaire grâce à des observations et imitations de l’entourage. Selon la richesse du contexte environnemental, de grandes différences d’un enfant à l’autre sont observées (Fuson, Richards, & Briars, 1982). On remarque déjà une contribution du système sensori-moteur dès l’acquisition des tout premiers nombres. En effet, il est courant d’observer des enfants s’aider du comptage sur les doigts pour accompagner le déroulement de leur routine orale. En raison des différences interindividuelles, les âges standard de la connaissance de la chaîne numérique trouvés dans la littérature scientifique ne sont qu’indicatifs.

Si le bon développement des acquisitions numériques repose en partie sur le langage grâce à la maîtrise du comptage oral (Gelman & Butterworth, 2005 ; Johansson, 2005 ; Wiese, 2003 ; 2007), le dénombrement est donc également sous-tendu par la maîtrise du pointage gestuel. Les doigts servent en effet à suivre une à une les entités traitées, permettant ainsi de distinguer les objets déjà dénombrés de ceux restant à comptabiliser. Le recours au pointage digital dépend de la difficulté de la situation. Les enfants de 4 ans le mobilisent de manière adaptative, d’autant plus souvent que les collections sont de taille importante (Graham, 1999).

L’importance du geste vécu est soulignée à cet âge par un nombre d’erreurs supérieur en tâche de jugement, c’est à dire lorsque les enfants doivent déterminer si le dénombrement effectué une marionnette observée est réussi, plutôt que lorsque l’enfant est lui-même actif (Alibali & DiRusso, 1999). Encore plus d’un tiers des enfants âgés de plus de 9 ans, et même encore à l’âge adulte, continuent à recourir à un pointage manuel dans des tâches de dénombrement de points sur matériel papier, particulièrement en dispositions contraignantes (Camos, 2003).

Comme annoncé précédemment, en plus du suivi par pointage, les doigts permettent aussi de faciliter la nécessaire correspondance entre les entités matérielles, désignées gestuellement chacune une fois et une seule, avec leurs dénominations numériques verbales.

Gelman et Gallistel (1978) rapportent que ce n’est que vers 4 ans que le pointage est le plus souvent coordonné avec la production des mots-nombres. Cette correspondance terme à terme entre entité et désignation numérique, sans oubli ni double prise en compte, constitue l’un des principes du dénombrement. Cependant, ce procédé conduit le plus souvent à « numéroter » les entités en mettant en correspondance un objet donné avec son rang au sein de la suite numérique. Par exemple, lorsque l’enfant énonce « cinq », il apprend bien souvent à pointer exclusivement le cinqième objet, au lieu de désigner l’ensemble des cinq objets déjà comptabilisés (Brissiaud, 2003). On peut toutefois échapper à ce comptage-numérotage en

enseignant aux enfants à déplacer les objets et les grouper au fur et à mesure du dénombrement. Ainsi, les noms de nombres sont bien mis en correspondance avec la totalité des entités dénombrées, et le « cinq » énoncé est bien en lien avec le cardinal total de la collection (English & Halford, 1995 ; Brissiaud, 2003).

Lorsque les entités à dénombrer ne sont pas directement accessibles par pointage manuel, par exemple si les objets sont éloignés ou s’il s’agit de compter des unités sonores, le dénombrement peut s’effectuer visuellement ou auditivement. Dans ce cas, le comptage sur les doigts, où chacun d’entre eux représente une des entités à dénombrer, peut être une aide précieuse au suivi exact de la comptabilisation. D’ailleurs, ce procédé de comptage sur les doigts est encore systématiquement utilisé chez les adultes lorsque la boucle phonologique est occupée, pour calculer un écart de date ou encore un nombre de syllabes dans une phrase (Lucidi & Thevenot, 2014). Chez les enfants, plus ils ont spontanément l’idée d’utiliser leurs doigts comme aide extérieure au dénombrement, meilleures sont leurs performances. Cette corrélation est en effet observée chez des enfants de 4 à 7 ans dans une tâche de dénombrement d’images qu’il s’agit conjointement de dénommer le plus rapidement possible (Lafay et al., 2013). La corrélation avec la fréquence d’utilisation des doigts est également présente chez des enfants de 5 à 6 ans dans des tâches de dénombrement de sons (Crollen &

Noël, 2015). De plus, l’étude a mis en évidence dans cette tâche un phénomène d’interférence des gestes moteurs. Dans une condition numérique plus exigeante, les enfants devaient mener deux quantifications parallèles de deux sortes de signaux auditifs différents. C’est dans cette double-tâche que les doigts étaient les plus utiles à la réussite au comptage et que l’occupation des doigts par maniement de balles empêchait d’atteindre les performances habituelles recueillies lors de la condition expérimentale contrôle sans empêchement digital. Cet effet n’est pas dû à une simple distraction motrice puisque l’occupation des pieds n’a pas d’influence sur les performances des enfants. De façon intéressante, la réussite à la tâche de comptage unique avec occupation des mains corrèle cette fois négativement avec la fréquence de recours aux doigts. Autrement-dit, en cas d’empêchement digital, ce serait donc les enfants qui utilisent le moins leurs doigts spontanément qui ont les meilleurs scores de comptage de façon mentale uniquement, également en corrélation avec leur meilleure mémoire de travail verbale (Crollen & Noël, 2015).

Au-delà de l’importance des composantes d’organisation gestuelle, les ressources visuelles sont également nécessaires à la mise en place de stratégies de dénombrement fiables.

Une étude montre que, tandis que tous les enfants de 5 ans ont spontanément recours au

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pointage manuel, à 7 ans, déjà la moitié des participants ont évolué vers un suivi exclusivement visuel (Camos, 2003). Comme précisé précédemment, l’étude montre que les pointages manuels restent cependant utiles pour dénombrer des entités disposées de façon contraignante. Par ailleurs, concernant des individus atteints de cécité congénitale comparés à des personnes voyantes, ils mobilisent moins spontanément leurs doigts que ces derniers dans leurs procédures de dénombrement. Pourtant, les rares enfants qui ont recours à leurs doigts sont ceux qui obtiennent les meilleures réussites (Crollen et al., 2011). La vision, et donc l’observation des procédures de dénombrement, parait ainsi également jouer un rôle fondamental pour l’utilisation des doigts dans la construction du nombre.