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Lien entre compétences non-symboliques et compétences ultérieures

1. ACTIVITÉS NUMÉRIQUES NON-SYMBOLIQUES

1.4. Lien entre compétences non-symboliques et compétences ultérieures

1.3. Les petites transformations additives

Dans la limite numérique des capacités de subitizing, les bébés savent également anticiper le résultat d’une réunion ou d’un retrait de un ou deux éléments avec un total maximum de trois objets. En ayant recours à la méthode de réaction aux événements impossibles, Wynn (1992) a en effet montré que des bébés de 5 mois acceptent par exemple comme propositions justes les événements mettant en scène deux Mickey rejoints par un autre Mickey ayant pour résultante trois Mickey réunis. Dans cette mise en scène, les bébés contour des objets présentés, plutôt qu’aux caractéristiques numériques discontinues de la collection (Clearfield & Mix, 1999 ; Feigensen, Carey, & Spelke, 2002 ; Mix, Huttenlocher,

& Levine, 2002 ; Noël & Palmers, 2003). La distinction quantitative est pertinente seulement lors de la présentation d’objets d’aspects physiques différentes à traiter (Feigensen, Carey, &

Spelke, 2002). En d’autres termes, les bébés des expériences de Wynn (1992) réagiraient davantage à la surface occupée des Mickey qu’à leur nombre. Tandis qu’en cas de présentation d’objets tous différents, l’information numérique traitée redeviendrait une variable pertinente et indépendante des dimensions perceptives continues (Feigensen et al., 2002). Toujours est-il que l’expérience proposée par Wynn (1992) à des bébés ne relève pas vraiment d’« opérations arithmétiques » selon l’acception mathématique classique puisque ces termes sont habituellement réservés aux manipulations numériques sur des nombres sous leurs formes exclusivement symboliques.

1.4. Lien entre compétences non-symboliques et compétences ultérieures

Que cela soit lors de tâches de subitizing, de comparaison approximative de grandes quantités ou d’évaluation de toutes petites transformations additives, nous avons vu que l’équipement cérébral inné du bébé lui permet donc de traiter des données numériques dans des conditions bien déterminées. Certains auteurs accordent une place marginale à ces compétences présentes dès la naissance, les qualifiant alors de méthodes « proto-numériques » Feigenson et ses collaborateurs (2002). Dans cette lignée, il est même envisagé que les compétences non-symboliques et symboliques soient plus ou moins indépendantes les une des autres (Lyons & Ansari, 2015). D’autres auteurs considèrent au contraire les

compétences non-symboliques comme primordiales pour le bon déploiement des acquisitions mathématiques ultérieures et les désignent comme garantes du « sens du nombre » (Dehaene et al., 2004). En témoignent les nombreuses études qui rapportent des corrélations entre le niveau de précision du système numérique approximatif et le niveau de réussite symbolique (Dehaene & Cohen, 2007 ; Hyde, Khanum, & Spelke, 2014 ; Libertus, Feigenson, &

Halberda, 2011). Des études rapportent même un pouvoir prédicteur des habiletés non-symboliques d’enfants d’âge préscolaire. Plus les enfants sont capables de détecter de petits écarts au sein de grandes collections, par exemple savoir différencier 100 de 108, mieux ils réussissent en mathématiques ultérieurement (Halberda & Feigenson, 2008 ; Mazzocco, Feigenson, & Halberda, 2011). Ces corrélations peuvent notamment être expliquées par une vision évolutionniste des circuits cérébraux. Selon cette hypothèse de redéploiement neuronal, encore appelé recyclage neuronal, des auteurs suggèrent que les anciens réseaux neuronaux responsables du système d’estimation numérique seraient aujourd'hui également utilisés pour implanter les symboles numériques, récents sur le plan culturel, et ainsi soutenir des processus mathématiques bien plus sophistiqués que des comparaisons approximatives (Dehaene &

Cohen, 2007). Au contraire de Feigenson et collaborateurs (2004) et Piazza (2010) qui attribuent un rôle primordial au système approximatif dans la réussite numérique, Carey (2001, 2004) perçoit le subitizing comme le fondement de la construction du concept de nombre exact. Il a ainsi été aussi montré que les performances en subitizing corrèlent significativement avec l’efficience en calcul et la réussite mathématique ultérieure (Reigosa-Crespo et al., 2013). C’est notamment la composante de subitzing présente dans les épreuves de dénombrement qui leur confèrerait un pouvoir prédicteur à long terme (Major, Paul, &

Reeve, 2017).

Par ailleurs, un faible niveau en comparaisons approximatives se révèle être un marqueur de dyscalculie (Piazza et al., 2010 ; Mazzocco et al., 2011), ce qui souligne encore l’importance des capacités à estimer des numérosités dans le développement des compétences en calcul. Comme déjà précisé, des études d’imagerie cérébrale ont montré que les compétences non-symboliques auraient un enracinement cérébral au sein du sillon intra-pariétal (Dehaene & Cohen, 1997; Dehaene et al., 2003). En fait, cette zone semble s’activer dès que des quantités sont en jeu dans des activités menées par l’homme. Cette sollicitation cérébrale est visible, que les numérosités soient directement appréhendées dans leur dimension analogique grâce aux systèmes de subitizing et de comparaison approximative, ou qu’elles soient représentées par des codes numériques symboliques. En effet, malgré le

!

caractère arbitraire de ces désignations, nous verrons dans un paragraphe ultérieur que la sollicitation de nombres oraux ou chiffrés active également la zone cérébrale du « sens du nombre ».

Malgré tous les indices en faveur d’un rôle central des compétences numériques non-symboliques dans la réussite mathématique, son pouvoir précurseur a pourtant récemment été questionné. Par exemple, Fuhs et McNeil (2013) ont trouvé que, lorsque les facultés de contrôle inhibiteur sont prises en compte, l’acuité du système numérique approximatif ne prédit plus les compétences mathématiques, telles que dénombrer, connaître les faits arithmétiques ou calculer. Le manque de pouvoir prédicteur du système numérique d’approximation envers la réussite arithmétique est également souligné dans une étude longitudinale récente (Göbel, Watson, Lervåg, & Hulme, 2014). Le sens causal est donc discuté dans les corrélations avérées entre estimations non-symboliques et réussite symbolique. Les derniers articles sur ce sujet montrent que ce serait en fait davantage la bonne connaissance du système symbolique qui permettrait d’affiner progressivement les traitements approximatifs de quantités, privilégiant ainsi une perspective d’un retour des connaissances culturelles vers les capacités non-symboliques (Göbel et al., 2014 ;!Lyons, Bugden, Zheng, De Jesus, & Ansari, 2018 ; Matejko & Ansari, 2016). Pour exemple, Piazza et ses collaborateurs (2013) ont montré que, au sein d’un peuple dépourvu de langage numérique précis, ce sont justement les individus qui ont bénéficié d’une scolarisation avec la mise en place d’un système numérique symbolique qui atteignent un indice d’acuité plus fin pour mieux comparer approximativement des quantités non-symboliques. Il a même été montré que ce seraient finalement les compétences symboliques qui prédisent la qualité du système numérique approximatif (Mussolin, Nys, Content, & Leybaert, 2014). Tout comme pour expliquer la dyscalculie, plutôt que d’incriminer un système numérique approximatif trop faible, ce serait davantage la mise en lien entre symboles et quantités analogiques qui serait difficilement établie chez les enfants en difficulté en mathématiques (Rousselle & Noël, 2007). Et même, les difficultés observées dans le système numérique approximatif en cas de dyscalculie pourrait être dues à un processus de raffinement moins efficace suite aux difficultés symboliques qui rejaillissent négativement sur la maturation des compétences numériques innées (Noël, Rousselle, & De Visscher, 2013). Ainsi le développement ontologique des compétences non-symboliques et symboliques, c’est à dire à l’échelle d’un individu, ne suivrait peut-être pas le développement phylogénique implicite qui a longtemps été défendu (pour une revue, voir Mussolin, Nys, Leybaert, & Content, 2016).