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Liens entre gnosie digitale et calculs additifs mentalisés

3. ACTIVITÉS NUMÉRIQUES SYMBOLIQUES

3.4. Liens entre gnosie digitale et calculs additifs mentalisés

opérandes des stratégies procédurales inconscientes sur petits opérandes, où les doigts ont certainement joué un rôle crucial.

Un lien inconscient entre l’utilisation des doigts et l’arithmétique est également mis en évidence dans une autre étude auprès d’enfants de 7 et 8 ans lors d’additions ou de soustractions mentales (Domahs, Krinzinger, & Willmes, 2008). Ils rapportent un taux anormalement élevé d’erreurs de décalage de 5 unités avec le résultat attendu (par exemple, 18 - 7 = 6 au lieu de 11). Selon les auteurs, ces erreurs témoignent de l’utilisation mentale plus ou moins inconsciente des doigts, mais avec la difficulté de garder en mémoire le bon nombre de mains entières sollicitées au cours du calcul. Plus récemment encore, ces effets dus à l’utilisation des doigts ont été également mis en évidence dans une population adulte avec un bon niveau d’instruction (Klein, Moeller, Willmes, Nuerk, & Domahs, 2011). Ces erreurs d’écart de 5 unités illustrent typiquement le courant de cognition incarnée déjà évoqué en introduction, puisque dans le cas des adultes, le recours aux doigts est forcément plus inconscient et l’ancrage bien plus ancien. Jusqu’alors, aucune étude ne s’est encore attachée à observer si ces décalages de 5 unités sont déjà présents dans les stratégies de comptage sur les doigts et s’il est déjà difficile pour des enfants de prendre en compte le nombre exact de mains entières utilisées pendant le déroulement de leur comptine numérique en situation de dénombrement concret. Cela expliquerait en partie le lien ultérieur entre doigts et calcul.

3.4. Liens entre gnosie digitale et calculs additifs mentalisés

Dans le test classique qui mesure la gnosie digitale, un examinateur touche un doigt de la personne évaluée sans qu’elle ne puisse voir lequel. Immédiatement après la stimulation tactile, la personne doit indiquer lequel de ses doigts a été touché. Malheureusement, la façon de désigner le doigt est loin d’être une procédure consensuelle dans les recherches et il est même souvent proposé au participant de choisir parmi plusieurs modalités au choix. La procédure de désignation est majoritairement motrice, par pointage du doigt analogue, soit sur la main opposée (Fayol, Barrouillet & Marinthe, 1998 ; Gerstman, 1940 ; Noël, 2005b ; Strauss & Werner, 1938 ; Thevenot et al., 2014), soit sur un dessin d’une main (Asano &

Morioka, 2017 ; Costa et al., 2011 ; Fontes, Cruz, Souto, Moura, & Haase, 2016 ; Strauss &

Werner, 1938 ). On propose parfois aussi à la personne testée, mais cependant rarement, de juste donner le nom du doigt touché (Costa et al., 2011 ; Fontes et al., 2016 ; Gerstman, 1940) ou alors un numéro correspondant (Costa et al., 2011 ; Fayol et al.,1998 ; Fontes et al., 2016 ; Strauss & Werner, 1938), évitant ainsi toute composante motrice. Cependant ces deux dernières procédures introduisent un facteur confondant avec le domaine du vocabulaire

lorsque c’est le nom des doigts qui est attendu et, encore plus dommageable dans les études en cognition numérique, un facteur confondant avec le domaine numérique lorsque c’est un numéro qui est utilisé.

La relation entre gnosies digitales et compétences numériques symboliques a d’abord été mise en évidence par les descriptions du syndrome de Gerstmann (1940) caractérisé par l'association spécifique d’une dysgraphie, d’une confusion de la droite avec la gauche, et crucialement, d’une difficulté notable à calculer également associée à une agnosie digitale.

Les erreurs d’identification de doigts concernent généralement l’index, le majeur et l’annulaire (Benton, 1955 ; Gerstmann, 1940 ; Reeve & Humberstone, 2011). Les confusions de repérage semblent plus marquées avec la main gauche non-dominante chez les droitiers en lien avec une spécialisation hémisphérique (pour une revue, Costa et al., 2011). D’autres études ne trouvent cependant pas de différence de performance en gnosie digitale entre les deux mains (Andres, Michaux, & Pesenti, 2012 ; Guedin, Fluss, & Thevenot, 2018 ; Noël, 2005b). Des recherches ont ensuite retrouvé des troubles similaires chez les enfants, notamment pour sept cas (Kinsbourne & Warrington, 1963). En association avec une agnosie digitale de naissance, ces enfants présentaient de grandes difficultés à se représenter la plupart des concepts numériques et à résoudre des additions ou soustractions simples. Depuis, d’autres données ont été publiées qui confirment l’existence d’un syndrome de Gertsmann développemental (voir Marinthe, Fayol, & Barrouillet, 2001). Ces observations suggèrent qu’un mauvais développement des représentations digitales perturberait l’acquisition des capacités numériques, sans toutefois attester que les acquisitions numériques se trouvent systématiquement déficitaires en cas de mauvaises gnosies digitales.

Des recherches longitudinales ont apporté de nouveaux arguments (Costa et al., 2011 ; Fayol et al., 1998 ; Reeve & Humberstone, 2011 ; Wasner, Nuerk, Martignon, Roesch, &

Moeller, 2016). De manière générale, ces travaux confirment l’existence d’une corrélation entre scores aux gnosies digitales et en arithmétique. Sa taille varie selon la nature des épreuves, la durée des suivis ou l’âge des enfants. Les études les plus récentes rapportent un pourcentage de variance expliquée par la gnosie digitale cependant plus modeste que dans les premières études (Wasner et al., 2016). D’autres variables interviennent évidemment dans la détermination des performances arithmétiques. Elles peuvent être de nature numérique, tels le dénombrement ou la comparaison de nombres (Bartelet et al., 2014 ; Long et al., 2016) ou de nature cognitive, comme les compétences langagières, notamment phonologiques (De Smedt, Taylor, Archibald, & Ansari, 2010 ; Newman, 2016 ; Simmons, Singleton & Home, 2008), la

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capacité en mémoire de travail (Lemaire, Abdi, & Fayol, 1996 ; Raghubar, Barnes, & Hecht, 2010) ou encore les habiletés visuo-spatiales (Lonnemann, Krinzinger, Knops, & Willmes, 2008 ; Landerl & Kölle, 2009 ; Träff, 2013). L’intérêt diagnostique des gnosies digitales dans la détection des troubles du calcul est ainsi limité par sa part explicative modeste. D’ailleurs, l’étude récente de Long et al. (2016) remet en cause le lien habituellement trouvé entre gnosie digitales et compétences arithmétiques puisque la corrélation de leur étude auprès d’enfants de 5 à 9 ans n’est plus significative quand l’âge est pris en compte dans la mesure de la corrélation. Il est ainsi possible que les conclusions divergentes concernant le lien entre gnosie et arithmétique soient dues aux âges différents des participants dans les études citées.

Les auteurs d’une étude en imagerie par résonance magnétique fonctionnelle pensent que ce lien, même s’il n’est pas toujours décelable dans les études comportementales, resterait de toute façon visible à un niveau neuronal (Soylu, Raymond, Gutierrez, & Newman, 2018).

Comme exposé précédemment et comme le relèvent aussi Reeve et Humberstone (2011), on peut souligner que les protocoles utilisés pour évaluer les gnosies digitales ne sont pas uniformes d’une étude à l’autre, impliquant plus ou moins des composantes motrices pour désigner le doigt touché par l’expérimentateur, ce qui peut sembler dommageable pour mesurer isolément la composante perceptive recherchée dans la gnosie digitale. D’ailleurs, dans l’étude de référence de Fayol et al. (1998), les effets de la gnosie digitale ne sont pas isolés des autres mesures sensori-motrices incluses dans le protocole, comme le soulignent Long et al. (2016). Des incertitudes subsistent également à propos de la corrélation avec la gnosie digitale quant à la diversité des tâches numériques concernées (dénombrement, comparaison, opération, résolution de problèmes). Cependant, Berteletti et Booth (2015) ont montré que la contribution des aires cérébrales associées aux doigts était plus importante pour le traitement des additions que pour les comparaisons, symboliques ou non, sans aucune évolution entre 6 et 13 ans. La portée temporelle et surtout, l’universalité et l’orientation causale des relations entre gnosies et nombres restent également à identifier. Nous pourrions ainsi nous demander si les gnosies digitales jouent un rôle direct dans l’établissement des savoirs et savoir-faire arithmétiques, comme le suggèrent la plupart des chercheurs et, si oui, si cela vaut pour l’ensemble des populations. Inversement, nous verrons que l’on pourrait envisager que ce soit l’utilisation régulière du comptage sur les doigts qui favorise la sensibilité digitale et soit en fait le médiateur des corrélations entre gnosies digitales et compétences numériques.

Très peu d’études ont exploré la nature causale de la relation entre gnosies digitales et

performances arithmétiques. Nous pouvons citer les travaux de Gracia-Bafalluy et Noël (2008) qui souhaitaient montrer une amélioration de certaines tâches arithmétiques à l’issue d’un entraînement des gnosies digitales chez des enfants autour de 6 ans. Cependant, la critique du traitement statistique avec la mise en évidence d’un phénomène de régression à la moyenne ne permet pas de retenir ces résultats (Fischer, 2010). Le paradigme reste valide pour tester un impact des gnosies digitales dans l’apprentissage des mathématiques, d’autant plus que des recherches rapportent une amélioration de la reconnaissance tactile de la localisation des doigts en fonction de l’âge et une atteinte d’une maturité vers 10-11 ans (Benton, 1955). Peu de données concernent une période antérieure, entre 4 et 9 ans, précisément l’âge auquel les enfants pourraient plus particulièrement progresser sur le plan de leurs discriminations digitales et leur mobilisation dans des activités potentiellement liées à l’arithmétique. Les travaux de Reeve & Humberstone (2011) indiquent toutefois que les performances en gnosie digitale continuent de s’améliorer entre 5 et 9 ans.

Ainsi, les recherches n’ont toujours pas élucidé les raisons susceptibles d’expliquer la relation entre gnosie digitale et arithmétique. On a longtemps pensé que la bonne connaissance des positions relatives des doigts facilitait la qualité des représentations numériques mentales. La plupart des auteurs pensent ainsi qu’une bonne gnosie digitale améliore directement la connaissance des numérosités (Soylu et al., 2018) notamment pour les quantités au-delà de 4 qui ne sont plus directement reconnaissables par subitzing (Costa et al., 2011). Les résultats de ces auteurs montrent d’ailleurs que le rôle de la gnosie digitale semble limité aux quantités inférieures à 10, avec un lien plus marqué pour les nombres symboliques que les quantités analogiques. Par ailleurs, le lien entre doigts et arithmétique pourrait davantage relever d’une amélioration des habiletés motrices impliquées dans les apprentissages numériques justement grâce à une bonne connaissance des doigts. L’hypothèse du sens inverse est également avancée. Ainsi, pour d’autres auteurs, ce serait plutôt l’utilisation du comptage sur les doigts de façon canonique qui permettrait de donner du sens aux quantités et aux procédures additives, tout en améliorant de façon simultanée et incidente les représentations digitales, facilitant ainsi davantage des pratiques de calcul plus sophistiquées (Reeve & Humberstone, 2011). Ces auteurs ont d’ailleurs montré chez des enfants de 5 à 7 ans que la gnosie digitale et le comptage sur les doigts se développent simultanément. Le comptage sur les doigts pourrait ainsi tout aussi bien expliquer le lien entre gnosie et arithmétique et par là-même le lien entre dextérité fine et réussite mathématique.

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