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Corrélations entre habiletés sensori-motrices et compétences semi-symboliques

observation avec des résultats d’autres études puisque jusqu’alors, seul le lien entre habiletés non-symboliques et gnosie digitale a été investigué. Une troisième explication est possible rendant compte d’un phénomène de lenteur générale d’exécution. Notons cependant que la corrélation entre la dextérité et les temps de réponse est complètement absente pour l’épreuve de quantification de points en disposition canonique et non significative pour la résolution des additions dont les résultats sont inférieurs à 10.

Concernant la gnosie digitale, la littérature scientifique montre que son substrat neuronal est localisé dans les régions pariétales (Rusconi et al., 2014), qui sont également responsables du traitement de la magnitude (Dehaene et al., 2004). Cette intrication cérébrale est tenue pour responsable du lien entre reconnaissance des doigts et jugement numérique faisant appel à la magnitude (Rusconi et al., 2005). Pourtant, dans notre étude, les habiletés non-symboliques ne corrèlent pas avec la gnosie digitale. Cette observation ne corrobore pas l’influence du recouvrement neuro-anatomique des aires des doigts et « sens du nombre » sur le développement des compétences numériques. C’est justement ce qui a aussi été montré dans une étude auprès de deux groupes d’enfants de 8 à 11 ans, l’un sans trouble du développement, l’autre présentant des troubles du calcul, appariés en âge et quotient intellectuel (Costa et al., 2011). Les résultats montrent que les deux groupes diffèrent quant aux gnosies digitales mais pas aux épreuves de discrimination de quantités. De plus, dans leur étude, l’indice d’acuité de comparaison approximative ne corrèle pas avec le score de gnosie digitale. Ainsi, tout comme ces auteurs, nous pouvons conclure que les performances de gnosie digitale pourraient finalement se développer de façon indépendante des performances de discrimination approximative de quantités, malgré le recouvrement neuronal avéré de leurs aires.

2. Corrélations entre habiletés sensori-motrices et compétences semi-symboliques

Les scores de dextérité obtenus en évaluation initiale corrèlent avec les temps de réponse des épreuves semi-symboliques de quantification de points disposés aléatoirement uniquement ou de doigts levés, quelle que soit leur disposition. Les scores de dextérité corrèlent aussi avec les pourcentages de réussites obtenus à l’épreuve de comptage sur les doigts. Les scores de gnosie corrèlent également avec cette épreuve et étonnamment avec les quantifications de doigts levés en disposition non canonique.

D’une part, concernant l’épreuve de dénombrement de points, les scores de dextérité des participants ne corrèlent pas avec les temps de réponses obtenus aux habiletés de dénombrement dans les conditions canoniques. Cette indépendance des reconnaissances des quantités bien organisées visuellement vis à vis de la dextérité initiale pourrait expliquer qu’elles soient moins impactées dans une population avec des troubles moteurs. Cette indépendance vient finalement aussi nuancer l’explication de la présence des corrélations entre temps de réponse et temps d’exécution de dextérité par un phénomène de lenteur général systématique puisqu’il ne s’observe pas dans certaines conditions. Au contraire, et conformément à nos hypothèses, les scores de dextérité corrèlent avec les temps de réponses de dénombrement en condition aléatoire de façon transversale en T1 et également de façon prédictrice pour les temps de réponses recueillis deux ans plus tard en T3. Des analyses complémentaires transversales en T3, où la maturité des participants a encore augmenté, montrent que la corrélation en condition aléatoire est présente seulement pour la dextérité de la main dominante, r = - .44, p = .01 et pas pour celle de la main non-dominante, r = - .22, p = .25. Cette observation est cruciale pour témoigner du lien fonctionnel entre doigts et nombres.

En effet, même si la condition de dénombrement de points sur écran d’ordinateur éloigné du participant est exclusivement visuelle, la corrélation entre dextérité et dénombrement pourrait attester de l’ancrage de cette procédure visuelle dans une procédure antérieure ayant précisément nécessité le pointage par le doigt de la main la plus habile. Cette corrélation témoigne donc de l’évolution des expériences sensori-motrices vers des stratégies davantage internalisées, ici visuelles, observées au cours du développement chez l’enfant et l’adulte (Camos, 2003). Ce résultat s’inscrit tout à fait dans le courant de la cognition incarnée (Lakoff et Núñez, 2000) et donc dans l’hypothèse fonctionnelle où l’usage antérieur des doigts influence les compétences numériques ultérieures (Thevenot, Fluss & Guedin, soumis).

D’autre part, et également de façon conforme à nos prédictions, concernant l’épreuve de quantification des doigts levés, les temps de réponses en conditions canoniques ou non-canoniques corrèlent aussi avec les scores initiaux de dextérité. Il est en effet possible qu’une bonne identification des quantités de doigts levés active le souvenir des procédures motrices nécessaires pour lever les doigts dans les dispositions observées lors de l’épreuve. C’est d’ailleurs seulement avec la main dominante que cette corrélation est visible en première évaluation et pas pour la main non-dominante. La dextérité reste prédictrice des performances obtenues deux ans plus tard seulement pour les configurations digitales canoniques.

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Étonnamment, et cette fois, contrairement à nos hypothèses, la gnosie corrèle avec les quantifications de doigts levés, seulement avec les temps de réponses relevés en T1, et crucialement, en disposition non-canonique uniquement. Cette relation nous indique que pour reconnaître quels doigts sont levés en dispositions inhabituelles, non seulement une bonne dextérité est favorable, mais une bonne connaissance tactile de nos doigts nous aiderait également. Cette dépendance des dénombrements de doigts levés en disposition non-canonique vis à vis des habiletés digitales pourrait expliquer qu’ils soient justement impactés dans une population avec des troubles moteurs.

Enfin, les habiletés de dextérité et de gnosie digitale corrèlent toutes les deux avec les pourcentages de réussite à l’épreuve de comptage sur les doigts, mais seulement pour ceux recueillis deux ans plus tard. Cette corrélation se retrouve pour la dextérité de la main dominante mais pour la gnosie digitale de la main non-dominante, pourtant moins utilisée au quotidien. Dans le cadre d’une hypothèse d’un rôle fonctionnel des doigts, seuls les scores de la main dominante devraient influencer les compétences ultérieures. On peut ainsi imaginer que ce soit au départ une bonne dextérité initiale qui permette d’améliorer progressivement les réussites dans les activités de comptage sur les doigts et ainsi affiner conjointement les habiletés de gnosie digitale. Cette hypothèse est confirmée par différentes corrélations post-hoc présentées ici. D’une part, la corrélation entre le niveau initial de dextérité avec le niveau initial de gnosie est déjà forte à un niveau transversal en T1, r = .50, p = .005, mais est encore plus forte sur un plan longitudinal avec le niveau de gnosie obtenu en T3, r = .67, p < .001, montrant qu’une bonne dextérité affinerait la gnosie digitale. En revanche cette relation n’est pas bidirectionnelle, puisque la corrélation entre gnosie digitale initiale et dextérité en T3 n’est plus significative sur le plan longitudinal, r = .31, p = .09, signifiant que la gnosie digitale n’intervient pas dans l’amélioration de la dextérité. D’autre part, la corrélation entre les mesures initiales en comptage sur les doigts avec le niveau initial de dextérité est inexistante à un niveau transversal en T1, r = .27, p = .15, mais devient très forte sur un plan longitudinal avec le niveau de dextérité obtenu en T3, r = .47, p = .008, montrant que les pratiques de comptage sur les doigts pourrait influencer les scores de dextérité. En revanche aucune corrélation entre comptage sur les doigts en T1 et gnosie digitale n’est significative, ni en transversal en T1, r = .31, p = .09, ni sur le plan longitudinal avec le niveau de gnosie digitale en T3, r = .06, p = .73, montrant que, contrairement à nos hypothèses, les pratiques de comptage sur les doigts n’influencent pas la qualité de reconnaissance de ses doigts. L’inverse

pourrait être vrai, mais nos résultats montrent que la gnosie initiale ne prédit que faiblement les pourcentages de réussite en comptage sur les doigts obtenus en T3. Ainsi, contrairement à ce qui a longtemps été imaginé, ce ne serait donc pas les gnosies digitales qui tiendraient le rôle précurseur initial, mais davantage les capacités de dextérité. En résumé, si l’on ne prend en considération que les corrélations qui ont un pouvoir prédicteur de T1 vers T3, nous pouvons montrer les rôles développementaux de chacune des trois composantes considérées, avec un rôle central du comptage sur les doigts et de la dextérité qui s’auto-entretiennent (Figure 28). Ce résultat rejoint les conclusions de l’étude de Asakawa et ses collaborateurs (2017) montrant que l’entraînement de la dextérité fine chez des enfants de 7 ans améliore les performances arithmétiques, sans pour autant avoir testé si les habiletés de comptage sur les doigts intervenaient dans cette relation. Une autre étude a cependant réussi à montrer que la corrélation entre les habiletés de motricité fine d’enfants autour de 5 ans avec leurs compétences en tâches de comptage oral et de calcul avec des billes est justement en grande partie expliquée par les compétences numériques qui utilisent directement les doigts, comme le comptage sur les doigts, la monstration de quantités sur les doigts et le calcul sur les doigts (Suggate et al., 2017).

Figure 28. Proposition d’influences développementales entre dextérité, comptage sur les doigts et gnosie digitale.